La place du journal des apprentissages dans l’évaluation des acquis scolaires
Donner du sens aux apprentissages, voilà le fil conducteur que devrait suivre tout enseignant pour rendre les élèves autonomes dans leurs apprentissages. Durant sa vie, chaque individu est amené à se faire confiance pour prendre ses propres décisions, pour construire son avenir. Il est acteur de sa vie. Mais je pense qu’il ne faut pas attendre l’âge adulte pour s’écouter et se construire de manière autonome. Dès l’école maternelle, l’élève est capable de devenir acteur, non pas acteur de sa vie mais acteur de ses apprentissages. Mais « donner du sens » n’est pas une chose simple, cela nécessite la prise en compte d’une multitude d’éléments tels que le désir d’apprendre, le rapport au savoir, l’autoévaluation, etc.
L’autoévaluation m’intéresse particulièrement. Dans « autoévaluation » on retrouve le terme « auto » qui se rapporte à « seul », soit à l’autonomie. Puis nous retrouvons le terme « évaluation », un passage incontournable dans la scolarité de l’élève pour connaitre les acquis et les compétences à retravailler dans le but de former un citoyen éclairé, autonome et socialement éduqué. Cet aspect de l’évaluation me paraît incontournable dans la construction d’un élève acteur de ses apprentissages. Mais comment permettre cette autoévaluation ? A l’oral ? A l’écrit ? Est-elle suffisante ou représente-t-elle des limites ? En me rendant dans des classes de cycles différents, de la maternelle au CM2, je me suis rendu compte que des enseignants accordaient une grande importance à la verbalisation des élèves ; verbalisation sur les procédures de résolution de problèmes ou encore verbalisation pour répondre à la question « qu’avez-vous appris aujourd’hui ? » ou « qu’avez-vous appris la dernière fois ? ». Lorsque l’enseignant posait cette question, j’ai remarqué que les élèves volontaires avaient plutôt tendance à décrire les activités réalisées plutôt que les acquis scolaires. La présence de l’enseignant servait donc à recentrer la réflexion sur les apprentissages. Mais cette aide ne permet pas à l’élève d’être autonome dans l’évaluation de ses apprentissages. D’autre part, j’ai remarqué que les élèves volontaires étaient souvent les mêmes. Plusieurs questions me sont alors venues : l’expression orale serait-elle un frein à l’expression de ses acquis scolaires ? Estce un problème de mémorisation des acquis ? Est-ce un problème de timidité du fait de s’exprimer devant les autres ? Ainsi, je me suis interrogée sur l’utilité de l’écriture pour exprimer ses apprentissages.
Le journal des apprentissages et sa méthodologie
L’apport de Jacques Crinon
Le journal des apprentissages est un journal réflexif qui « consiste à faire récapituler librement par écrit aux élèves, à la fin de chaque journée, ce qu’ils ont appris au cours de la journée, et à faire lire chaque matin par quelques-uns le contenu de leur journal à la classe qui en discute ». Les élèves vont produire un écrit de plus en plus réflexif dans le temps grâce à deux points :
➤ L’activité de lecture orale devant la classe. Elle permet de favoriser une conversation métacognitive avec les pairs. Les informations données par l’élève peuvent être discutées ou remises en cause, l’élève apprend donc à préciser sa pensée, à préciser son point de vue et à le justifier.
➤ Le retour de l’enseignant qui va affiner les repérages des élèves.
L’enjeu du journal des apprentissages est d’apprendre à identifier des catégories de savoir en les plaçant dans une discipline. Le journal peut « permettre à des élèves en difficulté lourde de progresser vers la réflexivité ». Mais il est difficile pour les élèves d’identifier les savoirs qui se cachent dans des exercices que certains élèves ne pensent pas à mettre en lien avec la leçon qui a précédée. Les deux principaux bénéfices sont l’identification des domaines disciplinaires et la prise de conscience des enjeux des apprentissages.
Le journal a des exigences progressives pour mettre l’élève en situation de confiance et de réussite. C’est l’élève qui doit complexifier sa tâche en fonction de là où il en est dans sa réflexion. L’objectif n’est pas de viser des écrits de hautes qualités au début, il faut viser une réflexivité continue. Le journal est un dispositif ritualisé pour qu’il y ait une progression de la réflexivité chez l’élève. Le conflit socio-cognitif entre les élèves va conduire les élèves à transformer leurs écrits : ils vont passer du « on a fait » à « j’ai appris ». Le journal est une pratique qui n’est pas évaluée, elle est libre. Pour autant, les élèves ne doivent en aucun cas être laissés à eux-mêmes. Les sollicitations de l’enseignant permettent de donner de l’intérêt aux élèves. Il guide sans pour autant donner des consignes de travail. C’est ainsi qu’il transmet l’objectif réflexif du journal.
Tous ces éléments sont le fruit de la recherche de Crinon qui a basé toute sa réflexion sur le concept de « secondarisation ». « Les termes de « second » et de « secondarisation » trouvent leur origine dans la distinction faite par Bakhtine (1984) entre genres (de discours) premiers et genres seconds, distinction élaborée pour un champ de pratiques (la production littéraire) éloigné du champ scolaire. Les genres premiers peuvent ici être décrits comme relevant d’une production spontanée, immédiate, liée au contexte qui la suscite […] Les genres sont seconds, lorsque, fondés sur les premiers, ils les travaillent » . En d’autres termes, le concept de « secondarisation » vise une reconfiguration cognitive, c’est-à-dire une transformation de la prise en compte de la tâche scolaire. Au sens premier, l’élève va faire parce que l’enseignant lui demande de faire alors qu’au sens second, l’élève va identifier les enjeux cognitifs de cette tâche, il va faire pour apprendre et pour comprendre. Ce processus vise donc à ne plus rester dans la description des tâches scolaires mais plutôt à identifier ce qu’elles permettent d’apprendre. Adopter une attitude de secondarisation à l’école est donc essentiel puisqu’il ne s’agit pas de faire mais de comprendre ce qu’on fait et comment on le fait.
Les champs théoriques
Le récit de soi au travers d’un journal
Bref historique du récit de soi…
Le recours aux histoires vécues par les élèves est apparu au début du 20ème siècle grâce à l’initiative de Octave Gréard, directeur de l’instruction primaire de la Seine sous le ministère de Victor Duruy. Ce projet visait à la base l’apprentissage de la langue par l’expression de son vécu. Mais ce modèle conduisait les élèves à inventer leur vécu pour répondre aux attentes de l’enseignant. C’est alors que Célestin Freinet propose, dans le cadre du mouvement pour la pédagogie nouvelle, un nouveau projet éducatif autour des textes libres . C’est un « outil pédagogique » qui offre une toute liberté à l’élève. Il permet aussi à l’enseignant de s’intéresser de plus près aux centres d’intérêts des élèves qui deviendront la base de son enseignement. Cette pédagogie permet de donner la parole aux élèves.
Les instructions officielles de 1972 modifient la conception de Célestin Freinet en obligeant le texte libre à ne pas sortir du cadre de la classe. Sa fonction n’est donc plus la communication mais l’expression personnelle, la reconstitution de son vécu. Les élèves ne sont pas obligés de partager leur texte avec l’enseignant, ce qui montre un premier pas vers l’évaluation formative.
Les instructions officielles de 2002 généralisent l’écriture dans tous les domaines d’enseignements, non plus seulement au français. Des « écrits de travail » se mettent en place dans toutes les disciplines, on les appelle « écrits pour apprendre». Ce sont des « écrits pour soi » car ils ne sont pas évalués par l’enseignant. Ils peuvent servir de support retraçant le parcours intellectuel de l’élève. L’objectif des instructions est alors la construction d’un élève autonome face aux savoirs qu’il doit élaborer. Ceci peut être mis en place dès l’âge de 7 ans environ selon les recherches de Lev Vygotski . A partir de cet âge, la quantité du langage égocentrique de l’enfant, autrement dit le langage destiné à soi-même, diminue, mais sa qualité augmente fortement. Apparenté au langage intérieur, ce langage permet à l’enfant de raisonner et de penser sur lui-même pour répondre à des difficultés. Si le langage réalise la pensée, alors l’écriture, qui est un langage écrit, devient une activité réflexive.
… pour comprendre son importance…
Parler de soi c’est se construire sa propre identité et apprendre à mieux se connaitre. En effet, ce que les élèves « connaissent le mieux et ce qui demande le moins de références littéraires est incontestablement ce qu’ils ont vu ou vécu » . En parlant de soi, l’élève sait de quoi il parle, ainsi l’écrit fait sens pour lui. En effet, l’écriture de soi permet une réflexion sur soi, donc la compréhension de la réalité. Il est intéressant d’utiliser l’écriture comme moyen pour accéder à la compréhension car « utiliser l’écriture pour comprendre a non seulement pour conséquence d’améliorer la cohérence des écrits produits par les élèves […] mais aussi de «dédramatiser » le rapport à l’écrit des élèves les plus en difficulté. » . C’est en se représentant et en comprenant la réalité que l’élève comprendra finalement mieux ses apprentissages et pourra être davantage en mesure de les évaluer. De ce fait, cette recherche s’intéresse de près à l’individu et permet de s’inscrire dans le cadre « Personne ».
Il me semble également important d’accorder une place à l’écriture de soi car cela permet de valoriser l’estime de soi. En outre, plus l’estime de soi est bonne, plus l’élève se sent capable de se situer et d’évaluer ses apprentissages. Bruno Hubert explique que le fait de raconter son vécu ou ses ressentis à l’écrit et de les justifier rassure l’élève dans l’activité d’écriture. Mais écrire sur soi c’est aussi permettre à l’élève d’être intégré dans le milieu scolaire et ce malgré ses origines. En effet, raconter ses écrits à ses camarades leurs permet à tous de faire des liens entre le vécu de chacun et ainsi d’être pris en considération, ceci développe aussi l’empathie. Le fait que les autres écoutent l’élève, le comprennent et parlent de son histoire lui permet de se sentir reconnu. Nous pouvons faire le parallèle avec le journal des apprentissages qui consiste principalement à l’expression de ses pensées à l’écrit mais qui donne une importance au partage avec ses pairs lors des oraux.
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Table des matières
Introduction
Le journal des apprentissages et sa méthodologie
1. L’apport de Jacques Crinon
2. Ma démarche
Les champs théoriques
1. Le récit de soi au travers d’un journal
a) Bref historique du récit de soi
b) … pour comprendre son importance
c) … et le différencier de l’autobiographie
2. Réflexivité et métacognition au service des apprentissages
a) La métacognition et ses objectifs
b) Une tendance actuelle dans les programmes
3. Devenir acteur de ses apprentissages : quelle place pour l’évaluation ?
Les résultats de la recherche
I. Penser par l’entremise de l’écriture
1. Une réflexivité pour soi
a) Apprendre à se connaître de manière autonome
b) Le rôle des pairs, de l’enseignant et de la famille
2. Rendre compte de ses apprentissages
a) Différencier le « faire » du « apprendre »
b) Différencier le « apprendre » du « comprendre »
3. Tenir à l’écart la maitrise de la langue, à quel prix ?
a) Appréhender autrement l’entrée dans l’écrit
b) Une perte d’efficacité quant au développement des compétences langagières
II. Une évaluation autonome mais partielle de ses apprentissages
1. Des disparités dans l’évolution des écrits
2. Dimension temporelle du dispositif
a) Un dispositif coûteux en temps
b) …mais qui permet aussi d’en gagner
3. Se donner l’effort de s’évaluer : quel rôle pour la motivation ?
Conclusion
Bibliographie et sitographie
Annexes