La polarité cellulaire et les protéines PAR
Pour comprendre la mise en place de l’asymétrie dans les divisions asymétriques intrinsèques, il nous faut d’abord appréhender la régulation de la polarité cellulaire en général. Dans de nombreuses situations, la fonction d’une cellule est associée à une polarisation, c’est à dire la mise en place d’une asymétrie au sein de la cellule. Ainsi, les neurones reçoivent des informations par les dendrites et envoient des signaux via l’axone, et ce fonctionnement polarisé se traduit par une organisation asymétrique caractéristique de ce type cellulaire. De la même façon, un épithélium est constitué de cellules étroitement liées les unes aux autres, formant une frontière entre deux milieux. Ce rôle de barrière sous-entend une polarisation des cellules, qui côtoient à un pôle le milieu extérieur (d’un organisme, d’un organe…) et à l’autre le milieu intérieur.
Baz, Par-6 et aPKC, formant le complexe PAR évoqué plus haut, sont associées au groupe des protéines PAR (PARtitioning-defectives). Les interactions entre les membres de ce groupe forment un réseau à la base des polarités cellulaires. Initialement découverts chez le nématode C.elegans pour leur rôle dans la division asymétrique du zygote [Kemphues et al., 1988], les gènes codants ces protéines sont conservés des nématodes aux mammifères (à l’exception de par2, présent uniquement chez le nématode), et régulent la quasi-totalité des types de polarité cellulaire décrits. Six protéines PAR peuvent être distinguées, de PAR-1 à PAR-6, et plusieurs intéracteurs directs ont ensuite été identifiés, comme LGL-1 (Lethal Giant Larva 1) ou PKC-3 (Protein Kinase C 3) (table 1). De nombreuses études chez C.elegans et D.melanogaster ont permis de décrypter les interactions génétiques et protéiques entre les protéines PAR. Beaucoup d’entre elles sont axées sur les divisions asymétriques intrinsèques du zygote de C.elegans et des neuroblastes de D.melanogaster, ainsi que sur la polarité apico-basale des épithéliums de D.melanogaster
Dans les deux modèles de divisions asymétriques, le cortex est organisé en deux domaines complémentaires. L’un de ces domaines est occupé par le complexe PAR, et le cortex opposé est organisé par d’autres protéines, notamment PAR-1 (Figure 2 A et B). Chez D.melanogaster, deux tissus sont classiquement utilisés pour l’étude de la polarité épithéliale, l’ectoderme embryonnaire et l’épithélium folliculaire ovarien (appelé épithélium folliculaire dans le reste du texte). Contrairement aux deux modèles de divisions asymétriques, les cellules épithéliales voient leur cortex subdivisé en trois domaines. En effet, pour former une couche de cellules étroitement connectées, les cellules épithéliales établissent des jonctions adhérentes. Ces jonctions forment une ceinture d’adhésion, et la concentration de protéines d’adhésion telles que les Cadhérines, mais aussi le recrutement d’un réseau d’actine et de myosine au niveau de ces jonctions, font de la ceinture d’adhésion un domaine cortical à part entière. La polarité apico-basale des cellules épithéliales est donc organisée en trois domaines : un domaine apical, un domaine jonctionnel, et un domaine baso-latéral. Les protéines PAR sont également organisées en trois domaines et les composantes du complexe PAR sont séparées. Par-6 et aPKC sont localisées au pôle apical et Bazooka est recrutée au jonctions. (Figure 2 C) [Harris and Peifer, 2005], [Morais-de Sá et al., 2010] et [Walther and Pichaud, 2010]. Ainsi, si l’initiation des divisions asymétriques intrinsèques requiert l’assemblage et la localisation polarisée du complexe PAR, les membres de ce complexe sont des régulateurs de la polarité cellulaire en général, et tous les types de polarité ne nécessitent pas la formation du complexe.
Ce travail de Thèse s’intéresse à la mise en place de la polarité dans la division asymétrique intrinsèque des cellules précurseurs des organes sensoriels de D.melanogaster (SOP pour Sensory Organ Precursor ). Je me suis ainsi focalisée sur les mécanismes menant à la localisation asymétrique du complexe PAR au pôle postérieur de la cellule. La SOP étant une cellule de l’épithélium dorsal du thorax (ou notum), elle possède la polarité apico-basale classique des épithéliums. L’enjeu de ce travail est de comprendre l’origine du remodelage de la polarité apico-basale des SOP, conduisant à la localisation au pôle postérieur du complexe PAR. Je me suis tout particulièrement intéressée à la régulation des trois protéines composant le complexe PAR, c’est à dire aux mécanismes menant à la formation du complexe et au contrôle de sa localisation asymétrique.
Dans cette introduction, je me concentre donc sur la régulation de Baz, Par-6 et aPKC chez la Drosophile, tout en m’appuyant sur les études menées chez le nématode C.elegans. Dans un premier temps, nous aborderons la mise en place de la polarité dans les divisions asymétriques intrinsèques du zygote du C.elegans et des neuroblastes de D.melanogaster, pour ensuite présenter le contrôle de la polarité épithéliale chez la Drosophile. Au cours de ces deux premières parties, nous nous focaliserons sur la localisation et l’activité des protéines du complexe PAR. Enfin, nous exposerons le cas particulier de la SOP, cellule épithéliale accomplissant une division asymétrique intrinsèque.
Les divisions asymétriques du zygote de C.elegans et des neuroblastes de D.melanogaster
Dans la division asymétrique du zygote de C.elegans, les protéines PAR peuvent être subdivisées en 3 catégories selon leur localisation. PAR-3, PAR-6 et PKC-3 sont localisées au cortex antérieur de la cellule, pendant que LGL-1, PAR-1 et PAR-2 sont au pôle postérieur, scindant le cortex du zygote en deux domaines distincts (Figure 2 A). PAR-4 et PAR-5 sont à la fois corticales et cytoplasmiques, mais réparties de manière uniforme dans le zygote (pour revue [Motegi and Seydoux, 2013]). Dans la division des neuroblastes de D.melanogaster, le complexe PAR se localise au pôle apical des cellules. Par-1 se situe au pôle basal et Lgl est répartie de manière uniforme autour du cortex (Figure 2 B et Figure 6 B) (pour revue [Prehoda, 2009]).
Dans ces deux exemples, Baz, Par-6 et aPKC se localisent à un pôle de la cellule. La notion de complexe-PAR est ainsi apparue. Soutenant cette idée de complexe, Baz, Par-6 et aPKC peuvent interagir physiquement. Par-6 et aPKC interagissent via leur domaines PB1, et le domaine PDZ1 de Baz interagit avec le domaine PDZ de Par-6 [Joberty et al., 2000]. aPKC est également capable de se lier à Baz, et de la phosphoryler, permettant une auto-régulation de la formation du complexe que nous détaillerons plus loin (Figure 3).
Apparition de l’asymétrie
Le zygote du C.elegans
Le zygote du C.elegans se divise de manière asymétrique pour donner deux cellules filles différentes : un blastomère somatique antérieur, et un blastomère germinal postérieur. L’axe antéro-postérieur est acquis lors de la fécondation de l’oeuf, ou le point d’entrée du spermatozoide, ou plus particulièrement la nucléation de microtubules par le centrosome paternel près du cortex définira le pôle postérieur. Avant l’apparition de l’asymétrie, les protéines du complexe PAR occupent tout le cortex, alors que PAR-1 et PAR-2 sont cytoplasmiques [Cuenca et al., 2003]. De même un réseau d’actine et de myosine (actomyosine) est réparti uniformément sur le cortex (Fig 4 A à C, 0 min). Ensuite, La mise en place de l’asymétrie dans le zygote est contrôlée par deux mécanismes redondants, tout deux liés au centrosome paternel. Lorsque le centrosome paternel s’approche du cortex postérieur, ECT-2, une GEF (Guanine nucleotide Exchange Factor) de Rho1 (Fig 5), est déplétée du pôle postérieur, induisant un détachement du réseau d’acto-myosine de ce pôle. En conséquence, le réseau d’acto-myosine migre vers le pôle antérieur (Fig 4 C, 2 à 8 min). Les mécanismes impliqués dans l’inhibition de ECT-2 ne sont pas connus [Motegi and Sugimoto, 2006]. Ce mouvement du réseau d’acto-myosine semble emmener le complexe PAR avec lui vers le pôle antérieur [Munro et al., 2004] [Goehring et al., 2011]. PAR-4 est aussi impliquée dans ce mouvement du réseau d’actine [Chartier et al., 2011], par un mécanisme encore inconnu. Le cortex postérieur ainsi libéré du complexe PAR permet l’ancrage de PAR-1 et de PAR-2. En effet un mécanisme d’exclusion réciproque entre les protéines du complexe PAR et le complexe antérieur (que nous détaillerons plus loin) les empêchait d’avoir accès au cortex (Fig 4 C, 3 à 8 min). Le second mécanisme dépend des microtubules nucléés par le centrosome paternel. PAR-2 est capable de se lier aux microtubules, et ces derniers protègent PAR-2 de l’inhibition par le complexe PAR, permettant son association au cortex postérieur [Motegi et al., 2011]. La localisation asymétrique des protéines PAR permet la ségrégation asymétrique des P-granules vers la cellule postérieure (Fig 4 B) [Kemphues et al., 1988]. La cellule postérieure donnera naissance à la lignée germinale du C.elegans, cependant le rôle des P-granules dans la spécification de la lignée germinale à récemment été réévalué [Gallo et al., 2010]. Si les mécanismes conduisant à la polarisation du zygote de C.elegans ont été largement décrits, une des grandes inconnues de ce système reste l’identité du facteur lié au centrosome paternel permettant l’inhibition d’ECT-2 au pôle postérieur.
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Table des matières
I Introduction
Introduction générale
La division asymétrique
La polarité cellulaire et les protéines PAR
1 Régulation du complexe PAR dans les divisions asymétriques
1.1 Les divisions asymétriques du zygote de C.elegans et des neuroblastes de
D.melanogaster
1.2 Apparition de l’asymétrie
1.2.1 Le zygote du C.elegans
1.2.2 Les neuroblastes de l’embryon de D.melanogaster
1.3 Recrutement au cortex des composants du complexe PAR
1.3.1 Localisation de Baz
1.3.2 Localisation de Par-6 et aPKC
1.4 Interactions entre le complexe PAR et les autres protéines de polarité
1.4.1 PAR-2, PAR-5 et Par1
1.4.2 Lgl
1.5 Complexe PAR: réalité ou simplification?
1.5.1 Colocalisation des protéines du complexe PAR
1.5.2 Activité du complexe PAR
1.6 Conclusion sur le complexe PAR dans les divisions asymétriques
2 La polarité épithéliale
2.1 Le domaine jonctionnel
2.1.1 Description des jonctions adhérentes
2.1.2 Régulation de l’endocytose de E-Cad
2.1.3 Régulation de la ceinture d’actine par les petites GTPases
2.2 Les PAR s’associent à d’autres protéines de polarité
2.2.1 Le domaine apical
2.2.2 Le domaine baso-latéral
2.3 Les protéines PAR dans la polarité apico-basale
2.3.1 Localisation au cortex des composantes du complexe PAR dans les
cellules épithéliales
2.3.2 Le domaine apical et la séparation des protéines du complexe PAR
2.3.3 Le domaine basolatéral et l’exclusion des protéines Par
2.4 Régulation et fonctions de Crumbs
2.4.1 Régulation de Crumbs dans les cellules épithéliales
2.4.2 Crumbs et ses multiples fonctions
2.5 Polarité planaire
2.5.1 La voie PCP (Planar Cell Polarity)
2.5.2 Un autre type de polarité planaire: l’extension de la bande germinale
2.6 Conclusions sur la polarité épithéliale
3 La division asymétrique de la SOP
3.1 Le lignage de la SOP
3.2 Description générale de la division asymétrique
3.3 Etablissement de l’axe de polarité
3.3.1 Rôle de la PCP
3.3.2 Influence réciproque des domaines antérieurs et postérieurs
3.3.3 Redondance de la voie PCP et des complexes antérieur et postérieur
3.4 Ségrégation asymétrique des déterminants cellulaires : la protéine Lgl
3.5 Orientation du fuseau mitotique
3.6 Les indices d’une polarisation précoce du complexe PAR
II Résultats
1 Objectifs
1.1 Porter un nouveau regard sur la SOP
1.2 Avec quels outils ?
2 Résumé des résultats
2.1 Développement d’une méthode de mesure quantitative de l’asymétrie
2.2 Baz, Par-6 et aPKC sont polarisées avant l’entrée en mitose
2.3 La PCP est responsable de la disparition de la symétrie
2.4 Un remodelage de la polarité épithéliale spécifique des SOP entraine leur
polarisation
2.4.1 L’inhibition de p120ctn induit le remodelage des jonctions de la
SOP, induisant la polarisation
2.4.2 L’inhibition d’expanded promeut l’internalisation de Crumbs, induisant la polarisation
2.5 Modèle
3 Article : Symmetry breaking by Planar Cell Polarity, Crumbs downregulation and junction remodeling direct asymmetric cell division in
a Drosophila epithelium
Abstract
Introduction
Results
A quantitative live imaging assay for planar polarization
Baz, Par6 and aPKC are planar polarized prior to mitosis
Symmetry breaking by Planar Cell Polarity
Crumbs inhibits the polarization of Par6 and Baz
Expression profiling of SOPs
A p120ctn-regulated remodeling of AJs in SOPs
Ex regulates Crb endocytosis and Par6 planar polarization
Discussion
Methods
Acknowledgements
References
Supplementary Data
4 Résultats supplémentaires
4.1 L’inhibition de neuralized favorise l’asymétrie de Par-6
4.2 Le contour des SOP présente une forte intensité de GFP-Baz, Par-6-GFP
et aPKC-GFP
4.3 L’inhibition de la PCP affecte l’intensité moyenne de GFP-Baz, mais pas
celle de Par6-GFP
4.4 Les SOP sont capable de se diviser de manière asymétrique à 12h30APF
III Discussion
1 Conclusion
2 Perspectives
2.1 Quand la SOP acquière-t-elle le potentiel de se diviser asymétriquement?
2.2 Mieux comprendre la dynamique de la polarisation
2.3 La formation du complexe PAR, et son rôle dans la mise en place de l’asymétrie
2.3.1 Polarité épithéliale du notum et formation du complexe PAR
2.3.2 Le trafic de Crumbs et de E-Cad par le Retromer favorise la formation du complexe PAR?
2.3.3 Analyse de la mobilité de Bazooka aux jonctions
2.4 Comment le complexe PAR interprète-t-il la PCP ?
2.5 L’entrée en mitose et la colonisation du domaine latéral
2.5.1 La colonisation du domaine latéral
2.5.2 Les protéines du domaine basal
Conclusion générale
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