Le programme et ses enjeux
Comme nous l’avons vu précédemment, lorsque Salazar arriva au pouvoir, le Portugal connaissait une période de pénurie de logements. La promotion privé, sans contrôle de l’État, avait amené à la construction de logements insalubres en périphérie des villes.
Le gouvernement de l’É tat Nouveau décida donc de s’engager dans des programmes de construction de logements dont certains avaient déjà été planifiés pendant la dictature militaire. Afin de pouvoir mettre en place ces programmes, nous avons vu précédemment que le gouvernement avait créé des conditions financières et foncières favorables pour construire à bas coût. De plus, les zones concernées par la construction de ces logements firent l’objet d’une vague d’expropriation qui fit migrer encore une fois les populations les plus démunies vers la périphérie. Cette dernière, très mal desservie devint un lieu de marginalisation des populations y habitant.
Le programme de maisons économiques fut le premier des trois programmes mis en place par le gouvernement pour palier au manque de logement au Portugal. Les choix qui furent fait quant au type de logement à construire correspondent à l’idéologie portée par le régime. Les typologies de logements étaient basées sur les supposées valeurs et modes de vie traditionnels de la population portugaise. En effet, ces programmes étaient constitués de maisons individuelles destinées en principe aux foyers venant de la campagne vers la ville. De ce fait, ces quartiers s’inspirèrent dans leur conception des cités jardins théorisées à la fin du XIXème siècle par Ebenezer Howard. Ce dernier proposait une nouvelle forme d’urbanisme alliant les atouts de la ruralité et de l’urbanité. Dans le concept de cité jardin, la communauté est implantée sur un plan radiocentrique avec au centre un jardin accueillant les édifices publics.
Les logements y sont exclusivement individuels et avec jardins.
Toujours dans la théorie de Howard, les maisons se situent sur la ceinture périphérique et sont desservies par un réseau de chemin de fer assurant l’accès facil aux manufactures, entrepôts et marchés.
Bien que ce concept des cités jardins soit cité comme référence dans les projets de maisons économiques, leur influence reste à modérer. En effet, il s’agit certes de maisons avec jardin mais on n’y retrouve pas l’idée de communauté quasi indépendante dans la ville ni la desserte par des voies de communications comme le rail.
L’attribution des logements se faisait en fonction de l’âge des occupants, leurs professions et leurs revenus. Le chef de famille devait avoir entre 21 et 40 ans pour pouvoir prétendre à la location d’une maison économique et être soit un employé ou ouvrier faisant partie du syndicat national soit un fonctionnaire d’Etat civil ou militaire. Le type de logement attribué était ensuite choisis en fonction de la taille de la famille répartie en trois catégories : le type I correspondait aux couples sans enfants, le type II aux couples avec peu d’enfants ou du même sexe et le type III aux couples avec des enfants des deux sexes ou de nombreux enfants du même sexe. Le type IV fut créé en 1954 et concernait les couples avec de nombreux enfants des deux sexes. (cf tableau 03) Les logements étaient quant à eux répartis en classes relative à une classification social. La classe A était la classe sociale la plus élevée tandis que la classe D était la plus basse. La classification de A à B fut mise en place en 1933 et les classes C et D vinrent compléter le programme en 1943.
C’est la hiérarchie sociale imposée par le gouvernement qui transparait à travers l’organisation de ces quartiers et l’attribution des logements.
Exemple du quartier do arco do cego Afin d’illustrer ce programme de maisons économiques, nous allons nous pencher sur le quartier « do arco do cego » se situant au nord du centre ancien de la ville de Lisbonne, avant la ceinture ferrovière. Il s’agit d’un projet de Edmundo Tavares et Frederico Machado dont la conception date d’avant le début de l’Etat Nouveau. Ce quartier fait partie des cinq qui furent négociés avec la caisse général de dépôt (« caixa geral de deposito »). Les travaux commencèrent en 1919 mais furent stoppés plusieurs fois. Ainsi lorsque Salazar arriva au pouvoir, le quartier était toujours en construction. Le gouvernement décida d’utiliser ce projet de la Iere République comme un symbole du renouveau amené par l’Etat Nouveau. En 1933, il déclara sa responsabilité dans la construction de ce quartier et fit un effort financier et technique afin qu’il voit enfin le jour. Les travaux prirent fin en 1935 et le quartier fut inauguré en grande pompe. Le projet fut alors utilisé comme symbole de l’efficacité et l’organisation du régime.
Le plan du quartier est orthogonal et présente une symétrie par rapport à l’axe central qu’est l’avenue du Dr Magalhaes Lima. Il compte 481 logements dont 361 type A, 101 type B et 12 établissements. Le programme du quartier fut remanier par le gouvernement de l’Etat Nouveau qui ne souahaitait pas y installer d’atelier d’artistes ni de bureaux comme il était prévu au départ et les équipements furent réduits à deux écoles (une pour garçons et une pour filles). En ce qui concerne les commerces, le quartier comptait en 1938 trois merceries, un salon de thé, une crèmerie, un café, une boucherie et une papeterie. La structure do arco do cego ainsi que les logements qui y sont construits s’avère très classique. Son intérêt vient de l’organisation social du lieu et le discours du gouvernement sur ce quartier. Tout d’abord le coût important de l’opération mis en avant par le gouvernement comme un gage de son implication dans le problème du logement n’est pas dû à la qualité des ouvrages mais plutôt à la lenteur de mise en oeuvre de ce projet. De ce fait, les mal façons sont nombreuses dans ce quartier et les logements proposés n’étaient dès le début pas qualitatifs. Ceci entraîna des demandes de réparation mais aussi des comportements sociaux négatifs comme la dénonciation de travaux non déclarés.
Ces logements n’avaient pas de vocation sociale, les habitants étaient sélectionnés avec des revenus stables et une mixité social était recherchée par le biais du système de classe. Cependant, on y retrouvait des comportements similaires à ce que l’on a pu connaître dans les opérations de logements sociaux. Dans les années 1950, la propriété des logements passa du gouvernement à la promotion privée.
Le quartier resta similaire à ce qu’il fut dès sa construction par le biais de normes et d’un contrôle des demandes de modification.
Le régime de l’Etat Nouveau avait pour but avec la construction de ces maisons économiques de conserver la structure de la famille comme élément fondateur de la société. On constate d’ailleurs qu’une certaine inertie est présente dans ce quartier, en effet en 1960, 27 ans après l’installation de travailleurs entre 21 et 41 ans, 16% de la population «do arco do cego» sont des retraités contre 8% dans les quartiers alentours. Ce chiffre tend à prouver que les habitants de départ sont restés, ce qui coroborerait l’idée d’une identité sociale créée dans ces programmes de maisons destinées aux familles.
De plus, comme nous l’avons dit auparavant les quartiers de maisons économiques s’inspirent de la théorie des cités jardins dans lesquelles la desserte par des lignes de chemin de fer notamment est primordiale.
Cependant, o arco do cego se situe dans une zone d’expension de la ville dans laquelle les transports en communs desservent les grandes artères mais ne pénètre jamais le quartier lui-même.
Ce projet de la Iere République et symbole du régime de l’État Nouveau pose la question de l’implication de l’État dans les projets de logements. L’organisation sociale d’une telle opération autour de la famille et de la propriété privée s’est avérée être source de fermeture vis à vis de l’extérieur. Enfin, la construction de maisons individuelles pour répondre à une grande demande de logements s’est avérée peu efficace comparativement aux opérations de grandes ampleur qu’ont pu expérimenter les pays voisins du Portugal.
Le programme et ses enjeux
En 1938, malgré les programmes de maisons économiques, un grand nombre de ménages à faibles revenus étaient encore dans l’impossibilité d’accéder à un logement. Face à ce problème le gouvernement mis en place le 12 Avril 1938 un programme de maisons démontables. Ces logements temporaires étaient destinés à loger les ménages étant dans l’attente de l’attribution d’un logement dans les différents programmes de maisons économiques. Le édcret de loi décrit ce programme comme ceci : « Il est jugé commode et même nécessaire que de petites maisons salubres de construction précaires, à un grands nombre de personnes qui, dans les grands centres, vivent dans des conditions effrayantes et qui ne peuvent pas aspirer à une maison économique. »
Ces maisons étaient construitent en matériaux peu solides afin de faciliter leur destruction par la suite. Elles étaient implantées en bande avec de petits jardin donnant sur la rue. À Lisbonne, les quartiers de Quinta da Calçada, Fumas et Boavista furent construitent pour ce programme de maisons démontables.
Cependant, à la suite de la seconde Guerre Mondiale et de ses retombées économiques, malgré la neutralité du Portugal dans le conflit, les maisons qui devaient être temporaires ne furent pas détruites et ce programme permis de loger un grand nombre de personnes pour un coût réuduit. Ce changement de stratégie quant à la destination de ces logements précaires tout juste décrits comme salubres prouvent l’échec du régime à faire face à la crise du logement et le manque d’efficacité du programme de maisons économiques, générant une quantité trop faible de logements.
Les logements de Boavista faisaient partie du programme de maisons démontables. Construits sur les hauteurs du parc floral de Montsanto. Le projet débutat en 1938 et fut concrétisé en 1939. Le quartiers regroupait 448 maisons démontables en tôle dans lesquelles s’installèrent les ménages dès 1940. Ce sont entre quarante et soixantes familles qui s’installaient chaque semaine entre les mois de Décembre 1940 et Janvier 1941. Du fait de leur aspect provisoire, les équipements du quartier étaient réduits au strict minimum, c’est-à-dire une chapelle, un lavoir et un marché. Par la suite des visites médicales furent mises en place et les habitants réclamèrent une crèche et une école primaire. Les logements allaient du T1 de 15m2 au T4 de 28m2, ce qui représente des surface utiles minimales d’autant que les T4 étaient réservés aux familles nombreuses. À chaque typologies était attribuée une couleur formant des quartier bleu, vert, jaune et rouge. Ce dernier, regroupant les T4 était celui où la cohabitation de familles nombreuses dans des espaces réduits produisit le plus de conflits et la qualité de vie la moins bonne.
Chaque logement possédait une bande de 7m de jardin à l’avant.
Comme nous l’avons dit précédemment, au lieu d’être détruits, ces logements furent conservés pour faire face à la demande de logements et trois autres phases de construction vinrent compléter
le programme. Entre 1945 et 1960, 220 logements supplémentaires furent bâtis. Ils présentaient la même précarité avec toutefois des revêtements intérieurs en stuc plus solide ainsi que des portillons pour entrer dans les jardins. La 3ème phase de construction fut quand a elle réalisée entre 1981 et 1970. Sur cette période, 38 maisons à étage de type T2 et T3 furent construites. Il était alors évident que la destruction n’allait pas avoir lieu comme prévu et ces dernières maisons furent réalisées en maçonnerie. Les finitions intérieures restaient cependant très pauvres et l’impérméabilité du bâtiment n’était pas assurée. Avec cette troisième phase, les transports publics désservirent enfin le quartier. Jusqu’alors, l’isolement géographique du quartier rendait l’insertion social difficile. Une ligne de bus relia le quartier au centre ville en 1969. Enfin entre 1971 et 1975, furent construites 510 petite maisons maçonnée de plein pied allant du T1 au T4. Cette dernière vague de construction servit à reloger les foyers dont le logement était trop dégradé, les habitants du parc de Monsanto et quelques personnes extérieures.
C’est en 1976 que furent déruitent 160 des maisons de la première phase, notamment dans les quartiers rouges dont nous avons parlé précedemment. Elles furent remplacées par des logements collectifs de trois étages. Puis dans les années 1980, des opérations de logements collectifs vienrent petit à petit remplacer les maisons démontables des années 1940.
Cet exemple met en exergue l’échec qu’a été le programme de maisons démontables. Devant servir de subsitue temporaire, elles ont été utilisées comme constructions durables, créant une grande insalubrité. De plus, l’absence d’équipements et de dessertes, le manque d’espace dans les
logements et leur proximité ont amenés des difficulté sociales qui se font encore aujourd’hui ressentir dans le quartier de Montsanto.
Tout cela prouve aussi que les programmes de maisons individuelles n’étaient pas efficaces pour répondre à la demande de logement. Malgré tous les problèmes engendré par ces constructions, le gouvernement de l’État Nouveau continua jusqu’à la fin de construire de nouveaux baraquements, à peine plus salubres que les précédents. L’idéologie de l’État ressort aussi dans le choix de logements unifamilliaux avec jardin, mais ceci est la preuve que la structure de la famille seule ne peut être garante de l’organisation d’une société.
Deux évènements majeurs furent à l’origine de ce troisième programme de logement de l’État Nouveau. Le premier est la seconde guerre mondiale qui entraina un déséquilibre économique emmenant à l’augmentation du prix de la matière première ainsi qu’à une carence de terrains disponibles pour la construction ou l’expropriation. Ceci amena le gouvernement à changer de stratégie quant au financement des programmes de logements en favorisant les investissements privés. C’est que nous avons vu dans la première partie. Si la démarche du gouvernement est radicalement différente, le résultat n’est pas si éloigné puisque nous avons déjà vu que l’initiative privée était déjà auparavant génératrice de plus de logement que l’État. Le deuxième évènement qui modifia la position du gouvernement est la mort prématurée de Duarte Pancheco, ministre des travaux publics. Il était la figure principale de la politique urbaine et du logement. C’est lui qui avait imposé la ligne de conduite du gouvernement et son idéologie en terme de logement.
Les logements pour «familles pauvres»
Suite à ces changements, deux attitudes furent adoptées en parralèle par le gouvernement. La première fut de proposer des logements en location aux « familles pauvres » qui n’étaient pas éligibles à l’accession d’une maison économique pour des raisons économiques. L’idée de la propriété privée n’était plus au centre des programmes de logements du gouvernement. Ce programme lancé en 1950 était financé à parts égales par le gouvernement et les municipalités.
Les conditions d’occupation d’un tel logement étaient d’être « une famille pauvre » ou « indigente » (les familles sans logements étaient prioritaires). Il s’agissait de logements précaires et les locataires pouvaient être expulsés sans indemnités. Mais ce programme n’intéressa encore une fois que très peu les investisseurs privés.
Le type de promotion
Nous avons vu précédemment que le régime de l’État Nouveau cherchait à garder le contrôle sur la ville, le logement était donc un moyen de hiérarchiser la population par l’intermédiaire de règlementations et politiques urbaines. C’est l’aspect normatif de l’intervention de l’État. Il est cependant intéressant de se pencher sur les autres manières dont dont l’État intervint sur le marché immobilier.
Du point de vue financier, le nouveau ministère des travaux publics avait pour principal outil la distribution de subventions du “fond d’assistance chômage” (“Fundo de Desemprego”). De plus dans le cadre du logement social, les taux d’intérêts des emprunts furent bonifiés et les délais d’amortissement élargis. L’action de l’État ne s’arrêtait cependant pas aux considérations purement financières.
En effet, l’acquisition de sol pouvant être urbanisé devint plus facil. De plus, 75% de la rémunération de chômeur employés comme main d’oeuvre par la mairie ou un organisme d’État fut
prise en charge par l’État et un “comissariado do desemprego” (soit service du chômage) fut mis en place pour l’importation des matières premières et combattre la spéculation. Enfin, de nouveaux
types de baux urbains furent créés avec des loyers sociaux dans les quartiers municipaux ainsi que des loyers en accession à la propriété dans les quartiers de maisons économiques. Toutes ces mesures nouvelles avaient pour but de démarrer une politique de logement social avec des programmes nouveaux et en accord avec les plans d’urbanisme dont nous avons parlé plus tôt.
L’État encouragea aussi l’initiative privée entre autres par ces plans d’urbanisations et la répression des constructions clandestines. Le «comissariado do desemprego» praticipait aussi à hauteur de 50% à la rémunération des chômeurs des entreprises privées et ces dernières bénéficièrent aussi de la lutte contre la spéculation pour les matériaux de construction. Enfin, en terme de bail urbain, le Dec. N°15289 donna la possibilité de fixer les loyers librement et de donner un ordre d’expulsion immédiate.
Notons qu’il n’y eut aucun soutien direct aux mouvements sociaux émergeants, mais plutôt une liste de dispositions permettant à l’État de mettre en place ses programmes de logements sociaux et aux entreprises privées de relancer leur activité. L’Etat assumait diretement la politique de logement social mais on verra par la suite que la part de l’initiative privée prit une part tellement importante sans encadrement de l’État que cela amena à des dérives en terme de qualité du logement produit.
Le désengagement de l’état
Dès 1933, les premiers programmes de maisons économiques furent mis en place par l’État. La production de ces logements fut le fruit de la collaboration avec les mairies, les corps administratifs et les organismes corporatifs. Comme nous l’avons vu auparavant, l’intervention de l’État se limitait à rendre plus facile la construction de logements par le biais d’aides fiscales ou de la politique des sols. Cet engagement restreint dans la production du logement à vocation sociale souligne le caractère corporatiste de l’État Nouveau, dépourvu de politique sociale. À partir de 1938 l’État chercha à faire participer les capitaux privés pour la construction des programmes de maisons économiques, se désengageant encore du processus.
Le financement était alors principalement assuré par la sécurité sociale alors que les institutions et le Trésor Public participaient de manière moindre. En effet, bien que le Portugal ne participa pas à la seconde guerre mondiale, le budget fut fragmenté pendant cette période du fait de l’instabilité du continent européen.
Une des mesures prises par le gouvernement qui impacta le plus fortement la situation actuelle des logements dans le centre ville de Lisbonne fut la loi n°2030 datant de 1948. Cette loi provoqua le gel des loyers à Lisbonne et Porto. Cela amena à une diminution considérable du marché locatif et pose encore aujourd’hui des problèmes dans certains bâtiments du centre ancien où des baux anciens empêchent les propriétaires de louer à des prix suffisemment élevés pour permettre l’entretien du bâtiment. Ainsi cette mesure amena progressivement à un déficit de logement dans le centreville et l’on en voit encore aujourd’hui les séquelles dans les centre ville de Lisbonne et Porto où de nombreux bâtiments délabrés commencent tout juste à être massivement rénovés et où la population locale vit principalement dans les quartiers périphériques du centre ancien. Les autres villes du Portugal ne subirent pas cette réglementation et leur centres-ville ne connaissent pas les mêmes problèmes aujourd’hui d’autant plus que comme nous l’avons dit précédemment Lisbonne et Porto sont largement plus peuplées que les autres. Nous reparlerons de ces conséquences par la suite. Malgré les dispositions prises par l’État vis à vis de l’initiative privée, cette dernière s’avèra peu intéressée par les programmes de maisons économiques mis en place par le gouvernement. Ces programmes de maisons individuelles avec jardin ne constituaient en effet pas une source de bénéfice suffisant et en 1956 l’État mit en place le logement privé subventionné. Cela marqua le début de la construction de programmes de maisons à loyers modérés dont nous reparlerons également par la suite. Le contrôle de l’État s’exerçait au niveau des loyers mais aussi des règles d’attribution et du droit de permanence et d’expulsion des locataires. Cette sélection des populations habitant dans ces logements amena à refléter la composition de la société de l’État Nouveau au sein des quartiers.
La contrepartie pour l’initiative privée consistait en une exonération de taxe, de terrains à bas prix, d’une assistance technique gratuite et comme précédemment des prix fixes sur les matériaux.
On constate pendant cette période que malgré l’intervention de l’État, la promotion privée resta largement dominante. D’une part le gouvernement de l’État Nouveau n’avait pas comme but de soutenir des initiatives sociales mais plutôt de faire passer à travers la construction de logement une représentation d’un « idéal » de la manière de vivre au Portugal. De plus, par opposition à ses voisins européens, le Portugal fit le choix de construire des logements individuels pour faire face à la crise du logement ce qui emmena par la suite à des conséquences graves pour le parc immobilier portugais.
Le résultat de cette orientation du type de logement à construire fut le désintérêt des capitaux privés et la nécessité pour le gouvernement de revenir sur ses prérogatives strictes. On constate d’ailleurs une différence majeure entre le nombre de logements construits par l’État et par les promoteurs. En effet, d’après les chiffres de l’INE, 2 531 logements furent construits par l’État contre 6 814 par le secteur privé. Et l’écart augmenta encore après la mise en place de subventions de 1956 avec en 1957, 1 073 logements construits par l’État contre 21 830 construits par les promoteurs (cf tableau 02).
LE PROGRAMME DES MAISONS ÉCONOMIQUES
Le programme et ses enjeux
Comme nous l’avons vu précédemment, lorsque Salazar arriva au pouvoir, le Portugal connaissait une période de pénurie de logements. La promotion privé, sans contrôle de l’État, avait amené à la construction de logements insalubres en périphérie des villes.
Le gouvernement de l’É tat Nouveau décida donc de s’engager dans des programmes de construction de logements dont certains avaient déjà été planifiés pendant la dictature militaire. Afin de pouvoir mettre en place ces programmes, nous avons vu précédemment que le gouvernement avait créé des conditions financières et foncières favorables pour construire à bas coût. De plus, les zones concernées par la construction de ces logements firent l’objet d’une vague d’expropriation qui fit migrer encore une fois les populations les plus démunies vers la périphérie. Cette dernière, très mal desservie devint un lieu de marginalisation des populations y habitant.
Le programme de maisons économiques fut le premier des trois programmes mis en place par le gouvernement pour palier au manque de logement au Portugal. Les choix qui furent fait quant au type de logement à construire correspondent à l’idéologie portée par le régime. Les typologies de logements étaient basées sur les supposées valeurs et modes de vie traditionnels de la population portugaise. En effet, ces programmes étaient constitués de maisons individuelles destinées en principe aux foyers venant de la campagne vers la ville. De ce fait, ces quartiers s’inspirèrent dans leur conception des cités jardins théorisées à la fin du XIXème siècle par Ebenezer Howard. Ce dernier proposait une nouvelle forme d’urbanisme alliant les atouts de la ruralité et de l’urbanité. Dans le concept de cité jardin, la communauté est implantée sur un plan radiocentrique avec au centre un jardin accueillant les édifices publics. Les logements y sont exclusivement individuels et avec jardins.
Toujours dans la théorie de Howard, les maisons se situent sur la ceinture périphérique et sont desservies par un réseau de chemin de fer assurant l’accès facil aux manufactures, entrepôts et marchés.
Exemple du quartier do arco do cego
Afin d’illustrer ce programme de maisons économiques, nous allons nous pencher sur le quartier « do arco do cego » se situant au nord du centre ancien de la ville de Lisbonne, avant la ceinture ferrovière.
Il s’agit d’un projet de Edmundo Tavares et Frederico Machado dont la conception date d’avant le début de l’Etat Nouveau. Ce quartier fait partie des cinq qui furent négociés avec la caisse général de dépôt (« caixa geral de deposito »). Les travaux commencèrent en 1919 mais furent stoppés plusieurs fois. Ainsi lorsque Salazar arriva au pouvoir, le quartier était toujours en construction. Le gouvernement décida d’utiliser ce projet de la Iere République comme un symbole du renouveau amené par l’Etat Nouveau. En 1933, il déclara sa responsabilité dans la construction de ce quartier et fit un effort financier et technique afin qu’il voit enfin le jour. Les travaux prirent fin en 1935 et le quartier fut inauguré en grande pompe. Le projet fut alors utilisé comme symbole de l’efficacité et l’organisation du régime.
Le plan du quartier est orthogonal et présente une symétrie par rapport à l’axe central qu’est l’avenue du Dr Magalhaes Lima. Il compte 481 logements dont 361 type A, 101 type B et 12 établissements. Le programme du quartier fut remanier par le gouvernement de l’Etat Nouveau qui ne souahaitait pas y installer d’atelier d’artistes ni de bureaux comme il était prévu au départ et les équipements furent réduits à deux écoles (une pour garçons et une pour filles). En ce qui concerne les commerces, le quartier comptait en 1938 trois merceries, un salon de thé, une crèmerie, un café, une boucherie et une papeterie. La structure do arco do cego ainsi que les logements qui y sont construits s’avère très classique. Son intérêt vient de l’organisation social du lieu et le discours du gouvernement sur ce quartier. Tout d’abord le coût important de l’opération mis en avant par le gouvernement comme un gage de son implication dans le problème du logement n’est pas dû à la qualité des ouvrages mais plutôt à la lenteur de mise en oeuvre de ce projet. De ce fait, les mal façons sont nombreuses dans ce quartier et les logements proposés n’étaient dès le début pas qualitatifs. Ceci entraîna des demandes de réparation mais aussi des comportements sociaux négatifs comme la dénonciation de travaux non déclarés.
Ces logements n’avaient pas de vocation sociale, les habitants étaient sélectionnés avec des revenus stables et une mixité social était recherchée par le biais du système de classe. Cependant, on y retrouvait des comportements similaires à ce que l’on a pu connaître dans les opérations de logements sociaux. Dans les années 1950, la propriété des logements passa du gouvernement à la promotion privée.
Le quartier resta similaire à ce qu’il fut dès sa construction par le biais de normes et d’un contrôle des demandes de modification.
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Table des matières
-Introduction-
– partie I –
LA PRODUCTION ARCHITECTURALE ET URBANISTIQUE SOUS LE RÉGIME
I.1 – Dictature et production artistique
I.1.a – Bref historique de l’État Nouveau
I.1.b – Le salazarisme
I.1.c – la représentation du pouvoir
I1.d – Esthétiques architecturales du salazarisme
I.2 – Politique urbaine à Lisbonne
I.2.a – Les prémices
I.2.b -Les limites géographiques de la ville
I.2.c – La gestion de la ville : un outil de contrôle
I.2.d – Les premiers plans d’urbanisation
I.3 – Le rôle de l’État dans la construction du logement social
I.3.a – Le type de promotion
I.3.b – Le désengagement de l’État
– partie II-
La politique de logement social menée par l’état nouveau
II.1 – les maisons économiques
II.1a – Le programme et ses enjeux
II.1.b – L’exemple du quartier «do arco do cego»
II.2 – les maisons démontables
II.2a – Le programme et ses enjeux
II.2b – L’exemple du quartier de Boavista
II.3 – Les maisons à loyers modérés
II.3.a – La situation d’après-guerre
II.3.c – Les logements pour «familles pauvres»
II.3.b – Le programme de maisons à loyers modérés
II.3.d – Les maisons à loyers limités
II.3.e – L’exemple d’Alvalade
-Conclusion
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