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La perception sociale des personnes porteuses de trisomie
Perception sociale et stéréotype
Définition de la perception sociale
Il apparaît nécessaire d’aborder la notion de perception sociale, dont la définition est dissemblable de celle des stéréotypes. La perception sociale concerne la connaissance que nous avons d’une autre personne (Montpellier, 1978). Elle se distinguerait donc du stéréotype qui, lui, est construit sur des croyances, des connaissances naïves. D’autres auteurs décrivent la perception sociale comme une première évaluation des intentions et des dispositions psychologiques d’une personne (Allison et al., 2000). En somme, il s’agirait de la première impression que l’on a d’autrui. Cette perception peut, ou non, mobiliser des stéréotypes.
Définitions du stéréotype
Le stéréotype
Leyens et Scaillet (2012) définissent les stéréotypes comme « des impressions que partage l’ensemble des membres d’un groupe à propos de l’ensemble des membres d’un autre groupe ou du sien propre ». Hilton et Von Hippel précisent la nature de cette relation en ajoutant que les stéréotypes concernent les caractéristiques, les attributs et les comportements des individus appartenant à un groupe. De plus, les stéréotypes sont érigés sur des croyances et peuvent être positifs ou négatifs (Hilton et Von Hippel, 1996). On retrouve cette notion de croyance dans la définition de Judd et Park (1993). Pour eux, les stéréotypes concernent « l’ensemble des croyances d’un individu relatives aux caractéristiques ou aux attributs d’un groupe ».
Articulation des stéréotypes
Qu’ils soient positifs ou négatifs, le contenu des stéréotypes mobilisés à l’égard d’un groupe peut être appréhendé à travers deux dimensions : la chaleur et la compétence. Selon Fiske et al. (2002), la dimension de chaleur se rapporte à la perception des intentions (négatives ou positives) d’autrui. La dimension de compétence, quant à elle, se rapporte à la capacité d’autrui à réaliser certaines actions. En effet, Fiske et al. (2002) ont mené une étude permettant de recenser plusieurs stéréotypes mobilisés par la population générale envers différents groupes n’ayant pas de point commun évident (femmes au foyer, personne aveugle, personne riche, personne d’origine hispanique, personne homosexuelle, etc). Les résultats de l’étude objectivent que tous les groupes peuvent être positionnés au regard de ces deux dimensions, selon les stéréotypes associés à la chaleur et à la compétence (Fiske et al., 2002).
Figure 1 : « Scatter plot and cluster analysis of competence and warmth ratings for 20 groups » (Fiske et al., 2007).
Conséquences générales des stéréotypes
Les stéréotypes remplissent certaines fonctions : ils permettent, par exemple, de simplifier la réalité pour la rendre plus rapide à traiter et à juger par les individus. Le partage de stéréotypes par un groupe permet également de renforcer le sentiment d’appartenance, indispensable à une bonne cohésion sociale (Brasseur, 2008). Néanmoins, les conséquences préjudiciables des stéréotypes sont nombreuses. Tout d’abord, ils présentent un aspect « sécurisant » : l’individu rejette toute connaissance, même irréfutable, qui lui semble inconfortable et demeure figé au sujet de ses croyances. Ce mécanisme est communément défini comme la « fermeture d’esprit » (Villain-Gandossi, 2001). Ainsi, le sujet n’acquiert pas de nouvelles notions pouvant faire évoluer les croyances présentes. On observe donc une méconnaissance du groupe sur lequel porte l’idée préconçue. Enfin, selon Turner et al. (1987), les stéréotypes mènent à une « dépersonnalisation » des membres de l’exogroupes (i.e. les groupes auxquels un individu n’appartient pas). Ces derniers ne sont plus considérés en fonction de leurs caractéristiques individuelles, mais uniquement en fonction de ce qui les différencie de l’endogroupe (i.e. le groupe auquel un individu appartient). Le caractère unique de chaque individu est effacé, au profit des caractéristiques stéréotypiques.
Stéréotypes explicites et implicites
Outres les différents effets de stéréotypes, ceux-ci peuvent s’exprimer sur deux niveaux distincts : explicite et implicite. Au sein de ce mémoire, nous nous consacrerons à l’étude et au recensement des stéréotypes explicites. Ces derniers sont récupérés de façon consciente et intentionnelle (Arendt et al., 2015). Au contraire, les stéréotypes implicites sont mobilisés inconsciemment. Ils modifient, indépendamment de la volonté de l’individu, son attitude et son jugement lorsqu’il entre en contact avec un groupe sur lequel portent des stéréotypes (Blair et al., 2001).
Les stéréotypes associés aux personnes porteuses de trisomie 21
Différents stéréotypes relevés
Le Baby face
« Babyfaceness » est un terme utilisé dans la littérature afin de décrire une structure cranio-faciale particulière, rappelant le visage d’un bébé. Parmi ces spécificités cranio-faciales, on retrouve notamment : la présence d’un petit nez concave, d’une petite bouche et d’une face arrondie, d’un menton court et de joues pleines (Zebrowitz, 1997, cité par Fidler, 2003).
Lors de la description des manifestations physiques de la trisomie 21, nous avons répertorié diverses particularités faciales, dont la plupart sont semblables aux caractéristiques décrites dans le cadre du babyface. Plusieurs études, détaillées ultérieurement, analysent et recensent les conséquences sociales de ce faciès particulier, ainsi que les effets de la surgénéralisation de ce visage assimilé à celui d’un bébé. En effet, ces caractéristiques associées au « babyface », peuvent être perçues par les individus et assimilées à un visage enfantin, porteur de stéréotypes (Enea-Drapeau et al., 2012); Fidler et Hodapp, 1999). Ces derniers seront explicités au point 2.2.2.
La déficience intellectuelle
La déficience intellectuelle est définie comme étant « un trouble qui inclut un déficit intellectuel ainsi qu’un déficit touchant le fonctionnement adaptatif dans les domaines conceptuel, social et pratique, débutant pendant la période développementale » selon le DSM V (Girouard, 2014).
Auparavant intitulée « retard mental », la déficience intellectuelle a été renommée dans une volonté de respecter davantage les individus atteints. Cette nouvelle appellation se veut également moins stigmatisante. Outre la dénomination, d’autres éléments ont été modifiés : le niveau de sévérité de la déficience était auparavant précisé selon le quotient intellectuel. Aujourd’hui, il l’est selon le fonctionnement adaptatif, c’est-à-dire l’aptitude d’un individu à s’adapter à son environnement. De plus, le retard développemental global est dorénavant inclus dans la catégorie diagnostique des déficiences intellectuelles (Desjardins, 2013).
Néanmoins, nous verrons que, malgré ces modifications, des stéréotypes associés à la déficience intellectuelle sont toujours présents à l’endroit des personnes porteuses de trisomie 21 au sein de la population.
Conséquences des stéréotypes associés à la trisomie 21
De nombreux auteurs ont mené des recherches sur les stéréotypes et leurs conséquences sociales, notamment sur les individus en situation de handicap. On observe, globalement, que le handicap engendre des conséquences sur la vie professionnelle, scolaire et personnelle de la personne concernée. Certaines pathologies comme la trisomie 21 sont jugées plus sévèrement par la population (Rohmer et Louvet, 2011).
Au sein de cette partie, nous différencierons les conséquences directes des conséquences indirectes des stéréotypes. Les conséquences directes ont un effet sur l’individu lui-même, tandis que les conséquences indirectes impactent l’entourage et l’environnement.
Conséquences directes
Dans la littérature, on retrouve plusieurs études ayant comparé des individus porteurs de trisomie 21 et des enfants typiques, dans le but d’observer et d’analyser les stéréotypes mobilisés par la population générale.
L’étude de Enea-Drapeau et al. (2012) a permis de mettre en évidence que les individus interrogés avaient tendance à associer des adjectifs positifs à la trisomie 21, tels que « ouvert », « drôle », « affectueux », « souriant », « innocent », « attachant » ou encore « gentil ». Ces stéréotypes associables à un visage enfantin sont à mettre en lien avec le babyface. Au contraire, les caractéristiques négatives sont très peu retrouvées : les participants de l’étude ont tendance à éviter les adjectifs tels que « méchant », « agressif », inexpressif » ou « sale » (Enea-Drapeau et al., 2012). Ces résultats sont corrélés avec l’étude de Fidler et Hodapp (1999), qui montre que ces enfants sont perçus comme « honnêtes », « chaleureux », « gentils », « naïfs ». Des adjectifs similaires sont donc retrouvés : les individus porteurs de trisomie 21 sont jugés différemment de la population générale. De plus, en lien avec le babyface, Enea-Drapeau et al. (2012) rapportent que les visages d’enfants trisomiques présentés aux participants de leur étude sont considérés comme davantage immatures que des visages d’enfants d’âge chronologique plus avancé. En effet, le visage des personnes porteuses de trisomie 21 évoquant celui d’un jeune enfant, il est davantage sujet aux stéréotypes, notamment ceux portant sur le développement. Il est à noter que le stéréotype d’immaturité associé au babyface ne diminue pas lorsque l’individu porteur de trisomie 21 est plus âgé (Fidler et Hodapp, 1999). Des croyances associées à l’enfance leur sont donc associées durant toute leur vie, et ceci de façon constante.
L’enquête de Enea-Drapeau et al. (2012) met également en évidence que les femmes ont tendance à mobiliser des stéréotypes davantage positifs que les hommes concernant la trisomie 21. Enfin, on ne retrouve pas d’effet de familiarité : les individus interrogés côtoyant une personne porteuse de trisomie 21 présentent une légère tendance à favoriser les adjectifs positifs, mais cette observation n’est pas suffisamment importante pour constituer une généralité (Enea-Drapeau et al., 2012).
Une seconde étude, interrogeant des enseignants, permet de mettre en exergue une représentation réduite de l’espérance de vie : ils l’évaluent à environ 30 ans (Gilmore et al., 2010). Or, l’espérance de vie d’une personne porteuse de trisomie 21 était évaluée à 60 ans en 2019 (Sanlaville et al., 2020). Néanmoins, l’enquête a permis de mettre en évidence une représentation relativement exacte du développement des individus porteurs de trisomie 21, ainsi qu’une perspective optimiste du niveau de développement. Les auteurs de l’étude attribuent cela à la présence d’élèves porteurs de trisomie dans les classes, ceci permettant aux enseignants d’acquérir davantage de connaissances quant aux possibilités de ces individus (Gilmore et al., 2010). On peut donc supposer que l’effet de familiarité, cité précédemment, n’a que peu d’effet sur l’aspect positif ou négatif du stéréotype, mais que cela permet aux individus de s’enrichir de davantage de connaissances non stéréotypiques, et donc de mobiliser moins de stéréotypes.
Au sein de cette même étude, on retrouve également l’association d’adjectifs positifs à la trisomie 21, tels que « gentil » et « affectueux ». De même que dans l’étude de de Enea-Drapeau et al. (2012) et celle de Fidler et Hodapp (1999), les stéréotypes mobilisés sont davantage positifs que négatifs et peuvent être mis en lien avec le babyface. Les auteurs soulignent une conséquence non-négligeable de ces stéréotypes car, bien qu’ils comportent un aspect bénéfique en simplifiant la réalité, ils ne prennent pas en compte l’unicité de chaque individu, ni son humeur ou sa personnalité propre (Gilmore et al., 2010). On retrouve donc la notion de dépersonnalisation, décrite par Turner et al. (1987). Ainsi, conclure qu’un individu est gentil, attachant, etc. uniquement d’après certaines caractéristiques liées à une pathologie et non selon la personnalité propre de l’individu peut sembler sans danger, mais cela peut engendrer des conséquences négatives à l’égard de cet individu et, dans les cas plus extrêmes, mener vers la discrimination.
Nous avons donc décrit certaines conséquences de la trisomie 21 sur l’individu lui-même. Or, de façon plus générale, il existe des stéréotypes associés à la déficience intellectuelle et au handicap mental, lui-même retrouvé dans la trisomie 21. Des individus atteints de déficience intellectuelle peuvent, en effet, être perçus comme « sympathiques », « ayant besoin d’aide » et « inintelligent » (Pelleboer-Gunnink et al., 2021). En outre, on observe une différence de perception selon le handicap. Selon le modèle de Fiske et al. (2007), qui s’articule autour des dimensions de chaleur et de compétence, les individus porteurs de trisomie 21 sont jugés « chaleureux » ou « agréables » mais moins « compétents » par rapport aux personnes placées dans la catégorie du handicap physique (personnes sourdes, aveugles, porteuses de handicap moteur et en fauteuil roulant), mais également par rapport aux autre handicaps mentaux (trouble du spectre autistique) (Rohmer et Louvet, 2011). Notons également que la chaleur et la compétence sont corrélées positivement lorsqu’un seul individu est jugé, mais sont davantage corrélées négativement lorsque le jugement porte sur un groupe (Fiske et al., 2007). Cela signifie que, lorsque le jugement est porté sur un individu, plus la personne émettant le jugement le considérera comme étant chaleureux, plus il l’estimera compétent.
À l’inverse, plus un groupe entier sera considéré comme étant chaleureux, moins il sera jugé compétent. En conclusion, il semble que la présence d’un handicap favorise l’apparition de croyances, et que la présence de déficience intellectuelle influe sur la nature de ces croyances.
Au sein de la trisomie 21, il est difficile de déterminer si les stéréotypes sont attribuables au phénomène de babyface, à la déficience intellectuelle ou à d’autres caractéristiques de cette pathologie. En effet, des qualificatifs très proches sont retrouvés lorsque des individus porteurs de trisomie 21 ou d’un autre handicap mental sont confrontés au jugement d’autrui. Par exemple, les individus porteurs de trisomie 21 sont perçus comme plus « gentils » que la population typique : cet adjectif peut être lié au babyface. Or, dans l’étude de Rohmer et Louvet (2011), on retrouve l’adjectif « agréable », sémantiquement très proche de « gentil », pour qualifier globalement des individus atteints de déficience intellectuelle. Ces qualificatifs renvoient à la dimension de chaleur du modèle de Fiske et al (2007).
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE THÉORIQUE
1. La trisomie 21
1.1. Contexte et prise en charge prénatale
1.1.1. Historique et épidémiologie
1.1.2. Étiologie
1.1.3. Facteurs de risque
1.1.4. Diagnostic
1.2. Symptômes physiques et cognitifs de la trisomie 21
1.2.1. Manifestations physiques
1.2.2. Oralité
1.2.3. Manifestations cognitives
2. La perception sociale des personnes porteuses de trisomie 21
2.1. Perception sociale et stéréotype
2.1.1. Définition de la perception sociale
2.1.2. Définitions du stéréotype
2.2. Les stéréotypes associés aux personnes porteuses de trisomie 21
2.2.1. Différents stéréotypes relevés
2.2.2. Conséquences des stéréotypes associés à la trisomie 21
3. Problématique
PARTIE PRATIQUE
1. Méthodologie
1.1. Échantillon
1.2. Matériel
1.2.1. Comptes-rendus de bilan orthophonique
1.2.2. Mesures
1.3. Analyse statistique
1.3.1. Présentation des variables
1.3.2. Fiabilité des items
1.3.3. Analyse de la variance
1.3.4. Analyse de la corrélation
1.3.5. Hypothèses opérationnelles
2. Résultats
2.1. Résultats de l’ANOVA
2.1.1. Dimension de chaleur (hypothèses opérationnelles H1a et H2a)
2.1.2. Dimension de compétence (hypothèses opérationnelles H1b et H2b)
2.1.3. Dimension de stéréotypie (hypothèses opérationnelles H1c et H2c)
2.1.4. Effet d’une prise en charge (hypothèses opérationnelles H1d et H2d)
2.1.5. Acceptation de prise en charge (hypothèses opérationnelles H1e et H2e)
2.1.6. Investissement en temps (hypothèses opérationnelles H1f et H2f)
2.1.7. Implication de compétences spécifiques (hypothèses opérationnelles H1g et H2g)
2.1.8. Manque de temps (hypothèses opérationnelles H1h et H2h)
2.1.9. Manque de compétence (hypothèses opérationnelles H1i et H2i)
2.2. Résultats de l’analyse de corrélation
2.2.1. Enfant porteur de trisomie 21
2.2.2. Enfant non-porteur de trisomie 21
DISCUSSION
LIMITES ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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