La phagocytose des segments externes des photorécepteurs par l’épithélium pigmentaire rétinien
La machinerie de la phagocytose : analogie avec les macrophages
La phagocytose des corps apoptotiques par les macrophages
Le concept fondamental du principe de la phagocytose a été découvert en 1882 par Elie Metchnikoff, ce qui lui a valu le prix Nobel de médecine en 1908. Il a décrit ce processus comme un des mécanismes de défense immunitaire contre les bactéries grâce aux globules blancs. Il existe plusieurs types de phagocytose : la phagocytose anti-pathogènes qui permet l’élimination des éléments étrangers au corps, et la phagocytose des cellules apoptotiques qui permet l’élimination des cellules endogènes en état de mort cellulaire programmée (Mao and Finnemann, 2015). Cette dernière est essentielle au maintien de l’homéostasie des tissus et pour éviter les réactions auto-immunes. Les cellules en apoptose modifient les molécules de leur surface cellulaire : elles expriment des signaux « eat-me », ou « mangez-moi », qui sont reconnus par les macrophages (Brown and Neher, 2012). Ces signaux sont l’exposition de phosphatidylsérines (PtdSer), le changement de charge et de glycosylation de certaines molécules à la surface cellulaire et l’exposition de la calréticuline qui est normalement une protéine du réticulum endoplasmique (Ravichandran, 2011). Parmi eux, le signal qui a été le plus étudié est l’exposition des PtdSer sur le feuillet externe de la membrane plasmique (Fadok et al., 1992). Les PtdSer sont normalement maintenues exclusivement sur le feuillet interne de la bicouche lipidique des cellules. Au cours de l’apoptose la flippase devient active permettant l’externalisation des PtdSer (Panatala et al., 2015). L’exposition des PtdSer est l’altération universelle la plus typique sur la surface des cellules apoptotiques : elle est observée dans de nombreux types cellulaires après induction de l’apoptose de différentes manières (Fadok et al., 1998).
Du côté macrophage, de nombreux récepteurs sont présents pour la reconnaissance des signaux « eat-me ». Il y a les récepteurs « scavengers » (SR-A, SR-B, CD36, …), les lectines, les récepteurs du complément, ceux reconnaissant les lipoprotéines de faible densité (LDL) oxydées (CD36, CD68 et SR-A), CD14, les intégrines, les récepteurs tyrosines kinases Tyro3, Axl et Mer (récepteurs TAM) et enfin les récepteurs reconnaissant spécifiquement les PtdSer (Niedergang and Chavrier, 2005; Ravichandran, 2011). L’existence d’autant de récepteurs pour la reconnaissance des cellules apoptotiques est encore mal comprise. Henson, Savill et Fadok pensent que toutes les cellules phagocytaires n’expriment pas l’ensemble de ces récepteurs, et que plusieurs modes de reconnaissance sont nécessaires pour initier la phagocytose (Henson et al., 2001; Savill and Fadok, 2000). Il est également possible que selon la nature de l’induction de l’apoptose, les récepteurs nécessaires à la reconnaissance des signaux « eat-me » ne soient pas les mêmes. Les PtdSer peuvent être reconnues de deux façons différentes : la première, directe, s’effectue par des protéines ancrées à la membrane et la deuxième, indirecte, est rendue possible par des protéines solubles réalisant un pont entre les PtdSer et des protéines membranaires (Ravichandran, 2011). Les récepteurs capables de reconnaitre directement les PtdSer sont SR-B, CD36, CD68, des membres de la famille des mucines et des immunoglobulines des cellules T (TIM) (TIM-1, TIM-3 et TIM-4), l’inhibiteur 1 de l’angiogenèse du cerveau (BAI1) et la protéine Stabiline-2 (Greenberg et al., 2006; Kobayashi et al., 2007; Miyanishi et al., 2007; Park et al., 2007; Park et al., 2008). Les protéines solubles capables de reconnaître les PtdSer sont milk fat globule-EGF factor 8 (MFG-E8), Growth arrest-specific 6 (Gas6) et Protéine S (détaillées dans le Chapitre IV) (Nakano et al., 1997; Hanayama et al., 2002). MFG-E8 est capable de se lier aux intégrines αvβ3 et αvβ5, tandis que Gas6 et Protéine S sont des ligands des récepteurs TAM (Lemke and Rothlin, 2008; Scott et al., 2001).
La phagocytose des segments externes des photorécepteurs par l’épithélium pigmentaire rétinien
La phagocytose des SEP par l’EPR présente des caractéristiques communes avec la clairance des cellules apoptotiques par les macrophages. En 2012, l’équipe du Dr Finnemann a montré que la partie des SEP à phagocyter présente une exposition accrue des PtdSer sur leur feuillet externe juste avant que la phagocytose n’ait lieu (Ruggiero et al., 2012). Des récepteurs reconnaissant les PtdSer sont présents au niveau apical des cellules de l’EPR. Pour lier les SEP, l’EPR exprime spécifiquement l’intégrine αvβ5 au pôle apical sur toute la longueur des longs microvilli, alors que toutes les autres intégrines sont présentes dans la partie baso-latérale de ces cellules (Finnemann et al., 1997; Nandrot et al., 2004). Comme chez les macrophages, l’intégrine αvβ5 est capable de lier MFG-E8 qui réalise un pont entre les PtdSer et la cellule phagocytaire (EPR) (Nandrot et al., 2007). Les deux autres ligands solubles des PtdSer, Gas6 et Protéine S, sont également exprimés par l’EPR (Burstyn-Cohen et al., 2012; Prasad et al., 2006). Les récepteurs de la famille TAM sont également présents dans la rétine : MerTK (Mer tyrosine kinase) et Tyro3 sont fortement exprimés au niveau des microvilli courts des cellules de l’EPR, tandis que Axl n’est pas exprimé par ces cellules (Prasad et al., 2006). MerTK est le récepteur nécessaire et essentiel pour l’internalisation des SEP par l’EPR (D’Cruz et al., 2000; Nandrot et al., 2000). Des récepteurs reconnaissant directement les PtdSer sont également exprimés par les cellules de l’EPR : CD14, les récepteurs de la famille «scavenger » SR-BI et SR-BII (Duncan et al., 2002; Elner et al., 2003; Provost et al., 2003). Leurs rôles dans la phagocytose rétinienne ne sont pas encore totalement élucidés. CD36 est exprimé au niveau apical des cellules d’EPR et semble moduler la vitesse d’internalisation des SEP par une voie de signalisation indépendante de celle de MerTK (Finnemann and Silverstein, 2001; Ryeom et al., 1996a; Ryeom et al., 1996b). En effet, in vitro, selon les doses d’anticorps utilisées pour bloquer CD36, une accélération ou une inhibition de l’internalisation des SEP est observée (Finnemann and Silverstein, 2001). CD36 ne semble pas avoir un rôle majeur dans la phagocytose rétinienne car en son absence sous des conditions standard, les souris ne développent pas de pathologie rétinienne (Sun et al., 2006). Cependant, elles sont beaucoup plus sensibles aux dommages induits par une forte exposition lumineuse. Sun et ses collègues proposent l’hypothèse qu’en condition de stress oxydatif, CD36 est activé par les nombreux phospholipides oxydés, conduisant à une augmentation de la phagocytose des SEP car celle induite par la voie classique de l’intégrine αvβ5 et MerTK n’est pas suffisante.
Bien que la reconnaissance des cellules à phagocyter soit similaire, des différences majeures existent entre la clairance des cellules apoptotiques par les macrophages et la phagocytose rétinienne. Les cellules d’EPR lient les SEP assez lentement (environ deux heures) tandis que les macrophages lient un maximum de particules en 30 minutes (Finnemann and Rodriguez-Boulan, 1999). De plus, les macrophages sont capables de phagocyter de nombreuses particules diverses alors que les cellules d’EPR phagocytent préférentiellement un seul type de particules in vivo, les SEP (Mayerson and Hall, 1986). Une étude a montré que SEP et cellules apoptotiques étaient reconnues de manière équivalente par les macrophages et l’EPR (Finnemann and Rodriguez-Boulan, 1999). Comme nous l’avons vu précédemment ces deux types cellulaires utilisent des intégrines différentes pour lier les particules à phagocyter : l’intégrine αvβ3 pour les macrophages et l’intégrine αvβ5 pour l’EPR. Une autre différence majeure est la présence d’un rythme de phagocytose dans la rétine. LaVail a montré que chez la souris, la phagocytose des bâtonnets présente un pic d’activité le matin (Figure 9, A et B) (LaVail, 1976). En effet, il y a 2,5 à 5 fois plus de phagosomes dans l’EPR entre 30 minutes et 2,5 heures après l’arrivée de la lumière comparé aux autres heures de la journée. Ce rythme semble intrinsèque au tissu et ne dépend pas de la lumière. En effet, lorsque les souris sont en permanence dans le noir, la phagocytose rétinienne suit toujours un rythme circadien (LaVail, 1976). Il semble être influencé par des facteurs humoraux : l’injection de réserpine, qui diminue la noradrénaline dans la glande pinéale, bloque le pic de phagocytose (LaVail, 1976). Récemment, l’équipe du Dr Finnemann a montré que l’exposition des PtdSer au niveau des SEP suit également un rythme circadien qui correspond parfaitement à celui de la phagocytose (Ruggiero et al., 2012). En effet, in vivo au moment de l’arrivée de la lumière, la portion distaledes SEP à éliminer présente un maximum de PtdSer au niveau de leur feuillet externe. Le rythme de la phagocytose est aboli chez les souris intégrine β5 -/- et MFG-E8-/-, suggérant que le rythme d’externalisation des PtdSer au niveau de la partie des SEP à éliminer est sous le contrôle de l’EPR et plus précisément du couple intégrine αvβ5–MFG-E8.
La phagocytose rétinienne nécessite une régulation fine de ses acteurs. En effet, au contraire des macrophages et de leurs cibles, les SEP et les cellules d’EPR sont en contact permanent, pourtant la phagocytose présente un rythme circadien. De nombreuses études ont été et sont encore menées afin de comprendre la machinerie et la régulation de la phagocytose rétinienne. Deux récepteurs ont particulièrement été étudiés : l’intégrine αvβ5 et MerTK.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. Le système visuel
1. Présentation de l’œil
2. La rétine
a) Organisation stratifiée de la rétine
b) Le système vasculaire rétinien
c) Les barrières hémato-rétiniennes
3. Les photorécepteurs
a) Organisation cellulaire
b) Fonction visuelle
4. L’épithélium pigmentaire rétinien
a) Organisation cellulaire
b) Fonctions biologiques de l’épithélium pigmentaire rétinien
c) Les pathologies associées à des défauts fonctionnels de l’épithélium pigmentaire
rétinien
II. La phagocytose des segments externes des photorécepteurs par l’épithélium pigmentaire rétinien
1. La machinerie de la phagocytose : analogie avec les macrophages
a) La phagocytose des corps apoptotiques par les macrophages
b) La phagocytose des segments externes des photorécepteurs par l’épithélium
pigmentaire rétinien
2. Le rôle de l’intégrine αvβ5 dans la phagocytose rétinienne
a) Rôle dans la liaison des segments externes et dans la rythmicité
b) Signalisation intracellulaire de l’intégrine αvβ5
3. L’identification de MerTK : un modèle historique, le rat RCS
III. Le récepteur Mer Tyrosine Kinase (MerTK)
1. Un récepteur de la famille TAM
a) Nomenclature, structure et expression
b) Activation et fonctions cellulaires
2. Mutations du gène MERTK et pathologies associées
3. Activation rythmique et cascade de signalisation
4. Régulation extracellulaire de la fonction de MerTK
a) Par ses ligands Gas6 et Protéine S
b) Par le clivage de son ectodomaine
IV. Les ligands de la matrice interphotorécepteurs
1. Protéine S et Gas6
a) Structure et expression
b) Régulation post-traductionnelle nécessaire à leur fonction
c) Rôle de la Protéine S dans la coagulation sanguine
d) Rôles de Protéine S et de Gas6 avec les récepteurs TAM
2. MFG-E8
a) Structure et expression
b) Fonctions cellulaires
V. Les protéases de la famille ADAM
1. Vue d’ensemble de cette grande famille
a) Domaines protéiques des ADAM
b) Lieux d’action et expression cellulaire
2. Activités protéolytiques des ADAM
a) ADAM9
b) ADAM10
c) ADAM17 : une enzyme versatile
3. Régulation de l’activité des ADAM
PROJET DE THESE
RESULTATS
CONCLUSION
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