La participation des jeunes à la vie publique

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Le double enjeu des jeunes et des femmes

Mobiliser des jeunes au sein des listes électorales représente donc un enjeu certain pour les communes, néanmoins ce public n’est pas très accessible, ou du moins complexe à intégrer. Cela dit, ce renouvellement est aussi un moyen de mieux représenter la population et de démocratiser un accès à la gouvernance (modèle organisationnel qui structure le pouvoir entre les acteurs d’un même espace). Ainsi, la constitution des listes est aussi un bon moyen pour intégrer de nouveaux groupes sociaux. Faire entrer des jeunes dans les conseils municipaux est donc aussi l’occasion de, par exemple, féminiser les listes. En effet, sur le territoire de Flers Agglo, parmi les jeunes de moins de 30 ans élus, 68% d’entre eux sont des femmes. Tandis qu’elles ne sont plus que 40% lorsqu’on s’intéresse à l’ensemble des conseillers municipaux de l’agglomération. Cela démontre que sur mon terrain d’étude, le renouvellement des conseils municipaux est non seulement un vecteur de rajeunissement mais aussi de féminisation.
Il est vrai que la parité dans les conseils municipaux est encore aujourd’hui très discutable. Une obligation d’égalité numérique sur les listes a été mise en place en 2007 pour les communes de 3500 habitants et élargie aux communes de plus de 1000 habitants en 2013. Sur l’agglomération, cela représente donc 30 communes sur 42 qui ne sont donc pas concernées par cette loi, soit plus de la moitié des conseillers municipaux. Toutefois, même sans être soumis à une obligation légale, de nombreux maires ont fait le choix de faire tendre leur liste vers une parité. Cependant, nous constatons que les femmes sont quasiment systématiquement moins nombreuses dans les conseils dans l’ensemble des communes de l’agglomération (cf figure 3). En orange est indiqué le sexe majoritaire pour chaque commune). De plus, il faut noter que parmi les 42 maires de l’agglomération, 4 sont des femmes, soit presque 10% ; à l’échelle nationale elles sont à peine 20%.
Cette absence de femmes dans les instances municipales témoigne non seulement d’une démocratie dominée par les hommes mais aussi d’une importante difficulté à les mobiliser. A cela s’ajoute une répartition des tâches inégales au sein des foyers qui limite le temps dédié à l’engagement. Tout cela crée une forme d’illégitimité à s’engager chez certaines femmes. Afin de contrer cette tendance, certaines communes misent sur un rajeunissement de leur conseil pour également féminiser l’assemblée. Par ailleurs, il est plus facile pour les têtes de liste de recruter des femmes âgées que des jeunes de moins de 30 ans. Cependant, l’impact n’est pas le même sur la représentation de la population mais aussi sur la cohérence avec les décisions pour demain : des élus jeunes ont plus de légitimité à prendre des décisions pour le futur de leur commune plutôt que des retraités. C’est en tout cas la logique énoncée par Sylvain Boulant, le maire d’Aubusson (commune de 430 habitants): « Malheureusement en choisissant une population jeune de conseillers, ça nous a limité dans le nombre de femme à ce niveau là, c’est l’effet vase communiquant. J’aurai voulu avoir des femmes de 60 ans j’en aurai eu plein, mais des gens de 30 ans […] Tout ce qu’on décide c’est du long terme, et c’est les jeunes habitants qui vont le supporter, c’est pas moi. L’avenir elle n’est pas à moi. »
La liste élue en mai 2020 dans la commune de Durcet (320 habitants) illustre pleinement ce phénomène de rajeunissement doublé d’un phénomène de féminisation. Nous y retrouvons, une pyramide d’âge scindée en deux groupes : un groupe âgé de 60 à 73 ans exclusivement composé d’hommes retraités, un second groupe âgé de 25 à 42 ans, exclusivement composé de femmes en situation d’emploi.
Cette liste d’une petite commune assure une parité, et une alternance des femmes et des hommes, mais une double fracture relative à l’âge et au sexe des candidats se constate. Cette segmentation témoigne d’une commune concernée par les questions de jeunesse et de féminisation, cependant la représentativité n’est pas totale car, nous ne retrouvons pas de femmes âgées ni d’hommes de moins de 60 ans.
L’obligation d’une parité dans les conseils municipaux de plus 1000 habitants a impulsé une féminisation importante, valorisant la place des femmes dans les conseils dès 2014. Lors du dernier scrutin municipal, cette part a encore globalement augmenté, pour atteindre 43% de femmes dans les municipalités. Cette tendance, n’est cependant pas observable à l’échelle de mon terrain d’étude.

Les jeunes élus de Flers Agglo

Lors des élections municipales de 2020, 21 personnes de moins de 30 ans ont été élus au sein de l’EPCI. Ils ont été rejoints en mars 2021 par une vingt-deuxième conseillère, dû à un départ de sa liste. Cet ensemble de jeunes est élu parmi les 641 conseillers municipaux de l’agglomération, ils représentent donc 3,43% des conseillers municipaux. À l’échelle nationale, cette proportion représente un peu plus de 4%. Ce chiffre est largement inférieur à la part de la population âgée de moins de 30 ans, où même des 18-30 ans si l’on considère qu’ils ne représentent que la population de leur âge, et non pas l’ensemble des moins de 30
ans. Cette hypothèse signifierait que les mineurs ne seraient donc pas représentés dans les instances municipales. Sur Flers Agglo, l’INSEE estime en 2017 la part des 20-29 ans à 8,5% et la part des moins de 30 ans à 31%. Ces statistiques viennent donc appuyer la question de la représentativité inégale des conseils municipaux, au moins auprès de la jeunesse.
Les 22 conseillers municipaux de moins de 30 ans sont élus au travers 19 communes de l’agglomération. Ces communes sont de tailles différentes et sont par conséquent administrées par des conseils municipaux plus ou moins grands. Ainsi, nous retrouvons à la fois des jeunes élus dans des conseils de 10 personnes, comme dans des conseils de 33 personnes. Cela signifie qu’ils ne prennent pas la même place au sein de ces assemblées locales : un élu de moins de 30 ans dans un conseil de 33 personnes n’aura pas forcément le même poids que deux élus de moins de 30 ans dans un conseil de 11. La part des jeunes dans les conseils municipaux peut donc sensiblement varier d’un point de vue statistique selon la taille de la commune.
Pour ce qui est de la répartition géographique de ces élus au sein de l’EPCI, nous pouvons aisément constater des pôles remarquables (cf figure 7). Au nord-ouest de l’Agglo, nous pouvons constater la présence de nombreuses communes concernées par la présence de moins de 30 ans dans son conseil municipal. Au cœur d’entre elles se situe Flers (15000 hab.), la commune la plus structurante du bassin économique, ainsi que ses voisines immédiates. Plus à l’est nous retrouvons également cette logique cette fois autour des communes de Athis Val de Rouvre (4200 hab.) et Condé sur Noireau (4600 hab.) qui se situe dans le Calvados à la frontière du département de l’Orne. Plus à l’est, une concentration de jeunes élus se démarque à Briouze (1500 hab.) et ses alentours. Enfin, complètement au sud, deux communes de plus de 1000 habitants, comptent des élus de moins de 30 ans dans leur conseil municipal. A l’inverse, nous pouvons repérer toute une région sans jeunes élus. Cette absence semble être corrélée à une plus grande distance des communes importantes de l’agglomération, qui sont également les principaux secteurs d’emploi de Flers Agglo. Nous pouvons donc mentionner un phénomène de polarisation des communes structurantes sur les communes où des jeunes sont engagés.
Cependant, la grande partie des communes n’ayant pas de jeunes de moins de 30 ans dans leur conseil municipal ne semblent pas pour autant être plus dépourvus de jeunes dans leur population (cf figure 8). Au contraire, les communes du centre de l’EPCI comptent une part de jeune significative, proche de la valeur moyenne et vient justement contrebalancer les communes du nord de l’intercommunalité dans lesquelles les 20-29 ans sont moins représentés. Ce constat permet d’infirmer l’hypothèse d’une corrélation entre une part importante de jeunes et leur présence au sein des conseils municipaux. Autrement dit, une proportion de jeune importante dans une commune n’implique pas pour autant d’en retrouver certains d’entre eux, engagés dans la municipalité.
Nous pouvons tout de même affirmer que plus la commune est peuplée, plus il est probable d’y retrouver des moins de 30 ans sur les listes électorales (cf figure 9). En effet, cette configuration offre aux têtes de liste un plus grand nombre de siège à pourvoir et donc la possibilité d’une plus grande diversité et d’une représentativité plus affinée. Comme si intégrer des jeunes n’était pas une priorité dans les 10 premiers noms. Mais dans une liste de 24, mobiliser des jeunes devient essentiel. Ainsi, des individus de moins de trente ans se voient mobiliser pour leur âge, comme une case à cocher. Pauline Le Penven, élue pour son second mandat à 28 ans et mobilisée à 22 ans pour le premier, le confirme : « On est venu me chercher par mon âge, le fait d’intégrer des jeunes ce n’est pas anodin, historiquement les conseils municipaux des petites communes sont plutôt des retraités et des agriculteurs »
Cette plus forte présence de jeunes engagés dans les communes les plus peuplées peut aussi s’expliquer par le niveau de responsabilité que le statut d’élu municipal exige. Plus les communes comptent d’habitants, plus elles sont pourvues de commerces, d’écoles ou autres services. Par conséquent, les conseillers acquièrent plus de responsabilités, et le travail peu apparaître plus riche, et plus pertinent que dans une commune moins développée, avec moins de population.
Des profils socio-économiques différents
Pour interroger la diversité des milieux sociaux des jeunes conseillers municipaux, je me suis intéressé aux métiers, ou anciens métiers de leurs parents pour définir leur catégorie socioprofessionnelle, dont ils sont issus, selon la nomenclature de l’INSEE. J’ai pu constater une diversité parmi les professions citées, mais elles restaient tout de même cohérentes avec les réalités économiques du territoire. A savoir, les parents des jeunes élus sont majoritairement des employés, des agriculteurs ou éventuellement des professions libérales. Les parents ouvriers sont également présents mais pas autant que dans la population globale. Très peu ont un statut de cadres, conformément aux tendances socioprofessionnelles de l’agglomération, présentées ci-dessus. Cependant, cette étude sur les parents de onze élus, soit vingt-deux individus, ce qui correspond à un échantillon naturellement trop petit pour représenter les statistiques locales. Cela signifie tout de même que les conseillers municipaux que j’ai rencontrés pour ce travail de mémoire sont issus d’un milieu social cohérent avec les réalités de l’intercommunalité.
En ce qui concerne les PCS des jeunes élus, elles sont moins variées que celles de leurs parents. Aucun d’entre eux n’est agriculteur ou artisan. Nous retrouvons la présence de plus de cadres et presque la moitié d’entre eux exerce une profession intermédiaire. Ces deux dernières catégories sont associées à des strates sociales plus favorisées. L’absence des classes dites plus populaires chez les jeunes exprime la difficulté de ces catégories à s’insérer dans la vie publique.
Il est également intéressant de mettre en relation le profil économique des élus avec la taille de commune dans laquelle ils siègent. Cela souligne la difficulté des jeunes élus à s’impliquer dans la municipalité et à se sentir concerné par la chose publique. Cette étude laisse apparaître que les conseillers de moins de 30 ans présents dans les communes les plus structurantes ont un niveau de diplôme au moins égal au bac+5. Ce capital intellectuel vient donc asseoir une certaine légitimité à leur responsabilité dans les grandes villes de l’agglomération. En effet, si nous mettons en relation le niveau de diplôme des jeunes rencontrés avec le nombre d’habitants de leur commune nous pouvons constater des résultats plutôt significatifs :
Les 3 élus de Flers ont tout trois un bac+5, deux d’entre eux ont un niveau de cadres, tandis que le troisième est encore en étude à Science Po Paris. Dans toutes les communes de plus de 1000 habitants, les élus de moins de trente ans ont un bac +5 au minimum.
Ce constat suggère une première limite à la question de la représentativité des jeunes mais aussi de l’accessibilité des conseils municipaux. En effet, ces résultats laissent apparaître une forme d’élitisme plus ou moins conscientisée et encore moins volontaire, où les plus diplômés peuvent accéder plus facilement à une fonction d’élus dans les communes structurantes de l’agglomération. Cela peut s’expliquer dans un premier temps, par un sentiment d’illégitimité de la part des moins diplômés, qui n’ont pas le sentiment de rassembler suffisamment de compétences pour siéger au sein d’un conseil municipal d’une grande commune. D’ailleurs, certains conseillers municipaux m’ont fait part de ce sentiment au cours des entretiens, comme Delphine Lereverend, élue à Landisacq (750 habitants).
«Je ne sais pas si j’aurai osé, là c’est vraiment ils m’ont poussé, une grande ville ne serait pas venue me chercher. Une grande ville, c’est plus de décisions et de conseillers, là c’est plus familial »
Ce témoignage vient sous-entendre que les plus grandes communes n’iraient pas chercher les mêmes profils que dans les villages. Cela explique dans un second temps, le rôle des communes les plus peuplées dans la présence de jeunes diplômés dans leur conseil. Les élus des villes structurantes peuvent avoir tendance à intégrer des jeunes plus diplômés leur assurant plus de compétences et de savoir-être dans la gestion d’une commune. C’est notamment le cas de Mylène Mottier, élue à La Lande-Patry (1800 habitants) et titulaire d’un bac +7 en notariat. Elle m’explique en entretien que ses compétences professionnelles ont été perçues comme un atout lorsqu’on est venu la mobiliser (ainsi que son mari).
« Je pense le fait qu’on […] fasse du droit. C’était une profession qui se raccrochait, on faisait la comptabilité de l’étude, on travaille chez un notaire, donc si c’est pas la même comptabilité, ça aide à comprendre. On est moins perdu, la compta publique c’est pas facile.
En décentrant notre regard de la jeunesse et en comparant maintenant la répartition de l’ensemble des conseillers municipaux selon leur catégorie socioprofessionnelle, avec celles de la population globale, nous pouvons constater que ces écarts et l’invisibilité de certaines classes et la surreprésentation d’autres sont largement accentuées.
Il faut remarquer que les agriculteurs sont surreprésentés dans les conseils municipaux8. Cela peut s’expliquer par un rapport singulier et historique au territoire du fait de l’exploitation des terres. Les catégories agricoles apparaissent comme des acteurs du paysage. À cela s’ajoute leur souplesse d’agenda qui leur assure une meilleure disponibilité et par extension une facilité à s’engager. À titre indicatif, parmi les 42 maires de l’agglomération, 10 d’entre eux sont agriculteurs ou agriculteurs retraités. À l’inverse, les ouvriers sont complètement sous-représentés chez les élus car leur rythme de vie les rend difficile à mobiliser car leurs horaires de travail (en trois huit par exemple) les placent dans un mode de vie décalé. De plus, cette catégorie s’inscrit peu dans les réseaux de cooptation locaux et voit son accès aux listes municipales filtré9. Leur présence dans les conseils est rendu complexe, car leur disponibilité n’est pas ou peu en phase avec la responsabilité de conseiller municipal.
Il faut noter que les retraités dans les conseils municipaux sont très nombreux (plus de 25%). Ce graphique prend donc en compte leur ancienne profession afin d’évaluer le milieu social dans lequel les retraités évoluent. Les PCS de la population relèvent uniquement de la population active au sens du recensement, ainsi, la proportion d’étudiants n’apparaît pas. Cependant, il est assez aisé de dire que les étudiants sont sous représentés au sein des conseils municipaux où ils ne sont que 3 sur les 641.
L’ancrage dans la commune
L’échantillon d’élus interrogés est aussi divers par son lien au territoire. Au travers des 11 témoignages recueillis au cours de mon travail de terrain, j’ai pu rencontrer des jeunes établis dans leur commune depuis plus ou moins longtemps. Nombreux sont ceux qui habitent leur commune depuis toujours et y ont grandi. Parmi eux, certains sont partis en étude dans les métropoles proches (Caen, Angers, Rennes, Le Havre ou encore Paris) mais ils ont systématiquement fait le choix de revenir sur le territoire qui les ont vu grandir puis s’engager. Cela témoigne d’un attachement certain au milieu rural, et d’une envie de s’y impliquer pour développer sa commune. Partir pour mieux revenir, c’est d’ailleurs ce que prône Jérôme Nury (ancien maire et actuel député de la troisième circonscription de l’Orne) auprès des jeunes : « Quand on est jeune il faut aller se faire son expérience ailleurs, voir ce qui se fait pour mieux apprécier ce qu’il y a chez soi. C’est vachement important, par contre il faut leur donner le gout de revenir »
Les conseillers plus fraîchement arrivés dans la commune où ils sont élus, sont toutefois issus du milieu rural et ne se voyaient pas s’implanter ailleurs qu’en campagne, pour des raisons de confort de vie et d’environnement. C’est le cas de Delphine Lereverend, arrivée depuis 7 ans sur la commune de Landisacq avant d’y être élue :
« C’était impossible d’être en ville, un besoin d’espace et un attachement au territoire rural »
Il est vrai que connaître la commune sur laquelle on s’engage depuis de nombreuses années, apparaît comme un véritable atout et permet une meilleure connaissance de la population, du contexte local et des dossiers abordés en réunion. D’ailleurs, nous pouvons constater que vivre depuis toujours dans la commune où sont élus les conseillers peut venir conforter les jeunes dans leur engagement. En effet, parmi les plus jeunes élus âgés entre 20 et 25 ans, tous ont toujours vécu sur leur commune respective. Ninon Fouquet, élue à 20 ans à Saint-Georges des Groseillers (3200 habitants) explique: « [J’habite ici] Depuis toujours, c’est plus facile, ma mère travaille à la commune donc je connais les commerçants du bourg depuis petite. C’est plus facile de mettre un visage sur un nom quand on en parle en réunion. »
Bénéficier d’un ancrage territorial sur une commune apparaît comme un élément clé pour être sollicité pour rejoindre une liste municipale. Si l’interconnaissance au village n’est plus autant observable qu’il y a cinquante ans10, son rôle demeure tout de même prégnant dans la constitution des équipes électorales. A l’heure de mobiliser de nouvelles personnes à l’approche de la prochaine élection, les élus sortants ont tendance à aller chercher des nouveaux profils dans leur entourage. Cette proximité permet également un mode de mobilisation très informel et convivial, comme pour l’expérience d’Anne-Laure Touzo nouvellement arrivé sur la commune de Pointel (330 hab.)
« C’est vrai que quand ils sont venus me chercher, ça a été le café à la maison, on a vraiment sympathisé, c’était vraiment sans se prendre la tête. Je sais pas si je l’aurai fait sur une plus grosse commune. »
L’interconnaissance permet aussi d’intégrer de nouvelles personnes par connaissances familiales. Deux conseillères municipales, toutes deux nouvelles arrivantes dans leur commune depuis moins de cinq ans, ont été interpellées pour devenir colistière car elles avaient une amie de la famille proche de la municipalité. Ce réseau de proximité caractéristique de l’espace rural apparaît dans ce cas comme un objet facilitateur de sociabilité. « Quelqu’un qui connaissait surtout mon compagnon [est venue nous chercher] parce qu’elle est agricultrice sur la commune et du coup les parents de mon compagnon sont agriculteurs, ça s’est fait comme ça. »
Dans les communes de quelques centaines d’habitants, où les maires connaissent presque tout le monde, l’interconnaissance peut faciliter le renouvellement d’un conseil municipal. Cependant, à l’inverse la faible population peut aussi desservir l’équipe sortante en ne réussissant pas à présenter une liste complète. En dépit de cela, le maire de La Chapelle Biche (530 hab.) m’a expliqué qu’il avait du mal à mobiliser suffisamment d’individus pour sa liste au point que certain faisait uniquement acte de présence pour permettre d’atteindre les 15 colistiers requis. A cela s’ajoute un effet de seuil car cette commune a franchi le palier des 500 habitants et doit désormais établir une liste de 15 comme les communes de 1499 habitants, alors qu’avec 499 habitants une liste de 11 noms suffisait.
Nous pouvons effectivement constater sur le graphique ci-dessus, que le nombre de conseillers municipaux exigés légalement augmente bien plus rapidement que la progression du nombre d’habitants. L’écart entre les deux courbes est d’ailleurs le plus grand dans le cadre d’une commune de 500 habitants. La différence devient moins significative par la suite, jusqu’à ce que l’on atteigne des ordres de grandeurs bien supérieurs.
L’ancrage dans une commune ne semble donc pas être une chose essentielle pour participer à la vie publique de celle-ci. Ce qui semble être plus important est la connaissance et l’appartenance à des groupes sociaux de la ville. Cela signifie qu’il est d’autant plus difficile dans les communes de plus de 1000 habitants, où le phénomène d’interconnaissance est moins visible, d’intégrer une liste électorale. En effet, pour recruter des colistiers, les élus sortants n’hésitent pas à aller solliciter la population déjà impliquée dans la vie locale, notamment dans le réseau associatif ou par le bouche à oreilles. Ainsi, la représentativité et la démocratie se voient confrontées à une seconde limite qu’est l’interconnaissance. Pour rejoindre une liste, il est plus facile d’être établi sur la commune depuis longtemps et de connaître des personnes gravitant autour de la municipalité. Jérémy Prévost déplore d’ailleurs ce point :
« Il faut absolument qu’on ouvre les portes des conseils, qu’on montre ce qu’est l’engagement, ce qu’est une municipalité, une collectivité. »
Ce frein reste partiel dans la mesure où il reste envisageable de se faire connaître au sein d’une petite commune, où les conseillers peuvent paraître plus approchables.
Un engagement militant
Les motivations à l’investissement dans l’aventure municipale sont aussi nombreuses. Certains voient ce rôle comme une opportunité de porter leurs idées et leurs valeurs pour orienter leur commune. D’autres y voient un espace plus militant, notamment dans les communes où au moins deux listes cohabitent. L’existence d’une ou plusieurs listes d’opposition face à une majorité sortante conduit à un espace de confrontations d’idées politiques. Cela fait preuve d’un degré de compétition plus élevé qu’une liste unique voire incomplète11. Nous reviendrons plus tard sur l’éventuelle existence d’enjeux politiques dans les campagnes municipales rurales.
Il est vrai qu’en choisissant ce sujet, je m’attendais à rencontrer des jeunes plus qu’impliqués mais investis avec des convictions militantes. Gravitant moi-même dans le milieu associatif, j’ai voulu approcher un nouvel espace d’engagement. Or, les profils des conseillers municipaux se sont révélés beaucoup plus variés sur ce point. Nous avons donc là des jeunes élus, investis pour leur commune à différents degrés et avec différentes approches. Pour certain, l’objectif de cet engagement est de s’investir pour la commune, peu importe la couleur ou les orientations de la liste. Delphine Lereverend, candidate sur l’une des deux listes de Landisacq affirme qu’elle a rejoint cette liste plutôt qu’une autre « par hasard, après je connaissais quelques conseillers ».
A l’inverse Izabel Gardan a elle été sollicitée pour rejoindre l’opposition au sein de la commune d’Athis Val de Rouvre. Historiquement, cette commune devenue commune nouvelle n’affichait qu’une liste depuis plusieurs campagnes électorales. Cette configuration trop figée ne correspondait pas au goût de chacun et a fait émerger une opposition pour proposer une alternative. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’engagement d’Izabel Gardan qui tenait à affirmer son désaccord face aux orientations précédemment prises par la municipalité. Elle exprime donc sa démarche et plus globalement celle de la liste en l’associant à des faits plus concrets :
« On a voté le budget et je me retrouve pas du tout dans les votes qui sont fait. Si y avait qu’une liste ce serait voté à la majorité, il y aurait pas de discussion. Il y aurait juste une présentation et nous c’est des choses qu’on a envie d’amener sur la table. »
Les différents degrés d’investissement chez les élus de moins de trente ans, s’illustrent aussi par leur rôle dans le conseil. Lori Helloco a 28 ans lorsqu’il brigue son deuxième mandat de conseiller municipal, en mai 2020. Ainsi, il est nommé 1er adjoint aux finances de la ville de Flers. Investi dans les causes sociales dès le lycée (Réforme des lycées de 2009 notamment), il choisit de s’engager quelques années plus tard auprès de la ville de Flers.
Ces différents parcours soulignent à nouveau une diversité de profils et viennent affirmer une hétérogénéité des jeunes élus sur l’aspect militant. Cependant, il est à noter que les élus apparaissant comme les plus impliqués ou les plus militants se retrouvent dans les grandes communes structurantes du territoire. Cet indicateur témoigne d’une dimension plus politique dans les plus grandes villes, cibles de compétitivité et de discordes sur les orientations municipales. Le décor est maintenant planté : valoriser la présence de jeunes dans les conseils municipaux est donc une réponse à une représentativité citoyenne erronée. Il s’agit d’une tranche d’âge essentielle pour le développement des territoires ruraux et gagne donc à être représenté dans ces instances. Un véritable renouvellement régulier des conseils est donc nécessaire pour entretenir un rajeunissement de ces assemblées. De plus, ces renouvellement sont également propices à la féminisation des conseils et tendent donc vers une meilleure représentation de la population. Les jeunes élus sur le territoire de Flers Agglo présentent des profils variés car ils sont issus de classes sociales diverses mais cohérentes avec la structure de l’agglomération. Ils ont un niveau d’ancrage plus ou moins profond sur le territoire, et n’affichent pas un même degré de militantisme rendant leur diversité représentative. Toutefois, plusieurs limites apparaissent, notamment à cause de l’interconnaissance limitée mais existante en milieu rural et les jeunes qui siègent dans les plus villes les plus peuplées sont largement diplômés. La connaissance fine de leur localisation sur le territoire ainsi que la variété de leurs profils nous permet d’aborder les questions sur la manière dont ils sont sollicités et avec quels moyens. Nous verrons les facteurs facilitant l’intégration de jeunes dans les conseils municipaux mais aussi les freins expliquant cette sous-représentation. Enfin, nous aborderons la spécificité du milieu rural dans cette course pour la jeunesse.
La participation des jeunes à la vie publique
Les conseillers municipaux élus avant leurs trente ans sur le territoire de Flers Agglo sont au nombre de 22, soit un peu plus de 3%. Cette proportion est inférieure à la moyenne nationale, qui elle dépasse les 4%, ce qui n’est pas pour autant remarquable. Cette tendance témoigne non seulement d’une difficulté à mobiliser des jeunes dans les campagnes municipales mais aussi d’une très faible implication de leur part dans la vie publique. De plus, en étudiant la participation de cette tranche d’âge au travers des précédents scrutins municipaux de 2008 et de 2014, nous pouvons constater un déclin de leur investissement pour ces élections. Aussi légère soit-elle cette baisse reste significative dans la mesure où elle s’observe et s’accentue sur plusieurs années. Cette diminution du nombre de jeunes dans les conseils municipaux est d’ailleurs corrélée avec une abstention grandissante et record de cette même strate1. L’Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire (INJEP) évoque ainsi un « déclin civique ». Ce comportement électoral s’est d’ailleurs à nouveau observé lors des élections départementales et régionales 2021, où l’abstention des 18-24 ans a atteint 87% et 83% chez les 25-34 ans. Ce score est considéré comme un désintérêt mais aussi d’un manque de confiance envers les élus de la part des jeunes. Cette baisse de la participation souligne une difficulté à mobiliser des jeunes au sein des instances de décision locales à toutes les échelles. Cette tendance se constate sur mon territoire d’étude seulement entre 2014 et 2020. Néanmoins, en observant des effectifs plus importants : à l’échelle du département, de la région ou de la France, la diminution de la part de jeunes investis se confirme. L’approche multiscalaire confirme l’hypothèse d’une accentuation de ce phénomène dans les territoires plus ruraux, avec un taux de participation inférieure dans l’Orne et dans l’EPCI de Flers Agglo. Il est cependant cohérent de trouver moins de jeunes dans les conseils municipaux sur des territoires où ils sont moins présents. En effet, les jeunes de 18 à 29 sont beaucoup moins présents dans les campagnes que dans les milieux urbains : 9,7% contre 14,7% sur le territoire national. 12 De plus, cette décroissance est à la foi corrélée avec un exode des jeunes ruraux (les 20-29 ans ont diminué de 9% dans l’Orne entre 2012 et 2017) .

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Table des matières

Remerciements
Introduction :
Partie 1 : Le profil des conseillers municipaux
1) L’enjeu de la présence de la jeunesse dans les conseils municipaux
a) La complémentarité des jeunes et des anciens
b) Le double enjeu des jeunes et des femmes
c) Les jeunes élus de Flers Agglo
2) Une diversité de profils
a) Des profils socio-économiques différents
b) L’ancrage dans la commune
c) Un engagement militant
Partie 2 : La participation des jeunes à la vie publique
1) Les facteurs facilitants
a) Le réseau et le milieu associatif comme premiers espaces de mobilisation
b) L’expérience de la vie communale
c) Le conseil municipal rural : un espace peu politisé
2) Les freins à l’engagement
a) L’indisponibilité
b) La méconnaissance
c) Des communes dortoirs et un individualisme grandissant
3) La mobilisation des jeunes, un enjeu rural ?
a) La fuite des jeunes et des cerveaux, un élément structurel.
b) La mobilisation dans les espaces ruraux
Partie 3 : La responsabilité des élus de moins de 30 ans
1) Mobilisation et intégration
a) Entre sollicitation et démarche personnelle
b) Un mandat pour comprendre
c) Les commissions et points d’intérêts
2) Les moteurs de l’engagement municipal chez les jeunes
a) Le conseil municipal rural comme espace de sociabilisation
b) La cause des écoles
c) L’échelon communal, idéal pour faire avancer les choses
3) Les conséquences de cet engagement sur le conseil et la population
a) Des conseils municipaux reconnectés à la jeunesse
b) Une population représentée et votante
Conclusion générale
Bibliographie

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