LA PHILOSOPHIE DE LA TRAVERSEE DE JEAN-GODEFROY BIDIMA

FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE

OPTION : ESTHETIQUE ET HISTOIRE DE L’ART
MEMOIRE DE MASTER

Les préjugés raciaux

  Dans sa Raison dans l’histoire, Hegel conçoit le continent noir comme un espace fermé sur lui-même. Pour le penseur allemand Hegel, l’Afrique peut être découpée en trois parties totalement séparées. Il y a la partie située au sud du désert du Sahara qu’il appelle l’Afrique proprement dite, cette zone n’a, selon lui, aucune liaison à l’occident, une autre zone située au nord du désert dénommée l’Afrique Européenne et enfin la zone du Nil cet espace est plus proche de l’Asie. Partant de cette tripartition, Hegel considère à peine les Africains proprement dits comme des êtres humains et affirme que cette partie du continent se caractérise par l’absence de civilisation car n’ayant aucun rapport à l’Europe. Selon Hegel, nul peuple ne peut prétendre faire partie intégrante de la civilisation de l’universel s’il n’est en contact avec l’Occident. C’est pourquoi, il considérait que : « ce continent n’est pas intéressant du point de vue de sa propre histoire, mais par le fait que nous voyons l’homme dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l’empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation : l’Afrique, aussi loin que remonte l’histoire, est restée fermer, sans liaison avec le reste du monde ; c’est le pays de l’or, replié sur lui-même, le pays de l’enfance qui, au-delà du jour de l’histoire consciente, est enveloppée dans la couleur noire de la nuit». Ces dires du philosophe allemand font de l’Europe le seul continent civilisé et capable de civiliser les autres espaces du cosmos. Ce qui veut dire que sans une parfaite connaissance de l’histoire telle qu’elle s’est développée en Occident, il serait impossible pour un non occidental de participer au banquet de l’universel. Toujours dans son processus de dénigrement, Hegel avance qu’il est difficile de mettre en rapport l’Africain dans l’esprit du monde car la culture des Noirs est totalement différente de celle de l’Occident. L’Africain «a en soi quelque chose d’entièrement étranger à notre conscience ». De ce fait, comprendre l’homme noir nécessite un oubli de l’histoire Européenne. Cette partie de l’Afrique ne connait pas encore les notions de Dieu, l’Eternel, le Juste, la Nature, les choses naturelles. En un mot, la conscience n’a pas encore séjourné dans cette Afrique proprement dite, ces peuples ne connaissent pas l’objectivité qu’Hegel définit en ces termes : « par objectivité solide, il faut entendre Dieu, l’Eternel, la Nature, le Juste, les choses naturelles ». Or, reconnaitre ces entités ne serait pas possible chez l’Africain à cause de la position géographique de cet espace replié sur lui-même. Ce qui constitue d’ailleurs un frein à la connaissance du processus d’objectivation de l’idée hégélienne qui, avant de se concrétiser dans la philosophie, traverse la religion et l’art. L’Africain ne parviendra jamais à se distinguer de Dieu, il ne tend pas à entrer en relation avec Dieu, il ne cherche pas à saisir son essence qui est différente de lui. L’homme noir, selon Hegel, n’opère aucun changement depuis sa naissance, « il représente l’homme dans son immédiateté », alors que l’homme n’est homme que lorsqu’il s’oppose à la Nature, à Dieu et aux choses qui lui sont extérieures. C’est l’absence de cette distinction qui pose problème, car pour saisir le comportement de l’homme Noir, il faut au préalable détourner le regard de toutes les pratiques européennes, leur mode de vie, leur morale. L’Occidental est parvenu au cours de son histoire à établir des lois morales, à reconnaitre l’existence d’un être supérieur à lui, d’un Dieu spirituel. Cependant, le Noir reste dans l’état d’innocence, dans l’unité de l’homme avec Dieu et avec la Nature, les sentiments moraux étant inexistants en Afrique Noire. Hegel compare l’homme noir à l’animal en déclarant que « l’esprit ne doit pas s’arrêter à ce premier état. Ce premier état naturel est un état animal ». Pour justifier ses propos, il se lance dans l’analyse des principales étapes de l’esprit de l’Africain. Il commence son étude par une explication de la religion nègre. De manière générale, la religion est un culte qu’on rend à la divinité. Autrement dit, être religieux c’est reconnaitre l’existence d’un « être suprême, qui est en soi et pour soi, totalement objectif, absolue essence déterminante, pouvoir supérieur par rapport auquel l’homme et quelque chose de plus faible et de plus bas ». Cette reconnaissance divine, d’après Hegel, n’existe pas chez le Nègre, l’Africain n’est pas conscient de la primauté du Divin sur l’Humain, mais au contraire dans l’opposition Homme et Nature, l’homme noir se met au-dessus de la Nature. Ceci peut être compris à travers ces propos d’Hérodote en Afrique, tous les hommes sont des magiciens. En termes beaucoup plus clairs, l’esprit de l’Africain exerce une puissance magique sur la Nature. Cette magie africaine ne reconnait pas l’existence d’un Dieu supérieur à toute chose, mais place l’homme au centre de l’univers et fait de lui comme disait Descartes maitre et possesseur de la Nature. Hegel voit la conception religieuse des Nègres comme ignorante de Dieu comme chose tonnante. Cette suprématie de l’homme sur la Nature peut être remise en cause par le simple fait d’observer les phénomènes naturels. En effet, dire que qu’ils ont la possibilité de contrôler la nature n’est que pure illusion car le fleuve peut les engloutir, le tremblement de terre peut détruire leurs demeures.

Controverses autour de l’existence d’une philosophie africaine.

   Vexés par les injustices de la colonisation, les intellectuels africains établissent les règles d’une réaction face à la domination occidentale. Ils prônent l’indépendance de la race noire et posent un nouveau mode de vie. Pour assoir leurs thèses sur l’existence d’une histoire africaine, «l’exhumation de la culture africaine » était nécessaire pour eux. Cette exhumation leur permettrait non seulement de prouver l’existence d’une civilisation noire, mais également de mettre à jour une philosophie dite africaine. Cette tâche consistant à énoncer l’arrivée d’une pensée d’ordre philosophique en Afrique n’était pas chose difficile, car déjà, des penseurs occidentaux comme Matisse, Picasso… reconnaissaient un art et une littérature propre aux Africains. Rappelons-nous de la fameuse formule de Picasso sur l’art africain : l’art africain est ce que l’imagination a produit de plus puissant et de plus beau. Ainsi, il suffisait juste de présenter des textes philosophiques pour que la civilisation africaine soit universellement reconnue. Une fois mise en place, cette pensée sera t- elle acceptée par l’ensemble des philosophes africains ? S’il y a des détracteurs, que leur reprochent- ils? Face à cette myriade d’interrogations, une analyse profonde de l’histoire de la philosophie africaine s’impose. Considéré par certains comme le premier texte philosophique africain, le livre du révérend père Belge Placide Tempels intitulé La philosophie bantoue connaitra un grand succès. En effet, des philosophes comme Gabriel Marcel, Gaston Bachelard, Louis Lavelle célèbrent le génie de Tempels et le félicitent pour la pertinence des idées développées dans son ouvrage. En revanche, Towa montre contrairement à ce que pensent bon nombre de penseurs, que les premières discussions sur la civilisation noire ont eu lieu au sein du mouvement de la négritude, ainsi, la philosophie bantoue de Tempels ne coïncide pas avec l’avènement de la philosophie africaine. En outre, Bidima dans son livre La philosophie négro-africaine déclare que bien avant Tempels, quelques intellectuels réfléchissaient déjà sur la négritude en 1935. Ayant comme têtes de fil Senghor et Césaire, le mouvement de la négritude a joué un rôle crucial dans l’histoire de la philosophie africaine, car beaucoup de penseurs vont s’appuyer sur lui pour mener leur lutte pour la revalorisation et la réhabilitation de la culture nègre. Parmi ces partisans nous pouvons citer Tempels, Alassane, Alexis Kagamé. Le premier pense qu’on peut dénicher une philosophie africaine en partant des éléments constitutifs de la culture du continent noir. Pour lui, il est possible de bâtir une pensée propre aux Noirs en partant des réalités africaines telles que la religion, le mythe, les comportements humains etc. Il cherche à faire comprendre aux Africains qu’il existe déjà une philosophie en Afrique, mais en état de latence et de fermentation. Partant de cette méthode, on peut dire que la philosophie que prône Tempels est comparable à la réminiscence socratique. En effet, tout comme Socrate pratiquait la maïeutique pour faire accoucher les âmes de ses interlocuteurs qui selon lui détenaient déjà toutes les connaissances du monde, dans les dialogues platoniciens, Tempels et ses disciples se sont chargés de conscientiser les sociétés africaines de l’existence d’une pensée d’ordre rationnel propre à l’ensemble de la communauté africaine. Leur mission consistait à faire sortir les Africains de leur ignorance. Pour ce faire, ils faisaient la propagande de « cette philosophie inconsciente » de la même manière que les anthropologues fonctionnalistes. Ces derniers concevaient l’anthropologie comme le dépassement du niveau d’interprétation et de compréhension que les sociétés étudiées avaient de leur propre système social. Ce dépassement était lié au fait que l’anthropologie à travers sa systématisation permettait aux populations de comprendre que la société n’est qu’une « totalité sui-generis ». Tempels voulait établir une philosophie bantoue totalement différente de toutes autres philosophies occidentales. Ainsi, beaucoup de penseurs vont lui emboiter le pas. En effet, l’influence de Tempels fut énorme car dans toutes les productions intellectuelles de l’époque, le souci commun était de justifier l’existence ou non d’une philosophie africaine. Alexis Kagamé, dans sa philosophie bantoue rwandaise utilise la langue des balubas pour prouver l’existence d’une philosophie typiquement et authentiquement africaine. Dans cet ordre d’idées, le philosophe sénégalais Alassane Ndaw pense en ces termes que seul l’établissement d’une philosophie africaine peut libérer le Noir de l’emprise du Blanc : « Une première déclaration d’indépendance intellectuelle se fait jour par l’intention de fonder une philosophie de l’homme africain qui montre que cet homme ne peut être conçu comme accident d’une substance qui serait l’Européen. La revendication d’une dignité anthropologique propre constitue l’un des pôles de cette pensée militante qui a pris conscience qu’elle n’aura de chance de dévoiler l’essence de l’homme noir qu’autant qu’elle pourra le considérer comme producteur d’œuvres culturelles, de philosophies et d’esthétiques». Dès lors, surgit la question de savoir quelle méthode utilisée pour fonder cette philosophie dont nous parle Alassane Ndaw. Dans sa démarche, Alassane Ndaw s’engage dans une révision de la notion même de philosophie, cette méthode permettrait non seulement de construire cette philosophie africaine, mais également d’éclairer les modes de pensées propres à l’Africain. Pour Ndaw, la philosophie africaine est ancrée dans la culture africaine et la tâche du philosophe serait de « se livrer dans une interprétation de toutes les œuvres culturelles, d’en dégager les caractéristiques générales qui seraient présentées comme la philosophie africaine ». Abondant en ce sens, Basile Juléat Fouda réduit le concept de philosophie en un examen de l’organisation sociale. En effet, Fouda déclare que « philosopher, c’est interroger le monde pour le comprendre et l’expliquer, l’organiser et le totaliser ». Fouda assimile le concept de philosophie à toutes les réalités sociales à savoir le mythe, la religion, la poésie, l’art, la science, etc. Il n’est alors pas possible, chez lui, de séparer philosophie et culture. Les représentations culturelles définissent en même temps chez Fouda la philosophie négroafricaine. C’est dans ce contexte qu’il va nommer sa méthode le positivisme fonctionnel qu’il définit comme le fait de « reconnaitre les faits culturels comme des réalités déjà là s’imposant « du dehors au chercheur » : institutions, mœurs, croyances, légendes, contes et mythes »

La contribution de Jean-Godefroy Bidima ou la philosophie de la traversée

   Dans son ouvrage La philosophie négro-africaine Bidima précise que son objectif ne consiste pas à dire où à prouver l’existence d’une philosophie africaine, mais à traiter de la philosophie négro-africaine. Pour ce faire, il faut, selon le philosophe camerounais, se départir d’abord de cette démarche qui se résume en une analyse de la philosophie en Afrique qui serait différente du concept de philosophie elle-même. Autrement dit, le fait de concevoir la philosophie comme quelque chose de passager où d’étranger à l’Afrique doit être dépassé, de même que la question d’une culture africaine substantialiste. En effet, l’erreur de la plupart des premiers penseurs noirs fut, selon Bidima, l’appréhension de l’Afrique comme « une substance unique et unifiante » car il n’y a pas une philosophie négro-africaine, mais des philosophies négro-africaines. Ce qui veut dire que la philosophie africaine est à saisir dans son processus de fragmentation introducteur du mouvement et des multiplicités. De cette multiplicité des philosophies, on comprendra qu’elle est liée à l’histoire du continent qui n’a ni lieu ni unité de temps. C’est pourquoi cette pluralité de philosophie doit être appréhendée comme un lieu de manque « où tous les possibles s’essayent tour à tour, se provoquent, s’annulent et recommencent ». Effectivement, vu qu’il n’y a pas de philosophie sans histoire, ni d’histoire sans philosophie, il serait important pour tout penseur qui s’intéresse à ces deux disciplines de montrer que ces deux concepts sont fortement liés. Ainsi, philosopher serait effectuer une analyse des faits historiques qui nous ont précédés, mais qui sont ancrés dans nos vies car bien qu’ils soient compréhensifs ou flous, nous ne pouvons pas nous en départir. Ces histoires détiennent la puissance de nous faire découvrir les faits marquants de notre passé. Dès lors, se raconter des histoires devient une nécessité dans la mesure où « en tant qu’êtres historiques, nous avons donc besoin de nous raconter des histoires sur le beau, le vrai, le bien, l’identité, l’altérité, l’absolu, la valeur et la finalité », en un mot, sur tous ces concepts autour desquels tourne la réflexion philosophique depuis toujours. Cependant, la tâche du philosophe serait, selon Bidima, d’opérer une lecture critique de ces histoires afin de les rendre plus consistantes et plus compréhensives et ne pas suivre le sens commun dans son utilisation du langage pour relater de manière glorieuse l’histoire de leurs prédécesseurs. Autrement dit, le philosophe contrairement à l’historien ne doit pas se limiter en un simple récit des faits historiques, mais tout au plus les interroger et si nécessaire les remettre en cause. C’est ainsi que Bidima part de cette importante liaison de l’histoire et de la philosophie pour comprendre l’origine de la philosophie africaine, mais aussi sa rencontre avec la philosophie occidentale, celle asiatique, bref à toutes les autres philosophies qui se sont déroulées en dehors du continent noir. Dès lors faut-il partir de la problématique du lieu pour traiter de la philosophie en Afrique ? Absolument pas. Bidima s’oppose à ceux qui, pour parler de philosophie en Afrique posent la problématique de lieu. Cette attitude conduit, selon lui à vouloir définir ce qu’est la philosophie africaine ou à montrer ce qui la différencie des autres philosophies ou si elle est le produit de ces philosophies. Or comme l’affirme Babacar Mbaye Diop « la pensée n’est ni africaine, ni occidentale, ni asiatique : elle est universelle ». De plus, ce n’est pas dans un face à face l’autre ou à une différenciation dialectique à autrui que l’on parviendra à philosopher en Afrique. Contrairement aux philosophes traditionnels qui cherchaient à penser une identité collective s’opposant à l’Occident, Bidima, à ce titre, pense qu’il faut prendre cette identité comme relation car c’est la seule manière de ne pas nous inscrire dans la fixité. Dire ce n’est pas dans nos traditions africaines donc il ne faut pas les prendre, revient à oublier qu’ « aucune culture ne reste dans son ipséité sans se perdre »

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I : LES CONDITIONS D’EMERGENCE DE LA PHILOSOPHIE DE LA TRAVERSEE
I.1 Les préjugés raciaux
I. 2 : Controverses autour de l’existence d’une philosophie africaine
I.3: La contribution ou synthèse de Mamoussé Diagne
CHAPITRE II : LA PHILOSOPHIE DE LA TRAVERSEE : POLITIQUE ET SOCIETE
I.1: La contribution de Jean-Godefroy Bidima ou la philosophie de la traversée
II. 2 : L’utopie : une politique de la traversée
II. 3 : La réintroduction du dire féminin : un défi de la modernité africaine
CHAPITRE III : L’ART DE LA TRAVERSEE
III. 1 : L’esthétique de la traversée une critique de l’esthétique de la négritude
III. 2 : L’art des marginaux ou des exclus sociaux
III. 3 : L’utopie : un défi de la modernité dans l’art africain
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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