La PMI en France : quelques repères
S’il faut remonter au XIXème siècle pour trouver les premières traces d’un système de protection de l’enfance, c’est au lendemain de la seconde guerre mondiale qu’une ordonnance coordonne l’ensemble des mesures déjà existantes et les uniformise pour tout le territoire national, attribuant à la Protection Maternelle et Infantile (PMI) le statut de politique de santé publique qu’elle connaît encore aujourd’hui. Cette ordonnance du 2 novembre 1945 instaure un nombre d’examens obligatoires pré et post-nataux, ainsi qu’un programme vaccinal auquel doivent souscrire toutes les femmes enceintes et tous les enfants âgés de zéro à six ans résidant en France. Pour rendre ces mesures applicables et permettre à l’ensemble de la population visée de s’y soumettre, un système de consultations gratuites est mis en place. Sur un mode préventif, des examens obligatoires permettent d’assurer un suivi médical, sanitaire et social des femmes enceintes et des jeunes enfants.
D’après l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), « aujourd’hui, les services de PMI regroupent un personnel médical et paramédical de 7480 ETP et 1500 médecins vacataires. Les puéricultrices représentent la moitié du personnel (3736), viennent ensuite les médecins (1910 médecins titulaires en ETP, 1500 médecins vacataires en effectifs), puis les infirmières (1122) et les sages-femmes (712). Il convient d’ajouter à ces personnels les autres personnels techniques : conseillères conjugales, psychologues, éducateurs de jeunes enfants, assistantes sociales, auxiliaires de puériculture soit environ 1120 salariés et les personnels administratifs dédiés (estimés par la mission à 375 environ) » (Jourdain Menninger et al., 2006 : 10). Le coût estimé de la Protection Maternelle et Infantile pour l’année 2004 s’élève à 605 707 200 € .
À l’échelle de la France, en 2006, 18% des femmes enceintes et 20% des enfants de moins de six ans ont été suivis par les centres de PMI. Cette même année, 50% à 60% des 775 000 enfants nés sur le territoire en 2005 ont été vus au moins une fois dans un des 4615 lieux de consultation que compte le pays (ibid.). Quelques remarques liminaires doivent alors être faites à propos de ces consultations. Tout d’abord, les centres de consultation PMI sont des structures dépendantes d’une politique nationale de santé publique et se trouvent à ce titre, ou devraient se trouver, sur l’ensemble du territoire national. Mais la PMI est une politique décentralisée et la mise en place des consultations dépend de chaque département. Ainsi, sur la base d’un même texte de loi, d’importantes disparités sont à noter entre un département et un autre. Le département des Bouches-du-Rhône, dans lequel nous avons mené notre enquête de terrain, comptait, en 2004, 154 lieux de consultations où ont été vus au moins une fois dans l’année 26 080 enfants âgés de zéro à six ans . En moyenne, pour l’année 2000, ces consultations ont accueilli 20% des enfants de moins d’un an domiciliés dans le département, mais ce chiffre monte à 62% dans le centre ville de Marseille.
Alors que la politique de santé publique de protection maternelle et infantile s’adresse, sans distinction, à l’ensemble des femmes enceintes et des enfants de moins de six ans résidant sur le territoire national, les moyens de souscription aux mesures préventives qu’elle implique est laissée au libre choix des personnes. Chaque famille peut alors s’adresser à un médecin généraliste, un pédiatre de ville ou aux consultations gratuites de PMI pour souscrire aux (et bénéficier des) examens obligatoires prévus par la loi. Du fait de la gratuité des consultations en centre de PMI, de l’absence de conditions requises pour y accéder et de leurs lieux d’implantation, celles-ci sont majoritairement fréquentées par les couches les plus pauvres de la population maternoinfantile, dont une part importante de personnes immigrées ou issues de l’immigration . Par ailleurs, ces consultations présentent quelques particularités relatives à leur mission exclusivement préventive. En effet, elles n’ont pas en charge de s’occuper de mères ou d’enfants malades dans le but de les soigner, ce qui les distingue de la plupart des services à visée médicale. Il en est de même pour la prévention sociale dont elles sont également en charge. De plus, les consultations sont essentiellement tenues par des professionnels de santé qui se démarquent systématiquement de l’intervention sociale telle que menée par les services sociaux.
Ainsi, lors de nos premiers contacts avec les consultations de protection infantile, si la densité et la richesse des informations et échanges qui y avaient lieu étaient évidentes, l’orientation et la raison d’être de ces échanges demeuraient plus opaques. Pour le dire simplement, la première question que nous nous sommes posée à ce moment-là fut « que se passe-t-il dans ces consultations médico-sociales? ». Les premiers éléments de réponse, ou tout du moins des bases plus solides à ce questionnement, se trouvent dans leur dénomination même.
Questionner le médico-social
La terminologie « médico-sociale » sert indistinctement à la qualification d’institutions et d’actions qu’elles mettent en œuvre, ou qu’elles permettent. Si l’ensemble des acteurs impliqués dans cette mise en œuvre, de la rédaction de ses textes de loi au fonctionnement quotidien des consultations, s’accordent, à quelques nuances près, sur cette appellation, celle-ci ne peut pour autant être considérée comme un signifiant efficace, cadrant avec précision l’action des services qu’elle désigne. La catégorie du « médico-social » est avant tout un construit à analyser. En premier lieu, il n’aura échappé à personne que cette catégorie est composée de deux termes distincts, le « médical » et le « social ». Appliquée à une politique, une institution, un service ou une action, cette expression peut alors faire l’objet de plusieurs interprétations. Sommes-nous face à une instance réunissant une action d’ordre médical et une autre d’ordre social ou à une forme particulière d’action située «entre» les deux, une action d’un type particulier faisant appel à chacun de ces deux domaines, une action de type « médico-social » ?
Une seconde remarque en découle. Que nous nous trouvions dans le premier cas de figure ou dans le second, qu’il s’agisse du fonctionnement en parallèle de deux actions distinctes ou d’une action intrinsèquement composite, encore faut-il identifier ce qu’elle contient de médical et ce qu’elle contient de social. L’analyse du «médicosocial » nous amène ainsi à distinguer des éléments qui, au cours d’une situation, peuvent être profondément dépendants et intriqués. Cette distinction induit alors un double questionnement, tant sur les catégories primaires du « médical » et du « social » que sur le principe d’articulation qui les réunit au cours d’une situation ou dans le fonctionnement routinier d’une institution. À quoi renvoie alors le «médico-social » ? Fait-il référence à la pratique des travailleurs sociaux ? Signifie-t-il, de façon plus générale, un rapport spécifique à la société, mis en œuvre au cours d’une pratique médicale, ou désigne-t-il un type particulier d’actions s’adressant aux catégories les plus fragiles de la population ? Et si le médico-social n’est pas un « simple » composé de médical et de social, à quelle pratique, à quelle technique, à quel savoir correspond-t-il ?
Le social comme part du médical
Une part importante des travaux s’intéressant à ce couple médical et social aborde la question à partir de la dimension « sociale » du travail des professionnels de santé. Deux axes principaux de réflexion s’en dégagent. En observant les activités soignantes, certains travaux s’intéressent à la part sociale que comprend le travail de soin. Ici, l’aspect social de l’activité fait partie intégrante du travail réalisé et son importance est inversement proportionnelle à la dimension technique du soin. En somme, plus un soin sera technique et moins la partie sociale du travail sera éstimée. À l’inverse, moins le travail réalisé requiert de compétences techniques et plus la part sociale sera valorisée par les professionnels (Drulhe, 2000, 2008 ; Castra et Cresson, 2008).
En faisant porter l’analyse sur les soignants eux-mêmes plus que sur leur activité de travail, d’autres études s’intéressent à la dimension sociale du travail de soin comme principe de hiérarchisation des postes au sein des équipes de soin et comme élément constitutif des identités professionnelles des personnels soignants (Arborio, 2001 ; Vega, 2000 ; Castra, 2000). Ces travaux nous renseignent sur les liens serrés qui existent entre le médical et le social, sur la frontière ténue entre le « cure » et le «care » et sur la mobilisation possible de cette dimension sociale comme enjeu de pouvoir et de construction des identités professionnelles. Toutefois ces recherches, à la différence de la notre, portent essentiellement sur des personnels de santé exerçant dans un cadre thérapeutique (majoritairement hospitalier), le « social » se trouvant alors cantonné aux seules dimensions relationnelles et émotionnelles du travail.
Le médical et le social
À côté de ces travaux faisant état de la dimension sociale du travail médical s’en trouvent d’autres, moins nombreux, s’intéressant plus directement à l’articulation du travail médical et du travail social. Ici, peuvent être qualifiées de « médico-sociales » des structures qui regroupent à la fois des services médicaux et des services sociaux, ou encore, des services à l’intérieur desquels se trouvent des professionnels de la santé et des travailleurs sociaux. L’articulation entre médical et social se situe alors au sein même des demandes des usagers et des modalités d’usage de ces services. L’aspect médico-social de ces structures se trouve dans la possibilité qu’elles offrent aux usagers de prendre en charge l’ensemble de ces demandes en coordonnant l’action de leur composante médicale et de leur composante sociale (Ferreira, 2004). Enfin, le « médico-social » peut désigner le travail de mise en réseau de structures distinctes prenant chacune en compte l’aspect médical ou l’aspect social d’une même situation (CSTS, 2007).
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Table des matières
INTRODUCTION
La PMI en France : quelques repères
Questionner le médico-social
Une enquête en deux temps
Une thèse en trois temps
PREMIÈRE PARTIE UNE HISTOIRE RÉFLEXIVE DE LA PROTECTION MATERNELLE ET INFANTILE
CHAPITRE I. LA PROTECTION DE LA MÈRE ET DE L’ENFANT AU FIL DE LA LÉGISLATION
I. Première période : Une élaboration éparpillée
1. De la « naissance de l’enfance » à sa première protection
2. Les innovations de la Troisième République
3. La fin d’une époque
II. Seconde période : L’ère de la Protection Maternelle et Infantile
1. Mise en place de la PMI
2. Les réformes du système
CHAPITRE II. UNE HISTORIOGRAPHIE LÉGISLATIVE EN DISCUSSION
I. Une histoire des législations, pour quoi faire ?
1. Le cadre restreint de la législation
2. Le principe des extensions
3. Généralisation et spécialisation
4. « Bio-pouvoir » et « gouvernement des corps »
II. Les absences de la législation
1. La non-linéarité des textes de loi
2. La situation nationale
3. Initiateurs et destinataires
CONCLUSION BIO-LÉGITIMITÉ ET LIMITES DE LA GOUVERNEMENTALITÉ
CHAPITRE III. « ENQUÊTER » EN PMI
I. Les temps de l’enquête
1. L’organisation départementale
2. Observer les consultations
3. Enquêter par entretiens
4. Fermeture du terrain
II. Éléments d’analyse
1. Mise en question de la figure du chercheur
2. Les enjeux internes au service et «extérieurs» à la recherche
III. L’influence de la conduite du terrain sur l’analyse et le traitement des données
1. La limitation des données
2. L’ordre hiérarchique du service
3. La manifestation de tensions internes à l’institution
DEUXIÈME PARTIE SENS ET PUISSANCE DES CONSULTATIONS
CHAPITRE IV. ORGANISATIONS ET ACTIVITÉS : QUESTIONNER LES FRONTIÈRES DE LA PMI
Profession médicale, intervenant de PMI et groupe professionnel
Discours et pratique : suivez l’énigme
I. Les relations entre professionnels. Hiérarchie, médical, paramédical : de multiples lignes d’autorité ?
1. L’ordre formel
2. L’ordre négocié des consultations
3. Dynamique de la négociation : une perspective en terme de don
4. Rupture de cadre : le retour à l’ordre bureaucratique
5. Synthèse et transition
II. L’ordre du « psychosocial » et le désordre des lignes d’autorité
1. Segmentation et micro sociétés
2. Segmentations et valeurs
3. De deux « valeurs consensuelles »
4. Où s’arrête la PMI ?
5. De quelques techniques de travail sujet à conflits
6. Un positionnement discuté
Conclusion
CHAPITRE V. LA PRÉVENTION MISE EN PRATIQUE : LE DILEMME DES PROFESSIONNELS
I. La prévention : entre médical et social
II. Une prévention en lien avec la « répression »
1. La PMI comme instance d’observation : une prévention sans obligation
2. La pression pour suivre, la « répression » comme moyen de pression
3. Confusion des positions
III. Prévention, puériculture et éducation à la santé : le constat socio-culturel et le « contrôle social »
1. Éducation et normalisation
2. Une question d’intégration
3. Une question d’altérité
4. Le social, l’économique et le culturel : agencement des registres de l’altérité
Conclusion : Bien au-delà de la PMI
TROISIÈME PARTIE UNE PRATIQUE PROFESSIONNELLE SINGULIÈRE
CHAPITRE VI. ENTRER EN PMI
I. Les motivations d’entrée
1. Pourquoi les motivations d’entrée ?
2. Une recherche par opposition
3. Les conditions de travail
4. Le travail en lui-même
5. Remarques sur les parcours recueillis
6. Conclusion de mi-parcours
II. Les premiers temps en PMI
1. Méconnaissance préalable du service
2. Découverte de la pauvreté
3. Un apprentissage sur le tas
III. Engagement professionnel
1. Au nom de l’utilité
2. L’utilité comme « principe de vie »
3. L’organisation du service comme moyen d’engagement
CONCLUSION