Malgré l’accent mis par les programmes officiels du Ministère de l’Education nationale, notamment depuis les années 1970, sur l’apprentissage de l’oral, cet objet d’enseignement reste difficile. Il y a en effet une « culture de l’écrit » bien plus qu’une « culture de l’oral » dans l’école française. Pourtant, la maitrise de la langue orale, qui se distingue fortement de la langue écrite et qui ne peut ni s’apprendre ni s’enseigner de la même manière, emporte des enjeux tant scolaires qu’extrascolaires : enjeux sociaux, enjeux de sociabilisation, enjeux citoyens, voire enjeux politiques. L’objet d’enseignement « oral » doit donc faire l’objet d’un apprentissage spécifique et consciemment orienté, de manière à aider tant l’individu que le groupe-classe à construire une posture et une langue orale qui permette la communication dans le respect de l’autre.
La place de l’oral dans les instructions officielles
Au cycle 3
Le cycle 3 apparait comme un cycle de consolidation des acquis, notamment en ce qui concerne le langage oral qui doit « faire l’objet d’une attention constante et d’un travail spécifique » et qui est nécessaire à tous les autres apprentissages. S’inscrivant dans le domaine 1 du socle commun, « Les langages pour penser et communiquer », l’expression orale est une des trois activités langagières, avec l’écriture et la lecture, qui permet l’étude de la langue dans le cours de français. Du reste, si toutes les disciplines peuvent aider à développer les capacités d’expressions d’un élève, le français est un acteur essentiel, par exemple par le biais de la pratique théâtrale.
Plus précisément, le programme de français du cycle 3 rappelle que l’expression orale est une activité « prépondérante dans l’enseignement du français », au même titre que la lecture et l’écriture, et vise « l’entrée dans une culture littéraire commune ». La première partie du programme est intitulée « Langage oral ». L’introduction souligne que lecture, écriture et expression orale s’acquièrent en parallèle et se complètent. La prise de parole peut ainsi être préparée par des « écrits de travail » et étayée par des « écrits supports ». Le professeur peut fournir du lexique ou des formules à mobiliser lors des prises de parole, et doit inciter les élèves à « comparer les usages de la langue à l’oral et à l’écrit ». Pour ces raisons, « la maitrise du langage oral fait l’objet d’un apprentissage explicite » pour chaque élève. L’oral est donc travaillé de manière régulière lors de séances dédiées ou non. Les attendus de fin de cycle comportent les capacités à comprendre simplement en écoutant, à faire un exposé oral, à interagir de façon constructive et à réciter par cœur.
La partie du programme dédiée à l’oral (« Comprendre et s’exprimer à l’oral ») engage trois postures. La première est la posture d’écoute. Tout d’abord, l’élève doit pouvoir « écouter pour comprendre un message oral, un propos, un discours, un texte lu ». Il s’agit ici de faire le lien entre les « éléments vocaux et gestuels » et leurs effets, de voir quelles sont les « caractéristiques des différents genres de discours », d’être capable de mémoriser les informations explicites et de discerner ce qui est implicite et, enfin, de restituer sous des formes diverses ce qui a été compris ou de verbaliser les difficultés de compréhension.
Ensuite, le « langage oral » inclut la prise de parole, une posture qui est dédoublée. La compétence « parler en prenant en compte son auditoire », a pour objectif de « partager un point de vue personnel » ou des « connaissances » de façon justifiée, d’ « oraliser une œuvre » (par une mise en voix, mentionnée également dans la partie « Lecture » du programme, ou une récitation) et de « tenir un propos élaboré et continu relevant d’un genre de l’oral », ce qui implique de maitriser les différentes formes de discours et leurs caractéristiques propres. C’est sous cette compétence qu’est mis en valeur l’aspect technique de l’oral : la voix (« clarté de l’articulation, débit, rythme, volume, ton, accentuation, souffle ») et le corps (« regard, posture, gestuelle, mimique ») doivent être mobilisés et le programme propose l’utilisation d’ « enregistrements audio ou vidéo pour analyser et améliorer les prestations ». Dans cette compétence, l’élève est envisagé dans son rapport personnel à l’oral. Mais l’expression orale implique aussi de « participer à des échanges dans des situations de communication diversifiées ». Par conséquent, l’oral nécessite d’apprendre à tenir compte d’autres points de vue lors d’échanges, de mobiliser des « actes langagiers » (« exprimer un refus, demander quelque chose, s’excuser, remercier »), des « stratégies argumentatives », divers « moyens d’expression » et des connaissances. Les échanges sont également le lieu pour entrainer l’élève à apprendre et à respecter des « règles conventionnelles » et à organiser son propos de façon à ce qu’une synthèse des points de vue soit possible à la fin. Le langage oral, et particulièrement la prise de parole, implique donc aussi une dimension de sociabilité.
Enfin, la troisième posture de l’élève confronté au langage oral est la posture réflexive puisqu’il doit « adopter une attitude critique par rapport au langage produit ». Des règles collectives et des critères d’évaluation sont établis préalablement à la prestation orale et amènent à une autocorrection de la part des élèves. En outre, l’oral et l’écrit s’acquérant en parallèle, le programme insiste sur la comparaison oral-écrit sur le plan de la syntaxe. Avoir une attitude critique consiste finalement à « relever et réemployer des mots, expressions et formulations » qui ont été utilisées.
Au cycle 4
Le cycle 4 est le cycle des approfondissements. La compétence « Comprendre et s’exprimer à l’oral » est donc développée plus avant dans l’objectif de permettre à l’élève de « s’épanouir », de « poursuivre ses études » et de « s’insérer dans la société » en tant que citoyen. Tout comme au cycle 3, l’oral est mentionné dans le domaine 1 du socle, « Les langages pour penser et communiquer ». L’élève doit «s’approprier et maitriser des codes complexes » pour comprendre et communiquer à l’oral et se rendre compte que ces normes « ouvrent à la liberté de penser et d’agir ». Pour ce faire, même si l’enseignement de l’oral est interdisciplinaire, la discipline du français doit viser « une expression claire et adaptée aux situations de communication ».
L’enseignement spécifique du français allie au cycle 4 « le développement des compétences langagières orales et écrites en réception et en production » aux compétences linguistiques et à la culture littéraire. Ces trois volets sont à articuler afin de préparer au mieux l’élève au lycée. Le volet qui est dédié au « langage oral» souligne l’importance de maitriser les « genres codifiés » de façon théorique tout autant que pratique. L’élève est donc à la fois récepteur et producteur puisque, à la fin du cycle, il doit pouvoir « comprendre des discours oraux élaborés » de nature diverse mais aussi parler de cinq à dix minutes seul, lire correctement à haute voix et interagir dans un débat en groupe.
La description des compétences orales que les élèves doivent travailler au cours du cycle 4 semble quantitativement moindre par rapport au cycle 3 (même pas 2 pages contre plus de 4). La démarche réflexive, qui faisait l’objet d’un point spécifique au cycle précédent, est ici présente à tous les niveaux, tant lorsque l’élève est récepteur que producteur. Le programme insiste sur la maitrise de quatre compétences. La première consiste à « comprendre et interpréter des messages et des discours oraux complexes », ce qui implique, par une écoute attentive, de savoir hiérarchiser les informations, de retenir les plus importantes mais également de pouvoir percevoir la distinction entre l’explicite et l’implicite. De cette posture de réception, l’élève doit ensuite passer en posture de production, soit seul face à un public, soit en interaction dans un groupe. Seul, l’élève « s’exprime de façon maitrisée en s’adressant à un auditoire ». Cette « maitrise » est d’abord celle des conventions de l’exercice oral : pour « pratiquer le compte rendu » ou « raconter une histoire », l’élève a besoin de connaitre les formes attendues. Du reste, il fait également la preuve de son vocabulaire varié lorsqu’il exprime un point de vue ou ses sentiments en cherchant à persuader. Ensuite, en interaction dans un groupe, l’élève va « participer de façon constructive à des échanges oraux ». L’échange respectueux implique la connaissance des « codes de la conversation et des usages de la politesse ». L’élève est participant à l’échange, aux débats, et use alors de « techniques argumentatives », mais il est aussi modérateur, qui va « animer et arbitrer un débat ». Enfin, le programme met en valeur le développement de la capacité à « percevoir et exploiter les ressources expressives et créatives de la parole », ressources qui sont vocales tout autant que non-verbales (« voix, respiration, regard, gestuelles », et « techniques multimodales »).
Au lycée
Dans les programmes du lycée de 2010, l’oral est mentionné, au même niveau que l’écrit, comme un moyen pour les élèves d’étudier et d’apprécier les « textes majeurs de notre patrimoine » mais également de travailler leur maîtrise de la langue. Il doit donc être travaillé en continu et de manière progressive. En seconde, ce sont d’abord l’art oratoire et la rhétorique qui sont abordés dans le cadre de l’objet d’étude « Genres et formes de l’argumentation » par le biais des textes antiques. En outre, l’expression orale est l’occasion de développer les connaissances en langue, en revoyant et en approfondissant ce qui a été appris au cycle 4, et en apprenant à l’élève à intégrer ses nouvelles connaissances à son discours oral (grammaire, vocabulaire). Le programme de première insiste sur le fait que ces connaissances acquises doivent être réinvesties à l’oral. Pour ce faire, les professeurs doivent effectuer avec leurs élèves, durant les deux années, des activités de « prise de parole, d’écoute, d’expression de son opinion, de débat argumenté, de mise en voix des textes ». L’expression orale est aussi une compétence à développer dans la perspective des épreuves anticipées de français (EAF) en fin de classe de première et doit donc être évaluée au cours de l’année. Voilà pourquoi le programme insiste sur l’importance de maîtriser « les exercices codifiés » que sont « l’exposé et l’entretien oral ».
La réforme du baccalauréat de 2019, quant à elle, prévoit que les élèves soient à la fois préparés aux épreuves de français de fin de première et à l’épreuve du grand oral, qui demande des compétences orales développées. En seconde, le programme indique que l’expression orale doit être travaillée et évaluée au même titre que l’expression écrite, à la faveur d’activités diverses et notamment dans le cadre de l’étude de la langue. En classe de première, ce travail se poursuit et doit amener les élèves à développer, dans leurs discours oraux et écrits, les relations logiques comme la condition, la cause, la conséquence, le but, la comparaison, l’opposition et la concession. L’objectif est également de renforcer des compétences plus générales qui relèvent du champ de la communication : «adapter son expression aux différentes situations de communication », «organiser le développement logique d’un propos », « reformuler et synthétiser un propos », « discuter et réfuter une opinion » et enfin « exprimer et nuancer une opinion ». Pour ce faire, certains exercices sont particulièrement recommandés : « la lecture expressive, associée […] au travail de mémorisation, en portant une attention particulière à la restitution des valeurs rythmiques et sonores du vers », « le débat, qui suppose une préparation et une modération des échanges, ainsi qu’une répartition des rôles », « l’exposé » et « le jeu théâtral ou l’improvisation, pour améliorer les capacités d’expression et l’assurance des élèves en public ».
|
Table des matières
Introduction
1. La place de l’oral dans les instructions officielles
1.1. Au cycle 3
1.2. Au cycle 4
1.3. Au lycée
2. La complexité de l’objet d’enseignement « oral »
2.1. Deux champs de la didactique de l’oral
2.1.1.L’oral pour apprendre
2.1.2.L’oral à apprendre
2.2. Les difficultés de l’enseignement de l’oral
2.2.1.Diverses manières de penser l’enseignement de l’oral
2.2.2.La tension entre l’oral et l’écrit : deux normes linguistiques distinctes
2.2.3.L’oral : une pratique personnelle marquée par l’environnement social, qui met en jeu l’identité de la personne
3. Deux approches de « l’oral à apprendre »
3.1. Ritualiser la production orale : une approche par les « genres formels »
3.1.1.Une définition des genres formels
3.1.2.Un genre formel : le débat régulé
3.2. Une approche pragmatique par les « actes de langage »
3.2.1.A l’oral, la nécessaire mise en place d’une situation de communication harmonieuse
3.2.2.D’inévitables « actes périlleux » qui menacent la communication
3.2.3.Apprendre à contredire pour développer la cohésion sociale et la collaboration dans la classe
3.3. Problématique : articuler acte de langage et genre formel : l’apprentissage de la contradiction dans le cadre du débat au service de l’interprétation d’un texte
4. Méthodologie du recueil de données
4.1. Contexte de la recherche
4.2. Choix du devis méthodologique
4.2.1.Déroulé du recueil de données initialement envisagé
4.2.2.Imprévus et ajustements dans le recueil et l’analyse des données
4.2.3.Choix des critères d’observation et d’analyse
4.3. Hypothèses sur les résultats attendus
5. Présentation, analyse des résultats du recueil de données et mise en perspective
5.1. Entretien avec un élève du groupe enregistré
5.2. Débat analysé
5.2.1.Contexte du débat enregistré
5.2.2.Etude des outils verbaux de la contradiction
5.2.3.Analyse des dynamiques du débat au service de l’interprétation
5.2.4.Le cas de T : entretien et débat
5.3. Séance de langue
5.4. Bilan des analyses : la construction d’un espace dialogique en lien avec l’apprentissage de l’acte de contradiction
5.4.1. Bilan croisé du débat analysé
5.4.2. Ouverture sur le deuxième débat
5.5. Mise en perspective
5.5.1.Limites et remise en question de l’expérimentation
5.5.2.Comment poursuivre ?
Conclusion
Bibliographie
Annexes