L’ÉVOLUTION DE L’URBAIN ET DE L’URBANITÉ
« L’image de Nantes qui lève spontanément de mon esprit est restée, pour cette raison, non pas celle d’un labyrinthe de rues centrales d’où l’on s’évade qu’épisodiquement, mais plutôt celle d’un nœud mal serré de radiales divergentes, au long desquelles le fluide urbain fuit et se dilue dans la campagne comme l’électricité fuit par ses pointes. Je me suis trouvé par là peut-être plus sensibilisé que d’autres à toutes les lisières où le tissu urbain se démaille et s’effiloche, sans pour autant qu’on l’ait tout à fait quitté pour la campagne […]. » (J. Gracq, 1985, La forme d’une ville) .
Cette évocation de la ville et de ses confins rappelle combien les limites externes de l’urbain ont toujours été difficiles à cerner avec précision, le cœur citadin présentant au contraire des caractéristiques architecturales et urbanistiques le rendant facilement identifiable. A partir du moment où la ville a « débordé » de ses remparts pour installer ses faubourgs en deçà, le monde urbain et le monde rural se sont interpénétrés avec une complexité croissante au fil du temps. Mais c’est surtout depuis les années d’Après-Guerre que la forme urbaine s’est profondément métamorphosée : la conjonction de l’effort de reconstruction avec l’exode rural – qui attira en ville de nombreuses populations des campagnes à la recherche de travail et de conditions de vie meilleures – a obligé la ville, dans un premier temps, à trouver des espaces à sa lisière pour implanter de nouvelles zones résidentielles ; les ensembles collectifs des années soixante ont constitué la première étape de cette extension. Mais dès la fin de cette même décennie, le flux démographique s’est inversé avec l’apparition, autour des villes européennes, de la périurbanisation. Consacrant l’installation de populations urbaines dans les campagnes, ce processus a présenté – et présente encore – la particularité de se réaliser en discontinuité spatiale avec la ville : les zones pavillonnaires sont disséminées dans un cadre champêtre ce qui a incité G. Bauer et J.-M. Roux (1976) à parler de « rurbanisation » et de « ville éparpillée ». Bien que le premier terme ait été l’objet de nombreuses controverses et redéfinitions – notamment sur le niveau d’intégration des rurbains à la vie locale – il a mis clairement en évidence un bouleversement dans l’organisation de la forme urbaine : la continuité du bâti ne constitue plus un critère suffisant pour s’assurer être toujours dans la ville ; des portions s’en détachent géographiquement mais peuvent conserver des relations avec elle sans que cela s’inscrive dans le paysage.
L’urbain devient ainsi beaucoup plus difficilement saisissable. Les interrogations se multiplient quant à la nature de son évolution. Que devient-il en périphérie ? Se dilue-t-il, comme l’affirme J. Gracq ? Se transforme-t-il en un autre objet, ni tout à fait urbain ni tout à fait rural ? Une urbanité périphérique, coupée de ses racines citadines, est-elle possible ? Les débats et les questions sur le sujet, dans la société comme dans la communauté des chercheurs, s’articulent autour de plusieurs approches récurrentes.
DYNAMIQUES METROPOLITAINE ET PERIURBAINE DANS LA REGION NANTAISE
Concentration de population à petite échelle ou étalement urbain à grande échelle, la métropolisation et la périurbanisation sont deux processus déterminants pour l’évolution des villes, pour leur mode de fonctionnement et quant à la nature de l’urbanité qui en émane. Agissant simultanément et en interaction, elles se nourrissent de dynamiques géographiques, économiques, sociales et culturelles. Se forment ainsi un creuset bien particulier pour une étude de géographie sociale telle que la nôtre. Ce creuset constitue une première grille de lecture des enjeux par rapport auxquels nos recherches trouvent toute leur pertinence d’où la nécessité de détailler, en premier lieu, la nature même des processus métropolitains et périurbains.
LA METROPOLISATION : CARACTERISTIQUES GENERALES ET TRADUCTION LOCALE AUTOUR DE NANTES ET DE SAINT-NAZAIRE
Métropolisation et métropole sont des termes couramment employés en géographie comme dans d’autres disciplines (économie, histoire, urbanisme, etc.). Si le consensus se fait autour du fait que le terme de métropole désigne une entité géographique et que celui de métropolisation s’applique à un processus qui génère et pérennise la métropole, les avis divergent quelque peu sur la réalité géographique que ces deux mots portent en eux. En fait, les différents points de vue apparaissent plus complémentaires qu’antinomiques : ils enrichissent à eux tous la définition de ces deux concepts et permettent une lecture plus aisée de l’ensemble bipolaire Nantes – Saint Nazaire au spectre de la métropolisation.
Les caractéristiques générales de la métropolisation et de la métropole
De quoi le processus métropolitain est-il synonyme ? D’une concentration de population, d’activités ou de flux financiers ? De la mise en réseau d’entités urbaines ? D’une homogénéité interne de fonctionnement ? C’est de tout cela, en fait, dont la métropolisation et la métropole semblent se nourrir.
Une concentration de population dans un grand pôle urbain
Les Mots de la Géographie : dictionnaire critique (Brunet R. et al., 1993) donnent la définition de métropole qui suit :
« Métropole : 1 – Ville-mère : en principe, la première ville du pays, ou de la région; synonyme : cheflieu ; mais c’est plus qu’un chef-lieu : c’est une ville d’où tout vient. Voir capitale. » .
Se basant sur la racine grecque meter signifiant mère, l’auteur envisage la métropole comme une forme urbaine généralement de grande taille issue d’un noyau initial. Si le poids démographique est d’emblée un élément de définition important, les termes de région, capitale, cheflieu et ville, sont sujets à multiples interprétations. La formule finale de l’auteur reste également très elliptique. De même, sa définition de la métropolisation s’avère relativement globalisante puisqu’il estime que c’est le « mouvement accusé de concentration de la population dans les métropoles » et que c’est « un processus mondial [auquel] la France, [qui] n’a pas réussi à se décentraliser, est soumise. » .
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
L’ÉVOLUTION DE L’URBAIN ET DE L’URBANITE
PREMIÈRE PARTIE : DYNAMIQUES MÉTROPOLITAINE ET PÉRIURBAINE DANS LA RÉGION NANTAISE
CHAPITRE I – LA MÉTROPOLISATION : CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES ET TRADUCTION LOCALE AUTOUR DE NANTES ET DE SAINT-NAZAIRE
CHAPITRE II – LA PÉRIURBANISATION : CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES ET TRADUCTION LOCALE AUTOUR DE NANTES ET DE SAINT-NAZAIRE
CHAPITRE III – UNE MÉTHODOLOGIE POUR SAISIR LES EFFETS DE LA PÉRIURBANISATION
DEUXIEME PARTIE – L’ORGANISATION DES MOBILITES DANS LES ESPACES PERIURBAINS NANTAIS
CHAPITRE IV – LE MODÈLE CENTRIFUGE DE LA MOBILITÉ RÉSIDENTIELLE PÉRIURBAINE AUTOUR DE NANTES ET DE SAINT-NAZAIRE
CHAPITRE V – LES MIGRATIONS DU QUOTIDIEN DANS LA MÉTROPOLE NANTAISE : L’EXPRESSION DE LA POLARISATION URBAINE
TROISIÈME PARTIE – L’ÉMERGENCE DE NOUVEAUX LIEUX D’URBANITÉ ?
CHAPITRE VI – L’ÉVOLUTION DU MODÈLE DE LA VILLE EUROPÉENNE
CHAPITRE VII – « URBANITÉ ORIGINELLE » ET « URBANITÉ PÉRIPHÉRIQUE» DANS LES ESPACES PÉRIURBAINS NANTAIS ?
CONCLUSION GÉNÉRALE