La politique d’intégration du canton de Vaud
Définition des concepts
Avant d’arriver à définir la notion d’intégration, nous allons d’abord nous attacher à la placer dans un contexte plus vaste regroupant plusieurs autres notions (Schnapper 2007). En effet, lorsque les premiers sociologues s’intéressent au processus d’installation des immigrés dans une société d’accueil, à la fin XIXe siècle, ils privilégient le terme « d’assimilation ». Toutefois, lorsque les dimensions « culturelle » et « sociale » de l’assimilation sont mises à jour dans les années 1960, de nouveaux termes font leur apparition. Ainsi, la dimension culturelle, caractérisée par « l’adoption des traits culturels » de la société d’accueil (Schnapper 2007), est qualifiée d’« acculturation », d’ « assimilation », d’ « assimilation culturelle » ou encore d’ « intégration culturelle ». Quant à la dimension sociale, qui a trait à la participation à la société, elle se voit attribuer les termes d’ « assimilation structurelle », d’ « assimilation sociale », d’ « intégration », « d’intégration structurelle » ou d’ « intégration sociale » (Schnapper 2007). Nous allons à présent apporter une définition sociologique plus précise des termes « assimilation » et « intégration » puisqu’ils ont été utilisés dans les discours politiques en Suisse4.
La notion d’assimilation
Le terme « assimilation » se réfère au processus de « faire devenir semblable (sur le plan social et culturel) les immigrés aux membres du groupe social d’accueil, à une nation » (Boucher 2000 : 25). Les conceptions française et américaine de la notion d’assimilation divergent. Elles constituent deux courants menés par « la sociologie durkheimienne » (France) d’un côté et par « l’école de Chicago » (Etats-Unis) de l’autre (Cohen 1999)5. Dans la conception française, l’assimilation induit pour les étrangers de renoncer à leur culture d’origine et d’adopter celle du pays dans lequel ils se trouvent. Cela peut se traduire par l’apprentissage de la langue du pays et de ses coutumes (Boucher 2000). Peu à peu abandonnée par les chercheurs français en raison de connotations négatives liées notamment au colonialisme, la notion d’assimilation a connu une trajectoire différente aux Etats-Unis.
D’abord développé dans les travaux des chercheurs de l’Ecole de Chicago6, le terme d’assimilation est compris dans une perspective interactionniste : c’est un « processus d’interpénétration et de fusion par lequel des individus et des groupes acquièrent les souvenirs, les sentiments et les attitudes d’autres individus et d’autres groupes, et […] sont associés à eux dans une vie culturelle commune » (Park cité par Boucher 2000 : 29). Selon cette conception, les immigrés vont adopter certains éléments de la culture américaine sans pour autant renoncer aux traits de leur culture d’origine, ces derniers pouvant s’exprimer dans la sphère privée (Schnapper 2007). Les travaux des chercheurs de l’Ecole de Chicago ont permis de montrer toute la complexité de la notion d’assimilation, cette dernière se déclinant en différentes dimensions (linguistique, matrimoniale, familiale, socio-économique, etc.). Ce dont certains chercheurs français se sont ensuite inspirés afin d’analyser les processus d’intégration des immigrés (ibid.).
Le concept d’intégration
Le terme latin integrare signifie quant à lui renouveler, rendre entier (Boucher 2000). Certains chercheurs définissent « l’intégration comme le contraire de l’incohérence, de l’exclusion, de la fragmentation et de l’éparpillement » (Schnapper 2007 : 11). Cela ne nous dit pourtant pas ce que recouvre réellement le terme « intégration ». En effet, la notion d’intégration est un « concept-horizon », c’est-à-dire un outil théorique indispensable pour comprendre certaines réalités mais dont l’existence est « purement théorique », c’est-à-dire non observable (Schnapper 2007). Afin de pouvoir étudier les processus d’intégration, les chercheurs doivent donc se pencher sur les différentes dimensions de la notion. Nous nous attacherons alors à définir le concept d’intégration en prenant en compte différents angles et en le décomposant en dimensions. En outre, bien que le terme « intégration » soit valorisé dans le langage courant, il ne fait pas l’unanimité auprès des chercheurs. Certains lui préfèrent ainsi la notion de « régulation », cette dernière véhiculant l’idée que les individus participent à l’élaboration des normes sociales. En effet, « parler de régulation, c’est insister sur le rôle actif des individus, sur les processus, les échanges et les négociations entre les individus et les divers groupes, qui conduisent à élaborer de nouvelles règles » (Schnapper 2007 : 16). Nous allons à présent nous intéresser de plus près à la notion d’intégration.
Une définition plus précise de l’intégration L’intégration est un terme qui fait référence à un processus en constante évolution et non à un état ou à un résultat figé, les individus ne pouvant pas être intégrés « une fois pour toutes » (Facchinetti 2012). Processus concernant tous les individus d’une société, l’intégration fait appel à deux dynamiques7. En effet, la société toute entière est sujette à l’intégration (ou intégration systémique) lorsque les individus interagissent et partagent des valeurs et pratiques communes. Il en découle ainsi une cohésion sociale (Tabin 1999). Cette dernière implique de préserver et renforcer les liens sociaux entre les individus, c’est-à-dire de réunir « un ensemble de parties interdépendantes, complémentaires et compatibles entre elles » (Bolzman 2001 : 159). La deuxième dynamique concerne l’intégration des migrants à la société nationale (ou intégration tropique).
Dans cette deuxième conception, l’intégration est vue comme l’incorporation, dans une collectivité ou dans un milieu, d’un individu ou d’un groupe de personnes venus de l’étranger (Tabin 1999). Ces deux dynamiques vont de pair, « c’est pourquoi la réflexion sur l’intégration d’individus étrangers (de non-citoyens, migrants ou issus de migrants) à une société nationale ne peut être abordée en dehors d’une réflexion sur l’intégration de la société elle-même » (Tabin 1999 : 9). Ainsi, l’intégration au sein d’une communauté ou d’un milieu constitue en quelque sorte, pour les migrants, une étape nécessaire vers une intégration plus « avancée » au sein de la société nationale. En effet, il leur faut parvenir à s’installer durablement sur le territoire national avant d’envisager de participer pleinement à la vie de la société, ce qui se révèle parfois compliqué puisque les autorisations de séjour qu’ils reçoivent sont valables pour une durée plus ou moins longue (Tabin 1999). Si l’intégration est vue comme l’affaire de tous dans l’approche classique des premiers sociologues, la sociologie des migrations et des relations interculturelles porte quant à elle un accent particulier sur l’intégration des migrants (Bolzman 2001). Les problèmes d’intégration sont vus comme étant imputables aux seuls immigrants puisque ces derniers apportent une « hétérogénéité culturelle » dans une société « présentée comme un tout largement homogène et cohésif, sans conflits importants » 8(Bolzman 2001 : 160).
Les différentes dimensions de l’intégration
Comme nous l’avons expliqué plus haut, les processus d’intégration ne sont ni observables ni mesurables. Toutefois, il est possible d’étudier les diverses dimensions de l’intégration par le biais des activités auxquelles prennent part les migrants, que cela soit dans les domaines professionnels, culturels ou sociaux notamment. Les chercheurs ont ainsi mis en évidence diverses dimensions liées à l’intégration. La distinction entre la dimension « structurelle » et la dimension « socio-culturelle » est particulièrement saillante dans les travaux scientifiques. Décrite comme « la participation aux structures socio-économiques » (Facchinetti 2012 : 62), la dimension structurelle se distingue de la dimension culturelle qui englobe quant à elle « les contacts sociaux que les membres et les organisations de minorités maintiennent avec la société […] et les adaptations culturelles à cette société » (Vermeulen & Penninx 1994 cités par Engbersen 2003 : 61). La dimension normative de l’intégration renvoie quant à elle à la conformité par rapport aux standards sociaux et légaux du pays (Schnapper 2007). Les dimensions expressive (expression de l’identité), communicative (participation sociale) et fonctionnelle (position sociale) de l’intégration peuvent également être étudiées (Engbersen 2003 ; Schnapper 2007).
Les sphères d’intégration
Outre l’étude des différentes dimensions inhérentes à l’intégration, la proposition de Godfried Engbersen (2003) de découper différentes « sphères d’intégration » nous semble intéressante. En effet, le sociologue défend l’idée selon laquelle une politique qui a pour but l’intégration nécessite « une stratégie d’intégration générale » englobant les sphères du droit, de la politique, du travail, de l’habitat, de l’éducation, de la culture et de la religion (Engbersen 2003 : 63)9. La sphère du droit établit la politique d’admission sur un territoire et fixe les catégories de statuts de résidence. Ainsi, comme le souligne Engbersen, « premièrement, il y a des citoyens et des immigrants avec l’intégralité des droits inhérents à la citoyenneté ; deuxièmement, des immigrants possédant partiellement des droits sociaux et certains droits politiques (statut de « denizen ») ; et troisièmement, il y a des catégories possédant des droits sociaux limités ou inexistants (particulièrement les requérants d’asile et les immigrants illégaux) » (Engbersen 2003 : 64).
Les politiques d’admission définissent différents statuts de résidence, ce qui mène à une inclusion différenciée dans les autres « sphères d’intégration » (ibid.). La sphère politique concerne l’accès à la démocratie, c’est-à-dire aux droits politiques, notamment le droit de vote, ainsi que la participation politique de manière générale. Face à l’observation d’un taux de chômage particulièrement élevé parmi la population immigrante, la question de l’intégration dans la sphère du travail se pose également. En outre, le travail est souvent perçu comme un « instrument crucial d’intégration » (Engbersen 2003), bien qu’il existe un risque « d’isolement social » lorsque l’emploi confine les individus dans certains secteurs professionnels particuliers. D’où l’interrogation sur la « capacité d’intégration de la sphère du travail » (Engbersen 2003 : 65).
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Table des matières
PARTIE I INTRODUCTION ET QUESTIONNEMENT
1 Introduction
2 Problématique et question de recherche
PARTIE II CADRE THÉORIQUE & POLITIQUE D’INTÉGRATION
3 Cadre théorique
3.1 Définition des concepts
3.1.1 La notion d’assimilation
3.1.2 Le concept d’intégration
3.2 Une définition plus précise de l’intégration
3.3 Les différentes dimensions de l’intégration
3.4 Les sphères d’intégration
3.5 L’influence de la société d’accueil sur la politique d’intégration
3.5.1 Définition de la notion de politique publique
4 La politique d’intégration en Suisse
4.1 Introduction
4.1.1 Evolution historique de la politique d’immigration suisse
4.2 Approche historique : les premiers jalons de la politique d’intégration
4.3 Approche juridique : l’apparition de la notion d’intégration dans le droit
4.3.1 Le développement des bases juridiques
4.4 Approche politique : les différents acteurs de l’intégration
4.4.1 Les variations cantonales en matière de politique d’intégration
4.5 Les premiers projets d’intégration : la promotion de l’intégration
4.5.1 Le premier programme fédéral (2001-2003)
4.5.2 Le deuxième programme fédéral (2004-2007)
4.5.3 Le troisième programme fédéral (2008-2011)
4.6 Le développement progressif des programmes d’intégration cantonaux (PIC)
PARTIE III ETUDES DE CAS ET ANALYSE DES RÉSULTATS
5 Méthodologie
6 Etudes de cas
6.1 La politique d’intégration du canton de Neuchâtel
6.1.1 Introduction
6.1.2 Les acteurs de l’intégration
6.1.3 L’orientation de la politique d’intégration cantonale
6.1.4 Les mesures d’intégration mises en oeuvre
6.1.5 Le premier Programme d’intégration cantonal (PIC) pour la période 2014-2017
6.2 La politique d’intégration du canton de Vaud
6.2.1 Introduction
6.2.2 Les acteurs de l’intégration
6.2.3 L’orientation de la politique d’intégration cantonale
6.2.4 Les mesures d’intégration mises en oeuvre
6.2.5 Le premier Programme d’intégration cantonal (PIC) pour la période 2014-2017
7 Etude empirique
7.1 Présentation des résultats
7.1.1 Axe I : l’implication dans la politique d’intégration
7.1.2 Axe II : le degré de responsabilité dans cette politique
7.1.3 Axe III : l’existence d’un réseau de contacts et de partenaires
7.1.4 Axe IV : la capacité d’action de l’entité administrative concernée
7.2 Interprétation des résultats
8 Les relations entre les autorités cantonales et communales en charge du PIC
9 Conclusion
10 Bibliographie
11 Annexes
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