La philosophie à l’école maternelle
Les enjeux de la philosophie dès la maternelle
Avant d’expliciter totalement les enjeux de la philosophie à l’école maternelle, il faut mettre en avant que la philosophie pour enfant n’a pas toujours été reconnue dans la société. En effet, comme l’évoquent M.E. Mankessi et V. Kouvimoussou l’enfant, en plus d’être « un être déraisonnable, irrationnel, spontané, imprévisible, caractériel, capricieux, incertain, ignorant, joueur et sans sérieux » , il est aussi «incapable de voir la vérité, incapable de réfléchir, de tenir un dialogue, incapable de quelconque rigueur ».
Mais, durant les années 1997-1998, la philosophie à l’école élémentaire fait son apparition en France suite à l’initiative de réseaux associatifs tels que l’AGSAS de Jacques Lévine ou d’enseignants du premier degré bénéficiant d’une formation universitaire en philosophie comme Jean-Charles Pettier ou Anne Lalanne. Une première étape du développement de la philosophie pour enfants a eu lieu en mars 1998 lorsqu’une réunion d’experts s’est tenue au siège de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture à Paris afin de mettre en œuvre un projet de philosophie pour les enfants. L’UNESCO initie alors un nouveau programme intitulé « A l’école de la pensée, la pensée à l’école », qui va encourager au sein des établissements scolaires « une culture du questionnement par opposition à la culture traditionnelle de la réponse » . Une deuxième évolution a eu lieu en 2005. En effet, l’UNSECO a proclamé la Journée Mondiale de la Philosophie le troisième jeudi de novembre, surtout pour les jeunes en évoquant que « la philosophie est une discipline qui encourage la pensée critique et indépendante, à même d’œuvrer pour une meilleure compréhension du monde et de promouvoir la tolérance et la paix » . Une troisième évolution a lieu lors de la cérémonie d’ouverture de la Chaire UNESCO coordonnée par Edwige Chirouter sur « La pratique de la philosophie avec les enfants : une base pour le dialogue interculturel et la transformation sociale » le 18 novembre 2016. Elle reconnait la pratique de la philosophie avec les enfants comme « un des moteurs essentiels pour développer l’esprit critique, les compétences démocratiques, l’empathie, l’ouverture et le dialogue interculturel ».
L’Education Nationale a compris l’importance de la philosophie à l’école et l’a donc incorporé dans les programmes de 2015. En effet, en parcourant les programmes de mars 2015, nous constatons premièrement que « [l’enseignant] favorise les interactions entre enfants et crée les conditions d’une attention partagée, la prise en compte du point de vue de l’autre en visant l’insertion dans une communauté d’apprentissage » . Cet extrait met en évidence que les ateliers philosophiques permettent ces interactions mais s’inscrivent davantage dans le cadre d’une communauté de recherche. Nous pouvons relever également que :
« Pour provoquer la réflexion des enfants, l’enseignant les met face à des problèmes qui sont à leur portée. Quels que soient le domaine d’apprentissage et le moment de vie de la classe, il cible des situations, propose des questions ouvertes pour lesquelles les enfants n’ont pas alors de réponse directement disponible.» .
Les discussions à visée philosophique permettent la réflexion des élèves puisqu’elles ne débouchent pas sur des réponses figées mais plutôt par des réponses ouvertes. Nous pouvons relever également « Ces activités cognitives de haut niveau sont fondamentales pour donner aux enfants l’envie d’apprendre et les rendre autonomes intellectuellement » . Ce dernier point caractérise l’un des objectifs de l’atelier philosophique : faire prendre conscience aux élèves qu’ils sont des êtres à part entière, capables d’avoir une opinion propre qui les caractérisera et leur permettra un développement intellectuel autonome.
De plus, la philosophie permet d’éduquer les élèves à la citoyenneté car elle développe le vivre ensemble. Selon les textes, il s’agit avant tout de viser l’apprentissage d’un comportement. Le débat philosophique est un lieu d’expérimentation de la citoyenneté pour l’élève. En effet, ce moment bien spécifique est régi par des règles clairement énoncées et acceptées par tous. Le respect de l’autre, de sa parole et de sa pensée est la base de l’activité. Ainsi les élèves sont amenés à prendre conscience des autres, à les écouter, à prendre en compte leur parole. L’école maternelle a pour tâche de favoriser la construction identitaire de l’élève au sein d’un groupe :
« Par sa participation, l’enfant acquiert le goût des activités collectives, prend du plaisir à échanger et à confronter son point de vue à celui des autres. Il apprend les règles de la communication et de l’échange. » .
Il s’agit également d’ouvrir les élèves sur le monde en les faisant se poser des questions qui concernent la majorité des individus et non plus d’ordre personnel. L’élève prend donc ainsi conscience de son appartenance à la société. Le caractère collectif des séances amène les élèves à s’approprier les codes communicationnels. Les discussions à visée philosophique permettent à l’élève de construire sa personnalité. Pour cela,
« L’enseignant a le souci de guider la réflexion collective pour que chacun puisse élargir sa propre manière de voir ou de penser. Ainsi, l’enfant trouve sa place dans le groupe, se faire reconnaître comme une personne à part entière et éprouve le rôle des autres dans la construction des apprentissages » .
Il s’agit de permettre à l’enfant de développer sa personnalité en le laissant s’exprimer, penser devant les autres, avec les autres, sur des problèmes fondamentaux. Les discussions à visée philosophique permettent également aux élèves d’avoir une image positive d’euxmêmes car elles permettent la liberté d’expression. Lors de ces séances, l’enfant se pose des questions sur des sujets qu’il n’aborde pas dans son quotidien : le bonheur, la liberté…Il parle en « je » et peut exprimer ses émotions, ses choix, ses doutes, les mettre en mots, tenter de les comprendre et peut-être de les dépasser. Du fait de sa pratique en classe entière ou en groupe, l’élève est amené à trouver sa place, à oser prendre la parole et écouter les dire des autres, et même voir ses propos contredits.
Pour qu’une discussion s’engage, il faut que les élèves osent entrer en communication. C’est en osant parler devant et avec les autres que la discussion va pouvoir évoluer et s’enrichir. C’est pourquoi les débats philosophiques permettent aux élèves de développer des compétences langagières. En effet, réfléchir sur une question philosophique revient à mettre en mot sa pensée, donc à travailler la langue orale. Dans les programmes de cycle 1 de 2015, nous pouvons retrouver les attendus de fin de cycle suivant « S’exprimer dans un langage syntaxiquement correct et précis », « Pratiquer divers usages du langage oral : raconter, décrire, évoquer, expliquer, questionner, proposer des solutions, discuter un point de vue ». Le débat philosophique est une situation de communication réelle où les élèves sont amenés à interagir verbalement entre pairs, à se confronter, à rencontrer des conflits socio-cognitifs.
Comme le dit Michel Tozzi, « favoriser l’apprentissage d’activités langagières [à l’école], comme base d’un rapport médiatisé au langage, au savoir, à autrui et à soi même».
Nous pouvons ajouter que les ateliers à visée philosophique avec les enfants ont un double enjeu éducatif, aussi bien un enjeu pédagogique que didactique. En effet, ils s’appuient d’un point de vue pédagogique sur une conception et une pratique spécifique de l’apprentissage qui sont la mise en activité de l’élève. A travers ces différentes séances, les élèves apprennent à penser par eux-mêmes, la pédagogie proposée se veut résolument active. Les méthodes actives visent à proposer des situations d’apprentissage qui mettent les élèves en situation d’activité pour qu’ils apprennent. M. Lipman s’appuie ainsi sur le pédagogue et philosophe John Dewey pour le fonctionnement de sa communauté de recherche, où il s’agit de mener une enquête pour répondre à une question. M. Tozzi et S. Connac s’appuient particulièrement sur la pédagogie coopérative de C. Freinet. J. Lévine donne la parole aux enfants comme « habitant du monde », et se tient en retrait. Il y a là une rupture avec l’enseignement transmissif traditionnel du cours magistral. Ici, nous ne nous situons pas dans la logique du maître surtout centré sur ce qu’il va dire dans son cours, mais nous nous plaçons plutôt du point de vue de l’élève, de ce qui se passe dans sa tête, de ses représentations initiales, de ses difficultés cognitives et affectives à apprendre. La place de l’élève et de sa parole est ici centrale, le groupe est co-formateur. Les ateliers philosophiques se situent dans la continuité de l’Education nouvelle.
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Table des matières
Introduction
I. La philosophie à l’école maternelle
1. Les enjeux de la philosophie dès la maternelle
2. La littérature de jeunesse
2.1. La littérature de jeunesse pour se connaître soi-même et s’ouvrir à l’autre
2.2. Place de l’album dans la littérature de jeunesse
2.3. La mise en réseau d’albums de jeunesse sur un thème philosophique
3. Aborder l’amitié avec les enfants
3.1. Le développement moral de l’enfant
3.2. La socialisation de l’enfant
3.3. Pourquoi l’amitié ?
II. Analyse de la séquence mise en place
1. Description des conditions de l’expérimentation
1.1. Les élèves
1.2. Les hypothèses
1.3. Support et procédure
2. Analyse du recueil des données
2.1. Le comportement des élèves
2.1.1. Participation des élèves
2.1.2. L’écoute
2.2. Partage autour du concept d’amitié
2.3. Analyse de la trace écrite
2.4. Ce que cette séquence apporte à ma réflexion
2.5. Ce qui pourrait enrichir davantage la réflexion des élèves
Conclusion
Bibliographie
Sitographie
Annexes