La démarche de ce projet de recherche s’inscrit dans les axes prioritaires du second Plan Autisme 2008-2010 (axe 2 « mieux repérer pour mieux accompagner », axe 3 «diversifier les approches, dans le respect des droits fondamentaux de la personne», objectif 7 « Promouvoir une offre d’accueil, de services et de soins cohérente et diversifiée »), qui insiste sur la nécessité d’une réflexion au sujet d’un habitat adapté aux particularités comportementales, sensorielles et cognitives des personnes avec autisme. Depuis quelques années on assiste à la création croissante de Foyers d’Accueil Médicalisés (FAM) et Maisons d’Accueil Spécialisées (MAS). Cependant, malgré le caractère innovant constaté de ces nouvelles structures d’accueil et de la qualité des prises en charge proposées, à ce jour, les conséquences des aménagements architecturaux, réalisés au sein de ces établissements, ne sont pas connues en termes d’impact clinique sur les personnes atteintes de Troubles du Spectre Autistique (TSA) qui y sont accueillies. Malgré des préoccupations de plus en plus partagées au niveau national et international, les travaux de recherche et publications sur le sujet découlent essentiellement d’intuitions éclairées (retours d’expériences, témoignages,…) et demandent à être complétés et validés par des études scientifiquement ciblées. C’est donc dans cette perspective que notre recherche se propose d’appréhender et de spécifier l’existence et la nature des relations entre les composantes environnementales / architecturales et les comportements cliniques des personnes atteintes de TSA qui y résident. Cette thèse s’inscrit dans une recherche pluridisciplinaire d’ampleur nationale, qui réunit autour du Centre de Ressource Autisme Rhône-Alpes des partenaires scientifiques dont des professionnels de l’autisme et des architectes praticiens appelés à participer à des projets de construction d’établissements destinés à l’accueil de personnes atteintes de TSA. L’originalité de cette action est de coordonner deux projets de thèse, l’une en psychologie (Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition – Ecole Doctorale Ingénierie pour la Santé, la Cognition et l’Environnement) et l’autre en architecture (Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon – Laboratoire d’Analyse des Formes), menés conjointement dans une approche à la fois globale et spécifique d’une même problématique, pour répondre aux objectifs communs et complémentaires de cette recherche.
La polymorphie diagnostique du Spectre Autistique
Les trois classifications de référence pour les Troubles du Spectre Autistique (TSA) que sont le « Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders » (DSM-IV-TR) de l’American Psychiatric Association (APA, 2000), la « Classification Internationale des Maladies » (CIM-10) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 1999), et la Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent (CFTMEA, 2000), ne partagent pas les mêmes catégories nosographiques concernant ce handicap.
Cependant, malgré cette variabilité catégorielle et dénominative, la symptomatologie constituant un TSA et les caractéristiques fonctionnelles qui en découlent sont communes à ces diverses dénominations. Les TSA sont caractérisés par un noyau d’altérations qualitatives du développement et du fonctionnement : (1) Altération qualitative des interactions sociales, (2) Altération qualitative de la communication, (3) Caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements, des intérêts et des activités. Ce noyau symptomatique entrave le développement de l’enfant (dès le plus jeune âge dans ses formes dites « typiques » ou plus tardivement pour certains TSA dits « atypiques »), et constitue une caractéristique envahissante du fonctionnement de la personne et persistant durant toute sa vie. Ce sont ces répercussions fonctionnelles qui fondent le handicap des TSA.
Nous adopterons dans ce document un positionnement consensuel et inclusif qui est celui du concept de continuum des troubles autistiques caractérisé par la triade symptomatologique décrite précédemment et commune aux 3 classifications de référence. L’aspect essentiel de ce concept de continuum ou de spectre des troubles autistiques est que chaque élément de la triade peut survenir avec un degré de sévérité variable et avoir différents types de manifestations au niveau individuel (Haute Autorité de Santé, 2010). La récente publication du DSM-5 (American Psychiatric Association, 2013), concrétise cette appellation consensuelle sous le terme « Troubles du Spectre Autistique » (DSM-5 [299.00]), catégorisé au sein des troubles neuro-développementaux. Les déficits neuro-développementaux ainsi décrits, selon leurs variabilités individuelles se traduisent par des déficiences de fonctionnement adaptatif.
La triade symptomatique des TSA : la polymorphie fonctionnelle des Troubles du Spectre Autistique
Comme décrit précédemment, les Troubles du Spectre Autistique représentent un groupe hétérogène de profils neurodéveloppementaux qui sont caractérisés par des difficultés d’adaptation des individus dans les contextes d’interactions sociales, de communication, et par une gamme restreinte d’intérêts et/ou de comportements stéréotypés (DSM-5, American Psychiatric Association, 2013). Les observations cliniques permettant d’apprécier la diversité des profils comportementaux observés dans les TSA se fondent sur la nature des conduites relationnelles, communicatives et comportementales que la personne atteinte de TSA entretient avec son l’environnement physique et social. Le repérage de ces profils de TSA à travers une investigation pluridimensionnelle de ces 3 sphères de fonctionnement, permet d’élaborer des indications plus précises en termes d’accompagnement et de prises en charge adaptées à la spécificité de chaque individu.
Description et retentissement des troubles d’interactions sociales
Les spécificités de fonctionnement relationnel et interactionnel que présentent les personnes atteintes de TSA, peuvent se caractériser par une absence ou un manque de réciprocité sociale et/ou émotionnelle. En effet, les personnes atteintes de TSA ont des difficultés à prendre en compte la perspective d’autrui que cela soit au plan affectif (difficultés à partager les sentiments d’autrui), cognitif (difficultés à détecter les intentions d’autrui) et comportemental (difficultés à décoder les expressions faciales, les postures ou les gestes d’autrui). Ces difficultés deviennent observables par des troubles de réciprocité sociale et émotionnelle, sorte de détachement relationnel (ne répond pas au sourire en souriant, évitement du contact visuel,…). Cependant, cela ne signifie pas que les personnes atteintes de TSA sont incapables de reconnaitre et prendre en compte la présence et l’existence d’autrui, elles n’ont pas les moyens de décoder et d’interpréter les états mentaux et/ou émotionnels qui sous-tendent les actions d’autrui, appelé « déficit de Théorie de l’esprit » (Baron Cohen, Leslie & Frith, 1985 ; Baron-Cohen, 1989, 2001 ; Happe, 1994). De ce fait, les personnes atteintes de TSA sont désorientées et désarmées face aux relations que nous leur proposons d’établir selon nos propres modalités relationnelles neuro typiques. Ainsi, le descriptif clinique concernant la sphère du fonctionnement social de ces personnes n’implique pas qu’elles sont incapables d’entretenir des relations sociales ou n’en ont pas le désir, mais plutôt qu’elles ont des difficultés majeures à comprendre et à gérer les informations complexes qui sont nécessaires au développement et au maintien de la « danse » sociale qui caractérise les relations humaines « neuro-typiques » (Champoux, Lefaivre & Yergeau, 2006).
Description et retentissement des troubles de la communication
Les spécificités de fonctionnement communicationnel que présentent les personnes atteintes de TSA, peuvent se caractériser par une absence ou un manque de capacités verbales et non verbales, sur le plan expressif et réceptif. D’après une enquête régionale menée en Languedoc-Roussillon, 82,7% des enfants et adolescents de la cohorte recensée par cette étude ont une absence de langage ou un langage non fonctionnel (Ledésert, Celton, Boulahtouf, Pernon, Bartheye & Azema, 2004). Les personnes atteintes de TSA mais qui acquièrent le langage verbal présentent des caractéristiques expressives inhabituelles tant de formes que de contenus, incluant l’écholalie (répéter un mot ou une phrase entendu de façon mécanique, poser des questions répétitives,…) l’inversion pronominale (employer le « tu » ou leur prénom au lieu du « je » pour parler d’eux-mêmes), la coprolalie (dire de façon involontaire des mots grossiers ou vulgaires), les néologismes (phénomène d’expression verbale à l’aide de mots inexistants), des expressions verbales sur un ton monotone, ou des particularités d’intonation, la logorrhéique (parler avec excès et/ou débit de parole trop rapide).
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Table des matières
Résumé de l’étude / Abstract
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE THEORIQUE : « Les spécificités des Troubles du Spectre
Autistique, les spécificités de prises en charge : Autisme & Architecture entre conceptualisation intuitive et empirique »
I. Description des connaissances actuelles concernant les TSA : entre caractéristiques communes et spécificités individuelles, la polymorphie du spectre autistique
I.1. La polymorphie diagnostique du Spectre Autistique
I.2. La triade symptomatique des TSA : la polymorphie fonctionnelle des Troubles du Spectre Autistique
I.2.1. Description et retentissement des troubles d’interactions sociales
I.2.2. Description et retentissement des troubles de la communication
I.2.3. Description et retentissement des troubles des comportements et intérêts restreints
I.3. Déficience intellectuelle, épilepsie, particularités sensorielles et dysfonctionnement exécutif : la polymorphie des profils de comorbidité associés aux TSA
I.3.1. Les déficiences intellectuelles
I.3.2. Les épilepsies
I.3.3. Les spécificités sensorielles
I.3.4. Les dysfonctionnements exécutifs
I.3.5. Les troubles du comportement
I.4. De l’enfance à l’âge adulte : la polymorphie évolutive des TSA
I.5. Données épidémiologiques de prévalence concernant les TSA
II. Description des lieux d’accueil et de prises en charge des personnes atteintes de TSA : la spécification thérapeutique
II.1. Historique et évolution des modalités de prises en charge des personnes atteintes de TSA : des droits de l’homme à la reconnaissance du handicap
II.2. La spécification progressive des établissements institutionnels auprès des personnes atteintes de TSA
II.2.1. La création d’unités spécifiquement dédiées à l’accueil et la prise en charge de personnes adultes ayant un diagnostic de TSA
II.2.2. La mise en œuvre de prises en charges spécifiques et individualisées
II.2.2.1. Des démarches d’évaluations spécifiques préalables à toutes interventions thérapeutiques
II.2.2.2. Les interventions éducatives
II.2.2.3. Les interventions pharmacologiques
II.2.2.4. Les interventions environnementales
III. « Autismes & Architectures »
III.1. Une relation théorique : la psychologie environnementale
III.2. Une relation conceptuelle : les modèles interactionnels individus/environnements
III.2.1. La conceptualisation des relations homme-environnement
III.2.2. La spécificité des espaces institutionnels
III.2.3. Le modèle de Lawton
III.3. Une relation intuitive : une réflexion commune animée par et pour les pratiques de terrain
III.3.1. Les connaissances et pratiques intuitives : les prémisses nécessaires à l’adaptation progressive de l’environnement
III.3.2. Une méthodologie de recherche inter-disciplinaire appliquée aux terrains d’étude
III.4. Les recherches appliquées aux interactions entre les spécificités fonctionnelles caractéristiques des personnes atteintes de TSA et leurs contextes environnementaux
PARTIE METHODOLOGIQUE : « Evaluation clinique de la symptomatologie autistique, caractérisations architecturales d’un lieu de vie et mise en relation inter-disciplinaire »
I. Problématique d’étude et objectifs de recherche
II. Définition du corpus d’étude : les partenariats de terrain
II.1. Mise en place des partenariats de terrain
II.2. Phase de recueil de données : Mise en place des protocoles de mesures et d’évaluations
III. Un protocole méthodologique inter-disciplinaire
III.1. Présentation du protocole d’évaluations cliniques
III.1.1. Recueil de données informatives issues des dossiers médicaux des résidents
III.1.2. Méthodologie clinique d’évaluations des personnes adultes atteintes de TSA et résidant en établissements institutionnels
III.1.3. Méthodologie de caractérisation du fonctionnement institutionnel des établissements et unités
III.1.4. Méthodologie d’évaluation des locaux en tant qu’environnement de travail pour les professionnels
III.2. Présentation du protocole de mesures architecturales
IV. Méthodologie statistique
IV.1. Sélection des variables intra-discplinaires pour l’étude des relations interdisciplinaires
IV.2. Présentation des méthodes d’analyses statistiques appliquées pour l’étude des relations inter-disciplinaires : les analyses multi-niveaux / multi-variées
IV.2.1. Conceptualisation théorique et pratique des méthodes d’analyses statistiques multi-niveaux
IV.2.2. Conceptualisation des méthodes d’analyses statistiques multi-variées
IV.2.3. Présentation des équations statistiques multi-niveaux/multi-variées élaborés pour l’étude des relations entre les caractéristiques architecturales des espaces/temps de vie quotidienne et les caractéristiques comportementales et sensorielles des résidents
CONCLUSION
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