Séances spécifiques et enseignement diffus
Si l’on se penche à nouveau sur les recommandations officielles, nous pouvons relever plusieurs axes de travail concernant le vocabulaire.
Il est d’abord possible de remarquer que dans les B.O. hors série des 19 juin et 28 août 2008, l’enseignement – apprentissage du vocabulaire doit faire l’objet de séances particulières et définies.
Ainsi, au cycle des approfondissements, il fait « l’objet de séances et d’activités spécifiques », et en 6ème, « il convient de développer des activités spécifiques autour du lexique ».
Mais le point le plus marquant des recommandations est la volonté d’accroissement du lexique.
Ainsi, comme le note M.-A. Paveau (2000 : 21) à propos de ce qui se passe « hors l’école », « l’« enrichissement du vocabulaire » apparaît comme une notion définitoire de [son] apprentissage ». Or, il est possible d’étendre cette remarque à certaines recommandations faites pour l’école, ainsi le terme « extension » utilisé dans le B.O. du 19 juin 2008 (Ministère, 2008) que l’on peut rapprocher de celui d’accroissement. Ainsi pouvons-nous remarquer qu’une des préoccupations principales dans l’enseignement – apprentissage du vocabulaire concerne cet enrichissement. Mais, ne peut-on pas affirmer d’une certaine manière que cette préoccupation est aussi légitime ? En effet, les enseignants se posent aussi la question du lexique de base qui serait utile voire nécessaire à tout écolier, tout collégien. Du lexique des consignes au lexique technique de certaines disciplines scolaires, l’élève a besoin de posséder un certain bagage lexical, bagage qu’il sera alors amené à réemployer en situation de production. En effet, il est aussi vrai que l’objectif des enseignants est bien de permettre aux élèves de produire des énoncés plus riches d’un point de vue lexical, plus exacts aussi par là-même. Cet enrichissement peut donc être louable, s’il est envisagé non dans une perspective encyclopédique, mais dans une perspective didactique visant effectivement un réemploi du vocabulaire en situation de production.
Dans notre étude, notre intention n’est donc pas de minorer ce problème de l’accroissement du lexique, mais nous souhaitons montrer que pour permettre réellement un tel accroissement et donc le réemploi approprié du lexique étudié, certains choix didactiques sont déterminants. Ainsi, cet accroissement ne pourra s’effectuer qu’en passant par des activités de structuration et il sera indispensable de mettre en œuvre des situations explicites d’enseignement du vocabulaire. Ces situations devront également permettre une structuration du lexique de l’élève, pour viser aussi un développement de ce lexique. Il s’agira dans un deuxième temps seulement d’aller vers des situations de réemploi plus spontané. Ainsi accroissement et structuration ne s’opposent-ils pas, mais se combinent-ils pour permettre l’enseignement – apprentissage du vocabulaire ; il n’est donc pas d’accroissement sans structuration, même si l’on peut affirmer avec M.A. Paveau que cet accroissement ne doit pas être l’unique objectif de l’enseignement – apprentissage du vocabulaire.
Les I.O. mettent donc l’accent, comme nous le voyons, sur la nécessaire mise en œuvre de séances spécifiques concernant le vocabulaire.
Parallèlement, elles montrent aussi la nécessité d’un enseignement implicite du lexique. Ainsi, comme nous l’avons déjà remarqué, les programmes pour le cycle 3 réaffirment que « tous les domaines d’enseignement contribuent au développement et à la précision du vocabulaire des élèves.
L’emploi du vocabulaire fait l’objet de l’attention du maître dans toutes les activités scolaires ». En effet, comme le signale J.-C. Chabanne (2004 ), l’enseignement de la langue peut trouver sa place aussi dans les pratiques de lecture et d’écriture lors des moments de production ; or ces temps ne seront pas explicitement identifiés comme faisant partie de l’étude de la langue, mais le seront pourtant de manière implicite puisqu’il s’agira d’y recourir afin de comprendre et produire un discours. Ainsi existe-t-il un enseignement plus diffus du vocabulaire.
Il s’agit alors, comme le remarque Chabanne à propos de la grammaire, d’établir un juste équilibre entre des moments d’enseignement – apprentissage explicite et des moments durant lesquels l’enseignement sera plus diffus. Il semble d’ailleurs que ce soit ce que préconisent finalement les Instructions Officielles.
Par ailleurs, le Ministère rappelle dans le B.O. de juin 2008 que « l’acquisition du vocabulaire accroît la capacité de l’élève à se repérer dans le monde qui l’entoure, à mettre des mots sur ses expériences, ses opinions et ses sentiments, à comprendre ce qu’il écoute et ce qu’il lit, et à s’exprimer de façon précise et correcte à l’oral comme à l’écrit. ». Il faut donc relier le travail sur le vocabulaire aux autres disciplines puisqu’il est déterminant dans la compréhension des textes et du monde. Ainsi l’enseignement – apprentissage du vocabulaire est-il transversal et peut-il s’effectuer alors de manière plus diffuse, en dehors des moments explicitement dédiés au vocabulaire.
La nécessité d’un enseignement – apprentissage explicite dans des séances spécifiques semble donc être reconnue, tandis que l’apprentissage implicite n’est pas non plus écarté. Nous pouvons même lire dans les recommandations dès l’école maternelle que « l’acquisition du vocabulaire exige des séquences spécifiques » ; sont d’ailleurs valorisées les activités « de classification, de mémorisation de mots, de réutilisation du vocabulaire acquis, d’interprétation de termes inconnus à partir du contexte ».
Néanmoins, comme le fait remarquer P. Borowski (2000 : 15), « l’enrichissement du vocabulaire n’implique pas de fait une accumulation pure et simple de mots nouveaux ». C’est précisément là que se situe le point central de la recherche dans la mesure où l’enjeu de cet enrichissement réside dans une appropriation des « mots nouveaux » par les élèves… C’est à ce propos aussi qu’il est important de se pencher sur les recommandations officielles pour comprendre le désarroi des enseignants concernant l’enseignement – apprentissage du vocabulaire. Car en effet, les I.O., si elles incitent à l’accroissement du vocabulaire des élèves, ne donnent pas d’éléments permettant le réemploi de ce lexique. Elles mettent essentiellement l’accent sur la nécessaire structuration d’un enseignement du vocabulaire.
Types de structures sur lesquelles travailler : des I.O. aux propositions des chercheurs
Nous remarquons alors que les Programmes de l’école et du collège de juin et août 2008 incitent à travailler principalement dans quelques grandes directions en émettant des recommandations quant aux contenus de ces séances explicites.
Ainsi, au cycle 3, l’étude du lexique « repose, d’une part, sur les relations de sens (synonymie, antonymie, polysémie, regroupement de mots sous des termes génériques, identification des niveaux de langue), d’autre part, sur des relations qui concernent à la fois la forme et le sens (famille de mots). Elle s’appuie également sur l’identification grammaticale des classes de mots », puis en 6ème « les approches de l’analyse du lexique sont diversifiées : familles de mots, morphologie, étymologie, évolution historique du sens d’un mot, dérivation et composition, champ lexical, champ sémantique, homophonie/homonymie, synonymie, antonymie, polysémie, niveau de langue ». Les recommandations pour le collège distinguent en outre les « domaines lexicaux » des « notions lexicales ». Nous pouvons cependant remarquer des évolutions concernant les structures sur lesquelles les Instructions recommandent de travailler avec les élèves. Ainsi, dans les derniers programmes pour le cycle 3, il est demandé aux enseignants de permettre aux élèves de « distinguer les différents sens d’un verbe selon sa construction ». Nous pouvons alors noter le lien qui apparaît entre lexique et syntaxe, lien que nous commenterons plus loin. Mais cela n’apparait encore que de manière très sporadique dans les derniers documents officiels.
Ainsi, il est possible de dire avec Guy Legrand (2004 : 25) que « les études de structuration proprement lexicales portent de manière très privilégiée sur quatre relations sémantiques et formelles de base (synonymie, antonymie, dérivations, thème ou champ lexical), sur une exploration du sens des mots par définition, parcours du champ sémantique, et, plus récemment, distinction du sens propre et du sens figuré, en relation avec les contextes, […]. Des activités de classement confortent ces études ».Nous retrouvons dans le B.O. de juin 2008 les mêmes axes en ce qui concerne les compétences liées au lexique : « Acquisition du vocabulaire / Maîtrise du sens des mots / Les familles de mots / Utilisation du dictionnaire ».
Ainsi, compte tenu de ce qui a été dit plus haut, il s’agit donc de mettre en œuvre des séances spécifiques de vocabulaire qui porteront sur ces points. Les programmes insistent sur la nécessité de travailler le vocabulaire à partir de ces structures. Il s’agit donc bien de réaliser un enseignement – apprentissage structuré du lexique. Ce point est important car il fait l’objet d’un consensus. En effet, les didacticiens s’accordent pour mettre en avant l’efficacité d’un apprentissage fondé sur un enseignement structuré du vocabulaire. La question est de savoir de quelles structures l’on parle et donc sur quoi mettre effectivement l’accent.
Concernant précisément ces structures sur lesquelles faire porter l’enseignement – apprentissage du vocabulaire, les chercheurs et didacticiens présentent différents axes à privilégier. Car, comme le remarque M.-A. Paveau (2000 : 22) à propos des manuels qu’elle a analysés, en matière de vocabulaire il s’agit souvent d’ « acquérir une culture par accumulation et non un savoir par compréhension », et c’est justement ce qui pose problème. Il faut donc se demander sur quels axes mettre l’accent pour éviter cela.
Si l’on étend notre analyse aux pratiques des enseignants et à ce qui apparaît dans les manuels scolaires, on remarque une prédominance de l’entrée morphologique en ce qui concerne le lexique.
Il s’agit souvent de travailler avec les élèves les règles de formation des mots, même si cela n’exclut pas un recours au sens. Les manuels à destination des enseignants proposent ainsi souvent des séances qui ont pour objectif non l’acquisition et le réemploi du vocabulaire, mais plutôt l’orthographe lexicale… Les séances de vocabulaire sont alors déclinées autour des éléments entrant en compte dans la formation des mots. Ainsi en fin de cycle 3 des séances « Autour de la formation des mots » relevées dans le manuel Étude de la langue CM2 ou en 6ème une leçon de vocabulaire
intitulée « La formation des mots » dans L’atelier du langage et portant sur les affixes et la composition, dans lesquelles nous ne trouvons pour ainsi dire pas de référence au sens, mais seulement une analyse morphologique du phénomène. Dans ces manuels, le sens des mots sera abordé à un moment de la progression ; le problème réside dans le fait qu’il ne l’est pas au moment où est travaillée la morphologie, donc il est quasiment impossible pour l’élève de relier les deux aspects du mot, sémantique et morphologique. Or il est primordial, dans une perspective de réemploi, que l’élève parvienne à combiner ces deux aspects du vocabulaire.
Sans pour autant faire abstraction de cette étude morphologique, car, comme le rappelle E. Calaque (2000 : 25), « l’analyse sémiotique constitue […] une base de travail indispensable dans l’enseignement du lexique, car elle se fonde sur la réalité de la langue en tant que système de formes et de significations », il semble important d’orienter aussi la didactique du lexique dans d’autres directions.
Vers une perspective syntagmatique
D’autres auteurs rappellent à ce sujet l’importance des actants dans l’acquisition du vocabulaire.
Ainsi, après avoir constaté que les problèmes de compréhension de texte viennent souvent de difficultés en vocabulaire, David, Dubois, Fayol et Rémond (2000 : 127) proposent-ils un travail à partir de la « structure actancielle » des mots, notamment les mots fortement polysémiques tels être, rendre, haut… Il s’agit alors « d’analyser les sens possibles, parfois très éloignés, d’un même mot, en fonction des actants qui l’accompagnent ». Les auteurs remarquent alors qu’une étude à partir des actants impliqués dans les constructions est judicieuse ; elle entraîne d’ailleurs un travail sur les constructions syntaxiques qui apparaissent alors, puisque le sens de ces mots polysémiques est déterminé par la construction syntaxique dans laquelle ils vont être employés. Nous revenons donc à l’importance d’un travail sur l’axe syntagmatique… David, Dubois, Fayol et Rémond opposent de ce fait les structures transitives directe et indirecte à partir des sens de défendre dans les phrases « la police défend aux enfants d’écrire sur les murs » et « la police défend les enfants contre les dealers », les sens de défendre dans ces deux cas venant des actants présents dans ces constructions.
Il s’agirait alors de travailler avec les élèves sur les structures actancielles de certains mots en contexte afin qu’ils en saisissent mieux les sens et donc puissent mieux se les approprier.
Travailler ainsi sur les verbes polysémiques par exemple peut donc permettre à l’enseignant d’expliciter le rôle des actants présents dans l’énoncé pour en amorcer la désambiguïsation, le professeur pourra mettre en valeur l’organisation syntaxique, comme c’est le cas dans l’exemple précédent, ou bien la nature référentielle des actants. En effet, si l’un des actants présente unréférent de nature abstraite, le sens du verbe évolue et devient largement métaphorique. Dans notre perspective, il s’agit de montrer explicitement cela aux élèves pour qu’ils puissent se saisir de procédures (par exemple changer la nature référentielle de l’un des actants) leur permettant de réemployer des mots polysémiques selon différents sens et leur permettant de les désambiguïser en situation de compréhension. Dans ce cas, les élèves s’approprient effectivement les différents sens d’un mot, et ils ont alors la possibilité de les réemployer en situation de production.
Nous pensons alors qu’une démarche mettant explicitement en valeur d’une part les relations sémantiques entre les mots, d’autre part leurs relations syntaxiques, favoriserait le réemploi lexical.
Il s’agit donc bien de combiner un travail sémantique à un travail d’ordre syntagmatique.
L’étude du vocabulaire se trouverait alors liée à la grammaire, ce qui éviterait que la didactique du lexique reste prisonnière « du cloisonnement entre vocabulaire et grammaire, et d’une entrée lexicale centrée sur le mot » (Chanfrault – Duchet, 2004 : 103). En conséquence, il s’agit de penser aussi une approche du vocabulaire qui serait menée conjointement à celle de la syntaxe car d’une part cet accent mis sur les combinaisons révèle aux élèves un grand nombre de possibles lexicaux, d’autre part l’explicitation des liens unissant les mots leur permet de développer des procédures d’association qu’ils pourront réinvestir.
C’est pourquoi dans une des mises en œuvre que nous proposons et que nous analyserons, nous avons aussi choisi de travailler explicitement sur certaines combinaisons lexicales. Notre souci n’est pas alors d’étudier avec les élèves les expressions figées qui sont par essence non combinatoires, sauf si, considérées comme des unités lexicales, elles se combinent elles-mêmes à d’autres éléments… Nous souhaitons davantage montrer aux élèves que certains mots s’accordent particulièrement pour exprimer la peur par exemple, puisque c’était le cas à partir des albums que nous avions exploités, afin d’établir un champ plus large de combinaisons possibles et de réfléchir à partir de là aux mots à associer, qu’on peut « mettre ensemble », comme l’a dit un élève, pour exprimer la peur.
Nous pensons dès lors qu’un tel travail explicite sur ce champ lexical et sur les mots à associer pour l’exprimer, permettra aux élèves de mieux s’approprier ces combinaisons pour ensuite les réemployer en situation de production.
Ainsi le travail prenant en compte l’axe syntagmatique est-il combiné à une perspective sémantique indispensable pour les élèves qui doivent, comme nous l’avons signalé, se représenter le concept abordé pour pouvoir s’approprier les mots étudiés.
Néanmoins, ce travail sur l’axe syntagmatique et sur les combinaisons possibles pose aussi la question des normes à partir desquelles il sera envisageable ou non de produire différentes associations. Comme nous le verrons dans les productions des élèves, ce travail axé sur les combinaisons de certains mots entre eux va en effet poser le problème de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas. Ainsi par exemple, il ne sera pas possible d’associer à n’importe quel verbe des mots abstraits pour en faire évoluer le sens. Certaines associations se font, d’autres non et cela doit être dit dans l’enseignement du lexique au risque d’entraîner de fausses représentations quant à la production des combinaisons acceptables.
Toutes ces conceptions ont bien sûr des conséquences sur l’enseignement. Ainsi, il s’avère qu’une trop grande importance accordée à l’aspect morphologique ne permet pas de mettre en œuvre des séances d’acquisition du vocabulaire, mais plutôt des séances qui deviennent des leçons d’orthographe, comme nous l’avons noté. La limite entre orthographe et vocabulaire n’est alors d’ailleurs pas toujours facile à concevoir pour les enseignants. Il est même possible de se demander dans quelle mesure ces séances participent réellement à la mémorisation, à la compréhension et au réemploi du vocabulaire. Néanmoins, comme nous l’avons remarqué également, il est important de ne pas négliger le fait que ces structures morphologiques sont constitutives du lexique, il sera donc impossible de les oublier. Il serait même non pertinent de ne pas les prendre en compte. Il s’agit plutôt de ne pas baser les séances de vocabulaire sur ces seuls éléments et de considérer aussi les constructions à l’échelle des syntagmes.
Nous pouvons donc dire avec E. Calaque (2000) qu’il faut prendre en compte la dualité du lexique.
En effet, il s’agira de considérer le vocabulaire à la fois dans son aspect morphologique et dans son aspect sémantique et il faudra aussi montrer comment ces variations de forme et de sens peuvent s’envisager en relation avec les autres éléments de la phrase, du discours.
C’est précisément sur ces points que se questionnent les enseignants. Et notamment sur la place à accorder à tel ou tel aspect du vocabulaire. S’ils suivent les manuels, ils retrouvent essentiellement une perspective morphologique, ou du moins, le sens et la forme sont-ils rarement mis en relation de manière effective. Ainsi est-il fréquent dans les manuels que le premier chapitre concernant la rubrique « vocabulaire » traite de ses aspects morphologiques et les chapitres suivants de ses aspects sémantiques, dans l’ouvrage Étude de la langue, CM2« Autour de la formation des mots » précède d’ailleurs la partie intitulée « Autour du sens ». Or cela n’est pas satisfaisant, car comme les enseignants le remarquent eux-mêmes, cela ne suffit pas pour structurer le vocabulaire chez les élèves. En effet, s’il s’agit de se baser sur les structures constitutives du lexique pour l’enseigner, en ce qui concerne l’apprentissage les élèves devront structurer mentalement leur propre lexique, et l’enseignant aura à les y aider. Or pour cela, la seule entrée morphologique n’est pas suffisante. D.
Leeman (2000) remarque d’ailleurs que les grandes notions qui structurent l’enseignement du lexique se situent sur l’axe paradigmatique au détriment de l’axe syntagmatique. Ainsi, comme nous l’avons montré, il faut prendre aussi en compte les relations sémantiques au sein de la phrase et travailler alors sur l’axe syntagmatique.
Ces remarques nous amènent alors à dire qu’il s’agit donc de mettre en œuvre un enseignement du vocabulaire qui, sans oublier la morphologie, met l’accent sur les relations sémantiques, ce qui pourra aussi permettre aux élèves de recourir aux structures actancielles des mots, notamment les plus polysémiques, source de difficultés d’emploi et de compréhension. Il s’agira ainsi de se référer aussi aux constructions syntaxiques dans lesquelles sont employés les mots, et de ce fait il faudra réfléchir à une didactique du vocabulaire qui ne prendrait pas le mot comme unique entrée… Il nous semble en effet qu’une perspective didactique pertinente et envisageable pour les enseignants consisterait en un modèle d’appropriation beaucoup plus nuancé, mettant en avant l’intérêt d’un travail sémantique, morphologique et syntagmatique.
Ainsi, en prenant en compte cet état de la didactique du lexique, il peut être possible de tenter de définir à présent les éléments fondamentaux de l’appropriation et du réemploi lexical.
Les différentes facettes du réemploi
Temps et répétition
Dans ce processus d’appropriation, l’un des premiers aspects à considérer est la notion de temps. On ne peut en effet penser que le vocabulaire sera réemployé spontanément par les élèves s’ils le réemploient uniquement dans des séances proches de la première séance d’étude et prévues à cet
effet. Les enseignants ne relèvent d’ailleurs pas toujours de problème particulier concernant ces séances présentant un dispositif didactique proche des séances initiales et dans lesquelles les élèves savent qu’il faut réemployer tel ou tel mot ou expression. Néanmoins nous ne contestons certainement pas la nécessité de telles séances, comme nous l’expliquerons par la suite. Nous disons simplement qu’il n’est possible de considérer le réemploi que dans la durée. Par réemploi nous entendons ainsi le fait que l’élève aura suffisamment intégré le mot en question pour l’utiliser à bon escient sans se dire qu’il est dans une situation construite exprès pour cela, il s’agira bien d’un emploi décontextualisé, d’un emploi que l’on pourrait qualifier de spontané. Or ce réemploi spontané demande du temps, le temps pour l’élève de mettre en lien le mot nouveau au lexique déjà acquis, le temps de rendre ce mot nouveau disponible.
Se pose alors la question de cette intégration du mot au lexique déjà présent chez les élèves… Car, comme le rappelle E. Calaque (2000 : 29), « l’apprentissage du vocabulaire implique un processus d’intériorisation par lequel le sujet s’approprie les mots ».
Méthodologie mise en œuvre
Cadre méthodologique et principes des mises en œuvre
Les mises en œuvre ont ainsi été proposées dans trois classes de l’école primaire au collège. La position adoptée lors de ces séances était celle d’observatrice uniquement. En effet, dans le cadre de cette réflexion sur le réemploi lexical, les mises en œuvre à l’école primaire ont été effectuées par des enseignants PEMF , ou par la professeure de français de la classe pour ce qui concerne les séances en 6ème. En CM2, l’enseignant qui a mis en œuvre les séances proposées n’est pas le titulaire de la classe, mais un enseignant formateur qui y est intervenu à plusieurs reprises dans le cadre de son travail pour l’IUFM.
L’enseignant proposait la leçon aux élèves et il s’agissait lors des observations de porter attention à leurs réactions et leurs commentaires par rapport à ce qui leur était proposé. Nous verrons en effet que leurs remarques sont significatives et témoignent des apprentissages qui ont pu avoir lieu concernant le vocabulaire. Cependant, en ce qui concerne les productions d’écrit, il a été nécessaire qu’il n’y ait alors pas d’observation , notamment en Grande Section de maternelle, car, dès que les élèves voyaient l’observatrice dans la classe, ils savaient immédiatement qu’il s’agissait de parler « de peur et de mots » comme ils l’ont eux-mêmes exprimé lors de l’une des séances. Néanmoins, cette remarque montre déjà le poids d’un enseignement-apprentissage explicite de la langue même chez de jeunes élèves, tout disposés à parler « de peur et de mots » quand c’était le moment…
Cependant, en situation de production nous voulions essentiellement évaluer une capacité à réemployer le vocabulaire de manière beaucoup plus implicite. Pour le travail en Grande Section, il a néanmoins été possible d’écouter les réactions des élèves à partir d’une salle annexe à la classe, afin de noter scrupuleusement leurs diverses propositions lors de la dictée à l’adulte ; en revanche, pour ce qui est du travail proposé en CM2, cela n’a pas été possible, ce qui est moins problématique puisqu’à ce niveau les séances de production telle celle que nous avons proposée s’accompagnent rarement d’interactions.
Descriptif de la démarche mise en œuvre
1ère phase
Puisque, comme nous l’avons dit, il s’agit de prendre appui sur le lexique disponible des élèves, l’enseignant recueille dans un premier temps leurs mots pour dire la peur. Ainsi, nous avons pu entendre des mots tels « fantôme, manoir, ogre » qui correspondent à des choses qui leur font peur, mais aussi « effrayant, peureux, chair de poule » qui permettent souvent d’exprimer l’intensité de cette peur.
Ce travail s’effectue à partir d’un groupement d’albums suggérant la peur. En prenant appui sur les premières de couverture, l’enseignant demande aux élèves de bien préciser quels sont les éléments qui évoquent la peur (expressions du visage, présence de certains personnages…).
Puis l’enseignant, après avoir recueilli les mots proposés par les élèves, leur demande de représenter la peur par un dessin. Il s’agit ici d’expliciter le concept de peur, puisque, nous l’avons vu, il est nécessaire que les élèves puissent se représenter le concept abordé pour qu’ils s’approprient le lexique étudié.
Cette première phase permet de réactiver les connaissances lexicales des élèves sur le sujet, mais elle permettra aussi d’évaluer l’écart entre les mots qu’ils suggèrent en début de travail et ceux qu’ils emploieront en fin de séquence en situation de production. Cette phase permet également de bien asseoir le concept de peur, ce qui est un élément déterminant comme nous avons déjà pu le noter.
Ce lexique ainsi mis au jour est consigné par l’enseignant.
Puis, l’enseignant lira Au loup !de Stéphanie Blake. Lors de cette lecture de l’album, les élèves vont alors pouvoir entendre d’autres manières de dire la peur. Ils devront d’ailleurs lever la main quand ils entendront un mot qui leur fait penser à la peur, il s’agit là d’un prolongement, cela est effectué à d’autres moments dans la classe, ces nouveaux mots disant la peur sont également consignés.
D’autres lectures émailleront le travail.
Ainsi toute une base lexicale est établie avant d’aborder d’autres associations possibles. Par cette réactivation du lexique nous espérons que d’autres combinaisons lexicales à venir pourront plus efficacement s’agréger à ce qui vient d’être reconnu et explicité.
|
Table des matières
Introduction
1. État de la didactique du lexique
1.1. La place du vocabulaire dans les Instructions Officielles
1.1.1. Historique et place du vocabulaire : acquisition et accroissement
1.1.2. Séances spécifiques et enseignement diffus
1.1.3. Types de structures sur lesquelles travailler : des I.O. aux propositions des chercheurs
1.2. Vers une perspective syntagmatique
2. Acquisition et réemploi
2.1. Essais de définition de la notion de réemploi
2.1.1. Les grands principes
2.1.2. Les différentes facettes de la notion de réemploi
2.1.2.1. Temps et répétition
2.1.2.2. Appropriation et approximations : une dimension notionnelle et référentielle
2.1.2.3. Intégration de la dimension textuelle : axe syntagmatique et contextualisation
2.2. Le réemploi : analyse des propositions faites aux enseignants dans différente manuels
2.3. Vers une démarche renouvelée de l’enseignement – apprentissage du vocabulaire
3. Méthodologie mise en œuvre
3.1. Cadre méthodologique et principes des mises en œuvre
3.2. Descriptif et analyse des mises en œuvre
3.2.1. Réemployer des associations lexicales pour dire la peur en Grande Section
3.2.1.1. Descriptif de la démarche mise en œuvre
3.2.1.2. Compte rendu et analyse
3.2.2. Réemployer des mots polysémiques sans contre sens en CM 2
3.2.2.1. Descriptif de la démarche mise en œuvre
3.2.2.2. Compte rendu et analyse
3.2.3. Réemployer à bon escient différentes constructions verbales en classe de 6ème
3.2.3.1. Descriptif de la démarche mise en œuvre
3.2.3.2. Compte rendu et analyse de la mise en œuvre
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Déclaration anti plagiat