La philosophie pour enfants adaptée aux mathématiques

Problématique

Présentation de la problématique

La notion de problème et l’acte de problématiser occupent une place centrale en philosophie comme en mathématiques.
Pour un auteur comme Michel Tozzi (2006), l’un des principaux acteurs de la philosophie pour enfants en France, la problématisation est « l’une des capacités philosophiques de base » aux côtés de la conceptualisation et de l’argumentation. Il la considère comme son objectif d’apprentissage principal. Philosopher, c’est d’abord problématiser.
Du côté des mathématiques, une place importante est réservée à la résolution de problèmes dans les programmes. Il s’agit de l’activité privilégiée pour permettre aux élèves de donner du sens aux notions mais également pour mesurer la maîtrise des compétences travaillées (« La résolution de problèmes constitue le critère principal de la maîtrise des connaissances dans tous les domaines des mathématiques, mais elle est également le moyen d’en assurer une appropriation qui en garantit le sens »).
C’est cette apparente proximité entre la philosophie et les mathématiques qui m’a conduit à m’interroger sur le rôle pédagogique que pourrait jouer la pratique de la philosophie dans l’enseignement des mathématiques
La pratique de la philosophie en classe peut-elle aider les élèves à mieux problématiser en mathématiques ? Une telle question suppose que l’on ait besoin de problématiser en mathématiques. Or, cela n’est pas évident. Si on peut admettre qu’en philosophie on cherche à construire des problèmes en explorant toutes les dimensions d’une question, il semble en aller tout autrement en mathématiques, du moins dans le cadre scolaire. En effet, en mathématiques, les élèves se confrontent à des problèmes afin de les résoudre, c’est-à-dire de leur apporter des solutions. Dans la solution, le problème mathématique disparaît, et il paraîtrait pour le moins étrange de chercher à le faire « renaître » ou à le « maintenir en vie » comme il est d’usage en philosophie, où les problèmes ne semblent jamais trouver de solutions satisfaisantes ou définitives.
Néanmoins, les programmes de mathématiques recommandent de confronter les élèves à des problèmes d’un type particulier : des « problèmes pour apprendre à chercher ».
Or, apprendre à chercher dans le cadre de problèmes n’est-ce pas précisément problématiser ? Dans ce cas, la philosophie, que l’on pourrait considérer comme une activité générale de problématisation ou comme l’art de la problématique, pourrait bien contribuer aux apprentissages mathématiques. Mais en quoi consiste la problématisation en philosophie? Est-elle de même nature que la problématisation en mathématiques ? Existe-t-il une compétence générale de problématisation qui permettrait de savoir problématiser quelque soit le contenu ? La pratique de la philosophie permet-elle de développer des capacités transférables aux activités mathématiques ?
Ce sont ces questions qui ont guidés mon investigation et auxquelles je tenterai de répondre dans le présent mémoire.
Je commencerai par définir les concepts utilisés de manière générale puis en spécifiant leur sens dans les registres philosophique et mathématique. Je présenterai ensuite un état des lieux de la recherche concernant l’apprentissage de la problématisation et les expérimentations menées avec les enfants en philosophie des mathématiques. J’analyserai ensuite la démarche d’enseignement que j’ai menée en classe afin de vérifier la validité de mes hypothèses concernant l’apport de la philosophie aux mathématiques. Enfin, je dresserai un bilan réflexif sur l’action menée et présenterai ses bénéfices au point de vue de la construction de mes compétences professionnelles.

La philosophie pour enfants adaptée aux mathématiques

Les recherches de Marie-France Daniel

Les recherches menées au Quebec par l’équipe de Marie-France Daniel ont démontré que les enfants du primaire sont capables de philosopher sur les mathématiques et les sciences. S’inscrivant dans le sillage du programme de Philosophie pour enfants (PPE) de Lipman, M.-F. Daniel a mis au point, en collaboration avec des didacticiens des mathématiques, un matériel pédagogique permettant d’organiser des séances de Philosophie pour enfants adaptée aux mathématiques (PPEM). Ce matériel pédagogique se compose d’un roman philosophique, Les aventures mathématiques de Mathilde et Davidet d’un guide pédagogique, Philosopher sur les mathématiques et les sciences, présentant des exercices et des plans de discussion pour l’exploitation pédagogique du roman en classe.
Les aventures mathématiques de Mathilde et David se présente comme un roman philosophique à destination des 9-12 ans dans la lignée des romans de Matthew Lipman, comme La découverte de Harry Stottlemeier ou Pixie. Son objectif est de favoriser un apprentissage critique et réfléchi des mathématiques à partir d’une entrée narrative qui permet aux enfants d’appréhender les notions en contexte à travers le vécu de personnages de fiction. Il est conçu pour être exploité en classe selon une démarche en trois étapes: lecture du texte par les élèves, formulation des questions philosophiques qu’ils souhaitent discuter, discussion de ces questions dans le cadre d’une communauté de recherche philosophique (CRP).
J’ai utilisé ces ouvrages pour mener certaines des séances de mon expérimentation, sans toujours respecter la démarche recommandée quand celle-ci ne correspondait pas à mes objectifs de recherche.

Les recherches de Nadia S. Kennedy

Les travaux de Nadia S. Kennedy (2009) proposent une autre application du modèle lipmanien de « communauté de recherche philosophique » à l’enseignement des mathématiques qui consiste à articuler activités mathématiques et discussions philosophiques.

Recueil de données

Contexte d’investigation

L’investigation a été menée au sein de mon lieu de stage en responsabilité : une classe de CM1 de l’école primaire Victor Hugo-Maintenon de Lambersart, situé dans l’ancien quartier ouvrier de Canteleu, limitrophe du quartier Bois Blancs de Lille. Le projet d’école, rédigé en 2014, fait état d’une « population très hétérogène ». Sa prise en compte constitue le premier axe prioritaire du projet. La mise en place d’ateliers de philosophie constitue l’une des actions pédagogiques mises en œuvre pour atteindre cet objectif. Ce même projet fait état dans sa partie diagnostique de carences en résolution de problèmes mathématiques et préconise d’y répondre par le « développement de la démarche d’investigation » et l’ « apprentissage de la problématisation ». Notre expérimentation s’inscrit dans le cadre de ces deux actions.
Dans ma classe de 27 élèves dont l’effectif est majoritairement féminin (19 filles pour 8 garçons), 19 élèves ont pratiqué la philosophie en classe de CE2 dans le cadre d’un projet de «classe citoyenne». Ces ateliers se sont déroulés sous la direction d’un intervenant extérieur, professeur de philosophie à la retraite.

Dispositif

Les données ont été recueillies au cours de huit séances menées en première personne qui se sont déroulées de décembre 2016 à avril 2017 sans périodicité fixe. Ces séances se sont déroulées en classe entière dans la salle de classe et, pour une séance, dans la salle polyvalente de l’école. Afin de distribuer la parole, il a été fait usage d’un bâton de parole. J’ai fait le choix de ne pas recourir à des rôles sociaux pour ne pas alourdir le dispositif.
Les séances ont fait l’objet d’un enregistrement audio. Elles ont été intégralement retranscrites à partir de cette source en adoptant les conventions de Vion (1992).
Certaines activités ont donné lieu à des traces écrites dont on trouvera des exemples en annexe du présent dossier. Enfin, un questionnaire a été proposé aux élèves afin qu’ils expriment leurs jugements sur la philosophie, les mathématiques et leurs relations.

Déroulement de la séquence

La séquence alterne des discussions à visée philosophique sur des sujets mathématiques et épistémologiques, des activités mathématiques en collectif et des discussions sur ces activités.

Séance 2

La seconde séance débute par une activité de tri de questions en petits groupes. Les élèves disposent d’une fiche sur laquelle est notée une liste de questions . On leur demande de cocher celles qui selon eux sont des questions philosophiques. Pour cela ils disposent d’une définition qui met en avant trois critères : « Les questions philosophiques sont des questions qui font réfléchir, dont on n’a pas forcément la réponse et qui concernent tout le monde ». On peut se poser la question de la pertinence de proposer cette définition aux élèves. Avec le recul, il me semble qu’il aurait été plus judicieux de confronter les élèves à la nécessité de déterminer des critères plutôt que de leur demander d’en appliquer. Toutefois, l’examen de certaines questions proposées a donné lieu à des distinctions conceptuelles spontanées et à une amorce de « dialogue critique ». Par exemple à propos de la question « Pourquoi le bois flotte-t-il ? » :

Séance 3 et 4

La séance 3 a été consacrée à la lecture magistrale du premier chapitre des Aventures mathématiques de Mathilde et David suivie d’une phase de formulation de questions philosophiques à partir du texte (en petits groupes).
L’exercice proposé s’est révélé difficile pour la plupart des élèves bien que je leur aie laissé le choix de relever des questions déjà présentes dans le texte ou d’en formuler de nouvelles à partir de celui-ci. A force d’étayage, en rappelant le contenu des séances précédentes ainsi que la finalité de l’activité (choisir une question philosophique que la classe souhaite discuter), les élèves sont parvenus à la formulation de cinq questions que j’ai inscrites au tableau. Toujours en suivant la démarche de PPE préconisé par Lipman et Daniel, j’ai ensuite procédé à un vote qui a permis de déterminer la question qui serait discutée à la séance suivante : « Qu’est-ce qu’une bonne raison de croire ? »
La question choisie par la classe me paraissait difficile pour une première DVP. De fait, les échanges ont plutôt tourné autour de la question de la « croyance » plutôt qu’autour des critères qui font qu’une raison est bonne. Sur ce point, mon animation se révèle défaillante : il aurait fallu amener les élèves à définir les termes du sujet (et tous les termes) afin de bien en saisir l’enjeu.
Dans cette séance, on observe encore peu d’interactions entre élèves, les échanges se faisant surtout avec le maître. Mon guidage est très fort et prend plusieurs formes : demande d’exemples, reformulation, inférences, demande de distinctions conceptuelles…

Limites de l’investigation

Pour donner des résultats plus fiables, cette expérimentation aurait du être menée sur une période plus longue et sur un nombre plus important de séances. En effet, je n’ai pu mener qu’une séance de résolution de problème ouvert, par conséquent, il est difficile de tirer des conclusions sur les compétences philosophiques qu’ont pu y transférer les élèves.
Par ailleurs, je pense qu’il aurait fallu cibler des objectifs d’apprentissage plus précis pour chaque séance, en accordant une attention particulière à chaque dimension de la problématisation. Cela aurait nécessité des lectures plus approfondies en didactique des mathématiques et une préparation plus importante des séances, notamment en ce qui concerne mon animation. Une réflexion plus approfondie sur le rôle du maître dans la problématisation (à travers les différentes formes de sollicitations des habiletés cognitives des élèves) aurait donné de meilleurs résultats.

Confrontation des résultats avec les hypothèses de départ

Je peux maintenant examiner mes trois hypothèses de départ à la lumière des résultats obtenus lors des séances.

Les progrès observés au niveau des conduites discursives des élèves permettent

d’affirmer que la pratique de la philosophie en communauté de recherche contribue à l’apprentissage de la problématisation. Au fur et à mesure des séances, les élèves sont de plus en plus capables d’examiner les dimensions d’une question en tenant compte des propositions de leurs pairs, de s’engager dans une recherche et de réfléchir à leur propres arguments à la lumière de ceux des autres.
Il serait déraisonnable de soutenir que la philosophie puisse être une « méthode générale de problématisation » permettant de répondre à tous les problèmes théoriques et pratiques susceptibles de se poser à un sujet, du diagnostic médical au dilemme moral en passant par le problème scientifique. Toutefois, si on considère le cadre des problèmes scolaires tels qu’ils se manifestent dans les différentes disciplines, il me semble que la démarche philosophique constitue la démarche transversale la plus satisfaisante pour les traiter.
2) L’investigation menée ne m’a pas permis de vérifier qu’en partie que l’habitude de problématiser en philosophie aide les élèves à problématiser en mathématiques. Dans le cadre de la résolution d’un problème ouvert, j’ai certes constaté des transferts d’habiletés philosophiques comme la justification, l’argumentation ou la contradiction. Néanmoins, il m’a parfois semblé que l’influence du cadre philosophique empêchait les élèves de se livrer à une véritable problématisation mathématique au profit de considérations plus générales sur ce à quoi devrait ressembler une résolution du problème. D’autres séances seraient nécessaires afin de mesurer l’influence réelle de la philosophie sur la résolution de problèmes mathématiques.
3) L’attitude des élèves et leurs réponses au questionnaire montrent que philosopher sur des sujets mathématiques permet aux élèves de construire des liens entre philosophie et mathématiques et facilite le transfert des habiletés développés dans les DVP dans un autre contexte.

Bilan réflexif

Un horizon : la classe philosophique

Dans mon projet de mémoire, rédigé avant mon stage en responsabilité, je mentionnais mon désir d’aborder la philosophie non seulement comme un exercice ponctuel mais comme « une clef de voûte de l’organisation des apprentissages ». Je souhaitais mettre à profit mon cursus universitaire dans ce domaine pour construire progressivement « une approche philosophique de l’enseignement au primaire en général » qui permette aux élèves d’entretenir un rapport réflexif aux apprentissages et de donner du sens aux savoirs disciplinaires. Je considère le présent travail de recherche comme une première étape dans la construction de l’identité professionnelle que je projette. A travers cette expérimentation, je me suis donc engagé dans une « démarche individuelle de développement professionnel », selon l’intitulé de la compétence 14 du Référentiel des compétences professionnels des métiers du professorat et de l’éducation, que je souhaite poursuivre dans les années à venir.

La recherche d’une organisation pédagogique favorable à la philosophie

L’expérience apportée par mon stage m’a permis de prendre conscience du fait que le rapport philosophique au savoir que je souhaite instaurer ne peut exister qu’au prix d’une réorganisation pédagogique et matérielle de la classe. Elle requiert de rompre avec « les modèles ordinaires de l’enseignement qui placent un adulte en situation de maîtrise face à des enfants (…) identifiés par leur ignorance ». C’est la raison pour laquelle j’ai mis en place un certain nombre de démarches issues des pédagogies coopératives qui entrent en résonance avec la DVP (messages clairs, conseil d ‘élèves, « Quoi de neuf ? »). Toutefois, je ne suis pas certain que la pédagogie coopérative corresponde tout à fait à la forme que je recherche dans la mesure où elle met l’accent sur la citoyenneté démocratique plutôt que sur l’intersubjectivité critique de la communauté scientifique que je souhaite prendre pour modèle.
Je pense avoir essayé d’ « organiser un mode de fonctionnement du groupe favorisant l’apprentissage et la socialisation des élèves » (compétence P4) bien qu’il me reste beaucoup à faire pour impliquer tous les élèves dans les DVP. Il me faut encore expérimenter d’autre dispositifs permettant de réduire la passivité de certains élèves (recours aux rôles sociaux).

Apports sur les plans pédagogique et didactique

Mes lectures sur la problématisation et sur les effets cognitifs de la communauté de recherche philosophique m’ont permis de mieux « connaître les élèves et les processus
d’apprentissage » (compétence 3). Permettre aux élèves de discuter des savoirs scolaires est une manière de tenir compte de leurs représentations donc de « prendre en compte la diversité des élèves » (compétence 4) dans une logique d’accompagnement personnalisé des parcours. Enfin, travailler sur les mathématiques m’a permis de me familiariser avec quelques auteurs et quelques concepts de la didactique de cette discipline. Il s’agit d’une première étape dans la maîtrise de la compétence P1 (« Maitriser les savoirs disciplinaires et leur didactiques »).

Conclusion

J’ai interprété l’émergence du « paradigme du problème » à l’école primaire comme une opportunité pour articuler la pratique de la philosophie aux disciplines scolaires. J’ai cherché à montrer que la philosophie, comprise comme démarche transversale de problématisation, pouvait permettre aux élèves de les aider à apprendre à problématiser en mathématiques. J’ai constaté que les élèves étaient capables de problématiser en philosophie sur des sujets mathématiques et que cela favorisait des attitudes métacognitives concernant leur stratégie en résolution de problèmes mathématiques.
Bien que la DVP ne puisse pas être considérée comme une méthode pour apprendre aux élèves à problématiser en mathématiques (au sens où elle se substituerait à un enseignement disciplinaire), j’ai essayé de montrer qu’elle donne aux élèves des habitudes de problématisation transférables dans un contexte mathématique lorsque des séances de recherche philosophique et des séances de recherche mathématique étaient articulés entre elles.

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Table des matières

Introduction
1 Problématique 
1.1 Présentation de la problématique
1.2 Définition des concepts
1.2.1 « Problème »
1.2.2 « Problématiser »
1.3 Problématiser en philosophie
1.4 Problématiser en mathématiques
1.5 État des lieux de la recherche
1.5.1 Le problème comme paradigme éducatif
1.5.2 Enseigner la problématisation ?
1.5.3. La PPE comme moyen de développement des capacités cognitives au sein d’une communauté de recherche (Lipman)
1.5.5 La philosophie pour enfants adaptée aux mathématiques
a) Les recherches de Marie-France Daniel
b) Les recherches de Nadia S. Kennedy
1.6 Hypothèses
2 Recueil de données
2.1 Contexte d’investigation
2.2 Dispositif
2.3 Déroulement de la séquence
2.4 Analyse des séances
2.4.1 Méthodologie
2.4.2 Séance 1
2.4.3 Séance 2
2.4.4 Séance 3 et 4
2.4.5 Séance 5
2.4.6 Séance 6
2.4.7 Séance 7
2.4.8 Séance 8
2.5 Analyse du questionnaire
2.6 Limites de l’investigation
2.7 Confrontation des résultats avec les hypothèses de départ
3 Bilan réflexif
3.1 Un horizon : la classe philosophique
3.2 La recherche d’une organisation pédagogique favorable à la philosophie
3.3 Apports sur les plans pédagogique et didactique
Conclusion 
Bibliographie
Abréviations utilisées
Annexes

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