LA PENETRATION COLONIALE ET LA POLITIQUE DE MISE EN PLACE DE SES MOYENS
La deuxième moitié du XIX siècle a été marquée par le passage brutal de la domination des comptoirs de traite à l’occupation méthodique du continent africain. Les puissances européennes inaugurèrent l’ère de la conquête dans une rivalité sans merci avant de se soumettre au jeu d’arbitrage que le conférence de Berlin allait mettre en place à partir de 1885.
L’instabilité du système de gouvernement qu’elle connut au cours du siècle avait au départ placé la France dans un dilemme qui compromit son ardeur de puissance colonisatrice. En dehors de la campagne d’Egypte, Napoléon Ier n’eut pas développé de grandes ambitions coloniales en Afrique, là où la monarchie restaurée (1814-1830) s’était parfaitement illustrée sous Louis XVIII par son plan de relance économique consacré à un programme agricole au Sénégal, malgré l’échec qui s’ensuivit. Mais ce fut la Monarchie de Juillet (1830-1848) qui allait encore mieux manifester son manque d’intérêt pour la colonisation de l’Afrique. Hormis la conquête de l’Algérie qu’elle s’évertua d’achever, elle ne caressa aucune grande ambition pour l’Afrique tropicale. On avait d’ailleurs atteint le sommet de ses tergiversations sur le projet de colonisation aux alentours des années 1837. En effet, la tête de file des défenseurs du projet de colonisation a été laissée aux acteurs non étatiques. Le monde des affaires se faisait remarquer par son ambition d’étendre la colonisation aux autres parties du continent africain. La ferveur dont il fit montre avait abouti à l’envoi du capitaine de vaisseau Bouët-Willaumez comme chef de la mission d’exploration des côtes occidentales de l’Afrique, afin d’étudier les ressources existantes et susceptibles de soutenir une exploitation rentable pour alimenter les entreprises de la métropole.
Presque à la même période, les initiatives développées dans la politique coloniale par les autorités de l’Etat prônaient un renoncement de l’aventure coloniale. Le meilleur représentant de cette idéologie, au plan institutionnel, a été le Ministère des Affaires étrangères qui appelait à la création de points d’appui parfaitement disséminés à travers tous les continents, pour permettre d’ériger de grands centres commerciaux par le biais de la navigation maritime. Cette option, préférée au modèle de l’occupation coloniale méthodique et effective a été envisagée pour permettre d’éviter une conquête couteuse et incertaine.
Le 10 décembre 1848 Louis-Napoléon Bonaparte qui deviendra Napoléon III arriva au pouvoir. Il y resta jusqu’en 1871. Avec lui, la politique coloniale de la France avait connu une autre orientation. Le Prince-président était dès le départ confronté aux réalités économiques d’une Europe traversée par la révolution industrielle du XIX. Sa vision s’était rapidement révélée différente de celle de ces prédécesseurs au pouvoir. Il affichait des ambitions coloniales en adéquation avec la requête des milieux d’affaires. Au nom de l’économie, le principe de la nécessité de l’occupation et de la colonisation effective de l’Afrique noire était consacré. Pour cette cause, le destin avait déjà scellé la carrière d’un homme élu artisan de la nouvelle politique coloniale et de ses méthodes. Il s’agissait du général Louis Léon César Faidherbe (1818 1889). Dès sa nomination à la tête de la colonie du Sénégal en 1854, il jeta les bases de la politique de mise en place des moyens de la pénétration coloniale. La première étape avait consisté à doter les corps déjà existants d’une aptitude opérationnelle et à créer de nouvelles unités combattantes, toutes ces deux catégories constituées d’éléments indigènes, pour répondre aux besoins en soldats éprouvés dans les rangs de l’armée coloniale. Dans une deuxième phase, Faidherbe développa la théorie de l’ouverture de voies de communication pour conquérir les régions intérieures du continent.
LA CREATION DES CORPS DE SOLDATS INDIGENES
La politique coloniale de la France prit l’envol sous le Second Empire. On était alors loin de cette période d’hésitation qui avait caractérisé les régimes précédents dans ce domaine. Le dynamisme dans les orientations de cette politique coloniale a été l’œuvre de l’Empereur Napoléon III et de Chasseloup-Laubat, son ministre de la Marine et des Colonies. Cette aventure commença avec l’annexion de la Nouvelle-Calédonie en 1853. Mais la zone d’influence où on consacra les plus grands efforts à l’entreprise coloniale a inéluctablement été l’Afrique, domaine plus vaste et suscitant plus de convoitises et de rivalités entre puissances impérialistes.
A l’avènement du Second Empire, la France disposait depuis longtemps, à travers le système des compagnies à charte, d’une colonie vieille de trois siècles . L’abolition de l’esclavage en 1848 précipita le passage de la domination des comptoirs de traite à la colonisation définitive. La maîtrise des moyens à mettre en place pour anéantir la résistance des souverains locaux à la pénétration coloniale nécessitait principalement le recrutement de troupes indigènes. Leur utilisation était d’un intérêt primordial car, dans cette Europe du XIXème siècle, aucune nation ne pouvait entreprendre une conquête sans faire recours à l’emploi de troupes indigènes, pour compléter l’action des troupes métropolitaines dans l’œuvre d’anéantissement des souverains locaux ou dans la défense des zones déjà annexées. Parmi les corps de soldats indigènes que la France mit sur pied pour répondre à ces besoins, trois ont particulièrement occupé une place prépondérante. Leur présence a partout été notée pendant toute la conquête des régions que le chemin de fer devait traverser.
Contingents de laptots et escadrons de spahis
Le corps des laptots
Il est nécessaire d’analyser le contexte dans lequel ce corps de soldats indigènes a été créé. Les laptots ont une histoire particulière en Afrique Occidentale française, en ce sens qu’au plan originel de leur appartenance d’arme ils furent des marins ayant souvent évolué au sein des colonnes expéditionnaires pour participer aux opérations menées par les unités terrestres, l’infanterie et la cavalerie. Pour en saisir le sens, il convient de mener une étude sommaire sur leur origine et les nécessités ayant conduit à la création de leur corps.
Origine des laptots
Le terme » laptot » est d’origine wolof, la langue nationale la plus parlée au Sénégal. Il a été employé pour désigner le matelot ou batelier indigène au service de l’armée française. L’origine des laptots remonte à l’époque des comptoirs commerciaux. Les côtes ouest africaines étaient en permanence sillonnées par les caravelles de l’Occident. Celles-ci incarnaient l’instrument le plus vivant du circuit des transactions que l’Europe a, depuis cette période, imposé à l’Afrique. Pendant plus de cent soixante-cinq ans, les compagnies à charte, créées sous le régime de JeanBaptiste Colbert (1619-1683), avaient exercé le monopole du commerce sur les côtes atlantiques. Gustave Regelsperger a démontré dans une étude, basée sur une simple démarche chronologique, le passage de ce monopole d’une compagnie à l’autre jusqu’à l’avènement des gouverneurs à la tête de la colonie qui avaient œuvré à la colonisation méthodique. Ainsi en 1626 les français apparurent au Sénégal par l’arrivée de la Compagnie Normande conduite par les Rouennais et les Dieppois. Cet établissement, comme toute compagnie à charte était une initiative privée qui avait existé de 1626 à 1658. D’autres compagnies sous le même statut allaient lui succéder sur les côtes sénégalaises. Ce fut d’abord le tour de la Compagnie du Cap Vert et du Sénégal qui avait connu une existence éphémère, de 1658 à 1664. Elle a été remplacée par la Compagnie des Indes Occidentales qui avait racheté ses titres. Celle-ci reçut, pour quarante ans, la propriété des possessions françaises sur les côtes atlantiques de l’Afrique et de l’Amérique. En même temps, elle disposait du monopole du commerce avec l’Amérique. En 1672, la Compagnie des Indes Occidentales elle-même céda la place à la Compagnie du Sénégal (1672-1718).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE LA PENETRATION COLONIALE ET LA POLITIQUEDE MISE EN PLACE DE SES MOYENS
CHAPITRE I : LA CREATION DES CORPS DE SOLDATS INDIGENES
I – Contingents de laptots et escadrons de spahis
11 – Le corps des laptots
11.1 – Origine des laptots
11.2 – Motifs de création et modes de recrutement
12 – Le corps des spahis
12.1 – Origine des spahis
12.2 – Motifs de création et modes de recrutement
II – Le corps des tirailleurs sénégalais
21 – Origine des tirailleurs sénégalais
22 – Motifs de création et modes de recrutement
CHAPITRE II : LA POLITIQUE FRANCAISE DE CONSTRUCTION DE VOIES DE COMMUNICATION
I – Le projet du Transsaharien et les raisons de son échec
11 – Les missions de reconnaissance du tracé
12 – Causes de l’échec
II – Le projet du Dakar-Niger et les raisons de sa réussite
21 – Le contexte de naissance du projet
22 – L’adoption du projet et les raisons de sa réussite
CONCLUSION PARTIELLE
DEUXIEME PARTIE LES SOLDATS INDIGENES DANS LA CONQUETE DE L’ESPACE DU DAKR-NIGER
CHAPITRE I : DANS LES CAMPAGNES AUTOUR DE L’AXE SENEGAL-NIGER
I – La percée dans l’Empire Toucouleur d’Ahmadou
11 – Les précurseurs des campagnes
11.1 – La mission Mage-Quintin : 1863-1866
11.2 – La mission Gallieni en 1880
12 – La première campagne du lieutenant-colonel Borgnis-Desbordes :1880-1881
12.1 – Rôle des soldats indigènes dans la campagne
12.2 – L’action singulière menée par l’officier indigène Mamadou Racine Sy
II – L’annexion des régions convoitées par Samory
21 – La deuxième campagne du lieutenant-colonel Borgnis-Desbordes :1881-1882
21.1 – Rôle joué par les tirailleurs sénégalais dans la campagne
21.11 – Les officiers indigènes dans les missions diplomatiques
21.12 – Les soldats indigènes dans les opérations de combat
22 – La troisième campagne du lieutenant-colonel Borgnis-Desbordes :1882-1883
22.1 – La déportation des Toucouleurs de Mourgoula à Nioro
22.2 – La destruction du village de Daba
22.3 – La lutte contre Samory autour de Bamako
22.4 – La participation des soldats indigènes à la campagnes
22.41 – Mamadou Racine escorte les déportés à Nioro
22.42 – Les soldats indigènes : combattants et gardes de camp
CHAPITRE II : DANS LES CAMPAGNES AUTOUR DE L’AXE DAKAR-SAINT-LOUIS
I – Présence française et instabilité politique au Cayor
II – Le rail et les derniers Damels du Cayor : 1879-1886
21 – La colonne du colonel Wendling : 1882-1883
22 – La colonne du chef de bataillon Dodds : 1882-1883
23 – La mort de Samba Laobé
24 – La mort de Lat-Dior
25 – La bravoure des soldats indigènes dans les campagnes du Cayor
25.1 – Les soldats indigènes dans l’assassinat de Samba Laobé
25.2 – Les soldats indigènes dans l’assassinat de Lat-Dior
CONCLUSION PARPARTIELLE
TROISIEME PARTIE LES SOLDATS INDIGENES DANS LA DEFENSE DE L’ESPACE DU DAKR-NIGER
CHAPITRE I : LA DEFENSE DES ETABLISSEMENTS FRANÇAIS AUTOUR DES HAUTS-FLEUVES
I – Contre les incursions de Samory
11 – Le siège de Nafadié
12 – Conséquences militaires et politiques des incursions de Samory
13 – L’expulsion de Samory au-delà de toutes les rives du Niger
14 – Les tirailleurs dans l’expulsion de Samory des rives du Niger
14.1 – Les gardes du camp de Nafadié
14.2 – Les combattants redoutables au marigot de Kokoro
14.3 – Parmi les ambassadeurs de Kéniéba-Koura
II – Contre les colonnes de Mamadou Lamine
21 – Les assauts de Mamadou Lamine contre les positions françaises
21.1 – Le guet-apens de Koungueul
21.2 – L’attaque de Bakel
21.3 – L’attaque de Tamboukané
CHAPITRE II : LA CONTRE-OFFENNSIVE FRANCAISE A PARTIR DU HAUT FLEUVE SENEGAL
I – A la poursuite de Mamadou Lamine jusqu’à son assassinat
11 – Sénoudébou sauvé par un officier indigène
II – L’enlèvement des places fortes de l’Empire Toucouleurd’Ahamadou
21 – Situation politique et raisons d’annexion de l’Empire d’Ahmadou
22 – La marche sur Koundian
22.1 – L’assaut des tirailleurs au cours de prise de la citadelle
23 – La marche sur Ségou
23.1 – Le capitaine Mamadou Racine convoyeurs des rapatriés
24 – La marche sur Ouossébougou
24.1 – Comment les tirailleurs et les auxiliaires firent tomber Ouossébougou
25 – La marche sur Nioro
III – L’expulsion de Samory de la vallée du Milo : fin de la contre-offensive française
31 – Les tirailleurs à la poursuite des derniers défenseurs de Kanakn
CONCLUSION PARTIELLE
CONCLUTION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE