Vers l’écologisation des modes de culture : de la lutte chimique intensive à la lutte intégrée
De plus en plus remise en question par l’opinion publique pour ses effets indésirables (Wezel et al., 2009), la protection chimique intensive qui consiste à traiter les cultures selon des calendriers de traitements pré-établis est un modèle de pratique agricole obsolète. En effet, l’apparition de résistances aux insecticides (cas du carpocapse de la pomme, Denholm et al., 2002 ; Franck et al., 2007 ; Reyes et al., 2009), les risques sanitaires encourus par les producteurs et les consommateurs (Pruess-Ustuen et al., 2011), les effets collatéraux sur la biodiversité (synthèse pour l’arboriculture, Simon et al., 2009) et l’environnement (Krebs et al., 1999), ont poussé à optimiser les périodes de traitements, à varier les classes d’insecticides utilisés tout en évaluant leur toxicité sur les auxiliaires des cultures (Audemard, 1987).
Pour cela, une action concertée des acteurs des filières agricoles (instituts techniques, chambres d’agriculture, agro-fournisseurs, etc) et des producteurs a été mise en place pour développer des pratiques de traitements s’appuyant sur des avertissements phytosanitaires locaux mais aussi sur la décision individualisée selon des critères parcellaires. Cette dernière démarche est particulière aux luttes raisonnée et intégrée dont on peut prendre les définitions proposées par Audemard (1987).
Interventions décidées après estimation du risque réel à l’échelle de la parcelle par la mise en œuvre de méthodes appropriées d’observations et de surveillance des organismes nuisibles et par référence à des seuils de tolérance économique en faisant appel :
– à des pesticides choisis selon des critères de moindre incidence écologique. Lutte raisonnée.
– à plusieurs moyens de lutte judicieusement associés. Lutte intégrée.
Extrait d’Audemard (1987)
La lutte raisonnée a déjà prouvé son efficacité en culture de pomme avec une réduction de plus de 50% du nombre de traitements et un bon niveau économique de protection par rapport à la lutte chimique intensive des années 60-70 (Audemard, 1987). Néanmoins, les vergers, toujours majoritairement en protection chimique, restent très demandeurs en insecticide comparativement aux grandes cultures, avec 21% du marché pour 1% de la surface agricole utile totale (Aubertot et al., 2005). Or, les vergers de pommiers, certes en constante diminution avec -18 % de surface en 10 ans (Sauphanor and Dirwimmer, 2009), représentent 31.8% de la surface de vergers en France. La protection des pommes reste donc étroitement liée aux insecticides chimiques malgré les objectifs gouvernementaux imposés aux agriculteurs. Néanmoins, les moyens de lutte intégrée non chimiques sont en expansion (confusion sexuelle) et sont particulièrement utilisés dans les vergers de pommiers en agriculture biologique dont la SAU a été estimé à 2.1 % de la SAU en pommiers en France .
La lutte intégrée contre les ravageurs des pommiers : avancées et perspectives
Quels sont les ravageurs-clés des pommiers ?
Un ravageur est un insecte nuisible pour une production agricole. En région méditerranéenne, la culture de la pomme est particulièrement agressée par deux taxa comme le montre la répartition de l’indice de fréquence de traitement (IFT) (Tableau I.2) : les pucerons (Homoptera : Aphididae) et les tordeuses des fruits (Lepidoptera : Tortricidae). Elle est plus marginalement attaquée par une cochenille, le Pou de San José, Diaspidiotus perniciosi (Homoptera : Coccoidea), un acarien, Panonychus ulmi, (Acari : Tetranychidae), des mineuses de la feuille (dont Phyllonoricter blancardella (Lepidoptera : Gracillariidae)), une zeuzère (Zeuzera pirina (Lepidoptera : Cossidae)), plusieurs espèces de tordeuses de la pelure (Lepitoptera : Tortricidae) et enfin de charançons (Coleoptera :Curculionidae). Nous décrirons uniquement les dégâts et cycles de vie des espèces d’intérêt pour cette thèse (source : http://www.inra.fr/hyppz/ravageur.htm).
Les pucerons
D’une manière générale, les pucerons se caractérisent par la présence d’une phase parthénogénétique dans leur cycle, leur conférant un fort taux d’accroissement naturel et donc un fort potentiel de pullulation. De plus en arboriculture fruitière, leurs colonies sont le plus souvent entretenues par des fourmis (Hymenoptera :Formicidae) diminuant leur vulnérabilité aux ennemis naturels (StewartJones et al., 2008 ; Minarro et al., 2010). Les dégâts causés par les pucerons sont le plus souvent indirects par baisse de vigueur de l’arbre via les déformations des organes photosynthétiques ou vasculaires.
Le puceron cendré, Dysaphis plantaginea : Ce puceron est le plus nuisible car ses piqûres provoquent de graves déformations des organes végétaux (feuilles et fruits) causant de fort dégâts au printemps (pour la description du cycle de vie voir, figure III.2). En effet, des réductions de rendement allant de 30% (Deberardinis et al., 1994) à 80% sur verger abandonné (Qubbaj et al., 2005) ont été observées. Il existe d’autres espèces de Dysaphis attaquant le pommier mais qui ne font pas l’objet de cette étude.
Les pucerons verts (Rhopalosiphum insertum, Aphis pomi, Aphis spiraecola): Morphologiquement très similaires, il n’est pas possible de les distinguer à même l’arbre. Ils ne piquent généralement que les feuilles mais peuvent aussi atteindre le fruit en cas de pullulation (Brown, 2004). Les œufs d’hiver déposés par les sexupares en automne près des bourgeons éclosent fin mars début avril. Aphis pomi a le pommier pour hôte permanent et peut effectuer jusqu’à 15 générations par an tandis que Rhopalosiphum insertum migre à la fin du printemps sur graminée et effectue jusqu’à 9 générations par an. Quant à Aphis spiraecola, il est anholocyclique en Europe méridionale et peut atteindre 40 générations par an.
Les tordeuses des fruits
Se nourrissant dans le fruit au stade larvaire, ces ravageurs causent des dégâts directs sur le fruit et donc impactent directement la récolte (Barnes, 1991). Adultes, ces papillons ont un vol crépusculaire.
Le carpocapse de la pomme (Cydia pomonella): Présent presque partout où l’on cultive des pommes, il est le ravageur le plus nuisible de cette culture pouvant entrainer une perte de rendement de 100% (Sauphanor and Dirwimmer, 2009). Jusqu’à 18 à 20 traitements sont réalisés au cours de la saison de production uniquement pour la lutte contre le carpocapse de la pomme (Boutin, 2001 ; Picard, 2007). Cette espèce qui présente 1 à 2 générations par an en France effectue une troisième génération partielle dans le sud du pays (voir la description de son cycle de vie, figure III.1).
La tordeuse orientale (Grapholita molesta) : Originellement ravageur des fruits à noyau, elle est de plus en plus observée sur pomme dans le sud de la France (Coupard and Ricaud, 2006 ; Sauphanor and Dirwimmer, 2009). Elle peut aussi causer des dégâts sur pousse telle une mineuse (Rothschild and Vickers, 1991). Son cycle de vie est similaire à celui du carpocapse de la pomme à l’exception d’une période de reproduction plus étendue allant de fin mars pour les premiers adultes de la génération hivernante à septembre-octobre pour les dernières pontes. Elle présente 4 générations par an qui se superposent.
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Table des matières
Introduction
Chapitre I : La place de la biodiversité fonctionnelle dans la protection intégrée contre les ravageurs des pommiers en France
A. Vers l’écologisation des modes de culture : de la lutte chimique intensive à la lutte intégrée.
B. La lutte intégrée contre les ravageurs des pommiers : avancées et perspectives
1) Quels sont les ravageurs-clés des pommiers ?
2) Quels moyens de lutte intégrée contre ces ravageurs ?
3) Les avancées en lutte intégrée sur culture de pommiers
C. Fondements de la lutte biologique par conservation de la biodiversité fonctionnelle en verger de pommiers.
1) Le verger de pommiers comme agroécosystème
2) Les enseignements de l’écologie
3) Implications spécifiques dans l’étude de la régulation de ravageurs dans un agroécosystème.
4) Synthèse des études menées en lutte biologique par conservation en verger de pommiers
Chapitre II. Démarche, matériels et méthodes
A. Une démarche commune à quatre groupes de prédateurs
1) Focus sur quatre groupes de prédateurs généralistes
2) Quelle efficacité de régulation de ces prédateurs ? Une démarche en trois étapes
B. Le cadre du bassin arboricole de la basse vallée de la Durance
1) Description générale du bassin arboricole
2) Un réseau support de 15 parcelles de vergers commerciaux en agriculture biologique
3) Description du verger par système d’information géographique
C. Etude de la prédation et de ses effets sur les populations de ravageurs
1) Observation directe de la prédation par PCR diagnostique
2) Observation indirecte de la prédation par suivi des populations
Chapitre III : Quelles périodes d’action des prédateurs ?
A. Prédation sur le carpocapse de la pomme et la tordeuse orientale
1) Les arthropodes du sol
∼ Article 1
2) Les chauves-souris
3) Les mésanges
B. Prédation sur le puceron cendré
1) Les araignées de la frondaison
∼ Article 2
2) Les acariens (hors étude)
C. Quelles complémentarités fonctionnelles entre prédateurs ?
1) Prédateurs du carpocapse de la pomme et de la tordeuse orientale
2) Prédateurs du puceron cendré
Chapitre IV : Quelle mortalité du ravageur selon la diversité et la densité en prédateurs ?
A. Mortalité observée du carpocapse de la pomme en fonction de l’abondance de deux espèces de carabes, Calathus fuscipes et Pseudoophonus rufipes.
1) Objectifs de cette expérience
2)Matériels et méthodes
3) Résultats et discussion
∼ Article 3
B. Mortalité des pucerons du pommier en fonction de l’abondance des araignées de la frondaison.
1) Résumé du matériels et méthodes
2) Résultats
Conclusion
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