Enjeu économique
Comme montré précédemment avec les chiffres de mortalité, la pneumonie aiguë communautaire porte un enjeu économique important.
Le coût aux États-Unis est estimé à 8,7 milliards de dollars par an : un patient sur cinq est hospitalisé représentant la moitié de ce budget. Dans cette même étude, la durée d’hospitalisation est estimée entre 5,8 à 7,8 jours (14).
Le coût est évalué en Europe à 10,1 milliards d’euros, dont 5,7 milliards d’euros liés aux hospitalisations, 500 millions d’euros liés aux patients non hospitalisés, 200 millions d’euros liés aux médications. La perte de jours de travail entraîne un manque à gagner estimé à 3,6 milliards d’euros (15).
Diagnostic étiologique difficile
Le diagnostic de pneumonie aiguë communautaire n’est pas toujours facile, notamment devant l’absence fréquente d’agent infectieux retrouvé. Cela est d’ailleurs rapporté par la Société de Pathologie Infectieuse en Langue Française (SPILF) en 2006, rappelant qu’aucun signe clinique, radiologique ni biologique n’a de valeur discriminante suffisante pour identifier seul le micro-organisme en cause (10). Cette incertitude est corroborée par de nombreuses études (16–18), certaines séries retrouvant jusqu’à un tiers d’erreur diagnostiques aux urgences.
La Protéine C-réactive (CRP), la procalcitonine (PCT), la calprotectine et d’autres biomarqueurs ont présenté dans certains articles un intérêt diagnostic ou pronostic (19–
21), sans unanimité parmi les différents auteurs. Dans un rapport de Long et al, plusieurs biomarqueurs dont le compte des leucocytes, la CRP et la PCT sont jugés peu efficaces et nécessitent de plus amples investigations : spécificité faible, orientation faible sur le germe en cause. Dans ce même rapport, il est aussi évoqué la problématique de l’imagerie avec la faible sensibilité et spécificité de la radiographie thoracique, tout en évoquant l’intérêt pour l’échographie (22).
Échographie pulmonaire
Définition
L’échographie pulmonaire a la particularité de se servir des artefacts induits par la composition du parenchyme pulmonaire. Elle a d’ailleurs longtemps été considérée comme inutile pour cela.
Une sonde d’échographie basse fréquence (2-5MHz) et un mode d’analyse avec le moins de filtres possibles ou un mode spécifique sont les plus adaptés pour l’échographie pulmonaire dans un service d’urgence. Les sondes de haute fréquence (10MHz) permettront d’avoir une image plus nette de la plèvre, mais elles ne permettent pas d’obtenir d’image satisfaisante pour les patients en surpoids ou sur des condensations plus profondes, par exemple. L’échographie permet de décrire les différentes images d’intérêt en associant des signes statiques et dynamiques..
Poumon normal
Le signe statique associé au poumon normal est la « ligne A » (Figure 2), une ligne horizontale sous-pleurale correspondant à la répétition de la ligne pariéto-pulmonaire. Les « lignes A » associées au glissement pleural (signe dynamique) permettent de décrire l’image du poumon normal en échographie.
Pneumothorax
Le pneumothorax présentera un signe statique de « ligne A » (Figure 2) et l’absence de signe dynamique : le glissement pleural. Un élément diagnostic notable est la vision d’un « point poumon » : la vision sur une sonde fixe de l’image de ligne A sans glissement et ensuite un profil de poumon normal.
Syndrome interstitiel
Les « Lignes B » sont des lignes verticales qui partent de la ligne pleurale, suivent le glissement pleural et se prolongent sans épuisement (Figure 4). La présence de 3 ou plus « lignes B » par écran définissent le syndrome interstitiel échographique. Le syndrome interstitiel sévère se caractérise par 5 ou plus (24).
Imagerie dans la pneumonie aigue communautaire
Selon les recommandations françaises, le recours initial à la radiographie thoracique (face et profil, en position debout) est recommandé pour confirmer le diagnostic (25).
Les recommandations américaines rappellent l’intérêt diagnostic d’une imagerie pour le diagnostic de pneumonie (26), et les recommandations anglaises insistent tout particulièrement chez les patients hospitalisés..
Les recommandations de l’American Thoracic Society (ATS) et de l’Infectious Diseases Society of America (IDSA) de 2019 rappellent le rôle central de l’imagerie devant l’absence de signe clinique spécifique (28). Cependant, ils n’évoquent pas le type d’imagerie dans les critères de diagnostic de la pneumonie (26). Les données cliniques et radiologiques sont tributaires de la technique d’examen et de l’expérience de l’examinateur. Les aspects inhabituels ou atypiques radiologiques peuvent être facilement méconnus ou mal interprétés par un médecin peu expérimenté (10).
Outre un intérêt diagnostique de l’imagerie, celle-ci peut permettre de distinguer deux entités que sont la pneumonie franche lobaire aiguë (PFLA) et la pneumonie atypique.
Cette différence est académique mais le diagnostic est parfois plus difficile et pour plusieurs raisons : manque de spécificité des symptômes, inconstance de la toux, inconstance de la fièvre. L’intérêt de cette différenciation est la sanction thérapeutique qui sera différente en fonction de l’orientation étiologique. Ceci souligne l’intérêt du recours à l’imagerie en cas de doute (9).
L’aspect radiographique de la PAC est très divers : opacités alvéolaires, uniques ou multiples, à limites floues, parfois sous-pleurales, butant sur les scissures, évoluant vers une opacité systématisée segmentaire ou lobaire, avec ou sans bronchogramme aérique.
Performance diagnostique
L’échographie a montré sa capacité à être fiable dans le diagnostic des pneumonies aiguës communautaires (29–31) via les différentes lésions décrites. Dans une méta-analyse récente, la valeur prédictive positive du diagnostic de pneumonie est de 100%, mais leur valeur prédictive négative est plus basse, autour de 70% (32).
Dans un travail prospectif observationnel (Javaudin et al, 2021) qui a évalué l’aide apportée par l’échographie aux urgences, il est clairement rapporté que l’échographie pulmonaire modifiait la probabilité diagnostique des PAC aux urgences par rapport à la clinique et la radiologie seules. On y rapporte aussi une performance diagnostique importante avec une concordance entre le diagnostic post-échographie et celui du comité d’adjudication (coefficient de Kappa 0,64 soit un accord fort) (33). Ces performances sont à mettre en parallèle celles du scanner car des études obtiennent des résultats similaires (34).
Intérêt économico-social
L’imagerie par tomodensitométrie reste la référence diagnostique mais son coût et son irradiation ne sont pas négligeables. L’échographie dans son utilisation au lit du patient (Point-Of-Care UltraSound [POCUS]) est décrite avec un rapport coût-efficacité intéressant dans presque toutes les parties du corps. Tout particulièrement, l’échographie pulmonaire est raisonnablement décrite comme ayant de faibles coûts (26,35). C’est une imagerie rapide, nécessitant moins de 13 minutes selon une méta-analyse sur le sujet (36), et non irradiante. Par sa capacité à améliorer la qualité des diagnostics, à faciliter la prise en charge et ainsi réduire la morbi-mortalité, l’échographie pulmonaire est envisagée comme un bénéfice sociétal (37). Cependant, il y a peu d’études sur l’impact économique de la stratégie diagnostique impliquant l’échographie et le scanner vis-à-vis de la prise en charge habituelle. Selon certains auteurs, il manque une évaluation de l’éventuelle réduction de prescription d’antibiotique et de l’intérêt économique de l’échographie vis-à-vis de la radiographie conventionnelle (38).
Formation et expérience en échographie pulmonaire
Formation globale à l’échographie dans la pratique
La formation à l’échographie est considérée comme essentielle dans la pratique du médecin aux urgences (39) et s’inclut parfaitement dans la prise en charge des patients (40). Elle fait désormais partie du premier niveau de compétence de la formation des médecins urgentistes en France (41) et de manière générale dans le monde (42). Elle avait fait son entrée dans les recommandations de la Société de Réanimation en Langue Française (SRLF) de 2009, qui décrivent les compétences requises dans les soins critiques (43). Pour réaliser une échographie pulmonaire, des compétences simples sont indiquées comme nécessaires (Tableau 3) : reconnaissances de la sémiologie de base pulmonaire, identification d’une condensation pulmonaire, identification d’un poumon normal, identification d’un syndrome alvéolo-interstitiel, identification d’un pneumothorax (1,43).
Les formations classiques incluent une formation théorique et pratique, que ce soit les formations courtes ou les formations spécialisées.
Contextualisation de l’inclusion des patients
Prise en charge habituelle
Les patients ont tous bénéficié d’une prise en charge habituelle dans le service des urgences du CHU de Nantes. L’examen clinique, la biologie et la radiographie thoracique étaient effectués avant l’échographie pulmonaire. Les patients présentant un tableau clinico-biologique évocateur de pneumonie aiguë communautaire étaient inclus dans l’étude.
Formation
Après l’examen clinique, l’interne ayant inclus le patient, se rendait sur son ordinateur de travail. Il pouvait alors y trouver un dossier contenant un diaporama explicatif (Annexe 3).
Dans ce diaporama y était rappelé le contexte de l’étude, les critères d’inclusion des patients et d’exclusion, des consignes d’utilisation pas à pas des appareils d’échographie.
Les images d’intérêt de bases de l’échographie pulmonaire y étaient expliquées et illustrées par des images animées : lignes A, glissement pleural, lignes B, pleurésie liquidienne, condensation pulmonaire. Une courte vidéographie était incorporée au diaporama pour s’assurer d’une bonne compréhension et d’une homogénéité de recueil des données.
Enfin, le diaporama évoquait la démarche à suivre : il renvoyait à un lien sur lequel un questionnaire anonymisé permettait de recueillir toutes les informations nécessaires concernant le patient ainsi que les données de l’échographie pulmonaire effectuée. Il invitait à prévenir les investigateurs de cette inclusion, pour que le contrôle par un expert puisse être effectué dans les 24h.
Matériel à disposition
Trois appareils d’échographie différents ont été utilisés pour le recueil des images échographiques : Philips CX 50, Mindray ME8, General Electrics Vivid S70N. Ils possèdent tous trois sondes différentes, une sonde convexe basse fréquence, une sonde linéaire haute fréquence et une sonde linéaire cardiaque (phased-array).
Les appareils étaient à disposition dans le service d’urgence du CHU de Nantes. Ce sont des appareils utilisés habituellement dans le service pour la prise en charge des patients.
Recueil d’imagerie d’échographie pulmonaire
Les images échographiques pouvaient être faites à n’importe quel moment de la prise en charge, exception faite d’un scanner indiqué immédiatement dans la prise en charge. Les images étaient recueillies au lit du patient. Il était demandé d’explorer six zones pulmonaires par patient, ce qui permet d’avoir une exploration satisfaisante du parenchyme pulmonaire selon la littérature (50) : zone antérieure, latérale, postérieure (pour chaque poumon).
Pour cela, le patient devait être capable de se positionner assis. Mais si le patient n’en était pas capable, la position latérale était utilisée pour pouvoir explorer les zones postérieures du parenchyme pulmonaire. Il était demandé la reconnaissance des différentes lésions : lignes A, lignes B, la présence d’un épanchement pulmonaire, condensation pulmonaire et l’absence de glissement pleural. La durée de prise des images devait être retenue mais ne constituait pas une limite au recueil des images.
Recueil des informations
Un dossier physique était à disposition dans le tiroir « étude clinique » qui rassemble les informations manuscrites des études en cours dans le service des urgences du CHU de Nantes. Ce dossier permettait à l’interne incluant le patient de pouvoir renseigner les informations nominatives du patient et récupérer le numéro d’anonymat associé au patient.
Les dossiers des patients ainsi que les prescriptions et les informations d’examens complémentaires (biologie et radiologie) sont informatisées aux urgences du CHU de
Nantes. Les internes ont chacun un poste informatique personnel pour la journée. Ainsi, il avait été mis à disposition sur le bureau informatique de chacun des postes toutes les informations nécessaires à l’inclusion du patient dont le diaporama et le lien vers le questionnaire de la plateforme SPHINX CHU de Nantes.
Analyse statistique
Nombre de sujets nécessaires
Les travaux qui étudient l’accord entre opérateurs échographistes retrouvent des corrélations larges avec un coefficient Kappa allant de 0.6 à 0.9 (33,51). Il est donc difficile de s’accorder sur un nombre exact de sujet nécessaires.
En l’absence de données de la littérature, nous avons estimé que la condensation serait facilement visible même sans formation plus poussée, et fait l’hypothèse d’une concordance à 85% entre les internes et les experts en échographie.
Le risque de première espèce α retenu est de 0.05 avec une puissance de 0.85. Nous avons estimé un nombre de sujets nécessaires à 49 patients, avec un objectif initial de 55 patients.
Tests utilisés
Le test utilisé pour le critère principal était une corrélation par le coefficient Kappa de Cohen. Ce test nous a permis d’estimer la corrélation de visualisation de la condensation pulmonaire à l’échographie entre les deux juges que sont l’interne et le médecin expérimenté. Ce test a aussi permis d’apprécier la plupart des critères secondaires. Il a été utilisé une estimation classique décrite par Cohen dans son étude originale (52). La classification de Landis et Koch a aussi été utilisée pour une analyse plus claire des résultats (Tableau 4).
RESULTATS
Diagramme de flux
L’échantillon de patients a été recruté en fonction des critères d’inclusion prédéfinis, et tous les patients ayant bénéficié de l’échographie par un interne et un médecin expert ont été analysés.
Les données ont été recueillies à la fin de la période d’inclusion (le 08/07/2022), et il a été vérifié la cohérence avec les critères d’inclusion et d’exclusion, la présence du questionnaire complet et l’identification du patient (Figure 6).
Description de la population
Les patients étudiés étaient homogènes sur leur sexe et présentaient un âge majoritairement au-dessus de 75 ans (Figure 7).
La majorité n’avait pas de lésion morphologique pulmonaire décrite pouvant affecter l’interprétation de l’imagerie thoracique. Les lésions décrites pouvaient être de différents types (chirurgie thoracique, séquelles infectieuses, lésion carcinomateuse en cours de suivi, etc) (Figure 8).
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Table des matières
1. INTRODUCTION
1.1. DEFINITION
1.2. ÉPIDEMIOLOGIE
1.3. PATHOLOGIE
1.3.1. Lésions anatomopathologiques
1.3.2. Microbiologie bactériologique
1.3.3. Clinique
1.4. PRONOSTIC
1.5. ENJEU ECONOMIQUE
1.6. DIAGNOSTIC ETIOLOGIQUE DIFFICILE
1.7. ÉCHOGRAPHIE PULMONAIRE
1.7.1. Définition
1.7.2. Imagerie dans la pneumonie aigue communautaire
1.7.3. Performance diagnostique
1.7.4. Intérêt économico-social
1.8. FORMATION ET EXPERIENCE EN ECHOGRAPHIE PULMONAIRE
1.8.1. Formation globale à l’échographie dans la pratique
1.8.2. Performance diagnostique selon la formation ou expérience
1.9. L’ETUDE PLUSNULS
1.9.1. Mise en place de l’étude
2. OBJECTIFS
2.1. OBJECTIF ET CRITERE PRINCIPAL
2.2. OBJECTIFS ET CRITERES SECONDAIRES
3. MATERIEL ET METHODES
3.1. POPULATION ETUDIEE
3.2. CRITERES D’INCLUSION
3.3. CRITERES D’EXCLUSION
3.4. CONTEXTUALISATION DE L’INCLUSION DES PATIENTS
3.4.1. Prise en charge habituelle
3.4.2. Formation
3.5. MATERIEL A DISPOSITION
3.6. RECUEIL D’IMAGERIE D’ECHOGRAPHIE PULMONAIRE
3.7. RECUEIL DES INFORMATIONS
3.8. ÉCHOGRAPHIE PAR MEDECIN EXPERT
3.9. RECUEIL DES DONNEES SECONDAIRES
3.10. GESTION DES DONNEES
3.11. ÉTHIQUE
3.12. ANALYSE STATISTIQUE
3.12.1. Nombre de sujets nécessaires
3.12.2. Tests utilisés
4. RESULTATS
4.1. DIAGRAMME DE FLUX
4.2. DESCRIPTION DE LA POPULATION
4.3. CRITERE DE JUGEMENT PRINCIPAL
4.4. CRITERES DE JUGEMENT SECONDAIRES
4.4.1. Concordance en fonction du temps nécessaire à faire l’échographie
4.4.2. Concordance en fonction de l’ancienneté de l’interne
4.4.3. Concordance en fonction de la difficulté ressentie
4.4.4. Concordance en fonction de l’expérience échographique des internes
4.4.5. Concordance entre un comité d’experts évaluant la présence d’une pneumonie a posteriori et le diagnostic porté par les internes
4.4.6. Satisfaction et difficultés des internes
5. DISCUSSION
5.1. METHODE ET RECUEIL DES DONNEES
5.1.1. Discussion des critères d’inclusion
5.1.2. Inclusions pendant la pandémie COVID
5.1.3. Discussion de la formation
5.1.4. Recueil d’imagerie et difficultés rencontrées
5.2. DISCUSSION DE LA DISTRIBUTION DES PATIENTS
5.3. INTERNES ET MEDECINS EXPERTS
5.4. DISCUSSION DES RESULTATS DU CRITERE DE JUGEMENT PRINCIPAL
5.5. DISCUSSION DES CRITERES SECONDAIRES
5.5.1. Durée nécessaire pour effectuer l’échographie
5.5.2. Analyse selon l’expérience échographique des internes
5.5.3. Performance diagnostique : comparaison avec diagnostic validé par comité d’experts
6. CONCLUSION