La philosophie hégélienne anglaise

La philosophie hégélienne anglais

Si nous voulons comprendre ce qu’est l’atomisme logique et quel lien cette théorie entretient avec ce que nous appelons  »la nouvelle logique », nous devons rapidement nous replacer dans le contexte philosophique de la fin du 19ème siècle en Grande Bretagne. Ce contexte est celui de la métaphysique hégélienne anglaise. C’est en rapport à (et plus particulièrement contre) cette tradition philosophique que Russell va élaborer sa philosophie de l’atomisme logique qui nous intéresse dans la première partie notre travail. Stephen Mumford donne une description claire et succincte de ce  »climat » philosophique dans lequel va évoluer Russell :

L’intérêt de Russell pour la philosophie débute au moment où la métaphysique est une discipline importante et populaire. La métaphysique anglaise était alors principalement sous l’influence du système philosophique de G. W. F. Hegel. (…) L’idéalisme avec lequel Russell était en contact était principalement celui de Bradley, qui provenait, à travers T. H. Green, de Hegel. Green avait formulé une version hégélienne du kantisme qui était devenue la philosophie hégélienne anglaise standard. Il a commencé par attaquer la version de l’empirisme de Locke en niant la réalité des relations et leurs recours pour formuler une théorie de la connaissance. Penser est une pré-condition de la connaissance à la façon de Kant. Toute connaissance est une connaissance du monde phénoménale, qui porte sur la façon dont le monde nous apparaît. Nous imposons une forme et un contenu à ce qui nous est donné – nous imposons une structure qui est responsable des notions d’espace et de temps, de la causalité, de la substance, et ainsi de suite. De telles notions ne sont pas dérivées de l’expérience mais sont des pré-conditions de l’expérience. Green introduit un tournant hégélien à l’orthodoxie kantienne. Il rejette la notion de monde en soi, séparé de l’esprit. Il n’y a pas de donné, avant l’expérience. Mais il considère aussi le monde phénoménal comme problématique. Quel esprit constitue le monde phénoménal ? Green affirme que c’est du seul être spirituel que toute la réalité est l’activité ou l’expression. Nos propres esprits sont des manifestations de cette seule conscience. La réalité en tant que tout est donc  constituée par la pensée. 

Bradley a été le philosophe le plus important en Angleterre dans les années 1890, quand Russell commença son travail philosophique. Le livre le plus important de Bradley, Apparence et Réalité, a été publié en 1893. Dans  »The free-will problem from an idealist standpoint », Russell décrit Apparence et Réalité comme un  »travail qui fait date » et G. E. Moore en a une toute aussi haute opinion. Mais à partir de 1897 Russell et Moore rejettent Bradley et toute la tradition dont il était le plus grand représentant. Bradley affirme que ni l’expérience immédiate ni les relations ne sont réelles et des dernières nous pouvons inférer qu’aucun des phénomènes ordinaires ne sont réels et qu’il n’y a pas de vérité et de fausseté absolues. La réalité est un seul être-ensemble plutôt que plusieurs êtres distincts. Les choses qui nous apparaissent comme des individus distincts sont des aspects actuels de l’individu concret que Bradley appelle l’Absolu.

C’est donc dans cette tradition hégélienne anglaise que Russell commence son travail philosophique. Dès lors, il y a deux périodes essentielles au développement philosophique de Russell : la première qui s’écoule de 1890 à 1898 et pendant laquelle il embrasse l’idéalisme, la seconde à partir de 1898 qui marquera son rejet de l’idéalisme au profit d’un réalisme d’abord  »platonicien » ou  »absolu », puis  »analytique » avec le développement de la philosophie de l’atomisme logique. Commençons par dire un mot sur l’idéalisme de Russell.

L’idéalisme de Russell

La période  »idéaliste » de Russell se déploie de son entrée à Cambridge, en 1890, jusqu’à la fin de l’année 1898. L’idéalisme de Russell est sûrement dû, comme il le dit lui-même, à l’influence de quatre personnes :

Toutes les influences que je fus amené à subir, à l’exception d’une seule, me portèrent dans la direction de l’idéalisme allemand, kantien ou hégélien. (…) Les deux hommes qui eurent le plus de part dans mon éducation philosophique furent James Ward et G. F. Stout; le premier était kantien, le second hégélien. Apparence et Réalité de Bradley fut publié à cette époque, et Stout disait de cette œuvre qu’elle allait aussi loin qu’il est humainement possible d’aller dans le domaine de l’ontologie. Aucun des deux, néanmoins, ne m’influença autant que McTaggart. McTaggart opposait l’hégélianisme à l’empirisme assez grossier dont je m’étais satisfait jusque-là. Il disait pouvoir prouver par la logique que le monde est bon et l’âme immortelle. (…) J’opposai à son influence une résistance qui alla en décroissant jusqu’en 1894, année qui me vit passer mes Tripos de Sciences morales et où je me ralliai entièrement à une métaphysique à demi-kantienne, à demihégélienne.

La plus grande influence que Russell a reçue est, selon ses propres dires, celle de McTaggart. Pour comprendre en quoi consistait cette influence nous devons dire un mot sur la pensée de McTaggart et sur celle de Bradley. Nicholas Griffin expose ces pensées de la façon suivante.

Pour Bradley :

Comme son titre le suggère, Apparence et Réalité est un travail en deux parties. La première est purement négative et a pour but de montrer que la plupart des choses que nous considérons ordinairement comme réelles – l’espace et le temps, le soi, la matière, le mouvement, le changement, et la causalité – ne sont que des apparences. Bradley veut établir ces affirmations par une série d’arguments par l’absurde, en montrant que chacun de ces concepts implique une inévitable contradiction. Une façon d’y parvenir dépend cependant d’une série première d’arguments très connus qui consistent à montrer que le concept fondamental de relation est incohérent. (…) La seconde partie du livre concerne la réalité, ou l’  »Absolu ». (…) L’Absolu est plus ou moins ce qui ne peut pas être exclu comme étant une apparence, ce qui n’est pas aisé à définir. Tout tentative de caractériser sa nature échoue car penser est de façon inhérente un acte relationnel et les relations sont entièrement des apparences.

Puis pour McTaggart :

La même année que Apparence et Réalité, McTaggart a écrit un petit pamphlet, A Further Determination of the Absolute. Dans ce pamphlet il met en évidence un programme en trois parties pour l’idéalisme. La première partie est de réfuter l’empirisme, la seconde est d’établir l’existence d’un Absolu non-matériel. McTaggart affirme que ces deux parties ont été accomplies par Bradley. La troisième partie du programme est de déterminer la nature de l’Absolu. McTaggart était optimiste et pensait que cela pouvait être fait; il a donc dévoué sa carrière entière à ce programme – son magnum opus, The Nature of Existence (1921) demeura incomplet à sa mort. La raison de cet optimisme résidait dans son refus de suivre Bradley en rejetant les relations, par conséquent il adopta une sorte de pluralisme idéaliste. Russell fit sien ce projet mais il proposa une façon de le réaliser différente de celle de McTaggart.

Selon McTaggart, le programme  »idéaliste » doit comporter trois parties :
1/ une réfutation de l’empirisme,
2/ une preuve de l’existence de l’Absolu non-matériel,
3/ une détermination de la nature de cet Absolu.

Les deux premières parties du programme  »idéaliste » ont été réalisées, selon McTaggart, par Bradley. Mais alors que la troisième partie semble impossible à réaliser pour Bradley, puisque la pensée est intrinsèquement relationnelle et donc nous mène inévitablement à la contradiction, pour McTaggart cette partie reste à faire et est réalisable car il accepte, à l’inverse de Bradley, l’existence des relations et par là-même ce que Griffin appelle un  »pluralisme idéaliste ».

Russell se donne alors pour but de réaliser ce projet. A cet effet il va prendre une position particulière par rapport aux théories de Bradley et de McTaggart :

L’approche de Russell était entièrement idiosyncratique : comme McTaggart il accepte le pluralisme et comme Bradley il rejette les relations. Le pluralisme, trouve t-il, est essentiel, pas uniquement pour la connaissance, mais aussi pour la pensée. Russell affirme que si une chose est simple,  »elle n’est pas pensable, puisque tout objet de pensée peut seulement être pensé en signifiant une complexité » (Papers 2, p. 564). Cette doctrine – souvent exprimée par la formule suivant laquelle la pensée est discursive – connecte la pensée au pluralisme, car la complexité requise pour la pensée implique une pluralité de parties dans l’objet de pensée. Les inconvénients impliqués par le rejet du pluralisme sont alors extrêmes – certainement plus extrêmes que ce que Russell est prêt à accepter. Au même moment, cependant, il suit Bradley en rejetant les relations, et en maintenant que les présumées propositions relationnelles peuvent être identifiées à des propositions qui assertent des propriétés intrinsèques soit des termes de la proposition originale soit des touts composés de ces termes (Papers 2, p. 224). Cette combinaison de points de vues peut sembler incohérente, et en effet le dernier Russell maintient cela en plusieurs occasions en affirmant que l’issue du combat entre le monisme et le pluralisme dépend du rejet ou de l’acceptation des relations. L’argument est simple : si le pluralisme est vrai, il doit y avoir une pluralité de diverses choses. La diversité est une relation, donc le pluralisme requiert les relations. Cependant, en tant que néo hégélien, Russell ne pensait pas que la diversité était elle-même une relation. Il pensait que toute relation véritable faisait appel à une unité-dans-la-diversité et donc que l’unité et la diversité ne pouvaient pas elles-mêmes être de véritables relations. (…) Donc, Russell acceptait un pluralisme sans relation. De ce fait il pensait que la connaissance était possible à la suite de Bradley .

La position philosophique de Russell, à cette époque, est nommée par Griffin un  »pluralisme sans relation ». Ce pluralisme est à distinguer de celui qu’il acceptera plus tard, comme nous le verrons, en acceptant l’existence des relations avec sa théorie des relations externes. Russell accepte, comme McTaggart, un pluralisme, c’est-à-dire que l’objet de pensée possède plusieurs parties. Ce pluralisme est nécessaire selon Russell car pour qu’une chose soit pensable il faut qu’elle soit complexe. Si tel est le cas et si l’Absolu est complexe en ce sens, alors, contrairement à ce que soutient Bradley, il est possible de le déterminer. Mais tout comme Bradley, Russell nie l’existence des relations. Les relations peuvent être réduites à l’attribution de propriétés intrinsèques aux différentes parties du tout. Cette négation de l’existence des relations fait le lien entre le pluralisme de Russell et le monisme de Bradley, car en définissant les relations comme une  »unité-dans-la-diversité » nous lions les différentes entités du pluralisme à l’unique tout, à savoir l’Absolu. Mais comme le souligne Griffin, ce pluralisme sans relation peut apparaître incohérent. En effet, comme nous le montrerons, il existe un lien très fort, nous pouvons même dire une implication logique, entre le pluralisme et l’existence des relations. Ce lien sera mis en évidence par Russell lui-même, qui montrera que pour qu’il y ait une pluralité d’entités il est nécessaire d’accepter la théorie des relations externes.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : La nouvelle logique
0 : Introduction
0.1 : La philosophie hégélienne anglaise
0.2 : L’idéalisme de Russell
0.3 : La révolte contre l’idéalisme et l’acceptation du  »réalisme platonicien »
0.4 : Plan
1 : La nouvelle logique
1.1 : La forme des propositions
1.2 : Le projet logiciste
2 : Le calcul des propositions
2.1 : L’implication matérielle
2.2 : L’implication formelle
2.3 : Les variables non-restreintes
2.4 : L’assertion et la vérité
2.5 : Les propositions primitives du calcul des propositions
2.6 : Le calcul des propositions des Principia Mathematica
2.7 : De la dénotation
3 : Le calcul des classes
3.1 : La relation d’appartenance d’un élément à une classe
3.2 : La fonction propositionnelle
3.3 : Le tel que
3.4 : Les deux axiomes et la définition du calcul des classes
3.5 : L’axiome de l’appartenance
3.6 : L’axiome de l’équivalence extensionnelle
3.7 : La définition de l’identité
3.8 : L’irréductibilité du calcul des classes
3.9 : Les descriptions définies
3.10 : Les symboles incomplets
3.11 : Les conditions de l’analyse des descriptions définies
3.12 : La  »no-class theory »
4 : Le calcul des relations
4.1 : L’idée primitive de sens de la relation ou la nécessité logique du calcul des relations
4.2 : Les huit propositions primitives du calcul des relations
4.3 : La réduction logique des relations (la « no relation theory »)
4.4 : L’irréductibilité ontologique des relations
4.5 : La réduction monadique
4.6 : La réduction moniste
4.7 : Les relations externes
5 : Résumé
CHAPITRE 2 : La philosophie de l’atomisme logique
0 : Introduction
0.1 : La nouvelle logique et l’atomisme logique
0.2 : Plan
1 : Faits et propositions
1.1 : Définition de l’atomisme logique
1.2 : Les complexes
1.3 : Les faits
1.4 : Les propositions
1.5 : La relation de signification entre proposition et fait
2 : Les particuliers, les prédicats et les relations
2.1 : Nom et fiction logique
2.2 : Les faits comme complexes
2.3 : Analyse et définition
2.4 : Le symbole simple
2.5 : Les faits atomiques et les propositions atomiques
2.6 : Les faits atomiques
2.7 : Les propositions atomiques
2.8 : Les noms propres
2.9: Les particuliers
3 : Propositions moléculaires et atomiques
3.1 : Logique moniste vs logique atomiste
3.2 : Les propositions moléculaires
3.3 : La valeur de vérité des propositions moléculaires
4 : Les propositions et les faits avec plus d’un verbe, les croyances, etc
4.1 : La forme logique des croyances
4.2 : La croyance selon le behaviorisme et le monisme neutre
4.3 : La croyance comme croyance des propositions
4.4: La croyance comme croyance des constituants de la proposition
4.5L’analyse de la croyance comme le passage d’une métaphysique des propositions à une métaphysique des faits
5 : Les propositions générales et l’existence
5.1 : Les propositions générales
5.2 : Distinction proposition/fonction propositionnelle
5.3 : L’existence
5.4 : Le statut ontologique des fonctions propositionnelles
5.5 : L’induction
5.6 : Le statut logique de la forme des propositions
6 : Descriptions et symboles incomplets
7 : La théorie des types et le symbolisme; les classes
8 : Résumé
CHAPITRE 3 : L’ontologie des faits : la définition des simples, la constitution des complexes, et la construction des objets
0 : Introduction
0.1 : Le réalisme analytique
0.2 : Les atomes logiques
0.3 : La nécessité des faits
0.4 : Plan
1 : La distinction entre les particuliers et les universaux
1.1 : Les quatre critères distinctifs entre particulier et universel
1.2 : La distinction causale
1.3 : Les deux types de  »formations » des  »complexes » par les particuliers
1.4 : Particulier et accointance : les sense-data
1.5 : Sense-data vs sensation
1.6 : Les sense-data sont physiques
1.7 : Sense-data et dépendance causale
1.8 : L’accointance
1.9 : La connaissance par description
1.10 : L’accointance des sense-data
1.11 : L’accointance des universaux
2 : La construction des objets physiques
2.1 : La construction des objets du sens commun
2.2 : Les sensibilia
2.3 : L’arrangement des particuliers
2.4 : Le problème de l’espace
2.5 : L’espace à six dimensions
2.6 : L’espace privé
2.7 : L’espace de perspectives
2.8 : Le temps
2.9 : La construction des objets du sens commun (bis)
2.10 : La construction de la matière
2.11 : La construction des objets de la science physique
2.12 : La maxime
2.13 : Les constructions logiques
2.14 : Les entités inférées
3 : L’éliminativisme et le quadridimensionnalisme de Russell
3.1 : L’éliminativisme et l’ontologie des faits
3.2 : Le quadridimensionnalisme
4 : Le basculement vers le monisme neutre
4.1 : Le rejet du monisme neutre
4.2 : Vers une acceptation du monisme neutre
4.3 : La définition des personnes
5 : Résumé
CONCLUSION

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