LA PHILOSOPHIE AVANT KARL MARX
GENESE DE LA PHILOSOPHIEย
Lโespรจce humaine a longtemps subi lโexistence. Lโindividu, cloรฎtrรฉ dans un monde dโinstinct a eu beaucoup de mal ร se dรฉgager de lโรฉtreinte des passions qui lโempรชchรจrent de se hisser ร la raison qui consacre lโhumanitรฉ. Lโancรชtre sauvage, face ร une nature primaire et hostile demeura trรจs longtemps accaparรฉ par le souci unique dโexistence ou mรชme de survie. Lโinstinct de conservation qui fut le premier ร agiter lโhomme, va influencer trรจs longuement ses comportements. Ainsi, pendant trรจs longtemps lโindividu subit et sa nature et la nature. Seule la faim qui est arrivรฉe ร le tenailler parfois mรชme ร le torturer parvint ร la longue ร le bousculer parfois jusquโร la rรฉaction. Mรชme lโhostilitรฉ de la forรชt dense, humide et touffue, secouรฉe par des orages, tonnerres et rafales de vents violents ne semble avoir aucun impact sur la sรฉrรฉnitรฉ de lโindividu. Les rares fois quโon lโaperรงut bondir hors de lui-mรชme ont รฉtรฉ motivรฉ par le besoin vital de se nourrir. Plus tard, avec la dรฉcouverte de lโinstinct sexuel, lโancรชtre consolide ainsi son monde fermรฉ. Outre se nourrir et sโaccoupler, la communautรฉ encore ร lโรฉtat de troupeau passe le reste de son temps ร errer dans la forรชt, sโil ne plonge pas dans les profondeurs du sommeil.
Quand mรชme, suivant le temps et les obstacles innombrables qui se dressent devant lui, lโindividu, sous peine de disparaรฎtre, doit trouver des moyens plus consistants pour rรฉagir contre lโhostilitรฉ de lโenvironnement. Quelques faits favorisรจrent paradoxalement un certain nombre de chocs et de sursauts ร lโorigine de hasards qui prรฉcipitรจrent lโรฉclosion des รฉtincelles de la raison en rรฉalitรฉ humaine mais enfouie dans les profondeurs de lโรชtre. Au fur et ร mesure quโil surgit ainsi de lui-mรชme, lโindividu รฉvolue en mรชme temps que la croissance mentale impulsรฉe. Progressivement sensible aux phรฉnomรจnes de la nature dont il fait face de plus en plus, lโhomme qui รฉmerge de lโanimal, avec la raison embryonnaire, ne peut plus รฉchapper ร lโรฉtonnement que suscite en lui lโampleur et lโรฉnigme des phรฉnomรจnes de la nature.
Et cette รฉtape de la naissance de lโesprit, bien que timide, caractรฉristique de lโhumaine condition, sโaccompagne des questions inรฉvitables sur lโorigine et la rรฉalitรฉ des phรฉnomรจnes qui rythment le cours de lโexistence. Le soleil, la lune, lโorage les รฉtoiles, aucun phรฉnomรจne nโรฉchappe dรฉsormais ร la curiositรฉ ouverte de lโhomme. Si la cosmogonie naissante nโarrive pas encore ร รฉlaborer un rรฉcit cohรฉrent, mรชme mythique, sur lโorigine de lโunivers en mรชme temps que les phรฉnomรจnes qui le composent, lโaccaparement quโelle suscite accentue les curiositรฉs. Face ร ces phรฉnomรจnes et aux questions inรฉvitables qui leur sont liรฉes, lโhomme qui ne peut plus contourner cette rรฉalitรฉ cherche, ร travers une mythologie spรฉciale, ร apaiser lโรขme agitรฉe par lโรฉnigme de cette nature jusquโici subie. Voici lโรขge primaire des croyances multiples qui affectent aux phรฉnomรจnes des forces surnaturelles, donc des dieux, ร lโorigine de leur existence. Ainsi la lรฉgende rapporte lโรฉpoque de la multiplicitรฉ des dieux dont celui du soleil, de la lune, de lโeau etc. La pression si forte qui insรจre lโindividu dans un couloir รฉtouffant dicte plutรดt la nรฉcessitรฉ dโexplications pour รฉviter lโasphyxie. Il devient inรฉvitable de trouver des rรฉponses liรฉes aux questions incontournables et รฉnigmatiques de lโexistence. Lโalternative des dieux qui apaisent quand mรชme de lโangoisse รฉtouffante impose des pratiques dโoffrandes et de priรจres trรจs insolites afin de profiter de leurs pouvoirs de protection ou se prรฉmunir de leurs forces de nuisance.
Lโรฉpoque lugubre mais nรฉcessaire des croyances qui proposent remรจdes et explications ร lโadresse des รขmes ร sauvegarder de lโagitation sโengage davantage. Et cette conception quโon se fait de la vie et du monde va dรฉterminer la philosophie de lโรฉpoque. Une conception qui va influencer tout le cours de lโexistence. Lโhomme qui commence ร sโimpliquer davantage ร cette existence organise dรฉsormais toutes ses activitรฉs autour des croyances. Lโรฉpoque suivante, dans le cadre de lโรฉvolution de lโhomme, ne peut plus contenir, avec les seules rรฉponses de la mythologie, les questions qui continuent dโinterpeller et vivement lโhomme. Ceci va dโailleurs accรฉlรฉrer le processus dโรฉmergence de lโesprit critique qui remet de plus en plus en question la rรฉalitรฉ et lโimaginaire de lโinconscient collectif. Un peu plus tard, vers le 5ยฐ siรจcle avant J.C, des esprits plus curieux sโinsurgent mรชme contre les conceptions de lโรฉpoque. Ils sโengagรจrent ร la recherche de voies et procรฉdรฉs pour aboutir ร des rรฉponses moins รฉvasives et plus concrรจtes. Leur projet vรฉritable est de substituer aux cosmogonies mythiques une explication rationnelle de lโorigine et de la formation de lโunivers. Beaucoup parmi eux sโefforcรจrent ainsi dโexpliquer lโunivers ร partir de la considรฉration dโรฉlรฉments physiques mais aussi de leur interactivitรฉ. On nโest pas encore totalement sorti du monde primaire des mythologies, mais lโรฉmergence de la raison permet au moins ร lโhomme de mieux poser les questions qui lโagitent. La problรฉmatique ouverte de la relation cause effet va renforcer lโoption analyse ; ce qui aiguise et entretient lโesprit critique.
LA PHILOSOPHIE CLASSIQUE
De ce parcours, nous observons que la philosophie se prรฉsente comme une volontรฉ de rupture avec les pratiques archaรฏques de savoir. La pรฉriode euphorique de lโhorizon cosmogonique qui couvrit lโรฉpoque primaire des premiers รฉtonnements va laisser davantage la place au doute, plus tard ร la rรฉflexion critique et enfin ร lโanalyse rationnelle. Etymologiquement le mot philosophie renvoie ร lโidรฉe de lโamour de la sagesse. Mais ici, la sagesse se dรฉfinit sous lโangle trรจs large du savoir. Donc lโamour du savoir qui enseigne le bien pour la promotion dโune existence meilleure. A travers le processus dโinvestigation quโil a initiรฉ, lโhomme a compris quelque part que la pratique du bien qui est le lot du sage et du philosophe ne peut dรฉcouler que de la comprรฉhension des rรฉalitรฉs intrinsรจquement liรฉes au principe de bien. Cette connaissance dโintimitรฉ est dโabord une quรชte dโoรน son prolongement, en gรฉnรฉral, spirituel. Lโhistoire de la philosophie nous rapporte quโau tout dรฉbut Sophia a dโabord signifiรฉ adresse dans les mรฉtiers manuels, puis habiletรฉ dans les arts, singuliรจrement dans lโart de jouer de la flรปte ou de la lyre puis talent. Cโest seulement aprรจs que le mot a signifiรฉ savoir technique, science, enfin sagesse, cโest ร dire connaissance des principes qui sont derriรจre les phรฉnomรจnes. Si maintenant lโidรฉe de philosophie classique se rapporte souvent ร la Grรจce antique qui, certes, a jouรฉ un rรดle dรฉterminant dans la fรฉcondation de lโesprit philosophique, on ne peut quand mรชme nier lโexistence de foyers trรจs denses de savoir en Orient. LโEgypte qui fut souvent une source dโinspiration, mรชme pour les Grecques, dรฉveloppa une large pratique du savoir dans ses fameuses รฉcoles de mystรจres. Dโailleurs ses scribes trรจs sollicitรฉs ont amplement contribuรฉ ร la structuration de lโadministration de Salomon. Les enseignements dโAmรฉnophis influencรจrent les juifs et leurs empreintes restent vivaces dans le livre des proverbes. Maรขt symbole de lโordre, de la justice et de la vรฉritรฉ soutient, dans la pensรฉe Egyptienne, la pรฉrennitรฉ de la thรฉocratie pharaonique. Le culte dโOsiris qui recommande lโรฉthique insiste sur la pratique de la justice pour mรฉriter lโรฉlection รฉternelle. Vers 2800 av J.C La Mรฉsopotamie fut aussi un carrefour intellectuel trรจs dense ; une synthรจse des apports sumรฉriens et sรฉmitiques avant lโassaut de Mรจdes 612 av JC (prise et incendie de Ninive). Lโempreinte de lโimmanence du divin bien prรฉcise dans cette civilisation aura des ramifications dans la spiritualitรฉ Chrรฉtienne (aux origines sรฉmitiques) qui influenรงa beaucoup lโoccident. LโInde et la Chine reprรฉsentent รฉgalement des sources de savoir qui alimentรจrent lโรฉpoque plus ressente de la philosophie classique. La Grรจce, fรฉconde de tous ces apports deviendra le lieu public le plus ouvert au dรฉveloppement et ร la confrontation des idรฉes ; voie appropriรฉe pour lโรฉpanouissement de la philosophie. Les rรฉflexions engagรฉes pour la promotion de la politique autour des idรฉaux de Justice et de dรฉmocratie vont se dรฉvelopper dans les milieux fermรฉs, comme dans lโagora (place publique) la pratique de la sophistique ou lโart du bien dire dans lequel les sophistes รฉtaient maรฎtres.
En rรฉalitรฉ tout ce balbutiement ne commencera ร prendre forme que vers le 4ยฐ siรจcle av JC. En Ionie se prรฉcisent alors des questionnements autour de lโun, du multiple et de lโintelligible ; ce qui conduira plus tard ร la recherche des principes. Le mouvement des prรฉsocratiques avec Thalรจs, Pythagore et Hรฉraclite engage vigoureusement lโinvestigation intellectuelle. Hรฉraclite proclame la prรฉรฉminence du principe de contradiction et celui du feu, Pythagore dรฉclare le nombre ร la base de tout phรฉnomรจne, Thalรจs pense lโeau ร lโorigine de toute vie, tandis que Zรฉnon impulse le processus dรฉterminant de la dialectique. Alors que le dรฉbat se passionne avec les sophistes qui se prรฉsentent comme des รฉveilleurs dโidรฉes par lโart de la discussion ; un grand maรฎtre va surgir dans lโarรจne de la pensรฉe. Socrate dont-il sโagit, apprรฉciรฉ comme รฉlรฉment fondateur de la pensรฉe philosophique, par son art spรฉcial, sa maรฏeutique, ouvrit la philosophie aux grands publics. Platon son disciple se chargera de vulgariser son enseignement autour de lโinterpellation historique ร lโadresse de lโhomme : Connais-toi toi-mรชme dont lโode de Pindare Devient ce que tu es prรฉcise lโobjectif exprimant les prรฉoccupations intellectuelles du moment. Platon donc pivot de la grande quรชte intellectuelle cherchera les voies et moyens pour mieux orienter lโhomme et la citรฉ ร partir des enseignements et des dialogues de son maรฎtre Socrate condamnรฉ finalement ร la mort ; รฉvรฉnement tragique mais important pour la vigueur et la fermetรฉ de lโaventure des idรฉes philosophiques. Dรฉsormais tous les problรจmes liรฉs ร lโexistence et soulevรฉs par Socrate vont รชtre dรฉveloppรฉs et discutรฉs. Lโรขme, la justice, lโamour, la spiritualitรฉ et le principe de vรฉritรฉ sont soumis aux investigations de plus en plus dialectiques et rationnelles de lโesprit. Aristote qui apparaรฎtra ensuite comme le pรจre de la rationalitรฉ, รฉclatant dans ses traitรฉs de politique, dโรฉthique et de poรฉtique, bien que disciple de Platon sera proclamรฉ prince des philosophes.
Dans ce grand dรฉbat intellectuel trรจs fรฉcondant pour la philosophie, les auteurs scrutent audacieusement lโavenir et cherchent ร rรฉinventer le monde. Dans cette perspective, les stoรฏciens nous proposent de vivre selon la nature et suivant la loi universelle en dรฉveloppant la puretรฉ de lโintention morale et contrer ainsi la vie de plaisirs et de passions que propose les รฉpicuriens. Ici comme ailleurs est posรฉ la problรฉmatique de la raison et son utilisation correcte pour sauver lโhumanitรฉ car le logos (raison) humain est apprรฉhendรฉ comme une partie du logos universel. Des sages comme Sรฉnรจque ou Epictรฉte vont approfondir ces recherches autour de la bonne raison, toujours dans le mรชme sens que les idรฉes gรฉnรฉreuses de la vertu de Socrate ou du souverain bien dโAristote. La grande figure du sage, convive de Dieu et son collรจgue dans le commandement marquera cette รฉpoque qui enquรชte sur la loi universelle et les forces de tension ร la base du mouvement et du tout global. Nรฉanmoins ce grand engouement laisse quand mรชme moins optimistes des penseurs plus contemporains et beaucoup plus orientรฉs vers le fait opรฉrationnel et pratique.
CRITIQUE DE LA PHILOSOPHIE CLASSIQUEย
En gรฉnรฉral, la philosophie classique est considรฉrรฉe comme spรฉculative et รฉsotรฉrique. Les philosophes ont toujours eu, dans leur art, la rรฉputation dโuser dโune langue รฉtrangรจre, inconnue et incomprรฉhensible. Ce reproche ร lโadresse de la philosophie nโest pas dรฉnuรฉ de sens quand on sait que lโidรฉalisme, de Platon ร Hegel, soutient que le monde est en rรฉalitรฉ esprit. De cette dรฉmarche mรชme, toute philosophie idรฉaliste reste apparentรฉe ร une thรฉologie. Autrement dit cette philosophie qui substitue aux รชtres matรฉriels, attestรฉs par les sens, des รชtres immatรฉriels ne peut se construire quโautour dโun monde spรฉcial. De ce fait la philosophie ancienne dรฉtache la pensรฉe de la rรฉalitรฉ alors que lโexistence, loin de se dรฉmontrer, doit รชtre plutรดt apprรฉhendรฉ ร partir du rรฉel. Selon Marx ยซ cโest dans la pratique que lโhomme accรจde ร la rรฉalitรฉ des faits ยป . Cโest dire quโil รฉtait difficile sinon impossible de trouver la vรฉritรฉ en procรฉdant, ร la maniรจre des anciens, par la recherche thรฉorique, ร connaรฎtre des choses qui nโexistent quโร travers et dans la pratique. Car la philosophie en tant que ยซ science de lโรชtre ยป vise la rรฉalitรฉ absolue et se faisant, met en doute les phรฉnomรจnes et rompt avec le sensible. Alors que selon Marx ยซ Cโest lร oรน cesse la spรฉculation, cโest dans la vie rรฉelle que commence donc la science rรฉelle, positive, lโexposรฉ de lโactivitรฉ pratique ยป .
Karl Marx, de cet engagement tournรฉ vers lโaction rรฉcuse la philosophie ancienne spรฉculative. Selon lui tout doit se passer dans le monde sensible, dans la vie pratique. La philosophie doit tenir compte de la rรฉalitรฉ non pas seulement de maniรจre thรฉorique mais aussi et surtout de maniรจre pratique. Cependant, mรชme si certains philosophes prรฉ marxistes privilรฉgient le monde thรฉorique, lโhistoire de toute la philosophie ne peut รชtre considรฉrรฉe hors du monde sensible et pratique. Les concepts philosophiques รฉlaborรฉs par lโensemble des philosophes de chaque รฉpoque de lโhistoire se rattachent en rรฉalitรฉ, directement ou indirectement, ร la vie concrรจte.
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Table des matiรจres
Introduction
PREMIERE PARTIE :Prรฉsentation gรฉnรฉrale de lโลuvre de Karl Marx
CHAPITRE 1 : La philosophie avant Karl Marx
I : Genรจse de la philosophie
II : La philosophie classique
III : Critique de la philosophie classique
CHAPITRE II: LโOeuvre de Karl Marx dans son cadre dโรฉmergence
I : Les contemporains de Karl Marx
II: Ruptures et redรฉploiements
III Emergence de lโลuvre
DEUXIEME PARTIE : Rapports philosophie et politique chez Karl MARX
CHAPITRE I: Le marxisme Idรฉologie et programme
I : Philosophie ou Idรฉologie chez Karl MARX
II : Politique ou Praxis chez Karl MARX
III : Eclairage philosophique de la politique
CHAPITRE II: La dimension opรฉrationnelle du marxisme
I : Rapport philosophie et politique
II : Politique et action rรฉvolutionnaire chez Karl Marx
III : La lutte des classes : fondement de lโaction politique Chez Karl MARX
TROISIEME PARTIE :Critique de la conception du rapport entre philosophie et politique chez Karl MARX
I : Les Influences
II : Le statut du politique dans son rapport avec la philosophie Chez Karl MARX
III : Limites de la dรฉmarche de Karl MARX
Conclusion
Bibliographie