La place des petites villes dans la constitution des armatures nationales

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L’hรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ des petites villes

Grands contrastes rรฉgionaux et familles de petites villes

La cartographie systรฉmatique du semis de petites villes -tous les cinq ans de 1955 ร  1985- et sa mise en rapport avec des phรฉnomรจnes gรฉographiques, nous permettent dโ€™analyser les modalitรฉs de la densification du semis. Certains faits de localisation peuvent รชtre isolรฉs et certains hรฉritages soulignรฉs. Ainsi รฉmergent des gรฉnรฉrations et des familles de petites villes.

Les regroupements, les axes

La simple observation de lโ€™รฉvolution du semis laisse apparaรฎtre des regroupements et des diffรฉrences structurelles entre pays ou rรฉgions :
un semis dense dรจs le dรฉbut des annรฉes 60, dans les parties mรฉridionales du Togo et du Ghana notamment (Fig. 9), des regroupements sur des axes qui perdurent (Littoral ghanรฉen et togolais, fleuve Sรฉnรฉgal et Niger) ou qui sโ€™effacent (Du nord ivoirien ร  Tombouctou et du centre-est ghanรฉen au centre-nord togolais : Fig. 9), au profit dโ€™autres (route nord-sud au Togo, route ouest-est au sud de la Mauritanie : Fig. 10), des nรฉbuleuses qui apparaissent et se renforcent durant la pรฉriode, au Burkina Faso, en pays mossi et dans le sud-ouest autour de Bobo Dioulasso, et au centre ouest ghanรฉen (Fig. 10), des trames plus ou moins denses qui se mettent en place sur la quasi totalitรฉ des espaces ouest africains.
Il faut bien sรปr invoquer :
les hรฉritages prรฉcoloniaux : formations politiques et รฉconomiques (pays ashanti, mossiโ€ฆ), axes commerciaux (Fig. 10) (ยซย routes de la colaย ยป notamment, et ยซย portsย ยป du Sahel) ; les hรฉritages coloniaux : avec notamment le dรฉveloppement des plantations et le privilรจge accordรฉ aux axes littoraux et ferroviaires ; la tendance postcoloniale au renforcement de la trame administrative, et au dรฉveloppement du trafic routier.

Milieux et petites villes

Les grands contrastes de milieux et de mise en valeur agricole jouent รฉgalement un rรดle : ร  petite รฉchelle lโ€™opposition dรฉsert/Sahel et lโ€™opposition savane/milieu forestier. Cette derniรจre est d’ailleurs bien nette en Cรดte-dโ€™Ivoire (Chalรฉard et Dubresson, 1989) oรน le contact entre ces domaines est รฉgalement soulignรฉ par une sรฉrie de petites villes qui redessinent un ยซย Vย ยป baoulรฉ.
Cependant, au sein dโ€™une mรชme entitรฉ รฉcologique, les diffรฉrences de milieu ne peuvent expliquer des รฉvolutions divergentes. C’est le cas pour la partie sahรฉlienne du Mali oรน J. Gallais (1988), lorsqu’il s’intรฉresse aux consรฉquences migratoires de la sรฉcheresse, note des รฉvolutions urbaines contrastรฉes. La plupart des grandes et moyennes villes (Segou, Mopti, Gao, Tombouctou, mais pas Kayes) ont fonctionnรฉ comme refuge avec une croissance soutenue au cours des annรฉes 70 et 80. Les petits centres urbains ont pu jouer le mรชme rรดle (Nioro) voire mรชme, pour de tout petits centres, fonctionner comme ยซย niche de repliย ยป et รฉmerger comme petite ville, c’est le cas notamment de plusieurs localitรฉs du Gourma sinistrรฉ autour de Gao : Gossi, Tonka, Gourma Rharous, Badji Gourma, Bourem, Ansongo et Mรฉnaka ; dans le mรชme temps, le Moyen-Niger, voit la plupart des petites villes, solidaires de leur environnement, stagner ou perdre une partie de leurs effectifs (Djennรฉ), mรชme si quelques-unes รฉmergent (Konna, Sofaraโ€ฆ).
L’exploitation du milieu tropical humide sous forme de plantations, ou celle des richesses naturelles locales sous la forme de mines, peut รฉgalement gรฉnรฉrer des agglomรฉrations. Le semis urbain du Liberia, avec d’une part les plantations d’hรฉvรฉa de Firestone et de la bourgeoisie amรฉricano-libรฉrienne, et d’autre part les mines, dont la plus importante est celle de la LAMCO (Liberian-American Minerals Cยฐ Joint Venture) sur les flancs du mont Nimba, est celui qui fait la part la plus belle ร  des organismes qui s’apparentent davantage ร  des camps qu’ร  des villes (Salles, 1979 ; Marguerat, 1985). Ainsi mis ร  part les centres principaux (Harbel pour les plantations Firestone ; Yekepa et Camp IV pour la LAMCO), les autres sites voient leur population fluctuer et surtout relever de diffรฉrentes entitรฉs selon les recensements34 ; des plantations de plusieurs milliers d’habitants disparaissent (ยซย Firestone Div. 10, 44, 45″35 ; ยซย Goodrich Plantationย ยป) tandis que d’autres apparaissent (ยซย Cocopa plantationย ยป), de mรชme pour des concessions miniรจres sur les sites de Mano River, Bongo Mine et Bomi Hill. Ce phรฉnomรจne reste marginal dans les Voir ร  ce sujet l’analyse du recensement de 1984 et le tableau rรฉcapitulatif (p. 9) rรฉalisรฉ par K.-H. Hasselmann en 1989, sous le titre :Urbanization in Liberia. An analysis of the 1984 Census Data. ยซย L’habitat-camps de travailleurs, ports, centres industriels et urbains vit et meurt en fonction des calculs รฉconomiques de la firme d’Akronย ยป (Bruneau et Courade, 1983, p. 79).
La petite ville, un milieu adaptรฉ aux paradoxes de l’Afrique de l’Ouest : รฉtude sur le semis, et comparaison du systรจme spatial et social de sept localitรฉs (Togo, Ghana, Niger) / Frรฉdรฉric Giraut/ Thรจse Universitรฉ Panthรฉon-Sorbonne, 1994 autres pays d’Afrique de l’ouest, tandis qu’il est fondamental dans la constitution de l’armature urbaine libรฉrienne, pays forestier sous-peuplรฉ, oรน les centres secondaires liรฉs ร  une fonction d’encadrement des campagnes (des plantations36) sont rares. Ils doivent plutรดt leur fortune ร  une position frontaliรจre (Zorzor, Kolahun, Voinjama, Saniquellie, Ganta) ou de carrefour (Zwedru, Tappita, Kakata, Gbarnga).
Mais quelles que soient leurs origines -รฉcologique, historique ou รฉconomique-, de grandes diffรฉrences structurelles se maintiennent, notamment dans lโ€™architecture des armatures urbaines. Depuis 1970, le nombre des petites villes ivoiriennes ne constitue que 73 ร  80 % des centres urbains du pays, alors que celles du Ghana reprรฉsentent plus de 85 %, celles du Togo et du Burkina, plus de 90 %, enfin celles du Niger, du Mali et du Liberia se situent autour de 80%.

Une gรฉnรฉration fonctionnelle spรฉcifique

Nous avons vu que la catรฉgorie des petites villes est traversรฉe par des localitรฉs en pleine expansion, tandis que d’autres s’y attardent ou s’y installent. En fait, il est possible de distinguer des gรฉnรฉrations de petites villes. Ces gรฉnรฉrations sont constituรฉes de diffรฉrents types selon les localisations relatives aux รฉlรฉments structurants de l’espace. Cette typologie n’est รฉvidemment qu’un moyen d’isoler des facteurs dominants, mais elle n’exclut pas les combinaisons qui sont bien souvent la rรจgle, notamment avec la nature du milieu rural environnant qui sera abordรฉ dans la partie suivante. Rappelons la mise en garde de Catherine Coquery-Vidrovitch (1993) lorsqu’elle tente d’รฉtablir une typologie historique des villes africaines prรฉcoloniales : ยซย il est bien รฉvident que toutes les villes africaines sont des hybrides et que ces hybrides se sont parfois constituรฉs sur une trรจs longue durรฉe. Plus qu’une typologie, tout au plus pourrait-on proposer une chronologie de l’urbanisation africaine, tout en gardant bien en l’esprit qu’un tel schรฉma est nรฉcessairement rรฉducteur.ย ยป (p. 45)

Les รฉtapes routiรจres

Il semble bien qu’au cours des annรฉes 1960 et 1970, la localisation sur un axe routier devient un facteur majeur dโ€™รฉmergence dโ€™une nouvelle gรฉnรฉration de centres (Fig. 10). Les routes Abidjan-Yamoussoukro et Abidjan-Man via Gagnoa sont ainsi redessinรฉes par le semis des petites villes de 1980.
A partir du cas camerounais, Bruneau et Courade remarquent que ยซย la ville fait figure de parasite pour les plantations mais de nรฉcessitรฉ sociale pour leurs salariรฉsย ยป (1983, p. 84).
Si nombre de nouvelles petites villes profitent de lโ€™existence de la route, toutes ne sont pas des รฉtapes ou des carrefours. Par exemple, le long de la nouvelle route de lโ€™Unitรฉ au sud de la Mauritanie, sโ€™รฉgrรจnent nombre de petits centres commerciaux qui fonctionnent comme refuges pour populations sinistrรฉes (Dโ€™hont, 1986). Qui plus est, les routes principales sont bien souvent greffรฉes sur un ou plusieurs autres รฉlรฉments structurants de l’espace qui peuvent aussi engendrer des fonctions urbaines contemporaines (frontiรจre), ou qui constituent des hรฉritages non nรฉgligeables (chemin-de-fer, littoral, fleuve).
Une รฉtude systรฉmatique (F.W. Young, 1989) rรฉalisรฉe sur les pays cรดtiers d’Afrique de l’ouest (Bรฉnin, Togo, Ghana, Cรดte-d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, Guinรฉe, Guinรฉe Bissau) confirme ce qui pour nous est une รฉvidence cartographique et gรฉographique, que nous approfondirons pour les trois cas nationaux traitรฉs dans la seconde partie de ce livre premier. Cette รฉtude, basรฉe sur l’exploitation des donnรฉes portรฉes sur la carte Michelin sur l’Afrique du nord et de l’ouest, montre que la densitรฉ du rรฉseau routier et son taux de revรชtement, sont des variables qui jouent positivement pour expliquer la densitรฉ du semis de petites villes, ainsi que celui des villes moyennes (Tab. 7). Ces variables sont d’ailleurs รฉtroitement corrรฉlรฉes ร  la densitรฉ de population, et le taux de revรชtement est utilisรฉ par l’auteur comme un indicateur de dรฉveloppement des rรฉgions subnationales qui servent de cadre ร  l’รฉtude (43 pour 8 pays).

Vers une gรฉnรฉration spontanรฉe de centres ruraux ?

Comment isoler le phรฉnomรจne ?

Le constat de la multiplication des petites villes, basรฉe en partie sur des crรฉations spontanรฉes qui rรฉpondent ร  de nouveaux besoins locaux, n’est pas nouveau ; il figure en bonne place dans l’ouvrage sur les villes du Tiers Monde de M. Santos publiรฉ en 1971. Dรฉjร , il s’accompagnait de la dรฉfinition des ยซvilles localesยป : ยซย organismes urbains rรฉpondant aux nรฉcessitรฉs primaires et immรฉdiates des populations localesย ยป (p. 352). La mรชme annรฉe, l’auteur, dans son ouvrage sur Le mรฉtier de gรฉographe en pays sous-dรฉveloppรฉs, utilisait รฉgalement le qualificatif d’ยซembryonnaireยป pour dรฉfinir le bas des armatures urbaines dans le cadre d’une classification en quatre groupes. Ces villes embryonnaires regroupaient aussi bien des centres coloniaux externes que des ยซย villes naissantesย ยป et des ยซย embryons urbainsย ยป. Autrement dit le type fonctionnel des villes locales est hรฉtรฉrogรจne, s’il peut relever d’une crรฉation spontanรฉe liรฉe ร  la satisfaction du bassin demandeur environnant, il peut aussi correspondre ร  un ancrage local de centres externes ou de centres qui exploitent par ailleurs une position d’รฉchelle rรฉgionale ou interrรฉgionale.
Au Burkina Faso, nombre de petites agglomรฉrations dรฉpassent le seuil des 5 000 habitants au dernier recensement de 1985. Derriรจre les 13 villes officielles, 120 centres ont en fait acquis une taille urbaine minimale, contre 63 en 197539. A l’ouest de Tenkodogo, en pays bissa, ร  la limite du pays mossi, deux localitรฉs voisines font partie des nouvelles petites villes. Il s’agit d’un petit centre rural, Niaogho, et d’une place commerciale situรฉe sur l’ancienne route de la cola, Beghedo (Faure, 1993). L’รฉlite commerรงante de cette derniรจre est aujourd’hui reconvertie dans le nรฉgoce d’une production locale recherchรฉe, l’oignon. Mais les commerรงants de Beghedo tendent ร  intรฉgrer toute la filiรจre de production de cette culture spรฉculative, ils se font producteurs et entrent en conflit avec la citรฉ voisine de Niaogho et ses รฉlites, dรฉtentrices du terroir, mais dรฉpendantes รฉconomiquement des commerรงants, usuriers ร  l’occasion. Le conflit s’est รฉtendu ร  la question politique avec l’enjeu du statut de chef-lieu d’arrondissement que les centres se disputaient, et que chacun a fini par obtenir. On voit avec cet exemple que des genรจses diffรฉrentes n’empรชchent pas deux localitรฉs d’รฉmerger simultanรฉment et d’รชtre concurrentes en tant que centres locaux dans un contexte agricole dynamique.
Le milieu rural peut donc gรฉnรฉrer des centres locaux, soit par rรฉappropriation de centres externes soit par l’รฉmergence de petites villes ร  partir du rรฉseau de bourgs. Madagascar, par son histoire urbaine, offre un bon observatoire extรฉrieur ร  notre aire d’รฉtude. La plupart des centres, y compris ร  l’รฉchelle locale, sont d’origine extรฉrieure, crรฉรฉs par la monarchie Hova ou plus tard par l’administration coloniale. Cependant dรจs les annรฉes 60, les observateurs notent un enracinement de ce semis de base. R. Gendarme, citรฉ par Santos (1971, p.34), voit se dรฉvelopper ยซย une quarantaine de petites villes trรจs bien adaptรฉes ร  l’รฉconomie rurale prรฉdominanteย ยป. P. Le Bourdiec prรฉcise en 1971 que les 48 chefs-lieux de district qui n’ont pas รฉtรฉ รฉlevรฉs au rang de commune urbaine ยซย prennent racineย ยป. Dans une discussion concernant l’รฉvolution de la fin des annรฉes 7040, il estime que le mouvement d’enracinement se poursuit dans le cadre du recul de l’ร‰tat et que l’on assiste en fait ร  la mutation de nombreux centres en ยซvilles authentiquesยป. Le phรฉnomรจne est interprรฉtรฉ diffรฉremment par G. Rossi (citรฉ par Y. Marguerat, 1982, p. 22) qui parle de dรฉsurbanisation en constatant la mort lente de nombreux centres urbains qui redeviennent de ยซgros villagesยป.
Avec ces exemples, on voit les difficultรฉs ร  isoler le phรฉnomรจne du dรฉveloppement des petites villes sur fond de mutation de la demande rurale. En effet, il peut procรฉder de l’รฉmergence de gros bourgs dans lesquels les observateurs ne perรงoivent pas l’urbanitรฉ, ou de la ยซnaturalisationยป de centres exogรจnes.

Des germes urbains potentiels dans le semis rรฉgulier des marchรฉs

Partant d’une interrogation sur le dynamisme rural et l’urbanisation, nous nous sommes orientรฉs vers les dynamismes commerciaux locaux et rรฉgionaux. L’imbrication entre ces deux termes -dynamisme rural et dynamisme commercial- semble permanente, malgrรฉ les diffรฉrentes tentatives รฉtatiques de contrรดle des รฉchanges agricoles. Le dรฉveloppement actuel des cultures vivriรจres commerciales, particuliรจrement spectaculaire en Cรดte-d’Ivoire, offre une illustration des relations systรจmiques qu’entretiennent les dispositifs commerciaux avec les dynamiques urbaines et agricoles. Ainsi J.-L. Chalรฉard remarque ยซย Dans les rรฉgions รฉloignรฉes des grands centres urbains, le dรฉveloppement des ventes [de produits vivriers] a รฉtรฉ rendu possible par la mise en place rapide d’un systรจme de commercialisation fondรฉ, entre autres, sur l’existence de gros marchรฉs de collecte, nรฉs spontanรฉment, et sur la prรฉsence de transporteurs, hรฉritages de traditions anciennes, dans les villes du Nord, ou rรฉsultat de multiplicitรฉ des flux dans le Sudย ยป (1996, p. 611).
Avec l’imbrication des dynamismes ruraux et commerciaux, nous touchons en fait un trait particulier des ยซย rรฉgions d’รฉconomie primaire44ย ยป dont parle M. Rochefort (1990), et qui ยซย possรจdent chacune un rรฉseau de ville particulier, dont les caractรฉristiques sont issues de celles de la base รฉconomique.ย ยป (p. 226).
Concernant la forme de ces rรฉseaux urbains rรฉgionaux en ยซย รฉconomie primaireย ยป, diffรฉrents auteurs s’accordent pour estimer que ยซย dans un monde ร  prรฉdominance rurale : il faut une trame serrรฉe de lieux centraux pour que tous puissent y avoir accรจs, mais leur hiรฉrarchisation n’est pas nรฉcessaireย ยป (Claval, 1981). Dans le cadre du Tiers-Monde, M. Santos (1971, p. 183 et 184) estime que c’est dans les petites villes que la population pauvre trouve les services urbains qui lui sont accessibles, il n’y a donc pas pour elle de rรฉseau urbain hiรฉrarchisรฉ, seule la bourgeoisie, peu nombreuse, a accรจs ร  une hiรฉrarchie de services. Une telle analyse se focalise sur les notions de services et de polarisation, nรฉgligeant momentanรฉment les dynamiques productives internes ร  la sphรจre urbaine. Elle permet d’isoler la question des fonctions, et pour les petites villes, celle des relations avec l’arriรจre pays.
Une รฉtude rรฉcente sur ยซles villages-centresยป du bassin arachidier sรฉnรฉgalais (Galaup, 1991), rรฉvรจle les ressorts contemporains de l’รฉmergence de nombreuses petites villes. Une rรฉorganisation administrative (introduite en 1972) et commerciale promeut de nombreux villages en ยซย villages-centresย ยป de ยซย communautรฉs ruralesย ยป (317 pour l’ensemble du Sรฉnรฉgal). Cela se traduit par la diffusion d’รฉquipements, d’infrastructures et d’antennes de services publics d’encadrement du dรฉveloppement. Un rรฉseau de micro places centrales se met donc en place qui va bรฉnรฉficier de la systรฉmatisation du marchรฉ hebdomadaire qui remplace dรฉfinitivement le systรจme de traite. Il faut noter que quelques localitรฉs รฉtaient dรฉjร  hรฉritiรจres d’une certaine centralitรฉ, en marge du systรจme colonial. Il s’agit des bourgs du Sine Saloum qui rassemblaient quelques milliers d’habitants au dรฉbut du siรจcle, et qui servirent de centres de collecte รฉlรฉmentaire de l’arachide. Situรฉs ร  l’amont des compagnies de traite basรฉes le long de la voie ferrรฉe, ces petits centres รฉtaient tenus par le commerce libanais.
Parmi les villages-centres, et donc au sein du rรฉseau de bourgs-marchรฉs d’essence rurale, รฉmergent de nombreuses petites villes, qui rattrapent d’anciennes communes voisines (ยซescalesยป et centres administratifs coloniaux)45. Cela correspond d’ailleurs ร  l’accomplissement du projet initial qui souhaitait lier, centralitรฉ, dรฉveloppement urbain de base et dรฉveloppement local, et qui projetait l’รฉmergence de quelques dizaines de villages-centres dans une catรฉgorie urbaine รฉlรฉmentaire jusqu’alors occupรฉe par quelques communes.
Les facteurs qui expliquent ces รฉmergences sont nombreux, mais ils n’opรจrent pas tous au mรชme niveau de sรฉlection. Il semble que la nature mรชme des villages-centres en fait des organismes particuliรจrement adaptรฉs aux besoins du monde rural du Bassin arachidier, cela par l’offre de services et d’infrastructures commerciales qu’ils proposent et qui sont en partie rรฉappropriรฉs par ce monde rural. En effet, l’รฉconomie agricole du Bassin arachidier connaรฎt une crise profonde qui se traduit par une mutation et une diversification des productions, l’arachide ne disparaรฎt pas, mais sa culture est plus systรฉmatiquement complรฉtรฉe par celle du mil, par le maraรฎchage et par l’รฉlevage. Ce sont ces productions qui ont permis de rรฉtablir ร  la campagne le double flux des รฉchanges que la suppression de la traite avait tari46. C’est par le rรฉseau des villages-centres que s’effectue l’encadrement technique, commercial et organisationnel de cette รฉconomie en mutation. Cependant, une sรฉlection sโ€™opรจre au sein de ce rรฉseau de villages-centres et de marchรฉs ; une partie seulement connaรฎt une croissance importante, qui lui permet de s’รฉlever dans la catรฉgorie des petites villes. C’est lร  qu’intervient une seconde sรฉrie de facteurs, qui ne relรจvent plus seulement des รฉvolutions รฉconomiques locales. Il s’agit notamment, selon A. Galaup, de la position relative aux axes routiers. Le fait d’รชtre au bord d’une route, et plus particuliรจrement en position de carrefour, est un facteur de dynamisme. Une telle position facilite lโ€™insertion de la localitรฉ dans les rรฉseaux dโ€™รฉchanges, et elle correspond souvent ร  un meilleur รฉquipement en infrastructures et en services urbains, qui sont des รฉlรฉments attractifs pour les populations rurales. L’auteur relรจve aussi comme facteur stimulant : la proximitรฉ de la frontiรจre gambienne, celle de la frontiรจre รฉconomico-รฉcologique entre la zone sylvo-pastorale et le bassin arachidier, et enfin le dynamisme des commerรงants locaux qui peut venir s’ajouter comme facteur secondaire. Les diffรฉrents facteurs รฉvoquรฉs viennent tous jouer sur l’importance du marchรฉ, en lui offrant de plus ou moins grandes possibilitรฉs d’accroรฎtre son ou ses bassins ; et c’est bien sur le marchรฉ, principal pilier de la vie รฉconomique de ces localitรฉs, que repose la hiรฉrarchisation des ยซvillages-centresยป (p. 205).
Le cas du pays marka, dรฉjร  รฉvoquรฉ, nous permet de retracer une forme d’urbanisation par le bas, รฉgalement liรฉe aux dynamismes ruralo-commerรงants des marchรฉs. En effet, le Moyen-Niger, fรฉcond en petites villes, est d’abord marquรฉ par un rรฉseau dense de marchรฉs ruraux qui sont les ยซย antennes tendues par le commerce urbain pour capter, ร  son profit et au profit de l’รฉconomie continentale qu’il reprรฉsente, l’รฉconomie locale.ย ยป (Gallais, 1984, p. 160). Nombre de ces marchรฉs, dรฉveloppรฉs au dรฉbut du siรจcle, ont รฉtรฉ entravรฉs ou mรชme supprimรฉs par le pouvoir colonial, jusque dans les annรฉes 30, avant d’รชtre encouragรฉs et parfois relayรฉs par des fonctions administratives. Parallรจlement, la rรฉvolution contemporaine des transports, en facilitant la circulation des biens et des vendeurs, a participรฉ ร  la diffusion du fait commercial sous la forme du gros marchรฉ hebdomadaire, dont l’armature s’est renforcรฉe. Ce mouvement s’est accompagnรฉ de l’รฉmergence de petites villes au sein de cette armature. Petites villes aux potentialitรฉs de croissance somme toute limitรฉes, et dont la fonction de marchรฉ rural est la base รฉconomique, รฉventuellement renforcรฉe par un rรดle administratif.
Dans un tout autre contexte, les marchรฉs ruraux du sud-est togolais, รฉtudiรฉs par E. Le Bris (1984), nous montrent comment la fonction commerciale peut รชtre ร  la base d’un rรฉseau dense de petites villes et de bourgs peu hiรฉrarchisรฉs. Ces places, comme les filiรจres qui les animent, sont en fait dominรฉes par la mรฉtropole voisine et ses acteurs รฉconomiques. L’auteur analyse comment la rรฉorganisation du commerce dans cette rรฉgion a modifiรฉ la hiรฉrarchie des nombreuses places de marchรฉs, dont les principes de localisation sont davantage en rapport avec les axes routiers que pendant la pรฉriode de traite (p. 70) durant laquelle les voies d’eau dominaient. Cependant, il remarque que la hiรฉrarchie des marchรฉs pรฉriodiques ne se dรฉcalque pas exactement sur la hiรฉrarchie dรฉmographique des localitรฉs (p. 71). Il faut donc conclure ร  l’intervention de facteurs secondaires pour diffรฉrencier les dynamismes urbains de base ร  partir du rรฉseau de marchรฉs ruraux pรฉriodiques.

Une image de l’armature urbaine contemporaine

La rรฉpartition actuelle des villes au sein de l’espace nigรฉrien exprime d’emblรฉe un total dรฉsรฉquilibre, qui est aussi celui des potentialitรฉs bioclimatiques, de la rรฉpartition des hommes et des activitรฉs agro-pastorales. C’est en effet au sud de la limite des cultures sous pluie (soit ร  peu prรจs l’isohyรจte de 350 mm) que se cantonne la bande de territoire ยซย utileย ยป du pays : soit 1 200 km de long, des confins du Burkina au lac Tchad (en suivant la frontiรจre du Bรฉnin, et surtout celle du Nigeria), et en moyenne 250 km de profondeur. En 1988, cette bande mรฉridionale sahรฉlienne rassemble 96 % de la population rurale, sur 20 % du territoire national ; sa densitรฉ rurale moyenne est de 24 hab/km2, contre 0,25 hab/km2 pour la zone saharienne du nord. Quoi d’รฉtonnant, ร  priori, ร  ce que ce Sahel nigรฉrien possรจde la mรชme annรฉe 90 % de tous les citadins ? On y trouve la capitale Niamey (prรจs de 400 000 hab.), cinq villes moyennes sur sept (dont Zinder et Maradi, qui toutes deux dรฉpassent 100 000 hab.), et 47 petites villes sur 52. A y regarder de plus prรจs, certes, on constate que le taux d’urbanisation est deux fois plus รฉlevรฉ au nord qu’au sud : 33 % (et mรชme 52 % pour le seul dรฉpartement d’Agadez) contre 16 %, cette proportion รฉtant assez proche de la moyenne nationale puisque, globalement, un Nigรฉrien sur six vit en milieu urbain. La sururbanisation du nord n’est un paradoxe qu’en apparence, puisque dans le dรฉsert la population rurale est par dรฉfinition presque absente, et qu’elle se concentre de plus en plus autour des points d’eau. Cela ne change rien de toute faรงon ร  la prรฉรฉminence รฉcrasante des villes du sud.
Sur la carte modรฉlisรฉe (Fig. 19), la localisation des villes paraรฎt obรฉir ร  plusieurs principes. Globalement, elle est plutรดt linรฉaire : on reconnaรฎt au sud-ouest l’axe du fleuve Niger, au sud et au sud-est celui de la grand-route qui relie Niamey ร  Nโ€™guigmi (sur le lac Tchad), au centre et au nord celui de la ยซย route de l’uraniumย ยป qui relie la prรฉcรฉdente ร  Arlit. Cette derniรจre (comme sa jumelle Akokane) a une localisation atypique, liรฉe ร  son activitรฉ miniรจre. Ce cas mis ร  part, la capitale et toutes les villes moyennes font figure d’รฉtapes sur un des axes prรฉcitรฉs : Niamey et Dosso sur le fleuve ; Birni N’Konni, Maradi et Zinder sur la route du sud ; Tahoua et Agadez sur la route du Sahara. C’est aussi le cas d’un certain nombre de petites villes, marchรฉs ruraux jalonnant les itinรฉraires, tandis que d’autres se disposent plutรดt en nรฉbuleuses, sur une profondeur de 100 ร  150 km ร  partir des axes principaux. Une variante de ce systรจme est reprรฉsentรฉe par les petites villes satellites, que l’on trouve notamment autour de Niamey, de Maradi, de Zinder, de Tahoua et mรชme d’Agadez.

Trois phases pour une genรจse complexe

A l’aube de l’indรฉpendance : sur fond de villes trรจs anciennes, le paradoxe d’une armature urbaine embryonnaire

En 1956, ร  la fin du temps colonial, le Niger est un pays trรจs peu urbanisรฉ : les citadins, au nombre de 100 000, n’y reprรฉsentent que 3,6 % de la population totale. La carte de l’armature urbaine (Fig. 21) se rรฉsume ร  onze localitรฉs, d’ailleurs fort discrรจtes : la capitale, Niamey, n’a que 23 000 รขmes, et seulement trois autres villes, Zinder, Tahoua et Maradi, dรฉpassent les 10 000 habitants. A l’exception d’Agadez, toutes sont situรฉes dans la frange agricole mรฉridionale ; huit sont en pays haoussa, au long ou ร  proximitรฉ (sauf Tahoua et Filinguรฉ) de la route qui suit la frontiรจre du Nigeria, alors sous domination britannique.
Si l’on considรจre l’histoire, une telle situation peut sembler paradoxale. La colonie franรงaise du Niger est en effet situรฉe au coeur mรชme des contrรฉes sahรฉliennes, oรน la tradition urbaine est une des plus anciennes de l’Afrique noire. Les villes sont nรฉes ici du grand commerce qui reliait, ร  travers le Sahara, le Maghreb et l’Egypte aux grands ร‰tats de la rรฉgion : le Sonrhaรฏ (le long du fleuve Niger) et le Kanem (autour du lac Tchad), attestรฉs dรจs le VIIรจme siรจcle, et plus tard les citรฉs-Etats haoussa, entre les deux empires en dรฉclin. C’est peut-รชtre au Xรจme siรจcle que fut fondรฉe Agadez, dans l’Aรฏr, plaque tournante des routes transsahariennes bientรดt placรฉe sous la protection d’un puissant sultanat touareg. Au XVรจme siรจcle, alors que renaรฎt lโ€™ร‰tat sonrhaรฏ ร  Gao, que le Borno ressuscite l’ancien Kanem, et que les ร‰tats haoussa sont au faรฎte de leur puissance, le fait urbain est ici ร  son apogรฉe. Des caravanes relient Kano et les autres villes de la rรฉgion au littoral mรฉditerranรฉen, via Tombouctou, Agadez ou le Djado, et les relations se dรฉveloppent aussi avec les citรฉs du pays yorouba et du littoral du Golfe de Guinรฉe. Centres รฉconomiques, culturels et religieux, les villes du Sahel sont en plein essor dรฉmographique ; une architecture originale s’y dรฉveloppe et des structures politiques et sociales de plus en plus complexes s’y mettent en place. Agadez, par exemple, est au XVIรจme siรจcle une ville fortifiรฉe incluant vingt quartiers et un faubourg extra-muros, avec de nombreuses maisons รฉtage et peut-รชtre 50 000 habitants, Haoussa du Gobir et du Katsina, Sonrhai, Touareg, Arabes, etc. Peu de villes en revanche en pays djerma, dans la vallรฉe du fleuve Niger : des guerres locales incessantes en dรฉtournent le grand commerce, facteur essentiel de lโ€™urbanisation.
Le XVllรจme et le XVlllรจme siรจcles vont voir le maintien de la riche civilisation urbaine du monde haoussa (qui prend le relais de l’empire de Gao dรฉtruit par les Marocains), mais dans le mรชme temps l’activitรฉ des comptoirs europรฉens du littoral atlantique dรฉtourne progressivement vers ce dernier les courants d’รฉchanges internationaux, condamnant ร  terme la premiรจre gรฉnรฉration des villes du Sahel. Un regain intervient pourtant au dรฉbut du XIXรจme siรจcle, avec la guerre sainte d’Ousman dan Fodio et de Mohammed Bello : nouvelles fondations urbaines (dont Sokoto), mais aussi, par exemple, essor de Maradi oรน s’est rรฉfugiรฉe la dynastie haoussa chassรฉe de Katsina. Dans le nord, Agadez a perdu son ancienne splendeur : en 1850, l’explorateur Barth y trouvera surtout des ruines et une impression d’abandon, jusque dans le palais du sultan. A l’รฉpoque, on note en revanche au centre-est l’essor de Zinder, capitale de lโ€™ร‰tat du Damagaram, dont le sultan opposera une vive rรฉsistance ร  la conquรชte franรงaise, ร  la fin du siรจcle. Citons aussi les villes de Tessaoua et de Birni N’Konni en pays haoussa, et dans l’ouest la ville de Say qui est, sur la rive droite du fleuve, un marchรฉ et un centre religieux fort important, mais dont le dรฉclin sera spectaculaire et trรจs rapide : de 30 000 habitants vers 1850, sa population sera tombรฉe ร  quelques centaines en 1902.
Ce dรฉclin relatif des villes anciennes, qu’il ait รฉtรฉ lent ou rapide, va se trouver confirmรฉ, par la structuration รฉconomique de l’espace nigรฉrien, constituรฉ aux marges des territoires des principales formations politiques prรฉcoloniales. La pรฉriode coloniale voit en effet l’รฉmergence d’une seconde gรฉnรฉration de centres urbains, nรฉs des impรฉratifs militaires et confortรฉs par la nouvelle organisation administrative du pays. Celle-ci est mise en place en 1910 : partition du territoire en seize cercles (dont quatre unitaires) et 27 subdivisions ayant chacun son chef-lieu, et crรฉation d’un certain nombre de postes administratifs (ils seront 13 ร  la fin de la pรฉriode en 1961). Tantรดt reprenants des villes prรฉcoloniales (comme ร  Zinder, ร  Maradi, ร  Tahoua ou ร  Agadez), tantรดt implantรฉs en des sites nouveaux (comme ร  Niamey, Tillaberi ou Filinguรฉ), ces chefs-lieux deviendront des centres d’รฉchange dans le cadre d’une รฉconomie coloniale essentiellement agricole. La plupart sont situรฉs dans la ยซย bande utileย ยป mรฉridionale oรน se dรฉveloppe notamment la culture de l’arachide, et c’est ce que confirme a contrario le cas d’Agadez, la plus ancienne et la plus prestigieuse des villes d’autrefois : aprรจs l’รฉcrasement de la rรฉvolte sรฉnoussite de Kaocen, la vieille citรฉ saharienne achรจve de se vider de ses habitants en 1921, et il lui faudra trente ans pour faire ร  nouveau figure de centre urbain. Zinder elle-mรชme, malgrรฉ sa localisation mรฉridionale, souffre dรฉjร  d’un problรจme aigu de ravitaillement en eau. Aux yeux du colonisateur, elle a de plus le dรฉsavantage d’รชtre soumise ร  l’influence des villes et du rรฉseau de communications du Nigeria britannique tout proche. Coupรฉe de son avant pays, elle perdra donc assez vite son rรดle de chef-lieu de la Colonie, mรชme si l’รฉconomie arachidiรจre lui garantit une certaine prospรฉritรฉ.
Le fait essentiel est l’ascension, d’ailleurs assez progressive, de Niamey, poste fondรฉ par les Franรงais en 1901 et devenu, aprรจs une brรจve รฉclipse, chef-lieu dรฉfinitif du Territoire du Niger en 1926. La citรฉ, riveraine du grand fleuve, est bien plus tournรฉe que Zinder vers le reste de l’A.O.F., et notamment vers les ports dโ€™Abidjan et de Cotonou, ce qui se traduira par des projets de liaisons ferroviaires jamais totalement abouties. Niamey ne compte encore que 2 500 habitants en 1932, mais elle va connaรฎtre un dรฉveloppement important aprรจs la Grande crise et plus encore aprรจs la Seconde guerre mondiale. C’est au dรฉbut des annรฉes 50 quโ€™elle rattrape puis dรฉpasse Tahoua et Zinder : au moment de l’indรฉpendance, elle regroupera ร  elle seule plus du tiers de la modeste population citadine du Niger. Car ร  l’exception (somme toute tardive) de la capitale, la croissance dรฉmographique globale des centres urbains aura รฉtรฉ ici assez faible (guรจre supรฉrieure au solde naturel), et tous restent de petites villes en 1956. En fait, le systรจme colonial aura tout ร  la fois anรฉanti les fondements politiques et รฉconomiques traditionnels de la puissance urbaine, et instaurรฉ une paix permettant aux populations de s’installer et de vivre en toute sรฉcuritรฉ en milieu rural. L’enclavement du Niger, son faible peuplement, le caractรจre fort traditionnel de ses sociรฉtรฉs rurales (et citadines) ont รฉvidemment entravรฉ eux aussi le dรฉclenchement du processus d’urbanisation ยซย moderneย ยป qui affectait, ร  la mรชme รฉpoque, bien d’autres territoires africains. Le contexte allait beaucoup changer aprรจs 1960, comme on va le voir.

Au plus fort du boom de l’uranium : Niamey et le โ€œdรฉsert nigรฉrienย ยป

Tibiri pour Maradi et Mirria pour Zinder). Un centre nouveau sur quatre, cependant, est nรฉ en plein milieu rural, et cela est vrai surtout dans l’aire ethnoculturelle haoussa. Une certaine diffusion spatiale du fait urbain paraรฎt ainsi s’amorcer, mรชme si, ร  considรฉrer la carte (Fig. 21) et les chiffres, le contraste est frappant entre Niamey et ce qu’on est tentรฉ d’appeler (sans jeu de mots) le dรฉsert nigรฉrien.

Le Togo : derriรจre la macrocรฉphalie

Plusieurs รฉlรฉments peuvent dรฉcourager une utilisation des donnรฉes du recensement รฉlectoral de 1992 dans le cadre d’une analyse de l’armature urbaine togolaise. Tout d’abord les donnรฉes que nous avons pu recueillir auprรจs du CENETI sont incomplรจtes, le nombre d’รฉlecteurs de toute une sรฉrie de localitรฉs ne nous a pas รฉtรฉ communiquรฉ58. Ensuite les donnรฉes concernent exclusivement les รฉlecteurs, autrement dit la population adulte, elles nรฉcessitent donc une extrapolation pour obtenir une estimation sur le nombre de rรฉsidants. Cette estimation est obtenue par l’application d’un multiplicateur proche de 2,2 au nombre d’รฉlecteurs de la localitรฉ (sur les indications de Y. Marguerat) : 2,1 pour les localitรฉs dans lesquelles les hommes sont surreprรฉsentรฉs (Sex Ratio >102) ; 2,2 pour Lomรฉ et lorsque le S.R. est proche de 100 ; et 2,3 si les femmes adultes sont surreprรฉsentรฉes (S.R. <95). Le cas de Lomรฉ pose particuliรจrement problรจme, dans la mesure oรน le nombre d’รฉlecteurs y est certainement supรฉrieur ร  celui des adultes effectivement rรฉsidants, compte tenu du nombre de fonctionnaires et d’รฉtudiants qui peuvent รชtre des rรฉsidants intermittents sans leur famille. Enfin les donnรฉes de base sont elles-mรชmes sujettes ร  caution dans la mesure oรน des doubles inscriptions sont possibles : nous avons personnellement rencontrรฉ un รฉtudiant inscrit sur les listes รฉlectorales de la capitale ainsi que sur celles de sa localitรฉ d’origine dans le centre du pays.
Malgrรฉ toutes ces rรฉserves sur la fiabilitรฉ des donnรฉes dรฉduites du recensement รฉlectoral, nous avons choisi de les exploiter. Il ne s’agit pas de prรฉtendre dresser la carte exacte de l’armature urbaine togolaise du dรฉbut des annรฉes 90, mais d’identifier les tendances qui l’affectent et d’รฉmettre des hypothรจses quant ร  leur interprรฉtation.

Les enseignements du recensement รฉlectoral

Les premiers signes de la transition urbaine ?

Le caractรจre macrocรฉphalique de l’armature urbaine togolaise est flagrant. Il est d’ailleurs toujours soulignรฉ par les รฉtudes urbaines qui s’intรฉressent ร  ce pays (Nyassogbo, 1990 a et b ; Marguerat, 1985). Quelques indicateurs expriment cette tendance :
Le poids รฉcrasant de la capitale dans la population urbaine ne se dรฉment pas : 41 ; 32 ; 39 et 44 % en 1959, 70, 81 et 92. De ce fait son poids dans la population totale est en constante augmentation, passant d’environ 6 % en 1959 ร  plus du cinquiรจme en 1992.
L’indice de primatie (rapport de la population de la premiรจre ville sur celle de la seconde) s’accroรฎt sur toute la pรฉriode. Il est de 5,7 ; 5,7 ; 7,9 et 11,4 aux recensements successifs.
Outre la vraisemblable surestimation de la population mรฉtropolitaine en 1992, il faut prendre en compte simultanรฉment d’autres รฉlรฉments qui relativisent cette tendance :
Le taux de croissance de la catรฉgorie des villes moyennes et grandes (population20 000 hab.) avoisine les 10 % par an depuis la dรฉcennie 60, il est ainsi toujours supรฉrieur ร  celui de la capitale qui oscille entre 6,5 et 8 %.
Un indice de primatie calculรฉ en faisant le rapport de la population mรฉtropolitaine sur celle des trois premiรจres villes secondaires donne des rรฉsultats diffรฉrents de la seule prise en compte de Sokodรฉ. En effet de 1970 ร  1992, cet indice ne double plus mais passe de 2,5 ร  4,2. Si l’on fait le rapport entre la capitale et la catรฉgorie des villes moyennes et grandes, l’indice diminue mรชme, passant de 3,3 en 1970 ร  2 en 1992. Cela traduit l’arrivรฉe rรฉguliรจre de nouvelles citรฉs dans cette catรฉgorie.
Si la catรฉgorie petite ville reprรฉsente une part toujours plus faible de la population urbaine (Fig. 28), elle agrรจge toujours plus de localitรฉs (34 nouvelles petites villes entre 1981 et 1992, contre 15 pour la pรฉriode รฉquivalente prรฉcรฉdente) et regroupe toujours plus de citadins (Fig. 27). Pourtant c’est elle qui nourrit la catรฉgorie des villes moyennes par une hรฉmorragie de ses composantes les plus dynamiques.
Le Togo est un petit pays : moins de quatre millions d’habitants pour une superficie infรฉrieure ร  60 000 km2. Cette caractรฉristique exacerbe la tendance normale ร  la macrocรฉphalie d’un systรจme urbain en voie de constitution. En effet, nous avons vu qu’une loi rรฉgissait l’รฉvolution des systรจmes urbains (Moriconi-Ebrard, 1993) et que plus ils รฉtaient petits, plus l’ensemble mรฉtropolitain รฉtait prรฉpondรฉrant (Fig. 17). Le Togo cumule les facteurs d’รฉtroitesse de son systรจme urbain : taille rรฉduite du pays et jeunesse de l’urbanisation.
De plus, un petit pays se doit d’รชtre ouvert sur l’extรฉrieur, ne pouvant se contenter d’un รฉtroit marchรฉ intรฉrieur. Cette tendance est facilitรฉe par le fait qu’un petit pays ne constitue pas une puissance et peut se prรฉsenter comme une nation mรฉdiatrice sur le plan gรฉopolitique. Dans le contexte ouest-africain, le Togo a pendant deux dรฉcennies (70 et 80) jouรฉ le jeu d’une vocation supposรฉe de โ€œSuisseย ยป du sous-continent et รฉventuellement de premier ยซย dragonย ยป, ร  l’image des petits รฉtats industriels extrรชmes orientaux. Cette ouverture sur l’extรฉrieur et cette intรฉgration internationale se traduit par une trรจs forte connexitรฉ du systรจme รฉconomique et politique national en gรฉnรฉral, et du systรจme urbain en particulier, au systรจme global. Cependant, cette ouverture s’est effectuรฉe dans un contexte trรจs centralisรฉ, avec une porte officielle sur l’extรฉrieur quasi unique : Lomรฉ. Seule Kara a accueilli quelques investissements secondaires en rapport avec l’ouverture du pays au tourisme, ร  la diplomatie internationale et aux capitaux ; les petits centres frontaliers assurent pour leur part une ouverture non mรฉtropolitaine limitรฉe, essentiellement commerciale et non officielle sur les pays voisins. On peut rรฉsumer cet รฉtat de fait par la formule suivante : le systรจme urbain togolais apparaรฎt comme fortement connexe mais peu connectรฉ ร  l’ensemble des systรจmes urbains. Dรจs lors la capitale cumule les facteurs de croissance.
F. Moriconi-Ebrard (1993, p. 498) montrait que l’รฉcrasante primatie lomรฉenne en 1980 (prรจs de huit fois plus peuplรฉe que la seconde ville du pays) รฉtait normale compte tenu de la taille du systรจme urbain. Les estimations que nous proposons pour 1992, rendent cette fois la domination lomรฉenne nettement supรฉrieure ร  ce que la loi prรฉdit59 : environ 500 000 hab. prรฉdits et prรจs de 900 000 estimรฉs ! Le gonflement artificiel du nombre d’รฉlecteurs dans la capitale, et la sous-estimation de la population de certaines villes secondaires sont vraisemblables, mais ne peuvent expliquer ร  eux seuls cette distorsion. On peut penser que c’est au cours de la dรฉcennie 80 que les effets de la situation dรฉcrite ci-dessus (trรจs forte connexitรฉ du systรจme รฉconomique togolais au systรจme continental et mondial, parallรจle ร  une trรจs faible connexion de son systรจme urbain aux systรจmes englobants) se sont fait sentir en exacerbant la croissance de la capitale.
Depuis 1990 la crise politique aiguรซ que traverse le pays, s’est transformรฉe en crise รฉconomique et s’est traduite par une rรฉgression formidable de la prรฉsence, de la frรฉquentation, des investissements et des achats รฉtrangers dans le pays. Il s’agit lร  d’un phรฉnomรจne conjoncturel, que la fossilisation politique d’une part, et l’ouverture politique et รฉconomique du voisin bรฉninois d’autre part, risque de rendre structurel. On peut donc penser que la fuite de la capitale de prรจs de 300 000 personnes, consรฉcutive au climat de terreur instaurรฉ par l’armรฉe, avec comme point d’orgue la rรฉpression sanglante de janvier 1993, marquera dรฉfinitivement son dรฉclin relatif. D’ores et dรฉjร , une partie des exilรฉs est revenue dans la ville, mais le temps de la croissance effrรฉnรฉe semble rรฉvolu. Nombre de rรฉfugiรฉs pourraient envisager un retour au Togo sous la forme d’une installation dans une ville secondaire plus sรปre et moins sinistrรฉe que la capitale.
L’estimation reste cependant nettement infรฉrieure ร  l’hypothรจse haute envisagรฉe par des experts d’ยซArchitectes Sans Frontiรจreยป chargรฉs en 1984 d’une รฉtude prospective sur l’urbanisation intitulรฉe Implications spatiales des scรฉnarios รฉconomiques. R. Bouat et S. Plisson estimaient possible qu’une grande rรฉgion mรฉtropolitaine agrรจge un peu moins de 2,5 millions d’habitants en lโ€™an 2000 (p. 302).
La macrocรฉphalie est donc avรฉrรฉe et ne semblait pas en voie de rรฉgression jusqu’aux รฉvรฉnements politiques les plus rรฉcents, cela n’empรชchait pas le reste de l’armature urbaine de faire preuve de dynamisme. Nous pensons donc que le Togo est engagรฉ dans la voie de la transition urbaine depuis les annรฉes 80. Cette phase est marquรฉe par l’รฉtoffement du groupe des villes secondaires et par sa hiรฉrarchisation. En effet, de nombreuses petites villes รฉmergent et renouvellent la catรฉgorie par le bas. Par ailleurs, de nombreuses villes petites, moyennes et grandes poursuivent leur croissance ร  des rythmes annuels รฉlevรฉs, ainsi neuf des dix premiรจres villes secondaires du pays en 1992 ont connu une croissance annuelle moyenne supรฉrieure ร  5 % au cours de la dรฉcennie prรฉcรฉdente.

L’affirmation d’axes urbains

En 1970 et concernant la France, G. Veyret-Verner notait l’existence d’une catรฉgorie de petites villes d’armature linรฉaire qui forment des rues de villes et qui regroupent des organismes de familles diffรฉrentes, issus de tous les types qu’elle avait prรฉalablement dรฉfinis. Cependant, elle estimait que ยซย les maillons urbains d’une armature linรฉaire souffrent de dรฉsรฉquilibre : outre la faiblesse du sentiment d’appartenance, aucun ne forme un tout, et l’ensemble linรฉaire ne constitue pas toujours un ensemble cohรฉrent, complรฉmentaire et completย ยป, autrement dit, un rรฉseau. ยซย Les zones d’influence des villes plus grandes se recoupent et sont inorganiques.ย ยป (p. 61).
Une telle analyse peut s’appliquer en partie au cas togolais et aux sous-ensembles linรฉaires de son armature. Ces sous-ensembles paraissent hรฉtรฉrogรจnes et surtout fonctionnent comme une juxtaposition d’agglomรฉrations souvent petites, non complรฉmentaires et dominรฉes par les places centrales rรฉgionales, situรฉes ร  un bout de ces armatures linรฉaires. Mais ces caractรฉristiques ne sont-elles pas celles de la plupart des petites villes ? Il s’agirait bien en dรฉfinitive d’une modalitรฉ de positionnement et d’รฉmergence des centres urbains secondaires dans un contexte rรฉgional et national particulier.

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Table des matiรจres

Livre premier : Le phรฉnomรจne petite ville en expansion ร  travers l’Afrique de l’ouest
I. Des familles et des gรฉnรฉrations de petites villes
Introduction : Les recensements et leurs traitements statistiques et cartographiques
A. Loin du centre, l’รฉmergence de nouveaux milieux urbains
1- Le poids croissant du groupe des petites villes
2- Les rythmes de croissance des petites villes
3- Le Bรฉnin : vers un rรฉseau pyramidal qui intรจgre toutes les gรฉnรฉrations de villes ?
B. L’hรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ des petites villes
1- Grands contrastes rรฉgionaux et familles de petites villes
2- Une gรฉnรฉration fonctionnelle spรฉcifique
C. Vers une gรฉnรฉration spontanรฉe de centres ruraux ?
1- Comment isoler le phรฉnomรจne ?
2- L’adรฉquation croissante entre le semis de petites villes et les densitรฉs rurales
3- Des germes urbains potentiels dans le semis rรฉgulier des marchรฉs
Conclusion : Hรฉritages et transition urbaine
II. La place des petites villes dans la constitution des armatures nationales
A. Le Niger : dรฉsรฉquilibres et hรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉ d’un rรฉseau rรฉcent
1- Une image de l’armature urbaine contemporaine
2- Trois phases pour une genรจse complexe
3- Le renouvellement par le bas : l’organisรฉ et le spontanรฉ
B. Le Togo : derriรจre la macrocรฉphalie
1- Les enseignements du recensement รฉlectoral
2- L’administration et la dynamique des villes
3- Les milieux urbanisants
C. Le Ghana : la marque d’une urbanisation diffuse et ancienne
1- Un rรฉseau ancien et stable
2- La dilution de la fonction administrative
Conclusion
III. Des conditions d’รฉmergence variรฉes pour sept petites villes
Introduction- Une illustration de la variรฉtรฉ des cas
A. Les positions
1- ร‰tape, rupture de charge
2- Frontiรจre
3- Pรฉriphรฉrie de capitale
B. Les dynamiques locales
1- Mise en valeur et รฉvolution des รฉconomies rรฉgionales
2- Valorisation de potentialitรฉs locales et investissements externes
3- Concurrence des centres
Conclusion : La petite ville et son environnement, Quel bilan des relations ?
Livre second : Le milieu petite ville : un systรจme ร  l’interface ville/campagne
I. L’espace
A. Centres et pรฉriphรฉries des petites villes
1- Du centre ร  la pรฉriphรฉrie : gradient de densitรฉ et contraste d’activitรฉs
2- La centralitรฉ pรฉriphรฉrique et les pรฉriphรฉries centrales ou la variรฉtรฉ des configurations
B. Des problรจmes de fonctionnement spรฉcifiques
1- Un milieu davantage subi que maรฎtrisรฉ
2- Vers des petites villes duales ?
Conclusion
II. La sociรฉtรฉ
A. Le pouvoir local urbain ou la sphรจre des รฉlites
1- L’affirmation des fonctions de chefs-lieux
2- Le pouvoir local urbain ou le mรฉnage ร  trois
3- Les pouvoirs externes : prรฉdateurs et dรฉfenseurs
4- Une gestion urbaine convoitรฉe et paralysรฉe
5- Le mode de reproduction รฉconomique des รฉlites
Conclusion : existe-t-il des dรฉfenseurs de la petite ville ?
B. Entre le rural et l’urbain : Un profil du ยซย citadin de petite villeย ยป
1- Des structures dรฉmographiques singuliรจres
2- A la croisรฉe des itinรฉraires
3- Une pluriactivitรฉ gรฉnรฉralisรฉe
4- Une โ€œpetite bourgeoisie intellectuelle et marchandeโ€
III. Un systรจme social et spatial
A. La genรจse des sociรฉtรฉs urbaines et la genรจse du paysage
1- La complexification des sociรฉtรฉs locales
2- La migration des centres rรฉvรฉlatrice des mutations fonctionnelles et sociales
B. Un modรจle socio-spatial
1- Un modรจle de lโ€™organisation spatiale des petites villes et de son รฉvolution
2- Un modรจle du systรจme social et politique de la petite ville
Conclusion Gรฉnรฉrale:
De la pertinence de lโ€™objet โ€œpetite villeโ€
Les rรดles affectรฉs aux petites villes et lโ€™autonomie de leurs acteurs

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