La pollution des cours d’eau par les pesticides d’origine agricole : une question vive dans les systèmes horticoles martiniquais
La pollution des cours d’eau par les pesticides apparaît comme un problème général à travers le monde (Battaglin et al. 2011; Chapman and Stranger 1992; Gilliom et al. 1999; Konstantinou et al. 2006; Kreuger 1998; Schulz and Peall 2001). Cette pollution est présente sous des climats tempérés (Cerejeira et al. 2003; Wauchope 1978) et tropicaux (Laabs et al. 2002b; Taylor et al. 2003). Comme les pesticides sont sujets aux transferts (hydrique, particulaire, aérien), ils ne restent pas dans les milieux sur lesquels ils ont été appliqués (Holvoet et al. 2007b; Schiavon et al. 1995; van der Werf 1996). Les fuites sont faibles mais suffisent à contaminer tous les milieux (eau, air, sol). L’utilisation de pesticides sur des milieux anthropisés, comme les zones cultivées, peut avoir des effets à l’échelle mondiale. Par exemple, certains pesticides anciennement utilisés en agriculture sont aujourd’hui retrouvés sur des continents sur lesquels ils n’ont jamais été utilisé tel que l’Antarctique (Cipro et al. 2013; Zhang et al. 2013b). Sur des territoires plus restreints mais présents sur l’ensemble de la planète, tels que les zones volcaniques, il apparaît que les conditions environnementales sont particulièrement propices au transfert des pesticides agricoles vers les eaux de rivière (Castillo et al. 2000; Charlier et al. 2009a; Henriques et al. 1997; Kammerbauer and Moncada 1998).
Contexte martiniquais et situation actuelle
La Martinique, une île aux caractéristiques favorisant l’usage et le transfert des
pesticides
Une géographie et un climat propices aux bio-agresseurs
La Martinique est une île d’origine volcanique, située dans l’archipel des petites Antilles, qui dessine la limite entre l’océan Atlantique et la mer des Caraïbes (Charlier 2007). Elle est située entre 14°23’ et 14°53’ de latitude Nord, et entre 60°50’ et 61°15’ de longitude Ouest. C’est un département d’outre mer français s’étendant sur 1080 km2 dont la préfecture est Fort-de-France. La montagne Pelée, volcan toujours en activité, culmine à 1397 m. La situation géographique de la Martinique génère un climat tropical maritime. Ce climat se caractérise par des températures variant peu au cours de l’année (Météo France 2013a). Les températures moyennes mensuelles oscillent entre 25°C (janvier) et 28°C (juin) (station du Lamentin). Les précipitations normales sont inégalement reparties sur l’île : elles ne dépassent généralement pas 2000 mm par an dans le sud de l’île et atteignent jusqu’à 6000 mm sur la montagne Pelée. Il existe différentes dues à l’effet de Foehn (Figure I.1). La côte atlantique est plus arrosée, avec des précipitations variant de 2500 à 6000 mm, alors que pour la côte sous le vent elles varient de 1500 à 4000 mm. Ce climat chaud et humide est propice au développement des bio-agresseurs car il n’intègre pas de période de rupture de cycle pour ces derniers. La partie nord-atlantique est la zone la plus humide de la Martinique, elle est de ce fait, très propice à la prolifération de champignons, bactéries, insectes et adventices générant une pression phytosanitaire importante sur les cultures (Madden 1997).
Des cultures horticoles sensibles aux bio-agresseurs
Les principales cultures martiniquaises sont la banane et la canne à sucre (42% de la SAU) dont les produits sont essentiellement destinés à l’exportation (Frouté and Nicar 2008). En parallèle, les autres productions horticoles sont destinées au marché local. Ces cultures ne représentent que légèrement plus de 14 % de la SAU en 2011 (Table I.1). En dépit des faibles surfaces en culture, la demande locale est importante et nécessite l’importation de près de 50% des besoins totaux (Agreste 2010). Les politiques de développement agricole actuelles mettent l’accent sur la diversification des productions pour l’approvisionnement des consommateurs locaux afin de réduire la dépendance alimentaire aux importations. L’horticulture martiniquaise (agriculture des fruits et légumes) est cependant contrainte par d’importants problèmes phytosanitaires et des coûts de production élevés.
Différents auteurs montrent qu’aux Antilles il existe une organisation des exploitations agricoles, et donc des systèmes de culture, calquée sur un gradient altitudinal ou sur la nature accidentée du relief (Carré 2008; Guiran and Castellanet 1993; Houdart 2005). Carré (2008) montre par l’analyse de toposéquences que les cultures de la canne et de la banane occupent les zones de plaines tandis que les autres systèmes de culture horticoles plus diversifiés sont plutôt localisés en altitude sur des reliefs accidentés. Ce constat est confirmé par Houdart (2005) indiquant que « La banane occupe principalement les parties basses des bassins, l’ananas les parties moyennes et le maraîchage-vivrier les parties hautes […] ».
Les fruits et légumes sont des productions pour lesquelles les aspects visuels et la qualité individuelle des produits sont déterminants du prix de vente : le respect de ces caractéristiques est donc une priorité pour les agriculteurs. De ce fait, les exploitants horticoles utilisent des produits phytosanitaires afin de contrôler les ravageurs des cultures susceptibles de diminuer la qualité commerciale de leur production. Cette utilisation est variable selon les cultures mais peut atteindre des niveaux très élevés (Houdart 2005; Mottes 2010). Les systèmes de culture maraîchers, pour lesquels la consommation de pesticides est très élevée, sont aussi localisés en altitudes où la pluviométrie est la plus élevée, ce qui en fait des zones sensibles aux transferts de pesticides.
Contexte règlementaire
Les départements d’outre-mer sont des régions françaises et européennes dont le climat, la diversité des cultures produites, ou les deux sont différents de ceux des zones continentales tempérées. De ce fait, les intrants phytosanitaires ne sont généralement pas homologués sur les cultures tropicales dont les surfaces représentent quelques centaines d’hectares à l’échelle du territoire européen. Les produits phytosanitaires ne sont pas disponibles pour ces cultures et les exploitants peuvent avoir recours à des usages détournés pour lesquels les effets sur la santé humaine et l’environnement n’ont pas règlementairement été évalués. Par exemple, des fongidides non-autorisés (indoxacarbe, difénoconazole, pendiméthaline) sont utilisés sur des cultures maraîchères (concombre, laitue, tomate) et sont retrouvés dans les produits récoltés (DAAF Guadeloupe 2013). Les demandes d’homologation et de mise en marché des pesticides sont rédigées pour des conditions tempérées, sans prise en compte de leurs comportements différenciés en zone tropicale (Laabs et al. 2002a). Les cultures cultivées à la fois en France métropolitaine et outre-mer disposent des mêmes autorisations d’utilisation sans qu’il n’y ait eu d’évaluation des usages de produit dans les conditions outre-mer. Pour la banane, l’homologation de la chlordécone a conduit à des problèmes de pollution généralisée des sols et des ressources en eau à l’échelle de la Martinique (Cabidoche et al. 2009; Woignier et al. 2012). Cette pollution contraint aujourd’hui le nombre de cultures cultivables sur les parcelles contaminées (Cabidoche and Lesueur-Jannoyer 2012) aux cultures qui ne sont pas contaminées par la molécule ou dont les cahiers des charges n’interdisent pas de telles contaminations.
Des caractéristiques pédologiques et climatiques favorisant le transfert des pesticides
La diversité des sols de la Martinique dépend de la nature des dépôts volcaniques dont ils sont issus et de leur âge. La Figure I.2 présente la carte pédologique simplifiée de la Martinique. Dans la zone nord-atlantique, on observe principalement des sols à allophanes (andosols) en altitude puis des sols brun-rouille à halloysite (nitisols) sur les zones littorales et les plaines. Les andosols représentent 4601 ha (19%) de la surface agricole utile, tandis que les nitisols représentent 3661 ha (15%) de la surface agricole utile à l’échelle de la Martinique (calculs basés sur les données de recensement agricole 2008). Ces deux types de sols représentent ainsi 34% de la surface agricole utile de la Martinique. Ces deux types de sols ont des teneurs en matières organiques élevées (de 3 à 8% selon le type de sol et l’agrosystème) (Cabidoche et al 2009; Levillain et al 2012) et présentent des capacités d’infiltration élevées de 35 à 350 mm.h-1 (Cattan et al. 2006; Cattan et al. 2007; Dorel et al. 2000). Ces valeurs indiquent un drainage libre qui favorise l’infiltration et les transferts rapides de pesticides vers les cours d’eau via des voies souterraines. En outre, les fortes intensités pluviométriques accélèrent encore ces transferts. Les caractéristiques climatiques de l’île, jumelées avec ses sols filtrants, entraînent à la fois des transferts de polluants vers les rivières par des voies de surface et par des voies souterraines via des transferts au sein des nappes souterraines contaminées par la lixiviation des pesticides présents dans les sols (Charlier 2007; Charlier et al. 2008; Charlier et al. 2009a).
La qualité de l’eau de rivière : un enjeu majeur en Martinique
Production d’eau potable
Les eaux de rivière fournissent 94% de l’eau potable consommée en Martinique (Table I.2). Afin de respecter les normes, l’eau potable distribuée doit présenter les caractéristiques suivantes :
– Chaque matière active doit avoir une concentration inférieure à 0.1µg.L-1.
– La somme des matières actives doit avoir une concentration inférieure à 0.5µg.L-1.
Les eaux brutes peuvent être utilisées pour produire de l’eau potable dès lors qu’elles ne dépassent pas une concentration de 2µg.L-1 par matières actives et dans la limite de 5µg.L-1 pour l’ensemble des pesticides. Le traitement des eaux brutes contaminées a un coût important (Veilleur 2009).
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Table des matières
Introduction générale
Partie 1 : Analyse bibliographique et problématique
Chapitre I La pollution des cours d’eau par les pesticides d’origine agricole : une question vive dans les systèmes horticoles martiniquais
1. Introduction
2. Contexte martiniquais et situation actuelle
3. Conclusion et question de recherche
Chapitre II Analyse bibliographique sur les rapports entre les processus de dissipation des pesticides dans l’environnement et les pratiques agricoles
1. Introduction
2. La dissipation des pesticides dans l’environnement
3. Concepts et niveaux d’organisation mobilisés
4. Revue bibliographique sur les transferts de pesticides dans les bassins versants
5. Conclusion
Chapitre III Problématique
1. Introduction
2. Les méthodes d’évaluation environnementale des pratiques agricoles
3. Hypothèses de recherche
4. Conclusion sur les choix méthodologiques
Partie 2 Mise en place d’un dispositif de suivi des systèmes de culture et de la pollution de l’eau à l’exutoire d’un bassin versant et diagnostic initial
Chapitre IV Dispositif de thèse mis en place sur le bassin versant de la rivière Ravine
1. Introduction
2. Choix et caractéristiques environnementales du bassin versant de la rivière Ravine
3. Dispositif expérimental
4. Conclusion
Chapitre V Relations entre les profils temporels d’application de pesticides et les profils temporels de pollution par les pesticides à l’exutoire d’un bassin versant
1. Introduction
2. Material and Methods
3. Results and discussion
4. Conclusion
Partie 3 Conception d’un modèle destiné à évaluer les effets des systèmes de culture horticoles sur la contamination de l’eau à l’exutoire d’un bassin versant par les pesticides et adapté à des systèmes géologiques complexes
Chapitre VI Modélisation hydrologique et de transfert de pesticides dans un bassin versant volcanique tropical avec le modèle WATPPASS
1. Introduction
2. WATPPASS model
3. Study site
4. Parameterization and calibration for application to the Ravine catchment
5. Modeling results and discussion
6. Conclusion
Chapitre VII Intégration des effets des pratiques agricoles dans le modèle WATPPASS et mise en œuvre sur le bassin versant de la rivière Ravine
1. Introduction
2. La couverture du sol dans WATPPASS
3. La dégradation des pesticides
4. Transferts hydriques et de pesticides entre les compartiments.
5. Effets des pratiques agricoles dans WATPPASS
6. Paramétrage de WATPPASS pour le bassin versant de la rivière Ravine.
7. Résultats et discussions
8. Conclusion
Partie 4 Discussion générale
Chapitre VIII Discussion générale
1. Introduction
2. Retour sur la problématique
3. Généricité de la méthode
4. Apports et limites scientifiques du travail de thèse
5. Valorisations opérationnelles
6. Conclusion et perspectives
Conclusion générale
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