La persistance de la mendicité des enfants taalibe

Perceptions sur la mendicité

    Au cours de nos visites à Cambérène, la mendicité des enfants mendiants ne semblait pas être une préoccupation pour cette population. À première vue, on dirait que c’était un phénomène normal qui a sa place dans le contexte où nous étions. Allant du rond-point CaseBa jusqu’à Cambérène, les taalibe sillonnent toutes ces zones avec pot de tomate, petit sceau ou pot de chocolat à la main pour mendier. Souvent, ils sont en petit groupe ou par binôme. Ils choisissent cet endroit car la Commune ne compte pas de gare routière, ni de parking de stationnement à l’exception celui situé à côté de l’école. Ces endroits sont souvent favorisés par les taalibe car c’est une zone qui regroupe différents passagers. Suites, aux échanges à travers les entretiens, les discussions de groupes et les enquêtes exploratoires avec la population et tous les acteurs impliqués, nous avons pu recenser des opinions divergentes concernant cette pratique. Et nous sommes rendu compte que la mendicité des taalibe suscite bon nombre de réactions au sein de la population de Cambérène. Ces réactions sont remarquables du fait de leur diversité et des contradictions qu’elles génèrent. Elles sont liées également avec la réalité du milieu de vie. La mendicité telle qu’elle se présente aujourd’hui à Cambérène et dans d’autres villes sénégalaises est une appropriation de la traditionnelle recherche de nourriture à laquelle les taalibe des daara ruraux doivent se plier, dans le contexte urbain. La seule différence réside dans le fait que cette quête traditionnelle s’est muée en mendicité organisée qui ne fait pas l’unanimité au sein de la population de Cambérène. Si certains cherchent à justifier cette pratique, d’autres la dénigrent complétement.

Perception de la mendicité selon les taalibe

    Les taalibe eux aussi ont leur propre manière de considérer la pratique de la mendicité. Les taalibe enquêtés, en général, ils ne se plaignent pas de cette mendicité mais plutôt des sanctions qui peuvent en découler. D’après nos échanges avec eux, ils voient la mendicité comme faisant partie de leurs études. C’est-à-dire, l’enseignement coranique et la mendicité sont liés. Ils estiment que c’est juste un passage à franchir dans leur cursus. À partir de l’âge adulte, ils ne le feront plus. De plus, pour eux c’est leur moment de liberté. Dans certaines daara à Cambérène parfois même des taalibe préfèrent aller mendier que de rester au daara car l’apprentissage y est très dur. Les heures consacrées à se procurer leur repas et tendre la main aux passagers constituent les seuls moments de détente pour ces taalibe. C’est ainsi qu’un magu-daara m’affirma, lors d’une de nos discussions. (…) je pense qu’en réalité, il n’y a rien de plus pénible pour un taalibe que de se voir interdire de mendier, car c’est son moment de liberté. Pour certaines daara traditionnelles présentes ici, l’apprentissage est très dur. Vous savez le Coran n’est pas du tout facile à apprendre. (ESS_T.D_ taalibe_ magu-daara _daara 5 M.G_Cambérne1). Cet extrait est signe de leurs conditions difficiles d’apprentissage, si l’on songe que ce moment de liberté consiste à devoir tendre la main et supporter parfois l’indifférence de certains donateurs. D’une part, ils ont peur aussi des sanctions que les magu-daara les infligent le plus souvent. Comme ils sont les assistants des maitres, c’est eux qui sont chargés de vérifier et de récupérer l’argent des taalibe. D’autre part, ils conçoivent cette mendicité comme faisant partie de ce qui leur construise. Toutefois, ce qui nous pousse à nous renseigner sur l’apport mendicité sur la vie du taalibe.

Mendicité comme réponse à la précarité des Daara

    Tous les daara ont mentionné cet aspect à Cambérène. La précarité des daara semble être l’un des causes les plus importants de la mendicité. Ces daara n’ont aucune revenue et traditionnellement les parents n’ont soumises à aucune règle de sélectivité pour confier leurs enfants dans ces écoles. Cet enseignement étant gratuit pour certains des sériñ-daara la prise en charge des taalibe reste difficile. Certains enquêtés pensent que ces raisons sont suffisantes et que l’État doit pouvoir aider ces marabouts. En raison de leur pauvreté, les taalibe reçoivent leur enseignement dans des conditions généralement précaires. Ainsi, la majorité des sériñ-daara justifient cette pratique par cette situation instable que rencontrent ces écoles au quotidien. Selon eux, cela découle du refus des autorités publiques d’accorder des moyens aux daara auxquels ils auraient droit. Les daara aussi ont besoin de la sécurité, des moyens pour pouvoir enseigner dans de meilleures conditions. Si certains affirment de n’avoir bénéficiés aucun aide de l’État comme l’illustre cet extrait d’un sériñ-daara : En tout cas ce ne sont ni le gouvernement ni le maire, nous ne bénéficions aucun aide des autorités étatique, mais seulement celles des bonnes volontés et de nos voisins. Ils nous aident de diverses façons ; je vous ai dit que ce robinet nous a été octroyé par le propriétaire même de cette maison d’en face. On paie l’autre robinet, les factures sont làbas. Alors avant de critiquer les Daara il faut d’abord voir qu’est-ce que vous avez fait pour eux. De plus, avant de dire quoi que ce soit aux taalibe, tache d’abord de faire quelque chose pour eux afin de savoir s’ils vont rester chez eux ou pas. Est-ce que les écoles sont plus importantes au Sénégal que les Daara ? Donc ils doivent faire la même chose dans les Daara que ce qu’ils font dans les écoles. (ESS_B.N_ sériñ-daara_ daara 2_Cambérène1.) Ces propos laissent entrevoir que les daara traditionnelles ne sont pas mis dans de bonnes conditions comme les autres écoles étrangères (françaises). De ce fait, il note aussi une ségrégation entre les deux enseignements au Sénégal. C’est-à-dire la valorisation de l’école française au détriment de celle coranique. En plus, il pense que cette dévalorisation de l’école daara ce n’est pas dans cette lancée que la mendicité se réglera. Ces deux écoles devraient recevoir les mêmes traitements. Bien qu’il salue les efforts des bonnes volontés et de leurs voisins qui participent à leur manière à la survie de ces daara. Ces voisins eux aussi participent à leur manière à l’existence de ces daara. En revanche, d’autres reconnaissent l’existence d’interventions mais ils soutiennent que ces actions ne sont pas suffisantes pour éradiquer le phénomène de la mendicité définitivement. Ces propos tenus souvent par une bonne partie des sériñ-daara et même de certaines des autorités locales et religieuses. Vu comment ces marabouts réagissaient, ils ne sont satisfaits ni de leur contenu, ni de leur fréquence. En d’autres termes, bien qu’ils existent des interventions au niveau de ces daara mais cela ne s’effectuent pas de manière régulière ou suffisante pour lutter contre cette mendicité. Ce que confirment les propos d’un sériñ-daara lors d’une discussion : Imagine un daara avec plus de 50 taalibe à nourrir chaque jour, ça c’est un grand budget. Je vous dis toute de suite chaque année, ils prennent un jour ou deux pour donner de l’aide aux taalibe et cela soi-disant vouloir lutter contre la mendicité des enfants. C’est insuffisant. Cet extrait illustre bien cette insuffisance d’actions menées au niveau de Cambérène. Pour lui prendre une journée ou quelques petits jours dans l’année pour faire des dons, certes il est reconnaissant après tout mais ils ne devraient pas considérer cela comme suffisant pour aider les marabouts de Cambérène à ne plus envoyer leurs taalibe mendier. Les aides devraient prendre en considération de leur effectif mais aussi des besoins réels qu’ont ces daara. Ils saluent également l’effort que font certaines autorités, parfois des organisations et des bonnes volontés mais reconnaissent que ces aides ne sont pas en adéquation avec les besoins primaires des daara, c’est-à-dire de les nourrir, les loger et les laver. Ces aides ne comblent pas tous les besoins quotidiens de leurs écoles. Par exemple, il y en a ceux qui amènent des maillots de foot, des sacs, des ballons. Certes, ce sont des enfants et ils jouent parfois entre eux mais cela ne constituent pas les besoins fondamentaux des daara traditionnelles. Leurs propos sont appuyés par une partie des autorités étatiques, voici comme témoigne ceux de l’adjoint du maire M.N lors d’un entretien libre avec lui : c’est vrai que nous intervenons de manière pas trop fréquente mais nous ne pouvons pas tout faire aussi. La mendicité n’est pas la seule préoccupation ici d’autant plus que la responsabilité est partagée. Chacun doit s’y mettre. (Entretien libre_MN_ adjoint-maire_ autorités locales_Cambérène1) L’avenir de ces enfants concerne tout le monde. Et il est de notre devoir de toujours subvenir à leur besoin. Cette journée des taalibe est d’ailleurs la parfaite illustration. Beaucoup de don sont offerts aux marabouts et aux taalibe aussi ». Propos d’un conseil de maire au niveau de Cambérène lors de la journée internationale de l’enfance. Cela confirme une fois de plus l’irrégularité des interventions. Et les sériñ-daara motivés par leur désir de fonctionner leur daara et prenant en compte l’irrégularité des interventions, adoptent cette mendicité comme stratégie pour le bon fonctionnement de la daara. En ce sens, selon l’intérêt de la daara, cette mendicité est un moyen nécessaire pour entretenir ces écoles. Par conséquent, les actions et les comportements des sériñ-daara sont rattaché à un but bien précis ce qui motivent leur intention et qui font sens. Sachant que pour BOUDON un phénomène social doit être considéré avant tout comme la résultante des actions des acteurs sociaux. Dans cette perspective, la mendicité peut s’expliquer par cette précarité de ces écoles d’une part. Et d’autre part, ces dispositifs qui ne traduisent pas les véritables besoins des daara. Finalement, ce facteur peut être allié au besoin de faire survivre le daara. Se situant dans un environnement ou leur évolution impose une adaptation selon le contexte et les moyens nécessaire.

Marginalisation des daara en comparaison aux écoles française

    L’éducation dans les daara est en effet considérée comme traditionnelle voire informelle et est généralement opposée à l’éducation formelle, appelée l’école publique, ou l’école française. Cette éducation formelle est donnée dans des institutions d’enseignement (écoles), par des enseignants permanents, dans le cadre de programmes d’études déterminés. Ce type d’éducation est caractérisé par l’unicité et une certaine rigidité, avec des structures horizontales et verticales (classes d’âge homogènes et cycles hiérarchisés), avec des conditions d’admission définis pour tous. Cet enseignement se veut universel et séquentiel normalisé et institutionnalisé avec une certaine permanence77 (du moins pour ceux qui ne sont pas exclus du système). Quant à celui informel, faisant référence à ce qui n’est pas formel et qui s’oppose explicitement et radicalement à l’éducation formelle. Elle se rapporte à une définition assez négative et entretient une confusion avec celle des écoles françaises. Et les daara s’inscrivant dans ce type d’enseignement avec des activités d’instruction non structurée, dans lesquelles le processus d’apprentissage est inscrit, sont souvent marginalisées. Ces écoles coraniques ne disposent pas de d’équipements comme ceux auxquels les écoles modernes sont habituées. Dans toutes les daara visitées, les taalibe disposent toujours des àlluwa pour y écrire les versets à apprendre. Certes, c’est un moyen traditionnel, ce que DIOP A.B. qualifiait de l’Islam wolof 78 au Sénégal. D’une part comme cela fait partie des caractéristiques de cet enseignement, c’est la raison pour laquelle certaines daara le choisissent pour préserver le traditionnel. D’autre part, ces moyens rudimentaires s’utilisent encore car ils n’ont pas les moyens. Le manque de considération des écoles dont témoignent les sériñ-daara empêchent les autorités de mettre des dispositifs modernes et adéquats. En fin de compte, même si les moyens traditionnels d’enseignement sont énumérés dans la plupart des échanges entretenu avec nos enquêtés, cela ne constitue pas un facteur explicitement lié à la mendicité. Mais dans l’optique de montrer cette marginalisation, ils ont énumérés cet aspect pour juste révéler que toutes les politiques ne sont pas mises en œuvre pour améliorer les conditions des daara encore moins des taalibe y compris la lutte contre la mendicité. Les marabouts et certaines autorités religieuses de Cambérène 1 et 2 contestent cette dévalorisation des écoles coranique à l’égard des autres écoles. Et qu’effectivement l’enseignement coranique au Sénégal normalement devrait être valorisé plus que tous. En dernier analyse, cette mendicité apparaît comme un argument majeur dans la plupart des disputes qui opposent les gouvernants et les défenseurs des daara. Qu’elle soit appréhendée dans ces conflits en termes d’exploitation, de marginalisation, il se pose toujours des problèmes concernant les mesures d’application et de prise en charge qui devraient découler de l’application des politiques anti-mendicités. Cette volonté institutionnelle ne semble pas, a priori, parvenir à modifier durablement la situation contestée, mais persistante, de ces jeunes taalibe.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE
CHAPITRE 1 : CADRE THÉORIQUE
1.1. Revue de littérature
1.1.1. Perception du don au Sénégal
1.1.2. La mendicité au Sénégal : la mendicité des enfants taalibe
1.1.3. Représentation de la mendicité au Sénégal
1.1.4. Condition de vie des enfants taalibe dans les daara urbains
1.2. PROBLEMATIQUE
1.3. Objectifs de recherche
1.3.1. Objectif général
1.3.2. Objectifs spécifiques
1.4. Hypothèse de recherche
1.4.1. Hypothèse principale
1.4.2. Hypothèses secondaires
1.5. Définition des termes
1.6. Modèle théorique de référence
CHAPITRE 2 : CADRE METHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE
2.1. Démarche méthodologique
2.1.1. La recherche documentaire
2.2. Pré-enquête
2.3 Présentation du cadre d’étude
2.4. Délimitation du champ
2.5 Population d’étude et technique d’échantillonnage
2.5.1 Population d’étude
2.5.2. L’échantillonnage
2.6. Les méthodes et technique de collectes de données
2.6.1. Les outils et techniques qualitatives
2.6.1.1. L’observation directe
2.6.1.2. L’entretien semi-structuré
2.6.1.3. Focus group
2.6.3. Déroulement de la collecte à Cambérène (zone d’étude)
DEUXIÈME PARTIE : PRÉSENTATION, ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
Chapitre 1 : Ethnographie des daara
1 Description des daara
2 Typologie des daara
Chapitre 2 : trajectoires sociales des enfants taalibe et vécu au sein des daara
1. Trajectoire sociale des enfants-taalibe
2. Perceptions vécu au sein du daara
Chapitre 3 : Perceptions et persistance de la mendicité
1. Perceptions sur la mendicité
2. Construction de soi et mendicité
3 Formes de mendicité (processus, collecte, zone de mendicité, retour au daara)
Chapitre 5 : Facteurs de persistance de la mendicité
1. Facteurs endogènes
2. Facteurs exogènes
CONCLUSION GÉNÉRALE

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