La pauvreté relative
Il s’agit de fixer une ligne de pauvreté équivalente à une proportion déterminée, Par exemple les 50 pour cent du revenu médian, comme le fait l’Insee en France (ex. Insee, 2006). Cette ligne est également particulièrement utile pour les valeurs non monétaires du niveau de vie. Puisqu’il n’existe pas de système de prix pour agréger les niveaux individuels de bien-être multidimensionnel (santé, éducation, longévité, relations sociales, etc.), on se réfère systématiquement à une ligne de pauvreté relative. Cependant, cette méthode se heurte à deux problèmes majeurs :
-Premièrement, lorsque la ligne de pauvreté équivaut à une proportion fixe du niveau moyen de bien-être. Ce pour cela qu’en 1992, Ravallion met en garde contre l’existence d’une proportionnalité de la variation du seuil de pauvreté avec le niveau de vie moyen. Ceci est dû au fait que la ligne de pauvreté est une proportion constante de la moyenne. Par conséquent, si le bien-être de tous les agents de la population augmente au même taux, la pauvreté relative ne se modifiera pas.
-Deuxièmement, une ligne de pauvreté relative semble particulièrement bien adaptée dans les pays développés, où la plupart des études empiriques montrent que les seuils de pauvreté en termes réels, tendent à s’élever avec la croissance de la consommation. Alors que cette évolution est très faible dans les pays les plus pauvres (insuffisances de la ligne de pauvreté relative), selon Ravallion, en 1992 et Lachaud, en 1999, de sorte qu’une ligne de pauvreté absolue, où la ligne de pauvreté est indépendante du niveau de vie, semble plus appropriée pour l’analyse des conditions de vie dans les PED. C’est pourquoi on préfère dans ce cadre utiliser une ligne de pauvreté absolue qui traduit un seuil de bien-être déterminé en termes de l’indicateur du niveau de vie utilisé, et fixé dans le domaine de comparaison de la pauvreté.
L’approche par les besoins de base ou biens premiers de J. Rawls
En 1971, J. Rawls a sorti une livre intitulé « La théorie de la justice », dans laquelle il critique la théorie utilitariste puisque « (s)on but est d’élaborer une théorie de la justice qui représente une solution de rechange à la pensée utilitariste »7 (Rawls, 1971, p. 49). J. Rawls part alors de l’idée d’un état de nature initial dans lequel les individus acceptent un système sans savoir à l’avance s’ils en retireraient un quelconque avantage. Ils sont cachés derrière un voile d’ignorance, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent aucune information sur leur situation au sein de cette société et sont donc enclins à accepter des principes de justice dans lesquels la place de chacun est déterminée par une exigence d’impartialité et d’équité. Il en résulte deux principes de justice qui peuvent s’énoncer ainsi :
-Principe d’égale liberté
Chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous
-Principe de différence et une égalité des chances
L’inégalité n’étant justifiée qu’au cas où elle profite aux plus démunis.
Les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun, et à ce qu’elles soient attachées à des positions et des fonctions ouvertes à tous.
Ces deux principes sont accompagnés d’un principe de priorité des libertés fondamentales sur l’égalité des chances qui est elle-même prioritaire sur l’égalisation des ressources. Ainsi, la liberté individuelle est sauvegardée, sous réserve qu’une liberté semblable soit accordée à toutes et à tous. La présentation de Rawls la plus éclairante pour notre propos débute non par les principes de justice eux-mêmes, mais par la liste des « biens premiers sociaux »8 (Rawls, 1982, p. 162) que recherche chaque individu pour réaliser son projet personnel de vie. On compte cinq sortes de biens premiers : (a)les libertés fondamentales, (b) l’accès aux différentes fonctions de la société, (c)les pouvoirs et avantages liés à ces fonctions, (d) les revenus et les richesses, (e) le respect de soi. Pour Rawls, la pauvreté est alors définie de manière universelle par le manque de biens premiers. Alors, les biens premiers sont utiles à chacun afin de l’aider à réaliser ses projets de vie.
L’approche par capabilité, une approche incomplète
Le caractère incomplet de l’approche repose sur l’absence d’une liste définitive d’éléments constitutif de la qualité de vie d’un individu. Si la capabilité reste le critère central, Sen refuse d’établir un ensemble de capabilités à partir duquel il serait possible de comparer le bien-être d’individus et dont les buts sont aussi différents que les raisons qu’ils ont de vouloir les atteindre.
Problème sur la mesure de la capabilité individuelle
Le troisième problème rencontré lors de la mise en œuvre du cadre conceptuel concerne la construction des indicateurs microéconomiques de fonctionnements. Quels fonctionnements retenir ? Comment construire de tels indicateurs ? Quelle pondération utiliser ? Ce problème recouvre deux dimensions : une dimension de fonctionnement, qui retrace ce que la personne réalise effectivement, et une dimension de capacité potentielle, ce que la personne pourrait réaliser si l’occasion lui en était fournie. Cette deuxième dimension peut aussi être perçue comme recouvrant les libertés de choix entre plusieurs alternatives. Même si la dimension des « fonctionnements réalisés » ne pose pas trop de problème avec la théorie des ensembles flous qui est rendu possible grâce à des enquêtes classiques sur les ménages et avec les informations recueilles, on peut élaborer des indicateurs de pauvreté multidimensionnels, issus de la combinaison des différents fonctionnements. A l’inverse, la mesure de la dimension « libertés de choix » se heurte à de multiples difficultés comme : comment mesurer des variables qui ne sont pas directement observables ? Relatives à des situations possibles mais qui ne se sont pas encore réalisées.
Problème sur l’évaluation de l’ensembles-capabilité
Les méthodes que Sen propose pour évaluer le bien-être accompli (la liberté d’accomplir le bien-être) des individus sont aussi fort peu satisfaisantes d’après la constatation de Robert Sugden. D’après lui, « Sen a, hélas, très peu à dire sur la manière dont ces ensembles (capabilité) doivent être évalués ; il fait quelques suggestions mais dans le seul but de montrer à quel point elles sont insatisfaisantes » (Sugden, 1986, p. 821). On ne sait donc pas comment doit s’effectuer l’évaluation du « bien-être accompli » par les individus, pas plus qu’on ne sait comment prendre en compte la liberté de réaliser une vie de valeur dans l’évaluation de questions telles que le développement ou la pauvreté. Même Sen l’a dit dans Commodities and Capabilités : « Je ne pense pas que le problème de l’évaluation soit rendu plus simple en procédant de cette manière (en incorporant des aspects de la liberté parmi les fonctionnements). Je crois néanmoins que c’est un bon pas en avant si on veut mieux saisir la totalité des fonctionnements – les états et les actions (doings and beings)
– qui font qu’une vie vaut la peine d’être vécue, et qui doivent être reflétés dans le bien-être de la personne »
La pauvreté
La pauvreté peut désormais être vue comme un manque des capabilités élémentaires ou des « capabilités de base » 28 et/ou « capabilités centrales (expose dans la partie III, chapitre II, section 1) » Le phénomène d’exclusion est également éclairé sous un jour nouveau. En effet, d’après l’approche en termes de capabilité, il n’est pas suffisant d’avoir un revenu décent pour vivre réellement. La pauvreté ne fait donc pas seulement référence au revenu, mais aussi aux soins médicaux, à l’environnement social. Cela signifie que la pauvreté dans un pays est liée également à d’autres modes de fonctionnement même si « une privation relative dans l’espace des revenus peut entraîner une privation absolue dans l’espace des capabilités. » 29 (Sen, 1992, p. 167) ; le fait de « se montrer en public sans honte », de « prendre part à la vie de la communauté » sont aussi des modes de fonctionnement fondamentaux dans les pays.
L’étude de Bruno BOIDIN sur la santé
Dans son article intitulé « Capabilités et seuil de santé », Bruno BOIDIN a pu examiner, d’un point de vue pratique, l’apport de l’approche par les capabilités au domaine de la santé. Il pense qu’on doit tenir compte, en même temps, des dimensions objectives et subjectives de la santé lors des processus d’évaluation sanitaire. Ceci évite de confiner les pays les plus pauvres dans des trappes de sous-développement humain dont ils ne pourront sortir en raison de leur trop faible niveau sanitaire. Dans ce but, il propose d’étendre l’approche par les capabilités en y introduisant la notion de seuil de santé, car le seuil de santé retrace, au niveau individuel, le niveau minimal de santé qui permet à une personne de mettre en œuvre sa capabilité. En plus, au niveau macro-social, cela peut s’exprimer par une série de situations sanitaires qui montre que le pays ne peut plus s’en sortir. On peut alors établir ce seuil à partir d’une analyse multicritère qui associe indicateurs sanitaires objectifs, correspondant à la satisfaction des besoins essentiels, et indicateurs subjectifs ou comportementaux, exprimant le rôle des individus dans la gestion de leur bienêtre, et grave à ce seuil, on en déduit les situations critiques de vulnérabilité et surtout d’irréversibilité, tant au niveau individuel que collectif.
|
Table des matières
REMERCIEMENTS
LISTE DES ABREVIATIONS ET ACRONYMES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION
PARTIE I. GENERALITES SUR LA PAUVRETE
Chapitre I. La pauvreté : Une brève revue de la littérature
Section I. De XVIII à XIXème Siècle
Section II. Durant le XXème Siècle
Chapitre II. Définition du concept de la pauvreté
Section I. L’Approche monétaire soutenue par les Utilitaristes ou Welfaristes
I. L’étape d’identification
I. 1. La pauvreté relative
I. 2. La pauvreté absolue
II. L’étape d’agrégation
Section II. Les Approches non monétaires (Sen et Rawls)
I. L’approche par les besoins de base ou biens premiers de J. Rawls
II. L’approche par les capacités ou capabilités d’Amartya Sen
PARTIE II. L’APPROCHE PAR LES CAPABILITES
Chapitre I. L’origine de la pensée d’Amartya SEN
Section I. L’approche par l’entitlement
Section II. L’approche par entitlement vers l’approche par les capabilités : les notions à savoir
I. Dotations ou « endowments »
II. L’exchange entitlement mapping
III. L’exchange entitlement set
Chapitre II. L’approche par les capabilités (AC)
Section I. Définition
I. La fonction d’utilisation fi(.)
II. Les fonctionnements (ou réalisations)
Section II. L’évaluation du bien être dans l’approche par la capabilité
I. La méthode du classement par dominance
II. La méthode du classement par intersection
Section III. La mesure de la capabilité par la théorie des ensembles flous
I. Les principales notions sur la théorie des ensembles flous
II. Décomposition en groupe de l’indice de la pauvreté multidimensionnel
I. 1. -Décomposition en groupes
I. 2. -Décomposition par attributs : Dagum et Costa
I. 3. -Décomposition multidimensionnelle
Chapitre III. Limite et extension de l’approche par les capabilités
Section I. Les limites de l’approche par les capabilités
I. L’approche par capabilité, une approche incomplète
II. Une approche trop vague
III. Problème sur la mesure de la capabilité individuelle
IV. Problème sur l’évaluation de l’ensembles-capabilité
V. Un rôle de l’Etat un peu flou
Section II. Extensions de l’approche par les capabilités
I. Une nouvelle vision de voire la pauvreté, le développement et la liberté
I. 1. La pauvreté
I. 2. Le développement
I. 3. La liberté
II. Sen, une référence pour les organisations internationales (PNUD et BM)
PARTIE III. L’APPORT DE L’APPROCHE PAR LES CAPABILITES DANS LA REALITE
Chapitre I. Mise en œuvre des nouveaux indicateurs
Section I. L’IDH
Section II. La mesure des capabilités du peuple
Chapitre II. Apport de l’approche par les capabilités sur la pensée des économistes
Section I. L’étude de Martha Nussbaum sur les capabilités humaines centrales
Section II. L’étude de Bruno BOIDIN sur la santé
Section III. L’étude de Tom DE HERDT et Johan BASTIAENSEN sur le développement
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
Télécharger le rapport complet