LA PLURALITE DES FORMES FAMILIALES CONTEMPORAINES A L’AUNE DES TRANSFORMATIONS DE LA FAMILLE
DE LA FAMILLE TRADITIONNELLE A LA FAMILLE CONTEMPORAINE
« La famille a changé. Ce qui pouvait passer il y a trente ans pour une péripétie est désormais reconnu comme une véritable mutation ». Irène Théry, Couple, filiation et parenté aujourd’hui, le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, rapport à la ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au garde des Sceaux, ministre de la Justice, Paris, Odile Jacob, 1998, 366 p.
Faire la synthèse du passage de la famille traditionnelle à la famille contemporaine pose tout d’abord la question de la modernité familiale. Les évolutions des structures familiales sont, avant tout, en phase avec la modernité exigée par la société. De l’analyse de la « famille souche » (Le Play, 1871) à celle de la « famille incertaine » (Roussel, 1989), la sociologie de la famille évolue selon les transformations de la vie familiale. En même temps, les points de vue théoriques et les regards se sont multipliés (fonctionnalisme, féminisme, marxisme). L’éclatement de la sociologie de la famille va de pair avec l’éclatement de la famille (Hurtebise, Quéniart, 1998). C’est pourquoi la présentation des différents regards sociologiques sur la famille est essentielle pour comprendre l’évolution de la famille comme institution.
La famille, une institution en évolution
Aujourd’hui, il n’existe pas de modèle unique de la famille mais des configurations différentes qui témoigne des transformations démographiques récentes. La structure de la famille a toujours connu de multiples formes. Les premières recherches réalisées par Frédéric Le Play au milieu du dix-neuvième siècle sur les ouvriers européens proposent déjà un inventaire intéressant des différentes formes de la famille en Europe. Le sociologue inventorie près de quarante-cinq types de famille différents classés selon leur stabilité ou leur caractère instable, associé à la perte des solidarités communautaires, à l’individualisation des rapports ou à la place moins grande qu’y tiennent les références religieuses (Le Play, 1871). Frédéric Le Play met également en évidence trois modèles différents dans ses travaux sur les formes d’organisation de la famille en France : la famille patriarcale, la famille instable (nucléaire) et la famille souche. Le sociologue conçoit la modernité comme la diffusion de la famille instable, lorsque les enfants devenus autonomes financièrement, quittent la maison du père. La famille souche est perçue comme la forme idéale pour assurer la reproduction et l’ordre social. Un siècle plus tard, c’est la famille nucléaire que Talcott Parsons (1955) considère comme le produit de la modernité, symbole d’une organisation sociale domestique dépendante de la structure sociale. La modernité et les crises de la famille sont donc d’une relativité historique notable.
La famille pour les fondateurs de la sociologie traditionnelle
La famille fut longtemps perçue comme le lieu de reproduction de l’ordre patriarcal inégalitaire qui s’oppose à toute affirmation des individualités. Dans la famille traditionnelle, l’affection était subordonnée à la stabilité du statut conjugal et social dans la mesure où l’ordre familial reflète l’ordre social, où le respect de l’institution familiale prime sur la qualité des relations entre les conjoints. Pour les femmes, le mariage était une condition d’accès à l’exercice légitime de leur rôle social prioritaire : la maternité. Pour les hommes, celui-ci constituait « une voie d’accès privilégiée à une position socialement reconnue de responsabilité qui venait renforcer les autres attributs de leur identité adulte » (Oualette, 1995, p.3). La famille instable a longtemps été perçue comme une forme de décadence par les sociologues du dix-neuvième siècle alors que les travaux de l’historien Peter Laslett (Laslett, Wall, 1972) montrent bien que le modèle de la famille nucléaire est implanté en Europe depuis la fin du Moyen-âge et que la famille souche ne garantissait nullement une fraternité pérenne puisqu’un seul fils était choisi comme héritier de l’ensemble des biens familiaux.
François de Singly distingue deux étapes dans la modernité familiale : la « famille moderne 1», apparaissant à la fin du dix-neuvième siècle et culminant dans les années 1950, fondée sur le modèle de la femme au foyer ; puis la « famille moderne 2 », celle d’aujourd’hui, qui traduit la volonté d’autonomie et d’indépendance des individus conduisant à un rejet du modèle conjugal traditionnel (De Singly, 2007). Mais déjà, dans les années 1920, Emile Durkheim faisait un double constat : l’existence d’une famille moderne à la fois victime du « repli conjugal » mais aussi de plus en plus dépendante de l’Etat (Durkheim, 1975). Selon E. Durkheim, le rétrécissement de la famille patriarcale provient des évolutions de la société, de la division du travail et de la spécialisation des rôles sociaux. Alors, la famille se conçoit comme une institution qui témoigne à la fois d’une privatisation à travers l’indépendance individuelle et d’une régulation étatique grandissante. L’ « atomisation » de la famille selon Durkheim est une référence indissociable à toutes les études sur la famille et à toutes les réflexions sociologiques actuelles, qu’elles soient critiques ou qu’elles prouvent cette atomisation.
Après la seconde guerre mondiale, les théories de Talcott Parsons reprennent celles d’Emile Durkheim, spécifiquement sur la spécialisation des rôles sociaux et l’atomisation de la famille. Le sociologue américain situe l’origine du modèle familial nucléaire fondé avant tout sur le mariage et la ségrégation des rôles parentaux à l’aube de l’industrialisation aux EtatsUnis. Ce modèle du « Monsieur Gagnepain» (Strobel, 1997), dans lequel l’homme est le seul pourvoyeur économique et la femme en charge du domestique, illustre une famille recentrée sur ses fonctions primaires, la stabilité parentale et la socialisation des enfants. La segmentation de la famille se constate alors par l’isolement des parents et la réduction du noyau familial (Parsons, 1955). Cette conception de la famille, qualifiée de fonctionnaliste, examine l’ensemble des droits et des contraintes normatives imposés à l’acteur soumis à un processus de différenciation sociale. La ségrégation des rôles parentaux décrite par T. Parsons dans les années 1950 est peu compatible avec les bouleversements du marché du travail, la transformation des rôles sociaux, l’évolution des mentalités. La validité de ses théories a, de fait, rapidement été soumise à la critique. Toutefois, sa sociologie de la famille subsiste comme une analyse très pertinente des transformations démographiques de son époque.
La famille pour les sociologues contemporains
La famille contemporaine n’est en aucun cas uniforme. Ce constat, d’abord établi par les ethnologues, traduit la multiplicité des systèmes de parenté. Il en est autant des théories de la famille qui se multiplient aujourd’hui et qui sont le reflet d’un renouvellement des travaux sur la famille. Grâce à l’interdisciplinarité et à la multiplication des méthodes d’analyse, la réalité familiale est mise en perspective de manière inédite. Ce foisonnement de réflexions et de points de vue théoriques va de pair avec la diversité contemporaine des modes de vies occidentaux. Si, dans la deuxième partie du vingtième siècle, la sociologie de la famille s’essouffle, elle se renouvelle dès lors qu’une rupture en matière sociale et culturelle se met en œuvre. La fin des trente glorieuses et la montée inquiétante de l’instabilité du marché du travail favorisent l’appropriation de la question familiale par les décideurs politiques (spécialement sur les nouveaux rôles de l’Etat) et l’ensemble des sciences sociales. Par exemple, les instituts démographiques permettent une meilleure visibilité de cette « grande cassure démographique » (Sullerot, 2000) qui affecte profondément la composition des familles entre les années 1960 et 1980 (avec une attention particulière, en France, sur le déclin du nombre de mariages). Les transformations fondamentales de la vie familiale expliquent, en partie, le regain d’intérêt pour l’étude des familles.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE L’ETUDE EN GEOGRAPHIE DES SITUATIONS MONOPARENTALES : CONTEXTE ET METHODOLGIE
Chapitre 1 La pluralité des formes familiales contemporaines à l’aune des transformations de la famille
Chapitre 2 Des apports de la géographie dans l’étude des rapports à l’espace des familles monoparentales féminines
Chapitre 3 Une combinaison de méthodes pour une meilleure compréhension de la spatialité des familles
DEUXIEME PARTIE UNE NOUVELLE FORME DE FAMILLE, DE NOUVEAUX COMPORTEMENT RESIDENTIELS
Chapitre 4 La mobilité résidentielle au moment du changement familial
Chapitre 5 Des parcours résidentiels entre tactiques et compromis
TROISIEME PARTIE DES PRATIQUES SPATIALES DU QUOTIDIEN DANS UN ESPACE DE VIE RESTREINT
Chapitre 6 L’organisation des pratiques spatiales du quotidien en situation monoparentale
Chapitre 7 La sociabilité des femmes seules et de leur(s) enfant(s) : une analyse du risque d’exclusion sociale
Chapitre 8 Une inégale rétraction des espaces de vie selon les profils sociaux
CONCLUSION GENERALE
Références bibliographiques
Tables des illustrations
Liste des sigles
Annexes