La place primordiale du foncier

Les problématiques et enjeux liés à la création des Nouvelles Aires Protégées 

La place primordiale du foncier

L’accès aux ressources environnementales est d’abord une histoire d’accès à la terre. Comme l’accessoire suit le principal, la qualification de l’élément dominant l’emporte logiquement sur les autres, qui s’intègrent dans celui dont ils sont physiquement inséparables. L’ « espace-ressource » constitue ainsi une qualification juridique de l’universalité qui ne peut pas dissocier l’élément fonds de l’élément ressource. Le malgache rural s’intéresse plus à l’environnement en tant que ressource. Il est vrai que la réalité implacable de la survie alimentaire prédomine, mais les recherches établissent qu’elle est loin de nuire à une approche de gestion écologique du milieu, bien au contraire, elle devient un facteur extrêmement motivant. La régulation foncière est ainsi au cœur même de la question, car elle obéit à des objectifs politiques pour déterminer les conditions de propriété et partant, d’utilisation du sol.

Une multifonctionnalité de l’espace et un pluralisme juridique inconsidérés

Pour les propriétaires coutumiers malgaches qui sont souvent des propriétaires collectifs, le terme « terre » possède un sens très large, empreint de sacralité (Tanindrazana), qui recouvre tous les éléments de l’environnement et la relation entre ces éléments. Elle possède donc encore un fondement mystico-religieux pour la majorité rurale. Ainsi à l’échelle locale, les droits fonciers expriment des rapports qui s’établissent entre des sujets et des objets de droits. Ces objets de droit, reconnus simultanément ou non par les différents systèmes juridiques en concurrence, sont le sol, les infrastructures, et les ressources naturelles qui s’y établissent .

Ce monde local est marqué par l’absence de « propriété » foncière. Pour Maurice Delafosse, le mot propriété dont nous usons, bon gré mal gré, à notre insu, au sens romain, avec ses attributs si crûment dessinés, ne convient pas ici: son seul emploi sera souvent source d’erreur. Y est également étrangère la « marchandisation » de la terre. L’originalité du statut juridique de la terre se réfère à un droit plus fort qu’un droit de jouissance, sans être un droit de propriété. Aux termes deDareste, «ce n’est ni la propriété, ni la négation de la propriété, c’est autre chose» .

Dans les faits, se conjuguent sans vraiment se mélanger d’un côté les règles et normes traditionnelles et de l’autre une normalisation étatique d’inspiration occidentale ; coexistent et s’affrontent des logiques endogènes et étrangères. D’où il résulte une impossible fusion entre droits traditionnels et droit étatique donnant lieu à un droit de la pratique qui se réfère aux règles traditionnelles ou/et à la législation étatique, ou alors à aucun des deux.

Globalement, la multifonctionnalité de l’espace doit ainsi traduire un régime juridique assurant la gestion de la complexité des situations qui caractérisent la diversité des réalités culturelles . Par conséquent, les limites de la gestion foncière s’expliquent par l’incapacité des Etats importés de reconnaître le pluralisme juridique. Ce dernier « consiste dans la multiplicité de droits en présence à l’intérieur d’un même champ social» (J. Griffiths), et toutes les sociétés sont divisées en plusieurs champs sociaux reliés par des interrelations. Cette non reconnaissance favorise une minorité capable de manipuler les services domaniaux tout comme elle empêche la majorité de se faire reconnaître ses investissements dans la terre. Le pluralisme juridique implique donc une insécurité foncière lorsque les législations foncière et environnementale contredisent les règles et pratiques communautaires. D’autres formes d’insécurité foncière apparaissent dans les situations où le droit étatique est utilisé par des immigrants ou par des fonctionnaires, et celles où les autochtones eux-mêmes finissent par perdre confiance dans leurs propres systèmes communautaires.

A Madagascar, le pluralisme initialement créé par la constatation de la propriété indigène, au sein du système juridique colonial, fut graduellement supplanté par un autre pluralisme, observable de nos jours, opposant la légalité des politiques de reconnaissance à la conception ancestrale d’une coutume de plus en plus hybride. Ainsi, dans les faits, la déforestation ne s’explique pas par l’insécurité des droits coutumiers mais au contraire par l’efficacité des mécanismes coutumiers de sécurisation foncière qui contredisent le plus souvent les procédures légales d’appropriation des mêmes terrains ; ce qui peut paraître paradoxal, et ne l’est pas dans les sociétés lignagères, la propriété coutumière n’étant évidemment pas individuelle, mais lignagère.

La tenure coutumière est sécurisante puisqu’elle permet aux descendants ou aux migrants toujours plus nombreux de compenser l’insuffisance de terres cultivables .

Le régime foncier des Nouvelles Aires Protégées

« Les terrains relevant du domaine d’application de la législation relative aux Aires protégées et ceux servant de support à la mise en application de conventions signées dans le cadre de la législation sur la gestion des ressources naturelles » devront faire l’objet d’un régime foncier spécifique ». Ainsi sont les termes de l’article 38 de la loi 2005-019 du 17 octobre 2005 fixant les principes régissant les différents statuts des terres à Madagascar. Près de onze ans plus tard, ce statut spécifique tarde toujours à être précisé. Pourtant, suite à la Vision Durban, près de 20 % du territoire national se sont vus attribuer un statut de protection temporaire interdisant toute exploitation des ressources forestières pourtant indispensables à la survie des populations, comme susmentionné.  Il y a ainsi des « aires » exclues des règles de gestion domaniale et foncière parce que soumises à un dispositif juridique particulier. Celles-ci sont notamment les terrains relevant du domaine d’application de la législation relative aux aires protégées, ceux soumis au droit forestier, et ceux servant de support à la mise en application de conventions signées dans le cadre de la législation sur la gestion des ressources naturelles. La non-adoption de ce dispositif juridique spécifique est problématique dans un contexte où l’extension du réseau des aires protégées implique d’importantes restrictions des droits d’accès des populations locales aux ressources naturelles dont elles dépendent .Notons aussi que les terrains qui disposent d’un statut spécifique ne peuvent faire l’objet de certificats fonciers. Or la situation d’extrême pauvreté des populations rurales, les aléas climatiques et les difficultés d’accès aux marchés les conduisent à développer des systèmes agraires multifonctionnels au sein de terroirs dans lesquels l’organisation coutumière de l’espace reste, de manière souvent concurrentielle avec le droit de l’Etat, une référence incontournable .

La réforme foncière et le monde coutumier

En 2005, une réforme initiée par la lettre de politique foncière renverse la présomption de domanialité au profit d’une présomption de propriété des occupants. La réforme a été motivée par le constat d’inefficacité de la sécurisation foncière par le titre (MAEP, 2005).

La même année, la loi n°2005-019 du 17 octobre fixe les principes régissant le statut des terres, suivie d’une série de dispositions spécifiques à partir de 2006 :
– sur la propriété foncière privée non titrée (loi n02006-031 du 24 novembre 2006) ;
– sur le domaine public (loi n02008-013 du 23 juillet 2008) ;
– sur le domaine privé (loi n02008-014 du 23/08/08).

La question se pose de savoir si la propriété foncière privée non titrée est un instrument adéquat de sécurisation foncière, ou si la reconnaissance légale de la tenure coutumière ne supposerait pas de renoncer à la représentation géométrique de l’espace et à la dissociation spatiale des fonctions écologiques. L’enjeu est que les territoires ruraux sont le principal réceptacle des politiques environnementales.

La loi reconnait la tenure foncière coutumière à travers deux procédures : la contractualisation, utilisée principalement dans un but de gestion communautaire des marges forestières ; et la constatation par des guichets fonciers communaux ou intercommunaux de la propriété familiale, en particulier des rizières (par la propriété privée non titrée). Ces deux procédures consacrent la séparation du foncier forestier et du foncier agricole . La portée de toutes ces modifications sur l’accès coutumier à la terre et aux ressources environnementales mérite d’être examinée.

Aujourd’hui, l’application du droit foncier reste à Madagascar très problématique. Outre les difficultés souvent invoquées par les chercheurs quant à l’identification du Domaine de l’Etat d’une part, et l’établissement et la gestion de la propriété privée d’autre part , ce qui intéresse surtout ici est l’affaiblissement de ce monde coutumier.

En effet, le droit coutumier de propriété est à la fois familial (privatif) et communautaire (patrimonial) parce qu’il combine les deux aspects par leur emboîtement hiérarchique. D’où l’aspect très déstabilisant de cette réforme dite des « guichets fonciers » qui peut conduire l’individu à vendre « sa » parcelle à des tiers. Cette nouvelle possibilité est considérée par la société traditionnelle comme une grave atteinte à la sécurisation foncière. Et ce qui devait potentiellement accroître la sécurité foncière aboutit à un résultat exactement inverse.

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Table des matières

Introduction
Partie I : Genèse et évolution de la politique malgache de gestion des ressources naturelles
Chapitre 1 : Les grandes étapes de l’histoire de la conservation à Madagascar
Chapitre 2 : L’émergence des Nouvelles Aires protégées
Chapitre 3 : Statuts et gestion juridique des Aires Protégées Malgaches
Partie II : Les problématiques et enjeux liés a la création des Nouvelles Aires Protégées
Chapitre 1 : La place primordiale du foncier
Chapitre 2 : De la rhétorique à la pratique : la mise en place des Nouvelles Aires Protégées
Chapitre 3 : Les NAP de catégorie V et VI : une possible synthèse entre conservation et gestion locale durable?
Partie III : Les acteurs dans la définition de la politique de gestion des ressources naturelles à Madagascar
Chapitre 1: A nouveau paradigme, nouveaux acteurs : à la recherche de financement durable des Aires Protégées
Chapitre 2 : L’hégémonie des ONG internationales et le manque de reconnaissance des acteurs locaux
Chapitre 3 : Pour que les Nouvelles Aires Protégées soient des espaces durables : quelles perspectives ?
Conclusion

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