Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
L’homme un animal politique chez Aristote
En effet ces propos tenus par Aristote dans son ouvrage intitulé Politique à savoir que « l’homme est un animal politique »13 ont fait des échos plusieurs siècles après. Les philo-sophes et les hommes politiques ont eu à débattre sur ce sujet. De même l’écrivain que nous étudions en a également parlé ou du moins a soutenu cette affirmation.
En réalité Cicéron séduit par la pensée d’Aristote, a effectivement soutenu dans ses dé-bats cette réflexion lorsqu’il évoque l’origine de la société civile.
Examinons les raisons pour lesquelles Aristote a eu à tenir un discours pareil. En effet après avoir défini la cité comme étant une « communauté achevée », c’est-à-dire qu’elle cons-titue en quelque sorte la structure sociale la plus réussie et la plus efficace, Aristote tire comme conséquence que l’homme ne peut vivre qu’en société. En d’autres termes, étant don-né que la Cité appartient à la nature, et qu’elle représente la structure la plus parfaite de toutes les sociétés humaines, cela inclut que tous les individus sont assignés à vivre dans des cités.
Cependant de telles affirmations ne signifient pas que tous les hommes doivent impérative-ment vivre dans une cité, mais c’est plutôt pour montrer que l’homme a en lui la faculté de vivre selon les régimes politiques et c’est uniquement après avoir intégré ce milieu qu’il sera en mesure d’accomplir totalement son humanité.
Cicéron comme nous l’avons dit plutôt adhère à cette thèse d’Aristote, étant donné que dans le De Republica, il qualifie l’individu comme étant un Etre qui a ce désir de se rassem-bler, de former une communauté. Ainsi il affirme que : « La première cause pour se réunir, c’est moins la faiblesse de l’homme, que l’esprit d’association qui lui est naturel. Car l’espèce humaine n’est pas une race d’individus errants, isolés, solitaire ; elle nait avec une disposi-tion qui, même dans l’abondance de toutes choses et sans besoin de secours, lui rend néces-saire la société des hommes… Il faut supposer ces germes originels ; car on ne trouverait nulle convention première qui ait institué, ni les autres vertus, ni même l’état social. »14
Les Formes de Gouvernement dans le De Republica de Cicéron.
A. Fouillé, nous le met en évidence dans son ouvrage lorsqu’il affirme que « Quant à l’origine de la société civile, Cicéron, d’accord avec Aristote, la place, non dans une conven-tion humaine, mais dans une loi de la nature. »15
La place de la république dans la pensée de Cicéron
En effet pour bien comprendre Cicéron, pour saisir les raisons qui l’ont poussé à avoir un certain regard sur la République Romaine, il est nécessaire avant tout de rappeler ou de moins de retracer brièvement son parcours, sa vie politique et même ses écrits.
En réalité, issu d’une famille plébéienne élevée au rang équestre, Cicéron est né dans une époque où la République était devenue agonisante.
Depuis son plus jeune âge, Cicéron a vu l’état dans lequel se trouvait son pays. Des conquêtes incessantes, des crises internes qui se multiplient. Bref il habite et grandit dans cette atmosphère. Alors sa réaction par rapport à cela ne tarda pas. Il se consacre aux études et développe une passion pour le monde juridique. Confronté à ce milieu, il est donc nécessairement en contact direct avec les réalités crues de la sphère politique et de ses injustices.
Evidemment, il ne peut donc rester indifférent à cette situation, en tant qu’homme devenu mature sur le plan juridique et politique. Il va donc se lancer dans une vaste et tumultueuse carrière politique et d’orateur afin d’essayer de sauver ce qui peut l’être dans la république.
Il faut aussi reconnaître que sa famille a beaucoup contribué à son implication dans le milieu politique étant donné qu’elle avait des relations avec certains personnages sénatoriaux. Lorsqu’elle voit maintenant quelques-uns d’entre eux tomber sous les proscriptions de Sylla, elle entraîne le jeune Cicéron dans la tourmente. 16
La situation politique, économique et sociale sous l’ère républicaine
La période républicaine a été particulièrement troublante et riche en évènements. En effet durant cette époque une multitude de mutation, de vicissitude ont secoué la république romaine et cela dans plusieurs domaines.
La situation politique
Il faut reconnaître que les romains ont eu un système politique bien performant au début de la république. Un système fondé sur une hiérarchie de magistrature. Le pouvoir suprême était confié simultanément à 2 consuls. L’ordre d’accès aux magistratures publiques était donc appelé le « cursus honorum » ou « carrière des honneurs ». Elle représentait le parcours à suivre par le jeune Romain qui se réservait à une carrière politique gratifiée à la fin par un poste de consul.
Durant cette même période, l’expansion romaine atteint un niveau considérable. En réalité la Rome s’investit à conquérir l’Italie centre puis au fur à mesure elle étend son territoire à l’ensemble de l’Italie. Cette capacité donc à conquérir aussi facilement des contrées est sans doute le résultat d’un état politique apparemment stable.
Notons aussi que la stabilité de la république romaine reposait sur le fait qu’après avoir conquis un territoire, les Romains se soumettaient ou prenaient en considération les coutumes et les valeurs étrangères pour les assimiler aux leurs. Contrairement à la Grèce qui considérait toute culture étrangère comme barbare. C’est ce qu’Elizabeth Deniaux affirme dans son ouvrage, Rome de la Cité-Etat à l’Empire, et qui sera repris par un certain Hoesli Matthieu dans un de ses travaux « Cicéron Contre les Triumvirs » : « (…) Rome s’adaptait aux coutumes locales, ou plutôt se transformait au fil de ses conquêtes. (…) Mais la tendance générale fut incontestablement à l’ouverture. Grâce à cette politique intelligente, la République puis l’Empire allaient assurer leurs fonctionnements pendant presque 1000 ans. »17
Mais cela n’a pas duré une éternité car après quelques décennies les problèmes au sein de la ville de Rome commencèrent. Un des facteurs les plus importants ayant causé l’instabilité est la guerre. En réalité pendant la guerre contre les étrusques et les latins, une classe sociale fit son apparition. Celle des gens essentiellement pauvres que l’on appelle la plèbe par opposition aux personnes riches et détenteurs de pouvoir, les patriciens.
Au fil des années donc, la plèbe se fortifie et devient une classe sociale assez puissante pour défendre ses droits et donc de mener des revendications. Les requêtes sont accentuées par certaines théories philosophiques grecques qui préconisent l’égalité entre les individus. Les soldats ayant longtemps combattu pour la Rome participent aussi aux revendications. Toutes ces séries de réclamations sont donc conduites par deux frères qui à l’origine étaient des aristocrates : Tiberius Sempronus Gracchus et Caius Sempronius Gracchus qui seront plus tard assassinés.
Les troubles s’intensifièrent et causèrent de nombreuses répercussions. Les institutions politiques furent complètement déstabilisées. On remarque une dégradation accentuée des formes de gouvernement et des dirigeants avides de pouvoir et de gain.
Cicéron, ne pouvant être indifférent à cette situation, décida de réagir en écrivant des ouvrages tels que le De Republica. D’ailleurs Alain Michel va appuyer cette affirmation dans son ouvrage Cicéron et la crise de la république romaine lorsqu’il soutient que: «Cicéron, qui assiste notamment aux scandales de la campagne électorale pour le consulat et qui voit comme elle est faussée par les manœuvres des véritables puissances, affirme que les institutions ne fonctionnent plus.»18
En effet Cicéron va mener une rude bataille contre ceux qui veulent détruire la République. C’est le cas de la conjuration de Catilina. Catilina (108-62 av. J.-C.) est un homme politique issu d’une famille patricienne. En 64 av. J.-C., durant les élections consulaires il eut comme adversaire l’illustre Cicéron. Catilina perd les élections devant Cicéron de même que l’année suivante en 63 av. J.-C. Alors ne pouvant plus supporter un tel échec, et s’étant entouré d’une véritable ligue électorale, il décide de mener une conspiration. En d’autres termes il complota pour faire tomber Cicéron. Ce dernier, alors consul, est informé de ce qui se trame par une maîtresse de l’un des conjurés Q. Curius, une certaine Fluvie. En plein sénat, il demande impérativement à Catilina de répondre de ses actes, celui-ci s’enfuit et rejoint les troupes qu’il était en train de lever à Fésules en Etrurie. Le consul fit donc appel au sénat pour décider du sort qui sera réservé à Catilina et à ses compagnons. Les juges s’accordent à prononcer la peine de mort aux conjurés. Catilina, sera lui massacré avec ses troupes en janvier 62 av. J.-C.19
Cette attitude ferme qu’a eue Cicéron par rapport aux conspirateurs sera considérée comme héroïque. En réalité Cicéron a montré à tout le peuple qu’il était prêt à défendre sa patrie de manière ferme et radicale. Cette manière d’agir ne nous surprend pas si nous revoyons ses écrits et que nous constatons la façon dont il désapprouve le comportement de certains dirigeants et les solutions qu’il ne cesse de préconiser pour un Etat meilleur.
Toujours durant l’ère républicaine, la situation politique a eu à se redresser momentanément avec l’arrivée de nouvelles figures politiques telles que Jules César. En effet avec l’arrivée de ce dernier la situation s’était un peu stabilisée mais la liberté politique était restreinte. César était nommé dictateur et avait une emprise sur tout. Il reconstitue les effectifs du Sénat, en radie quelques sénateurs responsables de concussion dans leurs provinces. Il nomme lui-même les magistrats, sauf les tribuns de la plèbe et les édiles plébéiens, encore élus, et désigne des consuls pour quelques jours de charge seulement. Sur le plan militaire l’armée romaine atteint son apogée. Les légions sont régulièrement entraînées. Elles sont très bien équipées. Les hommes sont bien vêtus, nourris, ont au minimum un casque et un bouclier pour se défendre. Ils sont tenus de rendre compte de l’entretien de leur matériel. Bref un système qui tend vers la monarchie mais efficace car la stabilité est revenu dans la ville de Rome. Cette stabilité s’est faite par le biais de réformes administratives très importantes. Pensant donc à faire rétablir la monarchie, César se fit beaucoup d’ennemis et il finit par être assassiné le 15 mars 44 av. J.-C.
En fin de compte la république romaine qui était perçue comme parfaite car ayant un système politique meilleur (gouvernement mixte), était en réalité bâtie sur la corruption, les assassinats et les mensonges. C’est ce qu’affirme Benoît Jeanjean dans son article Violence et politique dans la Rome républicaine : « Ces différents “instantanés” de la vie politique romaine nous permettent de juger du fossé qui sépare la vision idyllique d’une République Romaine pleine de gravité, de mesure et d’équilibre, de la réalité qui s’observe sur le terrain et qui perce à travers le regard d’un Salluste et d’un Cicéron. »20
En effet les institutions et les doctrines politiques ne constituaient qu’un mirage, une simple illusion car la réalité était tout à fait différente.
De riches évènements ont aussi suscité notre attention durant l’époque républicaine et cela sur le plan économique.
L’aspect économique
L’économie de la Rome durant la période républicaine a connu une forte ascension surtout à partir du second siècle av. J.-C. Cette hausse est due à plusieurs éléments tels que l’agriculture, la main d’œuvre gratuite que sont les esclaves, les saisies de guerre etc…
Si nous analysons l’agriculture on remarque en effet que c’est le secteur primordial de l’économie romaine. En réalité le romain tenait intimement à son sol, et toute sa vie en dépendait. Il luttait donc pour préserver ou accroitre ses terres et construisait ses villes comme un foyer de rassemblement devant accueillir des campagnards et leurs denrées. Par contre il faut reconnaitre que la plus grande partie de l’agriculture romaine est entre les mains des riches. Parmi eux, nous avons les ‘‘Latifundia’’ qui possèdent des terres agricoles travaillées par des esclaves. Ce qui laisse cependant peu d’espaces cultivables aux petits paysans. Les produits les plus cultivés à Rome restent le blé, la vigne et l’olive afin de faciliter le libre-échange entre certain pays voisins. La question agraire a eu un impact autant positif que négatif dans la politique romaine sous l’ère républicaine. L’agriculture est d’ailleurs considérée comme l’un des éléments ayant le plus entrainé la chute de la république étant donné que la plupart des révoltes et des guerres civiles sont liées à la question des terres.
Nous remarquons aussi qu’un autre facteur qui est le système économique fondé sur l’esclavage constitue un élément de taille dans la croissance de l’économie romaine sous l’ère république. En effet comme nous l’avons évoqué tantôt, les personnes riches ont établi un système agricole rentable et très prolifique basé sur l’esclavage. En réalité chez les hommes politiques, les intellectuels et les propriétaires d’esclaves, l’esclave était perçu comme un simple outil. Nous retrouvons cette affirmation dans l’ouvrage intitulé Manuel d’économie politique de Vincent Gouysse. En effet l’auteur reprend les propos de Varron un polygraphe du 1er siècle av. JC, « C’est au polygraphe Varron (Ier siècle avant notre ère), qui composa entre autres une sorte de manuel d’agriculture à l’usage des propriétaires d’esclaves, qu’appartient la célèbre division des instruments en : 1, instruments muets (chariots); 2, instruments qui émettent des sons inarticulés (bétail) ; et 3, instruments doués de la parole (esclaves). Il ne faisait qu’exprimer par-là les opinions généralement admises par les propriétaires d’esclaves. »21
L’esclavage a donc beaucoup contribué à l’amélioration de la situation économique de la république romaine. Mais cela n’a pas duré longtemps car avec la grande révolte des esclaves et des guerres serviles les hommes riches détenteurs de terres ont commencé à voir leur puissance diminuer à cause d’une forte diminution de main la d’œuvre notamment celui qui s’effectue au sein de Rome et des cités environnantes. Chaque localité reçoit des commerçants qui dirigent ainsi une union économique. Dans la majorité des cas, les produits écoulés sont fabriqués par ces mêmes commerçants. Un bon nombre de marchands proposent des produits venus généralement des milieux ruraux environnants. Les échanges entre la Rome et les pays voisins ont toujours été aussi intenses. En effet le commerce des matières premières en témoigne. C’est un secteur important qui répond à une demande toujours en expansion. Ainsi des matières premières nécessaires à la fabrication d’arme sont exportées de même que des bijoux, des sculptures, des œuvres d’art etc… Le tout est relayé par des échanges commerciaux dynamiques et efficaces. Des voies commerciales s’accroissent et plus principalement les voies fluviales et maritimes. En effet le commerce maritime ne cessera de se développer du fait de la forte demande des pays d’occident. Bref nous pouvons dire que durant l’époque républicaine, le commerce a eu une croissance considérable. Rome fut toujours un grand centre commercial. Devenant peu à peu maîtresse de l’Italie, puis du monde méditerranéen, c’est vers elle que tendent les produits les plus variées par terre ou par mer. Nous ne pouvons pas aussi parler d’économie sans pour autant évoquer le domaine de l’importation et de l’exportation romaine. En réalité dans ce domaine, Rome restait limitée car à l’opposé de Carthage, Rome revend rarement les objets qu’elle achète, elle se satisfait par le fait qu’elle importe pour sa propre consommation des objets de valeur, des esclaves et des biens de première nécessité telles les céréales. Les exportations sont loin de pallier les importations : on peut comparer Rome à une pompe qui aspire l’or des provinces sous forme de tribut et les refoule pour payer ses achats.
Après avoir donc évoqué l’aspect politique et économique dans une république pleine d’histoire, nous allons de ce fait aborder son côté social. En d’autre terme nous nous pencherons sur les structures sociales, les rapports entre les diverses classes de la société.
Les conditions sociales
La société romaine est parfaitement structurée et repose sur des fonctions bien précises où chaque personne se reconnait à travers son rang et son appartenance. En réalité le monde romain et plus particulièrement à l’époque républicaine est essentiellement représenté comme étant une société de classes, c’est-à-dire reposant sur des degrés de fortune.
Nous distinguons plusieurs classes à Rome notamment l’ordre sénatorial. En effet l’ordre sénatorial est considéré comme étant le premier ordre de l’Etat. Il précède donc l’ordre équestre. Au début cet ordre ne réunit que les patriciens faisant parties des familles les plus anciennes de Rome. Ensuite, les magistratures s’ouvrent progressivement et à la fin de la République, les riches plébéiens peuvent y prétendre. Pour y accéder, il fallait au moins être un questeur et aussi posséder beaucoup de biens. Mais si l’on y repense bien à Rome il était fort difficile de s’élever aux honneurs quand on était sans fortune.
Ensuite vient maintenant l’ordre équestre. Un citoyen pouvait en faire partie uniquement lorsqu’on lui donnait de la part de l’Etat un « cheval public » c’est à dire de quoi se procurer un cheval pour servir la cavalerie. Entre temps, au IIe siècle, le chevalier romain est nommé par les censeurs sur critère moral et financier. Il est en général un riche propriétaire, homme d’affaire ou avocat. A partir de la lex Claudia, les chevaliers sont à l’écart de la vie politique romaine, puisque leurs activités relatives au commerce les éloignent des magistratures et du sénat. 22 Il est donc évident que ce qui relie ces deux classes c’est la richesse. Un citoyen ordinaire ne peut accéder à ces deux ordres à moins qu’il ne soit suffisamment riche, entre autre qu’il soit un homme d’affaire influent ou un riche propriétaire foncier.
Revenons à l’auteur du De Republica, Cicéron. Il est originaire de cette catégorie sociale mais reste tout à fait à l’opposé de leur idéologie et de leur conception de la société. En effet à travers sa politique, Cicéron se démarque de leur logique et nous le montre d’ailleurs à travers ce qu’il appelle la concordia ordinum. La concordia ordinum n’est rien d’autre qu’une entente existant entre les différentes classes sociales à savoir les patriciens, l’ordre équestre, et aussi les plébéiens. Cicéron opte donc pour l’égalité et la reconsidération des classes sociales. C’est ce que nous fait remarquer un certain Pöschl Viktor qui affirme : « A l’exemple de Platon, Cicéron demande aux hommes politiques de ne jamais prendre une décision en ne tenant compte que d’un groupe déterminé, mais de toujours considérer l’ensemble, ce qui a pour but de remplir une des conditions sine qua non de la concordia. » 23
Toujours en parlant de classe sociale, la bourgeoisie municipale en fait partie et elle constitue une classe très importante. Elle est composée d’élite locale des villes et des provinces. Leur richesse et leur influence pouvaient leur permettre de gravir les échelons jusqu’au sommet de l’Etat. Au niveau local, la carrière de ces bourgeois s’inspire du cursus sénatorial romain. Pour figurer dans cet ordre, il faut toutefois avoir un cens d’au moins 100 000 sesterces et aussi verser la summa honoraria qui est une somme permettant d’investir dans des travaux ou des dons pour la cité. 24
Nous avons aussi la catégorie la plus nombreuse de la société romaine et qui s’oppose aux patriciats, la plèbe. Ils constituent une partie de la population romaine ne jouissant aux origines que de droits très restreints, mais qui parvint, par la suite, à conquérir le droit de mariage avec les patriciens, l’éligibilité, et la possibilité d’accéder à toutes les magistratures, y compris au pontificat. Au début, les plébéiens n’avaient aucun droit et n’ont alors cessé de revendiquer et de lutter pour obtenir justice. Durant la période républicaine, il se trouve qu’il y avait une plèbe urbaine qui était composée d’artisans et de petits commerçant venant de Rome et aussi une plèbe rurale se trouvant être les petits propriétaires du Latium.
Il faut savoir que son origine a toujours suscité quelques réflexions chez les auteurs anciens et même modernes. C’est le cas de Cicéron. Un chercheur du nom de Fodé Mané dans son mémoire de maitrise soutient que « (…) Cicéron suggère dans le De Republica qu’à côté du patriciat, existait une plèbe distincte des clients. Il reconnaissait au patriciat la souveraineté qu’il refusait à la plèbe. Même si Cicéron méconnaît les facteurs qui sont à l’origine de la naissance de la plèbe, il admet en revanche la répartition tripartite de la population romaine il reconnait qu’à côté du patriciat et de ses clients, figurait la plèbe. »25 De cette remarque, nous déduisons que Cicéron définit la formation de la plèbe comme étant une opposition à la masse patricienne.
En définitive la plèbe a eu à lutter sans relâche pour enfin obtenir gain de cause. Les classes dirigeantes ont fini par reconnaître leur droit et permettre l’émergence d’une classe patricio-plébéienne au IIIe et IIe siècle.
En dernier lieu, nous avons les affranchis, une classe tout à fait défavorisée et dont les privilèges sont excessivement limités. Il faut reconnaître cependant qu’à la fin de la république, les esclaves affranchis avaient considérablement augmenté par contre ils ne pouvaient pas accéder aux institutions de l’Etat tels que la carrière des honneurs ni être enrôlés dans une légion. Le mariage des affranchis n’était pas non plus reconnu. En revanche les affranchis sont pourvus de certains droits dans la société romaine tels que le droit de vote ou de participer à certain cultes. Pour ce qui est de leurs devoirs, l’affranchi reste au service de l’ancien maître et ne devra jamais le poursuivre en justice. Il garde ainsi des liens de loyauté avec le maître.
Il est aussi important de savoir que les esclaves ne sont pas restés éternellement indifférents à ces maltraitances. En effet ils ont eu à mener de grandes révoltes et cela durant la fin de la république. Les principaux soulèvements peuvent être classés au nombre de trois, appelés communément la Première, la Deuxième et la Troisième guerre servile. Ces révoltes ont fait leur apparition avec la formation de grands domaines agricoles. Le soulèvement servile le plus dangereux pour Rome fut celui de Spartacus (74-71 av. J.- C.). Ils parvinrent à infliger de très lourdes pertes à l’armée romaine et ces derniers d’ailleurs pour stopper cette insurrection étaient obligé de déployer 8 légions.
Les retombées n’eurent rien de concluant par la suite dans l’histoire romaine. Les conséquences donc de la plus importante des révoltes serviles fut que, la manière brutale dont les esclaves furent traités et l’utilisation abusive et inconsidérée des non libres était une structure infructueuse d’économie esclavagiste. Après la sédition de Spartacus le sort des esclaves commença à aller mieux et cela se voit dans le fait qu’ensuite pendant les 40 ans où Rome fut secoué il n’y eut pas de révolte servile.
Pour conclure maintenant, les IIe et Ier siècles avant Jésus-Christ ont été le rendez-vous de la détérioration accentuée des institutions politiques élaborées après le soulèvement qui amena la fin de la monarchie à Rome. Seulement au lieu des monarques, le peuple se voit être gouverné par une classe politique aristocratique qui après avoir privé les plébéiens de leur droit, enrôle les plus riches afin qu’ils puissent monopoliser ensemble tous les intérêts provenant de la conquête. Les personnes désireuses de gloire, demeurant incompatibles au mode de fonctionnement de l’état, usèrent suffisamment de violence afin de pouvoir dominer indéfiniment, au prix de malversations et de guerres civiles toujours réitérées.
Nous avons essayé de comprendre en exposant une infime partie du fonctionnement des institutions romaines et de leurs limites. S’intéresser également au contexte politique, économique et social dans lequel Cicéron était imprégné nous permettrait de mieux comprendre ses motivations et ses choix politiques tout au long de notre exposé.
Pour aller plus loin, dans cette tentative de compréhension, nous avons jugé nécessaire de poursuivre notre analyse en se focalisant encore plus sur les raisons qui ont causé la chute de la république. En d’autres termes la raison pour laquelle Cicéron affirme peu de temps avant de publier son ouvrage le De Republica qu’il n’existait plus de république. Quels sont donc les principaux facteurs ayant provoqué la fin de la république romaine ?
La décadence de la république romaine
La décadence de Rome est un thème qui, sous la République romaine même, a été évoqué par des observateurs contemporains, tel que Caton l’Ancien. Cette décadence est pour la plupart due à certains facteurs tels que la crise des valeurs à Rome et aussi les multiples guerres civiles qui secouèrent la ville.
Le déclin des valeurs traditionnelles à Rome
La République romaine a connu en effet une crise sans précédente et ce qui lui a valu sa chute. En réalité, les valeurs qui faisaient de Rome une ville de prestige de droiture et de bravoure avaient disparu au profit de l’individualisme de la corruption et du libertinage. Les mœurs des anciens plus communément appelé le mos majorum disparaissent au profit de l’immoralité et du désir personnel. Cicéron ne cessera de le dépeindre d’ailleurs dans ses écrits. Il se voit meurti par une société qui ne tient plus compte de la hierachie ni du respect des droits et devoirs.
Aucune idéologie ne se développa donc pour maintenir la société. Le mos maiorum n’éxistait plus depuis un bon bout de temps. C’était une structure incomparable de model pour l’aristocratie sénatoriale. Cependant la majorité des théoriciens de l’époque déploraient amèrement la chute de ce système.Les nœuds qui étaient en mesure d’unir et de maintenir la société romaine en un système politique, autrement dit en une République avec ses institutions, étaient anéanties de fond en comble.
En vérité la société romaine était en un moment donné préocupée par le jeu, le désir incontrolé de s’amuser. Ainsi, de nombreux spectacles sont organisés pour rassasier le peuple qui réclame incessamment du jeu dans des arènes énormes (les plus grandes peuvent accueillir jusqu’à 20 000 personnes). Ce goût exessif du jeu peut être considéré comme étant un élément essentiel ayant participé à la chute de la république. D’ailleurs nous retrouvons cette critique chez Pierre Grimal dans son ouvrage La Vie à Rome dans l’Antiquité lorsqu’il décrit la manière de vivre des romains : « L’évocation de la plèbe romaine, si différente de ce qu’avait été, autrefois, ce peuple de laboureurs et de soldats, suggère tout naturellement l’idée des Jeux dont elle était si friande. »26
Un autre aspect ayant occasionné la chute de la république c’est aussi l’ignorance et l’oubli. Pour qu’une société puisse avoir des bases solides et afin de continuer son ascenssion, il faut qu’elle connaisse son histoire. Or à Rome, à la fin de la république, la classe patricienne de même que plébéienne se désinteressait de ce qui faisait la grandeur de Rome jadis. En effet ce point a été mis en relief par Moatti Claude dans son ouvrage intitulé Tradition et Raison chez Cicéron : l’émergence de la rationalité politique à la fin de la République romaine. Il affirme que « Dans la cité romaine où la généalogie jouait un si grand rôle, le citoyen se devait de connaître quantité d’exempla, maîtres de vérité et modèles de vertu, répertoire écouté, appris par coeur et transmis oralement.(…) Dynamique et laudative, la mémoire, qualité essentielle du citoyen, maintenait la continuité de la cité et en garantissait le progrès. »27
Cet ouvrage qui a pour but d’etudier des aspects essentiels à savoir les coutumes et la raison dans la pensée de Cicéron, relate implicitement les véritables raisons du déclin de la république.
Une société se doit donc de connaitre parfaitement sa tradition si elle souhaite préserver et fortifier sa constitution. Cicéron juge donc inconsevable qu’un orateur ne puisse lire aucun discours et d’être totalement indifférent à la constitution des anciens. Il n’est d’ailleurs pas le seul à déplorer cette situation. Salluste aura aussi fustiger son époque et celle qui l’a précédée, en lui reprochant son ignavia, son incultus28. Dans l’ouvrage de Moatti Claude, ce dernier cite Columelle en regrettant le manque d’intérêt de sa génération pour le travail de la terre, occupation ancestrale des Romains.29 Ainsi donc à coté d’une classe dirigeante qui avait rompu les liens qui la rattachaient à son pays, on voit se former une plèbe urbaine qui n’a aucune obligation avec la vie rustique.
Une société se privant de cette faculté de mémoire entre donc en décadence. C’est ce que dévoile Scipion dans le De Republica. Il considère le déclin de Rome dans l’opposition de deux générations. Il cite d’abord Ennius, qui fait reposer la stabilité de Rome sur le souvenir des mœurs d’autrefois : « Ni les hommes, si la cité n’avait pas eu ces mœurs, ni les mœurs s’il n’y avait pas eu les chefs que vous savez, n’auraient pu fonder et faire durer si longtemps un État aussi grand et exerçant une domination aussi étendue. » 30
Ensuite Cicéron stigmatise sa génération avec ces propos : « Notre génération en revanche s’est comportée à l’égard de l’ État comme le légataire d’un tableau de prix à demi éffacé déjà par le temps, qui négligerait non seulement de revivifier les couleurs disparues, mais ne conserverait même pas le dessin et les traits primitifs. »31
La perte de la memoria collective c’est-à-dire l’oubli, traduit donc une corruption des mœurs de l’actuelle génération qui met en danger la République. L’homme ne doit donc pas se soumettre à l’inaction mais doit faire appel à la volonté et à l’énergie. Ainsi en retournant aux sources, c’est-à-dire aux valeurs de jadis, il parviendra à honorer son pays et les anciens.
Malheureusement, ce fait ne s’est pas appliqué dans la Rome républicaine étant donné qu’ils se sont entièrement soumis à la culture grècque après l’avoir conquise. Rome s’est relachée en optant pour l’orgueil et l’attrait des richesses après la conquête de la Grèce.
L’influence corruptrice de la civilisation hellénistique était telle qu’un certain Caton ne pouvait pas rester les bras croisés. En effet Caton le censeur est connu pour être un fervant défenseur des valeurs romaines. Il se révolta contre l’influence grandissante de la culture et des mœurs grecques et préconisa le retour à une morale conservatrice. Les nobles et les femmes sont les principaux cibles de cet homme politique.
En réalité, étant confrontés au mode de vie des grecs, les Romains s’en sont inspirés. Les plus riches ont un goût excessif du luxe et décorent leurs vastes maisons d’une multitude d’œuvres venues de Grèce. D’autres, nous dit Varron se vantent de vivre à la grecque : « Ils pensent ne point avoir une villa, s’ils n’usent pas d’une foule de mots grecs pour se l’approprier, en appelant ses différentes pièces : prokoïtôna (antichambre), palaïstran (palestre), apodutèrion (vestiaire), péristulon (péristyle), ornithôna (volière), péristéréôna (pigeonnier), opôrothèkèn (resserre à fruits). » 32
L’aristocratie étant donc assujettie aux coutumes grecques, engendra la dérive du gouvernement. Certaines règles qui régissaient l’Etat furent changées. Alfred Besançon va d’ailleurs soulever cette réflexion dans son ouvrage intitulé Les adversaires de l’hellénisme à Rome pendant la période républicaine. Il soutient que « … le gouvernement favorise un instant l’invasion. N’est-ce pas lui qui chargea l’affranchi des Livius de composer un hymne destiné à être chanté au cours d’une cérémonie religieuse et nationale ? Voici donc les poètes, naguère rabaissés au rang de simples scribes, érigés en chantres officiels de la patrie. »33 Cette conduite qu’a eu le gouvernement montre à quel point les valeurs romaines étaient en mauvaise posture. La crise qui entraina la fin de la république avait donc atteint tous les niveaux de la société, en partant de l’aristocratie jusqu’à la plèbe.
LA PHILOSOPHIE POLITIQUE DE CICERON
Quelques éléments fondamentaux de la politique de Cicéron
Le terme politique vient du grec Politeia, mot indiquant le fonctionnement et la structure d’une société, d’un groupe social. Ce terme antique contient le mot polis signifiant ville, cité. La politique est donc scrupuleusement rattachée à l’existence de la cité, nous pouvons dès lors avancer que c’est lorsque les cités ont commencé à se développer que la politique, dans le sens d’organisation et de gestion de la cité, est apparue. Ainsi pour Cicéron, la gestion de la cité doit se faire avec l’aide de tout un chacun et en respectant certaines règles. En effet selon lui, étant donné que l’Etat est la chose du peuple et que le peuple n’est pas seulement un rassemblement d’individus quelconque mais plutôt un regroupement de personne partageant les mêmes intérêts, alors il est nécessaire que tous les hommes gouvernent. En effet c’est à tous les hommes, que revient le pouvoir, chacun étant partie intégrante de la communauté, du groupe, du peuple.
Après cette définition du terme politique et sa conception chez Cicéron, il serait donc normal de montrer la particularité de la politique cicéronienne. C’est-à-dire ce qui fait l’originalité de la politique de Cicéron.
Ainsi sa singularité consiste dans le fait qu’il combine son savoir concret pour ce qui est de la gestion de l’Etat à l’étude spéculative de philosophie. Cette étonnante union entre deux éléments généralement incompatibles qu’il a su regrouper fait de lui un être exceptionnel. Cette fonte très rare le mit au-dessus de tous les intellectuels romains de son ère. Grâce à Platon, son guide, comme nous l’avons tantôt évoqué, il s’est beaucoup imprégné de ses pensées politiques, de ses idées de base sur l’Etat, tout en ayant tout de même ses propres réserves. Cicéron a donc réussi à mettre en valeur les pensées platoniciennes relativement à son époque et à sa situation personnelle, tout en gardant l’originalité de sa propre personnalité. Dans sa pensée philosophique, et ses activités politiques, il s’est efforcé d’ériger le droit sur la justice, et a aussi souhaité que la justice soit accomplie concrètement grâce au droit. C’est sous cet angle que l’on trouve intéressant de se pencher sur la question de la place du droit et de la justice dans la pensée de Cicéron.
La notion de justice chez Cicéron
Pour Cicéron la justice ne doit pas se fonder sur l’opinion publique mais seulement sur la nature. En effet Cicéron considère que le jugement d’un individu ou d’un groupe de personnes ne peut pas suffire à lui tout seul. Pour être sûr qu’une loi est donc bonne ou mauvaise, il faut la soumettre à la loi naturelle. C’est ce qu’il avance comme idée dans le De Legibus quand il déclare : « C’est que, pour distinguer une bonne loi d’une mauvaise, nous n’avons d’autre règle que la nature ; et non seulement la nature nous fait distinguer le droit de l’injustice, mais, d’une manière générale, les choses moralement belles de celles qui sont laides ; car une sorte d’intelligence partout répandue nous les fait connaitre, et incline nos âmes à identifier les premières vertus, les secondes aux vices.»40
En réalité, pour Cicéron, la loi naturelle est le seul arbitre entre les bonnes et mauvaises actions et décisions car étant elle-même une expression de la raison. Il n’existe donc qu’une nature humaine et tous les hommes sont assujettis à des lois qu’ils n’ont pas choisies.
La loi naturelle représente donc une loi universelle, constante et qui convient à n’importe quel ensemble d’individus. D’ailleurs Cicéron l’affirme dans le De Republica lorsqu’il soutient: « Il existe une loi vraie, c’est la droite raison, conforme à la nature, répandue dans tous les être, toujours d’accord avec elle-même, non sujette à périr, qui nous appelle impérieusement à remplir notre fonction, nous interdit la fraude et nous en détourne. »41 Lorsqu’il parle de loi vraie, Cicéron aborde la question de la loi qui fait la justice commune, globale dont il défend l’idée. Il explique que cette loi unique est similaire à la raison judicieuse qui ordonne ou défend. La raison judicieuse est la raison qui décide de ce que l’on doit faire ou non en se démarquant de l’abus et du fait de servir des intérêts personnels. Elle est donc par définition neutre et objective.
En un mot, pour Cicéron la justice est basée sur la raison car seule la raison peut symboliser ce qu’il y a d’universel. Et ainsi étant donné que la raison est la même en tout homme, on peut la considérer comme étant sa nature.
Cicéron définira la justice dans le De Officiis comme étant donc le fait de ne pas causer de tort à autrui et de s’engager activement contre l’injustice dans le sens où il faut avoir un respect absolu de la propriété de chacun, qu’elle soit individuelle ou collective. Abordons le premier point à savoir que la justice c’est le fait de n’offenser personne. En effet pour Cicéron, dans un monde où la loi du plus fort est souvent privilégiée, la meilleure façon de cultiver sa vertu c’est de s’efforcer à ne pas causer du tort à autrui. En d’autre terme ne porter atteinte à aucun citoyen sauf s’il s’agit de combattre la transgression du droit. Cette assertion se justifie dans son livre I du De Officiis par ces propos : « Mais le premier office de la justice veut qu’on ne nuise à personne, si ce n’est provoqué par l’injustice, puis que l’on se serve des biens communs comme de biens communs, et des biens personnels comme de biens propres. »42 Ainsi donc outrager quelqu’un peut être considéré comme la pire injure que l’on peut faire à la justice. L’épanouissement de la justice exige de garantir à chacun la possession de son avoir comme de ce qui lui est dû. Raison pour laquelle Cicéron s’oppose dès lors par principe aux réformes agraires, puisque celles-ci promeuvent une redistribution du patrimoine foncier au mépris du droit à la propriété privée.43 C’est sous cet angle que nous évoquons le second point prôné par Cicéron dans sa définition de la justice.
En effet il défend l’idée selon laquelle, une bonne justice c’est de respecter la propriété de chacun et donc s’en emparer constitue un véritable tort. Celui qui dirige a l’obligation de protéger les avoirs de chacun. D’ailleurs Cicéron le dit toujours dans le De officiis : « Puisque la propriété de chacun se constitue à partir de ce qui par nature était commun, ce qui est échu à chacun, que chacun le garde ; et si quelqu’un vient à s’en emparer, il violera le droit de la société humaine. »44 Cicéron reconnait que le concept de propriété n’est pas issu de la Nature, mais que l’existence de propriétés privées découle de l’Histoire, par des ententes et des déchirements provenant du passé. Toutefois, la préservation de ces biens se fait par les possesseurs qui s’en servent avec droiture. Stéphane Mercier dans son Introduction à la philosophie de Cicéron nous dira que le droit à la propriété est si bien ancré dans le concept même d’État que le terme dont on se sert pour le désigner, respublica, « chose publique » signifie très exactement ce qui est la propriété commune d’un peuple. Ce point de vue permet de comprendre l’opposition farouche de Cicéron tant à des réformes agraires qu’à la tyrannie. 45 En effet avec sa conception de la justice, Cicéron ne pouvait pas être d’accord avec les frères Gracques qui prônaient une réduction de l’inégalité. Cicéron n’est pas un égalitariste mais reste plutôt quelqu’un de très attaché à la société avec sa hiérarchie et ses principes.
Ainsi donc pour Cicéron à supposer que le respect du domaine privé garantisse le fondement de la société, la sauvegarde des intérêts communs dont celui de la République est préservée par l’échange des devoirs, en donnant et en recevant dans tous les domaines : savoirs, réalisations, ressources.
Après cette réflexion sur la justice, nous allons aborder un second élément fort important dans la politique cicéronienne. Il s’agit en effet de l’injustice.
La notion d’injustice chez Cicéron
Cicéron parle d’un certain nombre d’injustice et développe ses arguments sur les troubles politiques récents dont la ville de Rome était victime. La première forme d’injustice que l’on observe dans l’analyse de cet homme politique, c’est l’injustice par « convoitise ». Ainsi il dénoncera l’enrichissement crapuleux de certains citoyens tel que Crassus. Ce dernier disait d’ailleurs que n’avait pas assez d’argent celui qui voudrait être le premier dans l’Etat et dont les revenus ne pourraient nourrir une armée.46 Il n’y a rien de plus injuste que d’augmenter son capital et ses biens de manière corrompue tout en sachant que la cité est au bord du gouffre.
La seconde forme d’injustice qu’il met en évidence c’est l’injustice par abus de pouvoir et aussi par prétention. Cicéron et bien évidemment comme n’importe quelle personne sensée considère être injuste le fait de restreindre la liberté d’autrui et d’être impartial dans certaines décisions. C’est la raison pour laquelle il affirme que : « (…) c’est surtout lorsqu’ils sont tombés dans la passion du pouvoir, des honneurs, de la gloire que la plupart des hommes sont amenés à oublier la justice. »47 Il prendra comme exemple le consul César qui avec ses privilèges manipule et outrepasse des droits divins et humains pour son propre compte. Ainsi Cicéron affirme : « L’impudence de César l’a récemment montré, lui qui renversa tous les droits divins et humains à cause de ce principat qu’il avait imaginé pour lui-même par une erreur imputable de l’opinion. »48
Cicéron considère aussi que certaines actions sont condamnables. En effet une attitude passive face à un événement, une absence d’acte humain positif est considéré selon lui comme étant une injustice par omission. Cette forme d’injustice est autant déplorable que l’injustice par action. D’ailleurs St Thomas D’Aquin va appuyer cette remarque dans son ouvrage intitulé Somme Théologique lorsqu’il affirme : « L’omission implique qu’on néglige le bien, non pas n’importe lequel, mais celui que l’on sait être son devoir. Or le bien envisagé sous la raison de dette est proprement l’objet de la justice : de la justice légale s’il est prescrit par la loi divine ou humaine ; de la justice particulière s’il est dû au prochain. Aussi, de même que la justice est une vertu spéciale comme nous l’avons montré, l’omission sera un péché spécial distinct des péchés opposés aux autres vertus. »49
Pour St Thomas D’Aquin comme chez Cicéron, il ne s’agit pas de voir l’injustice uniquement sous un angle à savoir celui de causer du mal à autrui de façon direct et prévisible mais il invite les gens à comprendre que l’injustice peut être causé par pure paresse et par simple négligence.
Dans le De Officiis, Cicéron critique d’ailleurs certains philosophes et penseurs étant donné qu’ils ne s’intéressent pas aux affaires publiques sous prétexte de ne pas nuire à autrui : « Ils atteignent en effet la première sorte de justice, en s’interdisant de nuire à autrui par une action injuste, mais ils échouent sur la seconde, car, accaparés par leur goût d’apprendre, ils abandonnent ceux qu’ils doivent défendre. »50
Cicéron préconise donc à ces penseurs qui sont des détenteurs de savoir de ne pas tourner le dos aux institutions et aux affaires publiques. Il serait en effet beaucoup plus judicieux de se donner à sa patrie afin d’éviter certains tares sociales que d’être à l’écart et d’observer.
Très engagé dans la lutte contre l’injustice, Cicéron admet aussi qu’il est injuste d’abuser et d’interpréter fallacieusement la loi. Il invite donc les dirigeants de la République à revoir leur manière de gouverner afin qu’il ait à nouveau une société sacralisée et de bonne foi.
C’est sans doute cette injustice dont était victime le peuple romain et cette image de justice que Cicéron ne cessait de prôner qui lui ont poussé à reprendre les théories des divers formes politiques, longtemps étudiés par ses prédécesseurs.
Les formes de gouvernement : l’analyse cicéronienne, les auteurs anciens et modernes sur la question
La Monarchie
Considéré comme le premier des trois principaux régimes, devant l’oligarchie et la démocratie, la monarchie peut être définie comme étant une institution dans laquelle l’autorité politique est exercée par un seul individu. Elle comporte plusieurs appellations qui sont souvent employés indifféremment. Nous distinguons en effet le terme royauté dans lequel le chef d’un Etat porte le titre de roi. La tyrannie est aussi un autre nom donné à la monarchie. Celle-ci se définit dans l’antiquité grecque comme étant un régime dans lequel un individu dispose d’un pouvoir absolu, après s’en être emparé de façon illégitime. Parmi ces deux noms, nous pouvons ajouter le terme monocratie. La monocratie est une forme de gouvernement où le pouvoir réside dans la volonté d’un seul homme, quel que soit le titre porté par celui-ci, chef, roi, empereur, président, etc. Cependant le pouvoir du monocrate n’est pas nécessairement illimité. Il peut y avoir des limites religieuses ou un contrôle des décisions comme dans une royauté.
De nombreux auteurs et théoriciens politiques se sont intéressés à ce régime politique qui est la monarchie bien avant Cicéron. Parmi eux, figure l’historien Hérodote.
En réalité Hérodote est considéré comme l’un des premiers auteurs à ouvrir un débat sur les régimes politiques. Dans son livre III de son œuvre intitulé Histoire, Hérodote représente une discussion qu’il prête aux chefs perses (III, 80-82). La monarchie est louée par Darius. Ce savant défenseur de la monarchie, critique Otanès et Mégabyse. Selon lui, le meilleur gouvernement est celui du meilleur homme tout seul : « De ces trois formes supposées excellentes, d’un peuple excellent d’une oligarchie, d’une monarchie, je soutiens que la dernière est de beaucoup la meilleure. Car rien n’est préférable à un seul homme excellent…»51
Pour lui, dans une oligarchie, comme l’est toute aristocratie, où le gouvernement est restreint à plusieurs hommes, les nobles se battraient pour gouverner, « chacun veut être le maître et faire triompher son avis52; » et il en résulterait une guerre civile. Quant à la démocratie, elle ne vaut pas mieux, « Si maintenant le peuple est le maître, il est impossible d’empêcher la méchanceté de se faire jour »53. Darius conclut que la monarchie apparaît comme le meilleur des régimes ou, peut-être plus sagement, comme le moins mauvais.
Tout comme Hérodote, un autre savant, Platon, s’est aussi intéressé aux affaires humaines et à la politique. En réalité, de ses multiples œuvres, nous retenons Le Politique, La République et Les Lois. A travers ces œuvres, Platon reprend les théories politiques de son illustre prédécesseur Hérodote. Platon aura donc à analyser et à étudier les différents régimes notamment celui de la monarchie. Par contre dans son étude, Platon ne s’efforce pas de peser les avantages et les inconvénients de chacun de ces régimes mais de les utiliser tous trois ensemble pour démontrer sa thèse sur le droit du plus fort.54En effet dans le Politique les trois principales formes de gouvernement se distinguent en fonction de leur légitimité, c’est-à-dire par rapport au respect des lois des dirigeants. La monarchie devient donc une royauté si elle est légale et une tyrannie si elle ne l’est pas. Dans son livre VIII de la République, il montre sa théorie de la dégénérescence des régimes. Ainsi toujours dans son ouvrage, Platon évoque comment la démocratie fini par devenir une tyrannie : « n’est-ce pas le désir insatiable de ce bien, et l’indifférence pour tout le reste, qui change ce gouvernement et le met dans l’obligation de recourir à la tyrannie? (…) Lorsqu’une cité démocratique, altérée de liberté, trouve dans ses chefs de mauvais échansons, elle s’enivre de ce vin pur au-delà de toute décence; alors, si ceux qui la gouvernent ne se montrent pas tout à fait dociles et ne lui font pas large mesure de liberté, elle les châtie, les accusant d’être des criminels et des oligarques. »55 En d’autre terme l’insatiable désir de liberté précipite maintenant la démocratie dans la tyrannie.
De même l’inacceptation de toute autorité pousse, les individus d’une démocratie à se rebeller contre des gouvernants médiocres. Dans de telles circonstances, le fils ne redoute plus son père ; le père, par peur de son fils, approuve les idées de celui-ci. Chacun se proclame l’égal des autres, même s’il s’agit d’un étranger ou d’un esclave. Le concept même de loi est écarté et l’afflux de liberté se prépare à se transformer en excès de servitude.
De là, Platon en déduit que le pire régime qui soit reste la tyrannie. « (…) il est évidant pour tout le monde qu’il n’y a point de cité plus malheureuse que la cité tyrannique, ni de plus heureuse que la cité royale. »56 Le bonheur le plus grand est éprouvé par l’individu royal dans un régime aristocratique57 alors que le tyran connaît, dans le régime tyrannique, le plus grand malheur.
Platon figure donc parmi les éminents penseurs qui ont eu à réfléchir sur les formes de gouvernement et plus particulièrement sur la monarchie. Il s’est efforcé de ne pas comparer les régimes entre eux mais de montrer plutôt la dégénérescence de chacun. C’est dans ce sens qu’il montre comment la démocratie finie par devenir une tyrannie lorsqu’il y’a un excès de liberté.
Son contemporain Xénophon, qui fut historien, soldat et écrivain grec, dont les écrits ont contribué à une meilleure connaissance de la Grèce et de la Perse, va développer à son tour des réflexions très pertinentes sur les formes de constitution et inévitablement sur la monarchie. Grand dominateur et homme pragmatique, Xénophon est partisan d’un gouvernement fondé sur le règne d’un homme vertueux et intègre. Ainsi dans son ouvrage intitulé Cyropédie, il choisit Cyrus et la monarchie pour représenter son idéal de gouvernement.
En effet, Xénophon dans un monde grec du IVe siècle, contemporain de Platon, décide d’exalter un régime controversé qui est la monarchie. Il s’affirme comme étant le véritable instigateur de ce régime politique à sparte. Pour lui le roi est égal au pilote qui commande le navire. Xénophon décrit un individu supérieur à tous les autres. Un homme doté d’une grande sagesse et capable de prévoir certaines situations futures. On ne naît pas roi, on ne l’est pas non plus par le fait, ni encore par l’élection : on le devient ! La monarchie est un art qui, comme tous les autres arts, suppose un apprentissage, la connaissance des lois et des maîtres pour les enseigner.58
Chez Xénophon c’est grâce à l’éducation que le roi pourra bénéficier d’un ensemble de qualité et de bon sens qui lui permettront de bien conduire la cité. Il doit se refuser d’instaurer son pouvoir en usant de la force. En effet c’est en se servant de son intelligence et par des dialogues avec le peuple qu’il parviendra à bien diriger. Le chef est donc au service de ceux qu’il commande et non pas le contraire. Ainsi le roi ne réussira à faire régner la justice qu’en respectant la primauté de la loi.
|
Table des matières
Introduction
1 Cicéron, le parcours de l’homme illustre
1.1 L’influence de la pensée antique
1.1.1 Hérodote
1.1.1.1 Pourquoi est est-t-il surnommé le « père de l’histoire » par Cicéron ?
1.1.1.2 L’inf luence d’Hérodote sur Cicéron par son éloquence
1.1.2 Platon et Arist Aristote
1.1.2.1 Cicéron à l’école de Platon Platon
1.1.2.2 L’hommeL’homme: un animal politique chez Aristote
1.2 La place de la république dans la pensée de Cicéron
1.2.1 La situation politique, économique et sociale sous l’ère républicaine
1.2.1.1 La situation politique
1.2.1.2 L’aspect économique
1.2.1.3 Les conditions sociales
1.2.2 La décadence de la république romaine
1.2.2.1 Le déclin des valeurs traditionnelles à Rome
1.2.2.2 Les crises internes dans la ville de Rome
2 La philosophie politique de Cicéron
2.1 Quelques éléments fondamentaux de la politique de Cicéron
2.1.1 La notion de justice chez Ci céron
2.1.2 La notion d’injustice chez Cicéron
2.2 Les formes de gouvernement : l’analyse cicéronienne, les auteurs anciens et modernes sur la question
2.2.1 La m onarchie
2.2.2 L’o ligarchie
2.2.3 La d émocratie
3 Le modèle choisi par Cicéron
3.1 Le gouvernement mixte
3.1.1 L’idéal politique de Cicéron
3.1.2 Les élément s nécessaires pour la réalisation d’un régime mixte
3.2 Notre point de vue personnel sur le régime mixte
3.2.1 Les imperfections du régime mixte
3.2.2 L’actualité de la pensée politique de Cicéron
Conclusion
Bibliographie
Télécharger le rapport complet