L’interprétation en langue des signes étonne les néophytes, donne du fil à retordre aux interprètes, et se confronte à l’exigence de ses utilisateurs. La demande croissante d’accessibilité conduit les interprètes à traduire dans des environnements de plus en plus atypiques sur des sujets de plus en plus éclectiques. Cette multiplicité d’environnements les amène à se poser l’habituelle question « Comment on dit ʺçaʺ en langue des signes ? ».
En effet, l’interprétation, qu’elle soit en langue vocale ou en langue des signes, est un exercice périlleux. L’interprète fait appel à diverses tactiques pour pallier les difficultés qui peuvent se présenter en situation. L’une de ces tactiques est la périphrase. Quelle place prendelle dans l’interprétation en langue des signes française (LSF) ? Dans un premier temps, l’objectif sera de poser le cadre théorique de ce mémoire, construit à partir des travaux de différent-e-s autrices et auteurs, et ce pour définir ce qu’est l’interprétation en langue des signes et ce qui la dissocie du discours spontané. Une fois ce contexte posé, il s’agira de définir et d’analyser les spécificités du recours à la tactique de la périphrase. Cette analyse s’appuiera sur la thèse de Sophie Pournin-Pointurier et sera illustrée par des échanges informels d’interprètes et des observations obtenues lors de stages. Pour finir, les résultats obtenus à l’aide d’un corpus permettront de mettre en lumière les spécificités de la périphrase en tant que tactique interprétative face au vide lexical et de discuter plusieurs hypothèses.
L’interprétation est indéniablement liée à l’histoire du monde et aux avancées des droits des personnes. Il semble nécessaire de faire un bref état des lieux du contexte sociolinguistique dans lequel s’inscrit la LSF et le métier d’interprète en langue des signes (ILS). Succéderont à cette introduction contextuelle un exposé des particularités discursives et interprétatives de la LSF, ainsi que la présentation, à partir des travaux de Daniel Gile et Sophie Pointurier-Pournin, du modèle d’Efforts de l’interprétation et son application à l’interprétation en langue des signes française.
La langue des signes française est une langue communautaire de petite diffusion car, bien qu’utilisée sur le territoire français, elle n’en est pas la langue officielle, un peu de la même manière que les langues créoles. Malgré la loi de 2005, qui légitime le fait que la LSF est une langue à part entière, le constat est que :
Ce manque de reconnaissance de la LS et sa diffusion restreinte ont [donc] des conséquences affectant la communauté signante dans son ensemble (sourds et ILS) à des degrés différents.
À l’heure actuelle, l’hétérogénéité des niveaux entre les différents locuteurs de la langue des signes est le résultat de l’inexistence d’une uniformisation de son enseignement. Langue des signes française ne signifie pas langue des sourd-e-s, car d’une part il n’existe pas de pays des sourds, et d’autre part il n’y a pas de transmission intergénérationnelle de la langue des signes car 90% des enfants sourds naissent de parents entendants (Séro Guillaume, 1997 : 488) .
S’ajoutent à ces variantes individuelles des variantes régionales extrêmement diversifiées, variantes qui, selon les autrices Danica Seleskovitch et Marianne Lederer (2002 : 271), révèlent un manque de cohésion au sein de cette communauté linguistique.
Le manque de cohésion lexicale à l’intérieur même de la communauté signante vient en partie du fait qu’il n’existe, à l’heure actuelle, aucune instance institutionnelle référençant et régulant le lexique (Gache et Quipourt, 2003 : 110). Certes, plusieurs sites internet diffusent du lexique mais ces glossaires ne sont pas totalement fiables ou ne donnent que le signe du sens premier du mot (Pointurier-Pournin, 2014 : 138).
Si l’on s’en tient à ce qui est référencé, la langue des signes française compterait environ 6 000 signes (Pointurier-Pournin et Gile, 2012). La langue française compte, quant à elle, plus d’une centaine de milliers de mots. Sans réfuter la véracité du nombre de signes estimé dans la langue des signes française, ni nier le problème de correspondance lexicale entre la LSF et le français, il est intéressant de soulever ce que l’Académie de la langue française explique sur le calcul du nombre de mots :
La définition même de « mot » fait difficulté, ce qui vide de sens la question de la «richesse » relative du vocabulaire des diverses langues : les langues dites «agglutinantes », par exemple, peuvent créer une infinité de « mots » dont chacun équivaudrait pour nous à une phrase entière. Est-ce que j’utilise plus de « mots » si je dis melting pot ou rayon de soleil que si je dis creuset ou sunray ?
Si l’on parle de la langue française (ou anglaise), de quoi s’agit-il ? Prend-on en considération tous les domaines, toutes les époques, tous les niveaux de langue ? Il est impossible de fournir un dénombrement de l’ensemble des formes qu’offre une langue : certaines (comme dans le cas de tous les verbes que l’on peut composer avec le préfixe re-) n’ont qu’une existence virtuelle ; chaque jour, d’autres se créent ou disparaissent de l’usage.
Ce point souligne l’existence d’un manque lexical en LSF des signes français, toutefois celle-ci offre, en situation discursive, de nombreuses possibilités de dire. Mais qu’en est-il en situation d’interprétation ?
Le métier d’interprète en langue des signes s’est construit dans les années 70, dans un contexte de revendication politique et de reconnaissance de la langue, connu sous le nom de Réveil Sourd. C’est d’ailleurs dans ce contexte que les premières publications linguistiques traitant de la langue des signes sont éditées, et avec elles émerge l’idée que l’on peut tout dire en LSF. Cet acte militant pèse encore sur les interprètes en langue des signes, car l’Histoire a fait que les sourds ont été partie prenante de la construction de ce métier.
Daniel Gile qualifie chaque acteur de la situation d’interprétation comme un déterminant professionnel exerçant des pressions sur l’interprète (Gile, 2005 : 278). L’interprète en langue des signes est contraint de respecter la norme sociolinguistique de la communauté sourde. Les pressions exercées par les sourds signants font que les faits de langue admis en discours spontané sont fortement critiqués quand il s’agit de tactiques d’interprétation (PointurierPournin et Gile, 2012).
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INTRODUCTION
I. CADRE THÉORIQUE
1. Contexte sociolinguistique de la LSF
2. L’interprétation en langue des signes française
3. Modèle d’Efforts et tactiques d’interprétation
II. LA PÉRIPHRASE EN INTERPRÉTATION EN LSF
1. Définition de la périphrase
2. Ressources
3. Contraintes
III. CORPUS
1. Méthode
2. Résultats et discussions
CONCLUSION
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