La place de l’interprète dans la situation de communication

L’interprétariat est assurément un acte linguistique, cela n’est pas à remettre en question. Interpréter c’est prêter sa voix, son corps dans le cas des langues signées, pour permettre une communication. Souvent comparé à un « pont communicationnel», l’interprète en français-langue des signes française (à présent ILSF) n’existe cependant pas qu’à travers cet aspect purement linguistique. De nombreux interprètes se sont attelés à le démontrer. Nous citerons ici B. KREMER et C. MEJIA QUIJANO qui proposent un catalogue de ces compétences permettant une interprétation adéquate :

Présentons brièvement cet ensemble complexe d’éléments, qu’un interprète doit prendre en compte lorsqu’il réalise son acte de parole, mentionnés ici du plus précis au plus général :
– idiosyncrasies de l’individu qui parle (idiolecte, accent, caractéristiques de la parole individuelle, y compris sur le plan du lexique, du registre ou du style) ;
– présence physique de l’orateur (gestes, mimiques, occupation de l’espace, rapports avec le public) ;
– particularités physiques de la situation (environnement, salle, transmission du son);
– contexte de l’intervention (raisons de la réunion, rôle de l’orateur, relations anticipées avec le public, antécédents de l’orateur) ;
– contenu programmé de l’intervention et intentions (thème abordé, technicité, finalités) ;
– bagage culturel et cognitif (de l’orateur et du public) avec sous-entendus implicites (partagés ou non). (2016 : 41)

La place de l’interprète dans la situation de communication

Il est encore complexe à l’heure actuelle de pouvoir trouver un consensus sur la place de l’ILSF dans la situation de communication. Participant actif pour ce qui concerne l’acte interprétatif, qu’en est-il de sa participation en tant qu’être humain ? Nous tenterons pour cette première section de comprendre l’impact réel de l’interprète en situation de liaison à travers ses compétences linguistiques et cognitives.

Retour sur une théorie de la communication en situation interprétative

La participation de l’interprète au sein de l’acte même de communication semble évidente. Cependant, il faudra attendre des études plus récentes pour qu’on lui attribue un réel rôle de participant. Il est à noter que nous nous intéresserons à l’interprétation de liaison, en envisageant qu’elle ne concerne que trois participants : l’entendant, le sourd et l’ILSF. En effet, c’est au sein de ce type d’intervention que la posture de l’interprète peut être mise à mal, comparativement à la situation de conférence qui ne confère généralement pas d’interaction, donc ne soulève pas les mêmes questions au niveau de la communication.

Une communication linéaire

Il est tout d’abord intéressant de noter que si les recherches concernant la compétence de communication sont menées depuis les années 50, concernant la recherche traitant spécifiquement de la compétence de communication chez l’interprète, aucune étude n’a été menée en Occident. Les modèles de communication d’interprétation de dialogue (ou de liaison) ont quant à eux subi des évolutions qu’il nous intéresse de reprendre ici. Précisons qu’il ne sera pas question de détailler les fonctions du schéma de communication mais plutôt de s’intéresser à la manière dont l’interprète passe d’une invisibilité à une visibilité. Le recensement de ces différents modèles a été mené par J. ROCHER & X. CHEN (2017) dans un article intitulé « Communiquer pour interpréter : Cas de l’Interprète en Situation de Dialogue » sur lequel nous nous sommes appuyés .

Le schéma linéaire se base sur le principe d’un interprète comme « encodeur-décodeur » via un émetteur et un récepteur. Cette linéarité exclut l’influence que l’interprète va pourtant avoir sur la situation. Si le célèbre modèle de C. SHANNON & W. WEAVER (1949) basé sur le traitement d’un signal prend en compte des fonctions jusque là non abordées dans la théorie et fait office de référence, c’est à la fin des années 70 qu’on peut noter une complexification de ce schéma. Il faut noter que de nouveaux aspects sont pris en considération dans l’établissement d’une théorie de la communication comme le bruit environnant. M. INGRAM (1974) est interprète et enseignant en langue des signes à l’université de Brown, il propose de nouveaux critères dans le modèle de communication. J. ROCHER & X. CHEN relèvent dans ce nouveau schéma un intérêt par :

[…] les « codes multiples », idée centrale du modèle sémiotique d’Ingram pour l’interprétation, à savoir pour comprendre le message d’une source, l’interprète doit maîtriser non seulement le code verbal et gestuel mais aussi d’autres codes liés par exemple aux participants et au contexte. (2017 : 43)

Par ce nouveau schéma, on se dirige vers l’appréciation d’autres facteurs que les facteurs uniquement linguistiques. La communication a longuement été traitée sous l’unique joug de l’acte d’interpréter et s’est donc concentrée sur la relation duelle entre une source et un récepteur. La prise en considération de facteurs environnementaux puis contextuels introduit une nouvelle perspective. À la suite de ces théories, un nouveau facteur va être intégré dans les schémas de communication : l’environnement socio-culturel. Celui-ci va être introduit par H. KIRCHHOF (1976). On peut donc observer que l’évolution des théories de communication en ce qui concerne l’interprétation a démarré plutôt sur une considération extérieure que sur une considération interne à la situation, à savoir, la présence physique de l’interprète à proprement parler. Cependant, en intégrant les éléments extérieurs, on permet une mise en relation des personnes en présence. La notion d’interactions au sein de la situation de communication se dessine et l’idée d’une relation tripartite voit le jour en intégrant des rapports de pouvoir ou de coopération ainsi que des facteurs émotionnels. Ces prises en considération ne bousculent en revanche pas encore la place de l’interprète au niveau des schémas de référence, ceux-ci restant linéaires . L’interprète conserve une place secondaire dans l’interaction, il est davantage traité comme un « facilitateur de communication ».

Une communication triangulaire

Il nous faut ici citer les travaux pionniers de D. SELESKOVITCH (1962) qui a opéré une révolution au niveau des schémas de communication concernant le rôle de l’interprète. L’interprétation n’est plus une modalité linguistique mais un acte de communication à part entière. Il ne s’agit plus uniquement de transmettre d’une langue A → B ou de B → A mais bien de prendre en considération un discours, une interaction intégrés dans un contexte précis. Dans ce sens, les éléments extralinguistiques sont vecteurs d’informations. D. SELESKOVITCH (1962) met en corrélation les modalités verbales et non-verbales (l’implicite du discours par exemple) à prendre en compte dans l’acte interprétatif. Il est en effet évident que si nous cherchons à démontrer l’impact de la présence de l’interprète dans la situation de communication, il n’en est pas moins vrai qu’une part de la traduction ne repose pas sur tous les facteurs subjectifs et contextuels mis en avant précédemment. D. SELESKOVITCH & M. LEDERER exposent leur modèle en stipulant toutefois que : «Par la base, passe la traduction directe de langue à langue des concepts que ne modifie ni le contexte ni la situation et qui sont objets de savoir et non de compréhension. » (1984 : 185) Il est donc important pour le propos de mentionner que si nous nous intéressons à l’évolution de la considération communicationnelle de l’interprète, son nouveau statut d’être subjectif n’annihile en aucun cas sa dimension de traducteur au sens strict du terme.

Il s’agira pour les décennies suivantes, et majoritairement dans les années 90, de réfléchir à la situation d’interprétation en lien étroit avec les sciences sociales. Nous ne reviendrons pas en détail sur chacun des modèles exposés par des chercheurs tels que C.B ROY (1993) ou C. WADENSJO (1992) notamment. Chaque théoricien a pu apporter de nouvelles données et une nouvelle organisation au sein de ces schémas de communication. De manière plus globale, c’est par ces nouveaux modèles que l’on considérera à présent l’interprète comme étant un participant actif de la communication. De plus, il ne faut pas perdre de vue que l’interprète est le seul participant à avoir accès aux prises de parole et aux vouloirs dires des locuteurs. Il devient donc évident qu’au-delà d’avoir une place à part entière, il a une place privilégiée au sein de cette relation triangulaire. F. POCHHACKER (1992) proposera à son tour un modèle de communication allant dans ce sens. En effet, il aborde les compétences communicationnelles de l’interprète en lien avec des facteurs culturels, mais aussi avec des facteurs de perception. Selon lui, la communication démarre avant même qu’ait été prononcé un mot. L’appréciation des individus dépend intégralement des acquis de l’interprète.

Au début des années 2000, l’interprète en français/LSQ (langue des signes québecoise) D-C. BELANGER (2003) permet de concrétiser ce schéma triangulaire en proposant un schéma triadique, où l’interaction est au cœur de la relation triangulaire. Elle propose en lien avec cette recherche des cas pratiques interactionnels. Pour ne citer que quelques exemples de ces variantes, elle aborde l’échange à trois (avec des relations équivalentes aux trois personnes en présence), l’échange devant témoin (qui correspond aux apartés que l’interprète va faire en son nom propre [jeindividu]), l’échange en parallèle (qui correspond à l’échange que l’interprète aura avec un des locuteurs sans que l’interlocuteur ne s’en rende compte), etc. Cette recherche appuie la nécessité de prendre en compte l’aspect relationnel au sein de l’interprétation de liaison.

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Table des matières

Introduction
1. La place de l’interprète dans la situation de communication
1.1 Retour sur une théorie de la communication en situation interprétative
1.1.1 Une communication linéaire
1.1.2 Une communication triangulaire
1.2 La place de l’interprète dans le processus interprétatif
1.2.1 La déverbalisation, le vouloir dire
1.2.2 Vers la nécessité d’une déontologie
1.2.3 L’emploi du -je- au service de la déontologie
2. je-individu / je-fonction : une coalescence
2.1 Les problématiques liées au double -je-
2.1.2 Vers le français
2.1.2 Vers la LSF
2.2 La triangulation
2.2.1 La triangulation des locuteurs
2.2.2 La triangulation de l’interprète
2.2.3 La conversion du je-fonction au je-individu
3. Porter le je-fonction
3.1 Les retentissements psychologiques
3.2 Les stratégies de mises à distance
3.3 L’intention
Conclusion
Bibliographie
Sitographie
Annexes

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