Contexte et justification de la problématique
L’UEE : une unité à la jonction du DITEP et de l’école Lamartine
L’Unité d’Enseignement Externalisée (UEE) scolarise 9 élèves du dispositif ITEP de Saint-Venant dans les locaux de l’école Lamartine située à une centaine de mètres de ce dernier. Ces élèves, âgés de 8 à 12 ans, orientés suite à une décision de la CDAPH (Commission des Droits de l’Autonomie des Personnes Handicapées) présentent des difficultés psychologiques se manifestant essentiellement par des troubles du comportement. Ils sont accueillis au sein du DITEP à l’internat ou en accueil de jour et bénéficient selon leurs besoins de prises en charges thérapeutiques, éducatives et pédagogiques. Les quatre axes prioritaires de l’unité d’enseignement sont les suivants.
Par l’intermédiaire d’un contrat, un élève intègre l’UEE suite aux observations de l’équipe pluridisciplinaire qui constate que son comportement s’est stabilisé et qu’il montre une envie d’avancer dans son projet. Il est alors scolarisé au sein d’un groupe scolaire de 236 élèves et bénéficie d’inclusions individuelles ou de temps de co-intervention selon ses besoins. Il est un élève de l’école à part entière bénéficiant au même titre que tous les autres élèves des avantages de l’école. Les actions menées au sein de l’UEE articulent les axes du projet de l’UE avec ceux de l’école.
Profils des élèves et besoins transversaux
Les observations et les évaluations menées depuis le début de l’année ainsi que les échanges entre les différents professionnels œuvrant au sein du dispositif et de l’école m’ont permis de repérer les besoins éducatifs particuliers de mes élèves, formalisés dans leurs projets individualisés. Le tableau suivant, extrait de mon projet de classe, synthétise les besoins prioritaires du groupe, établis suite à la mise en lien des points d’appuis et des difficultés des élèves. Il présente également les objectifs visés qui en découlent ainsi que les moyens mis en place pour y parvenir.
L’analyse de ce tableau met en avant certaines fonctions déficitaires à l’intérieur des différentes sphères : sociale, affective, et cognitive. Dans la sphère sociale, on constate l’importance desdifficultés relationnelles, les élèves ne se comprennent pas entre eux, ne comprennent pas les autres. Ils ont besoin d’être stimulés et accompagnées dans la compréhension des situations sociales. Dans la sphère affective, c’est l’estime de soi qui est le plus touchée, les élèves ont besoin de reprendre confiance en eux, tant au niveau du sentiment de compétence qu’au niveau du sentiment de valeur personnelle. Dans la sphère cognitive, ce sont les fonctions exécutives qui semblent leur faire défaut et certaines tâches telles que la résolution de problèmes, la planification, l’utilisation et le contrôle de stratégies pour atteindre un objectif sont pour eux difficiles à mettre en place.
Pour répondre à ces besoins, j’ai tâché de mettre en place au sein de l’UEE :
Un cadre contenant et sécurisant
o au niveau temporel (emploi du temps à l’année, à la période, à la semaine, programme de la journée, découpage des tâches, rituels)
o au niveau spatial (espaces personnels, espaces communs ayant chacun une fonction bien définie)
o au niveau social (règles de la classe définies avec les élèves avec références constante aux droits et devoirs, lien hebdomadaire avec l’équipe pluridisciplinaire de l’ITEP et les enseignants de l’école, outils de suivi, parcours de comportement avec défis atteignables et réussites valorisées)
Une pédagogie explicite
o clarté cognitive : sens de l’apprentissage, objectif clair annoncé, moyens pour y parvenir (outils des élèves : mémos individuels, affichages…).
o travail spécifique sur la reconnaissance et la verbalisation des émotions.
o mise en mots et explicitations des conflits.
Des outils aidant la métacognition
o fiches procédures en résolution de problèmes, en compréhension de texte.
o stratégies de compréhension associées à des pictogrammes, des mots clés.
o outils de planification, de régulation, de vérification de son travail.
Focus sur les besoins disciplinaires en compréhension générale
Le tableau suivant présente la synthèse des évaluations de début d’année en ce qui concerne la compréhension des élèves dans des situations orales dans lesquelles la compétence de décodage n’est pas mobilisée.
On constate à la lecture de ce tableau que la première compétence, qui en réalité, est un prérequis à la compréhension, n’est entièrement maîtrisée que par deux élèves. Plus transversale, elle concerne une fonction cognitive évoquée précédemment : l’attention. Les adaptations pour soutenir l’attention ayant été définies dans le précédent tableau, nous n’y revenons pas. Les encadrés orange mettent en exergue des compétences métacognitives liées à la compréhension de messages, de situations sociales ou de textes. Ce sont ces compétences qu’il me semble intéressant de développer et d’étudier plus profondément. On les retrouve dans la partie « Lire » du programme 2018 du cycle 2. Le tableau suivant présente le bilan des compétences des élèves en ce qui concerne la compréhension de textes.
Les compétences à acquérir dans le domaine de la lecture sont complexes et nécessitent un bon fonctionnement métacognitif. Il faut connaître un éventail de stratégies, savoir dans quel contexte les utiliser, être capable d’en choisir une, de la transférer sur un nouvel objet texte. En plus de cela, il faut pouvoir évaluer la pertinence de son action au regard du texte et de ses connaissances personnelles, savoir si l’on fait erreur et dans ce cas, accepter d’essayer une autre piste, et ainsi de suite. Le tableau précédent illustre bien qu’à la rentrée 2018, les élèves de l’UEE ne possèdent pas ces compétences. C’est justement ce qu’il m’intéresse d’essayer de développer chez eux, dans le but de leur faire acquérir une compréhension plus fine du monde qui les entoure.
Analyse des besoins et apports théoriques
Regard sur trois élèves
Gabriel est un élève de 11 ans dont la principale difficulté est une très grande anxiété.
Il n’accepte pas l’erreur comme principe de l’apprentissage, ce qui ralentit considérablement sa progression. Son extrême exigence envers lui-même et envers les autres rend ses relations compliquées. Le travail en binôme est pour le moment très difficile pour lui. Il a un très faible sentiment de compétence et un mauvais sentiment de valeur personnelle. Ses angoisses et les erreurs qu’il commet dans son apprentissage engendrent fréquemment de grandes manifestations de violence verbale et physique envers lui-même, les autres ou les objets. Très autocentré, il lui arrive souvent de mal interpréter les réactions d’autrui.
Le tableau ci-dessous, extrait de la partie « Compétences disciplinaires » de son projet individualisé, présente ses besoins en compréhension.
Apports théoriques
La compréhension et les inférences en lecture
S’appuyant sur les recherches antérieures, Jocelyne Giasson définit la compréhension comme étant un processus interactif mettant en jeu trois variables : le lecteur, le texte et le contexte. La variable « lecteur » possède différentes composantes : d’une part, les structures, cognitives et conatives, qui lui sont propres ; d’autre part, les processus qu’il met en œuvre pour comprendre un texte. A l’intérieur de ces processus, on retrouve également différentes composantes. Le schéma ci-dessous illustre ce modèle de compréhension.
La théorie de l’esprit et les troubles du comportement
Selon Syvie Cèbe, le courant dit de la « théorie de l’esprit » « étudie comment les jeunes enfants se représentent les états mentaux d’autrui et comprennent la relation que ces états mentaux entretiennent avec le comportement. Par « états mentaux », on entend les états perceptifs (avoir froid), émotionnels (être triste, en colère…), intentionnels (avoir envie de…), attentionnels (écouter, regarder) ou les états de croyances (savoir que…, croire que…, penser que…). »
Pour évaluer la capacité des élèves de l’UEE à se mettre à la place d’un personnage, je leur ai fait passer le test de Wimmer et Perner (1983). Ce test consiste à mettre en scène, à l’aide de petits personnages et de boîtes d’allumettes, une situation dans laquelle l’élève est amené à se décentrer. L’enseignant raconte une histoire et joue la scène avec les personnages :La maman de Maxi rentre à la maison après avoir fait les courses. Dans son panier, il y a du chocolat. Maxi l’aide à ranger le chocolat dans le placard bleu puis sort de la pièce et va jouer. À ce moment-là, la maman veut faire un gâteau, prend le chocolat puis, quand elle a fini, le range dans le placard vert. Elle s’aperçoit alors qu’elle a oublié d’acheter des œufs et va chez le voisin pour lui en demander. Maxi entre dans la cuisine, il a faim et veut du chocolat. Il se souvient bien où il l’a rangé.
L’enseignant pose une question à la fin de celle-ci : « Dans quel placard Maxi va-t-il aller pour prendre le chocolat ? » Sur 9 élèves, 7 ont échoué au test, ils ont répondu que Maxi allait chercher le chocolat dans le placard vert parce qu’eux-mêmes ont été témoins du fait que la maman ait rangé le chocolat dans ce placard vert. Ils n’ont pas pensé que Maxi était sorti de la pièce et qu’il n’avait pas vu que le chocolat avait changé de place. Ils ne se sont pas décentrés, ils ne se sont pas mis dans la peau de Maxi qui avait rangé le chocolat dans le placard bleu. En se référant aux études de Wellman et de ses collaborateurs (2001), Sylvie Cèbe précise que cette compétence est maîtrisée par 100% des enfants à l’âge de quatre ans.
Les élèves de l’UEE étant âgées de 8 à 12 ans, il me semble qu’un travail visant à développer cette compétence a tout à fait sa place. Mais pourquoi les élèves sont-ils aussi en retard sur cette compétence, est-ce lié à leur trouble ?
La pédagogie explicite : un instrument de décentration au service de la théorie de l’esprit ?
Une stratégie ancrée dans une démarche globale
Mon enseignement de la lecture et de la compréhension ne se limite pas à l’enseignement exclusif d’une stratégie consistant à se mettre dans la peau des personnages, ce qui n’aurait pas de sens. Les prérequis à la lecture permettant d’accéder au sens, comme un décodage suffisamment automatisé ainsi qu’un lexique assez développé, sont également travaillés. Roland Goigoux et Sylvie Cèbe ont schématisé les quatre compétences en jeu dans le processus de compréhension.
Les compétences de décodage sont travaillées en amont du travail de compréhension fine du texte mais également de manière décrochée. Je propose à mes élèves un travail quotidien de la fluence à travers de petits ateliers, sur différents supports comme les textes des éditions « La Cigale », que j’ai découvert dans le cours d’Elisabeth Millat intitulé « Identifier les difficultés d’apprentissage de la lecture », permettant de travailler sur des graphèmes précis, ou le fichier « Vélociraptor », plus général. Les compétences lexicales sont travaillées systématiquement avant l’entrée dans la compréhension fine. Le tableau ci-dessous, élaboré suite à une discussion avec Hélène Leleu, conseillère pédagogique sur la circonscription d’Arras ASH, lors d’une visite dans le cadre de la formation CAPPEI, illustre une démarche possible lors de la construction d’une fiche de préparation d’une séquence de lecture.
Des connaissances métacognitives indispensables
Suite aux observations et aux évaluations des élèves, mon hypothèse était la suivante : les élèves comprennent les textes lus par l’adulte mais ils ne se rendent pas compte de leurs procédures. En tout début d’année, la première stratégie que je me suis efforcée de rendre explicite à mes élèves a été celle qui consiste à construire une représentation mentale cohérente.
Pour cela, j’ai travaillé, dans un premier temps, à la compréhension de texte lu par l’adulte.
Pour Goigoux et Cèbe, il s’agit des « compétences narratives en réception ». J’ai d’abord tenté de mettre en évidence cette stratégie en leur faisant se rendre compte que lorsque je dis un mot et qu’ils l’entendent, ils ne sont pas passifs et qu’il se passe quelque chose dans leur tête. J’ai commencé par de simples mots (chien). Je leur demandais s’ils pouvaient verbaliser ce qu’il se passait. Aucun élève n’a été en capacité de me dire qu’ils imaginaient un chien à l’instant où je prononçais ce mot. Je leur mettais donc en évidence ce qu’il se passait pour moi. Je demandais à un élève de me donner un nom d’animal. Il me dit : « chat ». Je verbalisais la stratégie utilisée : « Quand tu me dis « chat », dans ma tête, je vois un chat. Je m’imagine un chat. » J’insistais sur ce point : « Je ne pense pas à autre chose. Je t’écoute et selon ce que tu me dis, je fabrique une image dans ma tête. » Je laissais ensuite aux élèves le temps de mettre en pratique cette stratégie. Puis, nous avons complexifié cette représentation mentale en plaçant cet animal dans un décor en utilisant la structure de phrase : « Le [animal] est dans [lieu] ». La troisième étape était de lui ajouter une action par l’intermédiaire d’un verbe : « Le [animal] [verbe] dans le [décor] ». A chaque étape, un pictogramme était associé à la stratégie. A la fin, nous avons abouti à cet affichage collectif :
Développer des stratégies métacognitives de compréhension : les états mentaux
La construction du sens d’un texte et sa compréhension fine se font par l’intermédiaire « d’une procédure de prise d’indices, linguistiques (lexique, syntaxe) ou extralinguistiques (connaissances du lecteur, théorie de l’esprit) ». Ma démarche a donc été celle d’outiller mes élèves pour qu’ils accèdent à cette compréhension fine en leur donnant des stratégies, notamment celle des états mentaux. Pourquoi avoir privilégié cette stratégie ? D’une part, parce qu’elle répond aux besoins disciplinaires et transversaux de mes élèves, d’autre part, parce que selon Roland Goigoux et Sylvie Cèbe, « dans la plupart des récits, la compréhension de l’implicite repose sur celle de l’identité psychologique et sociale des personnages, de leurs mobiles, de leurs systèmes de valeur, de leur affect, de leurs connaissances ».
Résultats et analyse
Des progrès en compréhension de l’implicite
J’ai constaté pendant ce travail que les échanges et les réflexions entre les élèves lors de l’étude du sens d’un texte étaient plus riches. Voici un exemple de trace écrite réalisé au TBI à la fin de la séance, elle rassemble les réflexions des élèves.
D’autre part, lors de travaux individuels, j’ai remarqué que l’utilisation de la fiche procédure en compréhension de texte aidait beaucoup mes élèves. Les extraits ci-dessus témoignent de leur progrès. Il s’agit de réaliser des inférences de types 9 et 10.
Des progrès nuancés en théorie de l’esprit
Lors de la deuxième passation du test, sur 9 élèves, 5 ont échoué, contre 7 lors de la première passation. Il y a donc une évolution positive. Sur les trois élèves pris en exemple, seul Mattys a réussi à répondre correctement à la question en justifiant sa réponse. Lana et Gabriel n’ont pas réussi à dissocier leur savoir de celui du personnage de Maxi.
CONCLUSION
Si certains élèves ont échoué lors de la seconde passation du test, c’est peut-être parce qu’il manquait un travail sur la différence entre ce que « je » pense, c’est-à-dire, l’élève, le lecteur, que l’auteur met parfois dans la confidence, qui voit ce que certains personnages ne voient pas (comme dans le cas de Maxi) et le personnage lui-même. Je n’ai sûrement pas assez insisté sur cette distinction. Ainsi, je pourrais proposer à mes élèves de construire un outil métacognitif intitulé : « Ce que je sais / ce que le personnage sait », qui pourrait se présenter sous cette forme.
Cette distinction pourrait être amenée à partir d’un travail sur les récits de ruses, dans lesquels le lecteur est dans la confidence.
La faible progression des compétences en théorie de l’esprit est peut-être également due au manque de possibilités de transférer cet apprentissage. En effet, les élèves n’ont pratiqué cette stratégie qu’au cours de quatre séances, ce qui n’est certainement pas assez. Le processus de transfert comprend trois étapes : la contextualisation, la décontextualisation et la recontextualisation. La première étape n’a sans doute pas été assez développée, les contextes d’apparition et d’apprentissage, pas assez multipliés. Il faudrait que les élèves s’entraînent à utiliser ce référent dans d’autres situations.
Enfin, la difficulté de ce test réside également en ce qu’il suppose des compétences en représentation spatiale. Même si l’histoire était mise en scène par l’intermédiaire de playmobils sous les yeux de l’élève, ce n’était probablement pas suffisant. Il serait intéressant dans la poursuite de ce travail de réfléchir à un projet pluridisciplinaire (Arts/Géométrie/ Espace) sur la notion de pont de vue. L’on pourrait imaginer que les élèves réalisent une maquette et qu’ils essaient d’anticiper ce que l’on voit en se positionnant à différents endroits autour de celle-ci par un choix entre plusieurs photos.
|
Table des matières
INTRODUCTION
1. Contexte et justification de la problématique
1.1.L’UEE : une unité à la jonction du DITEP et de l’école Lamartine
1.2.Profils des élèves et besoins transversaux
1.3.Focus sur les besoins disciplinaires en compréhension générale
2. Analyse des besoins et apports théoriques
2.1.Regard sur trois élèves
2.2.Apports théoriques
2.2.1. La compréhension et les inférences en lecture
2.2.2. La théorie de l’esprit et les troubles du comportement
3. La pédagogie explicite : un instrument de décentration au service de la théorie de l’esprit ?
3.1.Une stratégie ancrée dans une démarche globale
3.2.Des connaissances métacognitives indispensables
3.3.Développer des stratégies métacognitives de compréhension : les états mentaux
3.4.Résultats et analyse
3.4.1. Des progrès en compréhension de l’implicite
3.4.2. Des progrès nuancés en théorie de l’esprit
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES DOCUMENTS