La politique environnementale dans une fédération centralisée
Revue de littérature
Le fédéralisme est « un système de gouvernement qui divise les pouvoirs souverains entre une autorité centrale et des unités gouvernementales régionales1 » (Kalyani, 2015). Il est « particulièrement bien adapté aux États dont la superficie est étendue ou dont la population inclut des communautés culturelles distinctes » (Duplé, 2014). Le fédéralisme définit donc toutes les structures de pouvoir se situant entre le pays parfaitement unitaire, où toutes les décisions sont prises par un unique gouvernement, et le simple regroupement de pays. Si une définition juridique distingue la fédération de la confédération2, l’analyse économique du fédéralisme englobera généralement les deux formes d’organisation, voire celle des pays unitaires sur le plan juridique, mais où certaines fonctions gouvernementales sont en partie déléguées à des unités administratives inférieures, qu’elles soient régionales ou municipales.
On peut penser au pouvoir de taxer et redistribuer, mais aussi de règlementer certains secteurs. L’intérêt des économistes envers le fédéralisme repose sur l’intuition que différents niveaux de centralisation conviennent à différents champs de compétences. Stigler (1957), l’un des premiers économistes à avoir conceptualisé le fédéralisme, prétend que « la prise de décision devrait revenir au plus bas niveau de gouvernement cohérent avec les objectifs de l’efficacité et de l’équité ». William Oates (1972) reprendra partiellement cette définition dans son principe de « correspondance parfaite », qui désigne une situation où la juridiction responsable d’une politique coïncide avec les limites géographiques des impacts qu’a cette politique sur les ménages. Il théorisera cette intuition grâce au théorème de la décentralisation, qui prédit qu’en l’absence d’économies d’échelle et d’externalités, une politique décentralisée sera toujours au moins faiblement préférable à l’option centralisée.3 Les hypothèses du modèle étant fortes, en particulier celles d’absence d’externalités et de gouvernement bienveillant, plusieurs raffinements du modèle lui succèderont.
Comprendre la formation des politiques environnementales lorsque le pouvoir est partagé entre un gouvernement fédéral et plusieurs gouvernements infranationaux peut être une tâche complexe. À cet effet, deux branches de la théorie du fédéralisme sont particulièrement éclairantes. La première, plutôt normative, cherche généralement à déterminer quelle allocation des pouvoirs environnementaux s’approche le plus du meilleur résultat pour la société. La deuxième branche, plus positive, s’attèle quant à elle à décortiquer les mécanismes par lesquels un partage des compétences émerge du processus politique. L’analyse positive du partage des pouvoirs est surtout abordée par les sciences politiques. Néanmoins, les modèles d’économie politique ne sont pas étrangers à cet aspect du fédéralisme et s’avèrent être des outils pertinents pour analyser les questions en découlent.
Fédéralisme environnemental
Comme son nom l’indique, la notion de fédéralisme environnemental renvoie au partage des pouvoirs entourant la politique environnementale. C’est une extension naturelle de la théorie du fédéralisme fiscal, qui s’intéresse à la répartition des fonctions d’allocation et de redistribution entre un gouvernement central (souvent fédéral) et ses unités constituantes (provinces, États, Länder ou autres). Lorsqu’un groupe d’États adopte une structure fédérale, ces derniers sacrifient une partie de leur souveraineté afin d’accroitre leurs gains communs. La justification la plus intuitive du fédéralisme est une meilleure internalisation des externalités.4 La nature transfrontalière de certains biens publics conduit les juridictions à les fournir en quantité sous-optimale. Sans compensation, il n’est pas dans l’intérêt d’une juridiction de tenir compte du bien-être de ses voisines dans l’établissement de sa politique.5 Confier cette compétence au palier supérieur peut atténuer les problèmes liés au comportement de passager clandestin. Il est également possible que des économies d’échelle rendent avantageuse la mise en oeuvre d’une politique à l’échelle nationale. C’est le cas notamment des investissements en recherche scientifique (Esty, 1996 et Adler, 2005). Il est possible que certaines problématiques puissent être réglées par la coopération partielle entre les juridictions touchées.
Lorsqu’une problématique environnementale ne concerne qu’un nombre limité d’États, le théorème de Coase conclut que sous certaines conditions, dont un petit nombre de participants, la négociation privée peut mener à une allocation optimale. Lorsque le nombre d’États concernés est plus élevé, une coopération efficace est moins probable. Le bénéfice de se comporter en passager clandestin augmente à mesure que le nombre de coopérants potentiels est élevé. La littérature à ce sujet est vaste.6 Les premiers modèles de fédéralisme environnemental mettent surtout l’accent sur les côtés positifs de la décentralisation. Plusieurs de ces modèles établissent la supériorité de la décentralisation sans avoir recours au théorème d’Oates. On y relâche notamment certaines hypothèses fortes, comme l’absence d’externalités transfrontalières. Dans la plupart de ces études, la mobilité des ménages ou des firmes est élevée. Les gouvernements régionaux se concurrencent dans leurs politiques afin d’attirer les investissements et les contribuables ou de plaire à certains groupes organisés.7 Wellisch (1995) permet aux ménages et aux firmes d’être parfaitement mobiles et en conclut que la décentralisation est optimale à condition qu’aucune externalité ne traverse la frontière des juridictions et que la taxe ou les permis échangeables soient utilisés comme instruments, et pas des normes règlementaires.8 Les études empiriques montrent toutefois que, à quelques exceptions près, la mobilité des ménages et des firmes est peu élevée et que la règlementation environnementale n’explique qu’une portion marginale des migrations interrégionales.9
Économie politique du fédéralisme Il y a plusieurs raisons d’aborder le fédéralisme environnemental sous l’angle de l’économie politique. D’abord, sur le plan empirique, de nombreux exemples suggèrent que l’élaboration d’une politique est souvent confiée à un palier gouvernemental qui n’est pas cohérent avec l’importance des effets externes en jeu. Les exemples ne manquent pas de situations où la mise en oeuvre d’une politique nationale avait des effets plutôt locaux et où, à l’inverse, une politique locale avait des effets plus nationaux.11 L’efficacité économique n’est donc pas le seul déterminant du palier gouvernemental responsable de légiférer sur une problématique environnementale. Une autre raison d’utiliser les modèles d’économie politique est qu’une partie des compétences législatives n’est pas prévue dans les constitutions sur lesquelles se base le partage des pouvoirs. C’est le cas de l’environnement dans plusieurs fédérations importantes, y compris le Canada, les États-Unis et l’Australie. Dans ces cas, les jeux de négociation entre le gouvernement fédéral et ses unités constituantes peuvent expliquer la répartition des compétences au fil du temps.
C’est pour cette raison que Ryan (2011) affirme que c’est au sujet de la règlementation environnementale que les réclamations des états fédérés et du gouvernement fédéral sont simultanément à leur plus fort. La constitution d’une fédération comprend généralement une énumération codifiée des compétences règlementaires spécifiant lesquelles sont assignées aux paliers fédéral et infranational. Certaines compétences sont exclusives, c’est-à-dire qu’elles sont entièrement réservées au palier auquel elles sont octroyées, alors que d’autres sont concurrentes. Dans ces dernières, le pouvoir est partagé entre les deux paliers. Par exemple, l’environnement est considéré comme une compétence partagée au Canada, et les tribunaux peuvent servir en cas de conflit à bien départager les responsabilités entre les acteurs politiques.12 Selon le problème environnemental en question, l’un ou l’autre des paliers gouvernementaux peut avoir prépondérance dans le choix de ses politiques. Il est toujours possible de déroger de la répartition prévue par la constitution, mais cela peut demander un amendement, dont les règles d’adoption varient fortement d’une fédération à l’autre.
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Table des matières
Résumé
Table des matières
Liste des figures
Remerciements
Introduction
1.Revue de littérature
1.1 Fédéralisme environnemental
1.2 Économie politique du fédéralisme
2.La politique environnementale dans une fédération centralisée
2.1 La structure politique
2.1.1 Les acteurs politiques
2.1.2 Le jeu d’agence
2.2 L’environnement économique
2.2.1 Les agents économiques
2.2.2 L’optimum de premier rang
2.3 L’équilibre politique
2.3.1 Caractérisation de l’équilibre
2.3.2 Statique comparative
2.4 Conclusion
3.L’allocation des pouvoirs dans une fédération
3.1 Pouvoirs initiaux au gouvernement fédéral
3.2 Pouvoirs initiaux aux gouvernements régionaux
3.3 Conclusion
Conclusion
Bibliographie
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
Annexe 4
Annexe 5
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