La place du numérique dans l’institution scolaire
Qu’il s’agisse du cycle 1, cycle 2 ou cycle 3, les programmes accordent une place importante à l’usage du numérique dans l’institution scolaire. Le numérique constitue un objectif d’apprentissage sans pour autant être une discipline à part entière comme le sont les mathématiques, le français, etc. C’est un objectif inter disciplinaire travaillé par le biais de toutes les disciplines inscrites dans les programmes scolaires. Par conséquent, il n’y a pas une manière de traiter ce sujet mais une multitude de propositions faites par l’institution. Premièrement, le numérique est avant tout un outil que chaque professeur se doit d’utiliser en classe au regard du « Référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation » qui est utilisé pour juger des capacités de celui-ci. La compétence « Intégrer les éléments de la culture numérique nécessaires à l’ exercice de son métier » implique une maîtrise de la part des professeurs. Cette maîtrise passe par l’obtention d’un « certificat informatique et internet » connu sous l’appellation « C2i » ou encore par une « démarche personnelle de développement professionnel » comme le prescrit le référentiel, dans la compétence n°14 intitulée « S’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel ». Ici l’outil numérique a quatre objectifs dont l’individualisation des apprentissages en pratiquant la différenciation, l’appropriation des outils et leurs usages de manière critique par les élèves, « l’usage responsable d’internet » et enfin une utilisation pour échanger et se former en tant que professionnel de l’éducation. Deuxièmement, l’usage du numérique s’inscrit dès le cycle 1 dans les attendus de fin d’école maternelle nommé de la manière suivante « copier à l’aide d’un clavier » dans le domaine 1 d’apprentissage intitulé : « Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions ». Il en est de même dans le domaine d’apprentissage 5 : « Explorer le monde » ayant pour attendu de fin de cycle, soit pour la grande section : « utiliser des objets numériques : appareil photo, tablette, ordinateur. ». Troisièmement, c’est un outil que les élèves doivent s’approprier par une maîtrise correcte inscrite dans le domaine 2 du « Socle commun de compétences, de connaissances et de culture » : « ce domaine vise un enseignement explicite des moyens d’accès à l’information et à la documentation, des outils numériques ». (Ministère de l’éducation Nationale, 2015). Quatrièmement, comme précisé précédemment, le numérique implique une utilisation interdisciplinaire. On peut notamment retrouver dans le programme de questionner le monde au cycle 2 l’attendu de fin de cycle, soit en CE2 : « commencer à s’approprier un environnement numérique » qui consiste en termes de compétences à faire acquérir aux élèves la capacité de « décrire l’architecture simple d’un dispositif informatique » et « avoir acquis une familiarisation suffisante avec le traitement de texte et en faire un usage rationnel. ». De même, le numérique est présent dans les programmes de mathématiques de cycle 2 à travers la compétence « coder et décoder pour prévoir, représenter et réaliser des déplacements dans des espaces familiers, sur un quadrillage, sur un écran » qui peut être travaillé par l’utilisation de robot BlueBot par exemple. Ainsi, le numérique couvre dans l’institution scolaire un large champ d’objectifs d’apprentissages à faire acquérir aux élèves. Cette présentation permet d’y voir une diversité d’approches permettant de donner au numérique une dimension outil aussi bien pour le professeur que pour les élèves et comme un élément de vie quotidienne « à utiliser avec discernement » comme il l’est prescrit dans l’éducation aux médias et à l’information sur Eduscol.
Des variables sociales à prendre en compte
Si cette partie opte pour une approche sociologique c’est parce que Valérie Deroin, chargée d’analyses statistiques au DEPS note « une différence en termes de connexion à internet selon la composition de la sphère familiale. En effet, si la France se positionne 8e au rang des ménages disposant d’un accès à internet, 95 % des ménages avec un enfant dépendant ont accès à internet contre seulement 73 % des ménages sans enfants ». En cela on peut donc estimer que pratiquement la majorité des enfants a accès à internet dans son ménage. Seulement, Caroline Rizza nuance le propos en mettant en avant le fait que « les inégalités socio-économiques et culturelles permettent d’expliquer les disparités face à l’utilisation des technologies ». L’accès à internet, et aux nouvelles technologies impliquent de facto un coût qui scinde la société en deux avec ceux qui peuvent y avoir accès et les autres. En ce sens, malgré l’objectif de l’école qui est de réduire les inégalités, elle ne fait que les renforcer par « la démocratisation du numérique et son accès à l’école tandis que d’autres n’y ont pas accès dans la sphère privée ». Ainsi, Cédric Fluckiger en conclut « qu’à l’exception de quelques élèves issus de familles hautement dotées en capital culturel et technique, les élèves ne peuvent trouver ni dans leur environnement familial, ni dans leur environnement amical, les moyens de développer une maîtrise technique ».
Évaluation des compétences sur traitement de texte
Étant donné que le programme de questionner le monde au cycle 2 attend des élèves d’« avoir acquis une familiarisation suffisante avec le traitement de texte et en faire un usage rationnel » il me semblait adapté d’évaluer les compétences des élèves sur le traitement de texte. Ce recueil de données a été effectué le mercredi 6 février 2019 de manière individuelle sur l’ordinateur de fond de classe. J’avais deux options ; la première étant d’emmener les élèves en classe entière en salle informatique afin de leur faire faire un travail sur traitement de texte ; la deuxième était de les convier à venir un par un effectuer un exercice sur traitement de texte en fond de classe pendant que la titulaire de la classe enseignait au reste du groupe. La première possibilité ne me convenait pas, car c’est une modalité ne permettant pas de saisir les moments de difficultés des élèves, ni leurs remarques ou encore les stratégies effectuées pour réussir. Puis, laisser un élève seul face au dispositif informatique laissait planer le risque d’avoir des élèves dans l’incapacité de me laisser une quelconque trace de leurs connaissances si dès le début ils bloquaient. Alors qu’en étant avec eux, je pouvais les accompagner oralement, leur expliquer quand ils ne savaient pas comment effectuer telle ou telle manipulation pour que la fois suivante ils soient autonomes. Ainsi, j’ai évalué précisément les élèves sur des manipulations dites « classiques » sur un traitement de texte. J’ai donc relevé leurs capacités sur la phrase suivante en notant selon les critères « Acquis », « Besoin d’indications pour réussir » et « Non acquis » sur une grille : « Mer 06 fév , j’ai . » La majuscule était donc un des critères d’évaluation qu’il était possible d’effectuer de différentes manières. Des élèves ont fait la manipulation « SHIFT+ la lettre » alors que d’autres connaissaient la touche « Majuscule » à activer et désactiver. C’était également le cas du point qui était réalisé de ces deux manière là en remplaçant la lettre par la touche du point. La connaissance de la virgule, de l’espace, de la touche pour effacer, du « é » et de la touche permettant d’aller à la ligne était aussi des critères d’évaluation. Il en était de même pour les nombres qui eux aussi étaient permis d’effectuer de trois manières, soit en bloquant la « touche majuscule », ou en faisant « SHIFT + le nombre » ou encore en utilisant le pavé tactile qui était d’emblée activé. Enfin, à la fin de la saisie qui se déroulait uniquement sur le clavier, c’était l’occasion d’évaluer leurs connaissances relevant du logiciel de traitement de texte en leur demandant de surligner « fév », de le mettre en gras puis d’enregistrer leur travail. De cette manière, les élèves se trouvaient dans l’obligation d’utiliser la souris ; temps d’observation que j’ai pris sur la maîtrise de ce composant du dispositif informatique.
Décrire l’architecture d’un dispositif informatique
La capacité à décrire l’architecture d’un dispositif informatique a été évaluée oralement en montrant le dispositif au fur et à mesure des questions. Les élèves n’avaient qu’à nommer les différents composants. J’ai donc pu relever que 99 % des élèves ont été dans l’incapacité de nommer « la tour » dans le dispositif informatique qui correspond à l’unité centrale dans un langage plus soutenu. D’ailleurs certains cherchaient à comprendre à quoi cela pouvait bien servir pour utiliser l’ordinateur. Ainsi, aucun élève n’a été capable de nommer toutes les parties de l’ordinateur, c’est-à-dire la tour, l’écran, la souris et le clavier. Dans la majorité des cas ce qui a posé problème c’était la tour qui semblait inexistante dans le vocabulaire des élèves. La tour a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs tentatives puisque 25 % des élèves ont essayé de la nommer. Inversement, la souris est un composant largement connu des élèves puisque seulement un élève n’a pas été en capacité de nommer ce composant. Finalement, lorsque Cédric Fluckiger parle d’un « déficit en termes de verbalisation », cela se retrouve simplement sur mon recueil de données sur la nomination des différentes parties de l’ordinateur qui fût peu réussie. Cependant, on peut supposer que la disparition des unités centrales, « tours », pour laisser place aux micros unités centrales souvent positionnées de manière horizontale sous l’écran d’ordinateur, expliquent cette non connaissance de la tour. Cela peut aussi s’expliquer par le remplacement presque systématique des ordinateurs et leurs tours par des ordinateurs portables.
Compétences sur un traitement de texte
Il s’agira dans cette partie d’apporter une réponse à l’une des questions de départ qui concernait un possible transfert des compétences personnelles à l’institution scolaire pour faire des élèves des experts en termes de compétences numériques. Tout d’abord, il est important de rappeler l’intitulé de la compétence attendue dans le programme de questionner le monde du cycle 2 qui est la suivante : « avoir acquis une familiarisation suffisante avec le traitement de texte et en faire un usage rationnel. ». De ce fait, pour analyser les compétences des élèves, il me semblait nécessaire de passer par l’utilisation du traitement de texte. Certes la tâche demandée était très simple pour recueillir ces données puisqu’elle consistait à faire réécrire aux élèves ce court exemple : « Mer 06 fév , j’ai . » mais elle m’a permis de récolter beaucoup d’informations sur la familiarisation ou non des élèves avec le traitement de texte. Afin de répertorier ces données, je les ai classées en trois catégories, la première étant une compétence acquise, la deuxième une compétence en cours d’acquisition (celle qui demandait parfois une petite indication pour sa réussite) et enfin la troisième qui correspond à une compétence non acquise même avec l’apport d’une indication. Ces trois catégories reprennent finalement la notation classique du livret scolaire unique avec A+, A, PA, NA. En analysant ces tableaux, nous pouvons d’emblée remarquer une acquisition supérieure concernant les manipulations que l’on retrouve également sur un clavier de téléphone. Par exemple, si on regarde l’acquisition de la touche « espace », elle s’élève à 72 % des élèves, alors qu’en regardant une compétence strictement réservée au traitement de texte, on voit une nette baisse du taux d’acquisition. En effet, seulement 6 % maîtrise la manipulation pour mettre en gras le texte, et pour souligner et seulement 17 % maîtrise la manipulation de la souris. C’est dans ce cas précis que nous pourrions parler de transférabilité des compétences personnelles à l’égard des attentes de l’institution. On peut parler de compétences personnelles puisque nous avions évoqué précédemment le lien entre le type d’équipement auquel l’élève a accès et ses compétences numériques. L’utilisation de l’ordinateur par les élèves étant faible, soit 28 %, cela peut expliquer le manque d’acquisition de manipulation sur le traitement de texte. Également, le fait que la moitié des élèves utilisent le téléphone portable, met en évidence les compétences largement acquises par les élèves, puisque ce sont des compétences à maîtriser aussi sur le clavier du téléphone. Seulement, si on regarde parmi toutes les compétences évaluées, la moitié uniquement dépasse un seuil de 50 % d’acquisition sur l’ensemble de l’échantillon, soit un faible taux de réussite pour une génération dite « internet ».
Conclusion
Grâce à l’ensemble des données récoltées par les questionnaires, la pratique des élèves sur le traitement de texte et les questions qui leur ont été posées, on ne peut qu’aller dans le sens de Cédric Fluckiger. Celui-ci note une réelle difficulté à transférer les compétences personnelles en numérique à l’institution scolaire, en expliquant cela par le type d’activité mené sur le dispositif numérique. Le rapport que les élèves de CP entretiennent avec les technologies aujourd’hui, ne leur permettent pas d’acquérir « haut la main » les compétences numériques attendues au cycle 2 dans le programme de questionner le monde. L’environnement familial, qui faisait également partie des hypothèses de variables influençant les compétences numériques des élèves, s’est révélé avoir peu d’impact en termes de taux d’équipement dans la sphère familiale, de la catégorie socioprofessionnelle des parents et le temps passé sur les écrans. De ce fait, que l’accès soit libre ou contraint, que le temps passé soit long ou bref, les compétences sur traitement de texte des élèves ne sont pas satisfaisantes pour parler d’élèves aux capacités innées en numérique. Ainsi, la plupart des élèves utilisent les écrans à des fins ludiques, notamment pour visionner des films, des dessins animés, pour écouter la musique ou encore pour jouer. Cette variable de l’activité menée sur les écrans est une des raisons les plus flagrantes sur la possibilité des élèves à transférer ou non leurs compétences personnelles. Or, l’institution scolaire attend des élèves qu’ils soient capables de connaître l’architecture simple d’un dispositif informatique et de se familiariser avec le traitement de texte ; compétences non nécessaires aux activités ludiques menées sur les écrans par les élèves.
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Table des matières
Introduction
La place du numérique dans l’institution scolaire
La génération internet
Les inégalités numériques au cycle 2 malgré une propension d’accès à internet de plus en plus proche des 100 %
Partie 1 : Apports théoriques
1 – Facteurs explicatifs du paradoxe entre une génération internet et un déficit de compétences numériques du point de vue institutionnel
A – Compétences numériques
B – Un usage personnel différent de l’usage scolaire
C – Transfert des compétences personnelles dans le champ institutionnel ?
D – Des variables sociales à prendre en compte
E – Influence de ces variables sur les compétences techniques des élèves
Partie 2 : Questionnements, méthodologie de recherche et présentation de l’échantillon
1 – Choix du sujet
2 – L’échantillon
3 – Présentation du protocole de recherche
A – Recueil des représentations
B – Évaluation des compétences sur traitement de texte
C – Questionnaire aux familles
Partie 3 : Analyse des données
1 – Notions de « numérique », « informatique », « écran »
2 – Décrire l’architecture d’un dispositif informatique
3 – Équipement des écrans dans la sphère familiale
4 – Accès et usage
5 – Compétences sur un traitement de texte
Conclusion
Annexe 1
Annexe 2
Bibliographie
4ème de couverture
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