La compréhension moderne de la marque passe par la vision de la marque comme « source du produit », comme moyen d’en identifier l’origine ou le propriétaire. Cette compréhension a conduit à une vision anthropomorphique de la marque où la marque est l’égale de la personne qui l’a inscrite ou créée. La marque est cette personne, la marque est une personne, elle est presque une personne morale sans pourtant en avoir la dimension légale. Cette personnification de la marque n’est pas nouvelle. Elle est aussi une pratique publicitaire courante : l’utilisation de célébrités pour doter les marques d’une personnalité, ou encore l’utilisation de la section « personnalité » dans la copy strategy . Doter les marques d’une personnalité sert à les rendre plus réelles pour les consommateurs. Ces derniers associent facilement une personnalité aux marques, et répondent sans problème à des questions métaphoriques telles que « si cette marque était une personne, quelles seraient cette personne et sa personnalité ? ». La personnalité des marques est donc utilisée d’une part par l’entreprise afin de positionner les marques, séduire les consommateurs et construire l’image de la marque ; et, d’autre part, par les consommateurs qui l’utilisent pour exprimer leur propre personnalité (Aaker, 1999 ; Vernette, 2004).
La personnalité de la marque : le concept et sa mesure
Revue de littérature de la conceptualisation de la personnalité humaine et de la personnalité des marques
De l’utilisation de métaphore à l’anthropomorphisme des marques
L’image de marque est une appellation relativement générique et connue du grand public. Elle est appréhendée par la notion de représentation sociale. Une représentation sociale est un ensemble de croyances et de symboles « socialement partagés » par les individus d’une société, d’une culture, et qui permet, par sa simple évocation, de véhiculer un ensemble d’évaluations et d’idées qui lui sont associées, de reconstituer le réel autour d’une idée. Les représentations sociales permettent à l’individu d’organiser ses connaissances. Elles renvoient à quelque chose de stable, et en ce sens elles ne sont pas des images. Au-delà de la perception, la représentation sociale implique une construction active de la réalité par l’individu, par l’intermédiaire de processus cognitifs. C’est pourquoi Abric (1994) définit la représentation sociale comme étant « le produit et le processus d’une activité mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel auquel il est confronté et lui attribue une signification spécifique. » La métaphore est un exemple de représentation sociale.
L’utilisation de métaphore en sciences humaines
Une grande partie du comportement humain peut être interprété comme étant une tentative de compréhension et d’adaptation au monde qui l’entoure à travers l’utilisation de conceptualisations (Arndt, 1985). Afin de raisonner et de former des schémas de compréhension, nous utilisons tous des heuristiques. L’utilisation de métaphores fait partie de ces heuristiques. La métaphore (transfert de sens d’un objet connu pour certaines propriétés vers un autre objet dénué de ces propriétés a priori), ou l’utilisation de symboles, permettent de rendre plus concrètes des idées ou conceptualisations abstraites. En donnant une forme concrète et imagée au monde, l’homme le rend plus accessible. Ce processus, qui consiste à donner du sens à travers des symboles ou des mythes, réifiant ainsi le monde abstrait, est essentiellement subjectif (Morgan, 1980 ; Levy, 1981). Comme d’autres personnes le font, le scientifique utilise des symboles et des images pour créer un lien entre le monde abstrait des concepts de son champ d’étude et la réalité objective du monde. L’utilisation de métaphores est donc d’une grande aide pour communiquer de manière plus précise et plus concrète, c’est une sorte de métalangage. La métaphore permet la compréhension et la communication de phénomènes complexes en faisant référence à des idées ou notions qui sont comprises par les deux interlocuteurs (Davies et al., 2001). Elle permet de donner du sens à une idée abstraite. Par exemple, dire qu’une organisation moderne fonctionne comme une machine, ou comme un organisme permet de communiquer l’idée de complexité des mécanismes de fonctionnement de l’entreprise. La métaphore utilise donc les images mentales pour remplacer des mots et de longues définitions ; et pour rendre plus familier le concept en question. Il faut cependant noter que le fait d’utiliser une métaphore est nécessairement subjectif et biaise ainsi la vision du concept étudié.
L’utilisation de métaphores influence la perception que les interlocuteurs auront du concept ou de l’idée en question. Cela n’est pas un problème en soi si l’on en est conscient.
De plus, les métaphores ne rendent que partiellement l’idée évoquée. En ce sens elles sont des vérités partielles et des modèles incomplets (Arndt, 1985). Il convient donc de garder en mémoire que la métaphore a tendance à favoriser une sur concrétisation du phénomène en question en percevant les concepts utilisés dans la métaphore comme étant une description valide de la réalité. Or cette description n’est que partielle et subjective. Arndt (1985) prend l’exemple du terme de fidélité à la marque pour illustrer cette idée. Souvent les consommateurs ne sont pas réellement fidèles, et la répétition de l’achat est due à d’autres éléments comme la routine, la facilité ou la proximité, ou encore le faible niveau d’implication dans la catégorie de produits concernée. Cette fidélité n’est donc pas psychologiquement volontaire et engageante. Parler de fidélité du consommateur est donc un peu erroné et correspond à une sur-concrétisation du phénomène constaté. Croiser des métaphores peut aider à limiter ce problème. Chacune renvoyant à un ensemble d’associations limité par l’ensemble d’associations de l’autre métaphore. Une métaphore ne peut seule décrire parfaitement un phénomène. Deux (ou plus) métaphores s’éclairent réciproquement et permettent une meilleure et plus complète compréhension du phénomène. Adopter une vision métaphorique d’un phénomène implique donc nécessairement d’en accepter une perspective pluraliste. Ou bien il faut ressortir de la métaphore pour délimiter le champ de ce qui est inclus et de ce qui est exclu du phénomène étudié ; retournant ainsi vers une conceptualisation plus abstraite. Ainsi, si nous reprenons l’exemple de la fidélité à la marque, il faut redéfinir la notion de fidélité, et en étudier et distinguer les différentes dimensions (attitudinale et comportementale par exemple).
L’utilisation de métaphores a fait l’objet de sévères critiques, ses détracteurs arguant qu’elle est trompeuse, qu’elle donne une image faussée de la réalité, empêchant ainsi le développement des sciences. Le débat peut être résumé par une phrase de Tinker (1986) : “les métaphores peuvent éclairer notre compréhension théorique des affaires, et elles peuvent aussi être utilisées pour mystifier et déformer notre vision de la réalité sociale” (p. 363). Comme l’expliquent Davies et al. (2001), d’autres auteurs tentent de concilier ces deux visions de la métaphore : les métaphores sont parfois substituées à une connaissance approfondie et elles sont particulièrement capables de relayer l’information relative à une expérience humaine, alors qu’une re-description littérale d’un phénomène serait plus précise et testable (Tsoukas, 1991). Finalement, l’opinion d’un chercheur sur l’utilisation de métaphores sera fortement liée à son positionnement épistémologique. Pour aller au-delà de ce débat, notons simplement que la métaphore doit être utilisée avec prudence. C’est une technique utile mais qui peut devenir trompeuse. Il est cependant évident qu’au-delà d’une simple figure de style, la métaphore est un outil de recherche utile, valide (Axley, 1984), et très utilisé en sciences sociales, comme par exemple en marketing (Arndt, 1985 ; Levy, 1981).
L’utilisation de métaphores en marketing
Les concepts qui décrivent les comportements humains sont parfois très complexes et très techniques. Pour faciliter leur utilisation, la métaphore intervient. Le concept même de marque est à la fois simple et complexe. Il est simple parce que tout le monde sait ce que veut dire marquer et ce que suggère le mot marque, mais en même temps, définir ce qu’est une marque relève souvent d’une longue réflexion et d’une conceptualisation très abstraite.
En marketing, la métaphore conduit à l’utilisation de focus groups, dans lesquels des techniques projectives permettent de mettre en évidence les représentations symboliques des répondants. La sémiotique – théorie générale des signes et du symbolisme – utilise largement la métaphore. L’idée derrière ces utilisations de la métaphore est qu’on peut expliquer une grande partie du comportement humain dans différentes situations par les images, rêves, événements, idées, et mythes présents dans la mémoire de l’individu (Arndt, 1985 ; Levy, 1981). On peut avoir accès à toutes ces “données”, ces images et mythes, par le biais du discours narratif des répondants. En les laissant raconter une histoire, leur histoire, on peut obtenir de nombreuses informations. La métaphore peut parfois les y aider. Souvent, il est demandé aux répondants de décrire une entreprise, une marque ou un magasin sous les traits d’un animal par exemple. Certaines marques ou entreprises vont forcer la métaphore en associant à leur nom ou logo un animal, un personnage ou une personnalité. Ainsi, dans l’esprit des répondants, il s’agit bien sûr d’un jeu de portraits chinois, mais cela leur permet d’exprimer de manière forte et condensée leur vision et l’imagerie associée à un produit, un service, une marque, un magasin ou une entreprise. L’utilisation de telles méthodes qualitatives résultant de l’utilisation de la métaphore humaine appliquée aux marques ou aux organisations, a rendu accessible les caractéristiques humaines associées à ces entités (Durgee, 1988 ; Hanby 1999). On demande alors aux répondants de répondre aux questions en imaginant que la marque ou l’entreprise en question est devenue vivante, et quelles caractéristiques les décriraient le mieux. Par exemple quelle voiture telle marque conduirait si elle était une personne, quel journal elle lirait, où elle irait en vacances…
Au-delà des techniques projectives, la métaphore est utilisée en marketing dans la plupart de ses concepts clé. Parler de segments de consommateurs, ou de cycle de vie du produit revient à utiliser une métaphore. C’est une manière de simplifier le concept étudié, de le rendre parlant. Deux autres métaphores très usitées sont celles de marketing relationnel ou encore de personnification de la marque. La métaphore de marketing relationnel nous permet de nous approprier les valeurs des relations interpersonnelles, d’en emprunter les cadres théorique et conceptuel afin de mieux comprendre l’échange commercial. Cela sous-entend que les consommateurs interagissent non seulement avec d’autres personnes, mais aussi avec des organisations et des systèmes. Cela nous pousse alors à envisager l’organisation (entreprise, marque, magasin, produit ou service) comme une entité à part entière avec laquelle peut s’instaurer une communication, comme avec une autre personne. On en vient alors rapidement à considérer l’organisation comme une personne. Il faut cependant être prudent, il s’agit d’une métaphore, et les consommateurs (ainsi que les hommes de marketing) savent bien qu’il s’agit d’un raccourci pour parler de l’organisation, pour en décrire un certain nombre de caractéristiques, mais que cette métaphore est partielle et qu’elle est une heuristique utile.
Les marques font l’objet de nombreuses métaphores. C’est surtout parce qu’elles sont des entités devenues complexes. Davies et Chun (2003) suggèrent qu’il y a trois grandes catégories de métaphores appliquées aux marques, et un plus grand nombre de sousmétaphores, qui sont très usitées. Ces trois grandes catégories sont : (1) la marque comme une moyen de différenciation ; (2) la marque considérée comme une personne ; et (3) la marque comme un actif .
Le mot marque lui-même est une métaphore. A l’origine, il signifie une trace laissée pour identifier l’auteur ou le propriétaire de la chose désignée, ou l’origine de l’objet ou de l’animal vendu. Cette trace permettait de différencier les animaux entre eux, ou bien le fabricant d’un produit. En marketing, le mot marque signifie quelque chose qui à la fois identifie et différencie l’objet marqué. Cette double fonction est à présent tellement évidente en marketing qu’elle apparaît dans toutes les définitions du concept de marque. En ce sens la marque est un moyen de différenciation.
La deuxième catégorie de métaphore associée aux marques est celle de marque personnifiée. Cette métaphore est très commune (Hanby, 1999). La métaphore humaine appliquée aux marques consiste à imaginer, à considérer la marque comme une personne et à lui transférer des caractéristiques humaines. “Comme les hommes, les marques peuvent avoir des émotions” (Duboff, 1986 ; Smothers, 1993, p. 97). “Comme les hommes, les marques peuvent avoir une personnalité” (Park et al. 1986 ; Durgee, 1988). Si la marque est au début de sa vie associée au(x) produit(s) qu’elle représente, elle acquiert petit à petit son autonomie et a des caractéristiques qui lui sont propres. Ces caractéristiques sont, entre autres, à caractère humain, et l’on peut alors avoir une relation avec la marque. On peut l’aimer (Ahuvia, 2005), la détester, la préférer, lui être attaché (Lacœuilhe, 1997), avoir de l’amitié pour elle (Fournier 1998), la considérer comme une partie du soi étendu (Belk, 1988), voire s’engager auprès d’elle (Terrasse, 2005). La marque est même parfois la métaphore de l’émetteur, de l’inspirateur ou du créateur du produit. Enfin, la marque est une métaphore de l’actif qu’elle représente d’un point de vue comptable, mais aussi d’un point de vue stratégique. Cet actif a alors une valeur, il peut être sujet à investissement.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
Partie 1 La personnalité de la marque : le concept et sa mesure
Chapitre 1 : Revue de littérature de la conceptualisation de la personnalité humaine et de la personnalité des marques
1. De l’utilisation de métaphore à l’anthropomorphisme des marques
1.1 L’utilisation de métaphore en sciences humaines
1.2 L’utilisation de métaphores en marketing
a) Cadre général
b) Un cas particulier de la métaphore humaine appliquée aux marques : le concept de personnalité de la marque
c) Intérêt d’une telle métaphore
2. La personnalité de la marque : naissance et développement du concept en marketing
2.1 La personnalité de la marque : une notion née de la pratique
2.2 Identité, image et personnalité de marque
3. La personnalité en psychologie : concept et mesure
3.1 Définition(s) du concept de personnalité humaine en psychologie
3.2 Vers une taxonomie du concept de personnalité humaine
4. L’application de l’approche psychologique à la personnalité de la marque
5. La personnalité de la marque : du concept à la mesure
5.1 Présentation des principales définitions et échelles existantes
5.2 Les échelles existantes de mesure de la personnalité de la marque sont-elles valides ?
a) La validité de construit
b) Validité convergente et validité discriminante
5.3 Les items problématiques des échelles existantes
a) L’item « compétence »
b) L’item « jolie, attractive »
c) L’item « féminine »
d) Les items relatifs à la classe sociale
e) D’autres items problématiques
5.4 De l’origine des inconvénients des échelles actuelles
a) Observations sur une étude remettant en cause l’utilisation du modèle OCEAN pour décrire la personnalité des marques
b) La méthodologie employée par les échelles actuelles
5.5 Les autres échelles de personnalité des marques et leurs défauts
5.6 Proposition d’une définition du concept
5.7 La personnalité des marques-entreprises
RESUME
Chapitre 2 : Construction de l’échelle de personnalité de la marque
1. Revue de littérature sur les méthodes de construction d’échelle en marketing
1.1 Méthodologie générale
1.2 L’utilisation de l’analyse factorielle exploratoire (AFE) pour la réduction de données
1.3 Analyse factorielle confirmatoire (AFC)
2. Proposition et application d’une méthodologie de construction d’une échelle améliorée de mesure de la personnalité de la marque
2.1 Génération d’items
2.2 Sélection des items
2.4 Evaluation par quatre juges-experts
2.5 Questionnaire et échantillons
3. Analyse des données
3.1 Analyse factorielle exploratoire
3.2 Dimensions et facettes
3.3 Analyse factorielle confirmatoire
Conclusion
RESUME
Partie 2 L’influence de la personnalité de la marque-entreprise sur le comportement du consommateur, de l’investisseur individuel et du candidat potentiel à un poste : une étude empirique
Chapitre 1 : Revue de littérature relative à la marque corporate
1. La marque-entreprise : conceptualisation et utilisation du concept
2. Associations à la marque, réputation, identité, image, et personnalité de la marque corporate : liens et spécificités
2.1 Identité et image de la marque corporate
2.2 La réputation de la marque corporate
2.3 Les associations à la marque corporate
2.4 La personnalité de la marque corporate
3. Utilité et utilisation de ces concepts
RESUME
Chapitre 2 : L’influence de la marque corporate sur les trois comportements : quelle est la place de la personnalité de la marque ?
1. La personnalité de la marque corporate peut-elle influencer les décisions des individus ?
2. L’influence de la personnalité de la marque sur chacun des trois comportements
2.1 Personnalité de la marque et comportement du consommateur
2.2 Personnalité de la marque et comportement de l’investisseur individuel
2.3 Personnalité de la marque et comportement du candidat potentiel à un poste
RESUME
Chapitre 3 : Investigation empirique des propositions théoriques
1. Enquête
1.1 Questionnaire
1.2 Choix des marques
1.3 Recueil des données
2. Analyse des données
3. Résultats
3.1 Comportement du consommateur
3.2 Comportement de l’investisseur individuel
3.3 Comportement du candidat potentiel à un poste
Conclusion
RESUME
CONCLUSION ET DISCUSSION GENERALES
Références