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Faire face à l’inconnu
L’arrivée de la pandémie a été aussi brutale qu’inattendue selon les témoignages des internes interrogés « J’ai vécu comment l’arrivée de la pandémie ? Ben… je me la suis prise de plein fouet, aucune anticipation, (…) j’ai pas compris… » (I2).
Le début de la pandémie a été vécu comme difficile, car les connaissances sur la COVID-19 manquaient. « On était au front de quelque chose de grave qu’on ne maîtrisait pas encore. » (I1). Parallèlement, il y avait cette peur de l’inconnu qui s’est faite ressentir, avec une appréhension de l’arrivée de la pandémie, mais aussi une crainte de cette maladie nouvelle à laquelle ils allaient être confrontés professionnellement « On était dans cette sorte de tension parce qu’on sentait qu’il y avait quelque chose d’horrible qui allait se passer (…) » (I15) et personnellement « Enfin, j’avais peur d’avoir le COVID, ou de… je sais pas d’avoir une forme grave (…) » (I7).
Par ailleurs, il s’agissait d’une situation inédite puisqu’elle ne s’était jamais présentée avant. Une incertitude vis-à-vis du futur en découlait, et le corps soignant dépendait des annonces gouvernementales « Les internes comme les chefs, on naviguait un peu à l’aveugle, et en fonction des annonces gouvernementales » (I4). Cela a créé une situation d’instabilité et d’imprévisibilité qui a eu un impact sur la santé mentale « On ne savait pas à quoi s’attendre au début » (I6). Effectivement, ce moment initial de la pandémie constituait une perte de repères pour les soignants.
Le système de soins au défi
Avec l’arrivée de la COVID-19, il a fallu faire face à la nouveauté que constituait l’épidémie. Cela s’est traduit par une réorganisation totale du système de soins. À l’hôpital « C’était surtout au niveau organisationnel je trouve ce qui a changé. » (I11), comme en libéral avec par exemple l’ouverture de centres de dépistages « On avait ouvert une sorte de centre de dépistage COVID dans le gymnase de l’équipe de rugby (…) et le samedi on dépistait tous les gens qui avaient de la fièvre » (I5)
Ce qui a été le plus rapporté dans les entretiens était le bouleversement qu’a constitué l’apparition de règles d’hygiène nouvelles et de protection strictes. « Après ça a changé un peu les prises en charge, (…) rien qu’au niveau des règles d’hygiène, enfin, il fallait tout le temps s’habiller et tout… » (I7). Celles-ci se sont accompagnées d’une modification de la relation avec les patients « Une distance qui était plus importante avec le patient, c’était un petit peu plus compliqué de…d’être… de faire des liens du fait du masque, des gestes barrière… ». (I21) Ces mesures étant chronophages, cela s’est également traduit par une surcharge de travail « C’étaient vraiment des journées épuisantes parce que d’un patient à l’autre on devait tout le temps se changer, c’était nouveau, c’était stressant ». (I8)
Pendant cette période, le système de soins étant débordé par un large afflux de patients contaminés, il y a eu une majoration dans l’intensité du travail. La réorganisation des services constituait elle aussi une surcharge de travail, « Enfin, dans le sens ou les services, (…) urgences se réorganisaient, on travaillait un peu plus, » (I11). Il y a eu également une augmentation du volume horaire « La première vague, on a globalement bossé peut-être 50% de plus. » (I14). On note que cela ne se faisait pas ressentir dans le milieu libéral, avec une diminution des consultations associée au confinement « Avec la pandémie on s’est retrouvé avec zéro patient au cabinet… » (I5). L’activité libérale a été marquée à ce moment par l’essor de la téléconsultation « il y avait 2 mois de stage qui étaient seulement en téléconsultation » (I17).
Cette réorganisation globale a eu un impact notable sur la santé mentale car la saturation du système de soins s’accompagnait d’un sentiment d’impuissance « Les réa étaient saturées, on n’avait pas les Optiflows en service, on ne pouvait rien faire à part la regarder s’étouffer et l’accompagner au mieux. » (I10). Cela a également entraîné des conséquences sur la formation des internes. « C’était un peu l’euphorie, y a eu tout le monde qui a essayé de gérer avec les nouvelles informations, de gérer son emploi du temps qui change tout le temps, donc c’est vrai que c’était un peu difficile aussi de bien s’occuper de l’interne du service. » (I3).
En même temps, un manque de moyens matériels (notamment le matériel de protection et les tests de dépistages) s’est fait sentir, « On n’avait pas de moyens matériels tout simplement » (I4) ce qui a participé d’une part à créer un sentiment d’impuissance, et d’autre part à un sentiment de peur face à l’exposition à la maladie pour les soignants. De plus, les matériels de protection individuels étaient parfois difficiles à supporter « Et ça c’était en été, il faisait hyper chaud voilà donc c’était assez inconfortable. » (I1).
Cette crise sanitaire a aussi renforcé la conviction du manque de personnel médical et paramédical. De plus, il a fallu faire face pendant la pandémie à la maladie du personnel, ce qui a exacerbé ce manque préexistant, « On a beaucoup modifié le planning pendant cette période car il y avait souvent des internes en arrêt maladie, donc on avait pas mal de gardes. » (I9). Il y avait également des soignants qui ne voulaient pas s’exposer à la maladie, cela a eu un impact négatif sur la charge de travail, déjà lourde, des internes « J’ai vu des médecins à l’hôpital, un peu âgés, qui avaient un peu peur au début et qui se sont planqués, et qui ont dit « moi je ne vois pas de malades » (I15).
De tout cela, a résulté un changement d’ambiance dans le milieu professionnel. « On avait beaucoup plus de pression, beaucoup plus d’anxiété dans l’environnement (…) » (I6). Un climat de peur, voire de panique s’est installé dans le milieu professionnel « C’était une peur de nous remettre dans cette ambiance là, cette ambiance de peur, d’angoisse et un peu de panique aussi » (I3), qui allait de pair avec l’ambiance extra-professionnelle qui était également impactée « C’était un peu bizarre, il y avait personne dans les rues enfin c’était quand même un climat un peu bizarre…» (I11). Tous ces changements ont affecté les relations professionnelles entre les soignants. Les internes relataient certaines difficultés, comme la peur de la maladie, la pression, la fatigue, ce qui pouvait favoriser les conflits. « Tout ça dans ce climat anxiogène, ça peut créer des tensions, on se prenait plus la tête, même pour des bêtises. Par exemple, un jour une co-interne a cassé une de mes tasses préférées du coup ça m’a fait un peu péter un câble, alors qu’en temps normal je n’aurais peut-être pas eu cette réaction. Bref tout le monde était un peu sur les nerfs » (I15). Pour certains, il s’agissait d’une exacerbation de conflits préexistants « Donc toutes les petites inégalités, qui peuvent… enfin tous les petits trucs… toutes les relations parfois un peu tendues, infirmier-médecin, infirmier-interne… ben sont exacerbées. Je pense pas que ça ait créé de nouveaux problèmes relationnels. A mon avis ce sont les mêmes que ceux qui peuvent exister de manière générale mais exacerbés par (…) un sentiment d’épuisement global… » (I5). Les mesures d’hygiène en vigueur pour limiter la propagation du virus favorisaient l’isolement au travail « On était moins dans l’office, on prenait moins le café tous ensemble, il y avait moins de temps de partage pour connaître l’équipe… » (I21). Ces conflits ont aussi existé avec les patients et leurs familles. « Et les familles aussi, qui nous accusaient de tuer les petits vieux parce qu’on les avait mis ensemble dans la même chambre alors qu’on ne savait pas qu’ils étaient COVID. » (I6)
Malgré cela, il est ressorti de nos entretiens que la pandémie a été à l’origine d’une grande solidarité entre les soignants « On était tous beaucoup plus proches, on se soutenait et c’étaient vraiment des partages de vie. » (I6), ce qui d’ailleurs leur a permis de mieux faire face à la pandémie sur le plan moral.
Changement du rôle de l’interne
Dès le début de la pandémie les internes de médecine générale ont été en première ligne, ils se sont montrés très volontaires, « Il y a eu une période où on était plutôt des internes motivés du coup on bossait 6 jours sur 7 et si ce n’est le 7eme jour aussi » (I3). Ils ont aussi pu être réquisitionnés « On continuait à être réquisitionnés pour le COVID » (I16).
Ils ont dû trouver leur place, et s’adapter dans un système de soins en réorganisation face à l’urgence sanitaire. Ils ont assumé de nouvelles tâches en plus de leurs tâches habituelles, parfois au détriment de leur formation « C’étaient les internes qui cadraient la consultation donc qui prenaient les paramètres vitaux (tension si c’est un grand ou bien le poids, la taille, le périmètre crânien etc.) et ensuite on commençait la consultation dans un deuxième temps » (I1). De plus, ils ont su se montrer très polyvalents durant cette crise. « On nous a rajouté des tâches en plus, enfin déjà un interne c’est déjà relativement polyvalent mais là on nous a rajouté des tâches en plus, toujours par manque d’effectif. » (I2)
Les internes de médecine générale étaient d’ailleurs plus susceptibles de se voir réattribuer dans des services COVID que leurs homologues spécialistes « on avait un sentiment d’injustice parce que seulement les internes de médecine générale devaient aller en unité COVID alors que les internes de spé eux ils pouvaient rester en gynéco parce que c’était leur spé. » (I19).
De la même manière, la pandémie s’est traduite par une autonomisation rapide des internes de médecine générale, « On a appris à se débrouiller, encore plus que d’habitude. » (I6). S’il y avait une sorte de reconnaissance à être autonome, avec un sentiment de compétence, et d’apprentissage « Ça a été un peu… un petit accélérateur pour nous sur l’apprentissage, tu vois, de la médecine en pratique. » (I14), l’autonomisation était parfois excessive avec un ressenti de sur-responsabilités « Il m’est arrivé par exemple de faire une (…) une réquisition (…) alors que j’étais pas du tout habilité… » (I1). Cela a eu un impact sur leur santé mentale car ils craignaient de mal faire, en plus d’avoir un sentiment d’abandon de la part de leurs supérieurs « Je me suis souvent retrouvée seule, parfois vraiment à l’abandon » (I9). Ce manque de séniorisation rapporté par les internes dépendait des médecins séniors et des terrains de stages. Mais pour certains, il n’a pas été ressenti. Il était cependant d’autant plus mal vécu qu’il contrastait parfois avec une infantilisation dans le milieu extra-professionnel « J’avais l’impression qu’on avait le statut limite de médecins seniors à l’hôpital et à côté de… de d’enfants de maternelle à l’internat et je supportais pas cette dichotomie…» (I2). Cette autonomisation rapide se confrontait avec leur statut de médecin en formation. Elle était d’ailleurs mieux vécue chez les internes les plus avancés dans leur cursus « J’étais (…) assez vieux semestre quand ça a commencé la pandémie donc (…) au niveau de la pratique, de la séniorisation (…), ça n’a pas changé grand-chose…» (I12).
Les conditions de travail des IMG étaient déjà déplorées avant la pandémie « Je sais pas si la pandémie en elle-même elle a vraiment plus affecté les conditions de travail de l’interne de manière générale et les exigences qu’on attend de nous, et la quantité de travail que l’on fait et le volume horaire qu’on fait, la pression qu’il y a à être médecin et à avoir la responsabilité de patients, ça joue je pense sur le moral des internes… » (I5). Ils avaient déjà la sensation d’être « Corvéables à merci » (I1). Cette crise a souligné la vulnérabilité des internes. Plusieurs d’entre eux ont eu le sentiment de ne pas être assez protégés au cours de cette crise, « j’avais l’impression que, que c’était ‘vas-y, on envoie les jeunes au front’ » (I2), voir même d’être utilisé selon les besoins de l’hôpital pour pouvoir faire face à la pandémie « Le côté un peu ‘pion’ où on était bougé d’un service à l’autre en fonction des besoins des services.» (I16).
Au contraire, pour certains, la pandémie a eu comme point positif une prise de conscience de la hiérarchie vis-à-vis de la vulnérabilité de l’interne. Ainsi, ils ont été plus soignés et protégés « Peut-être un peu plus de considération sur tout ce qui est burn-out tout ça tu vois. J’ai l’impression que les chefs sont un peu plus sensibles au fait qu’il ne faut pas qu’on tire trop sur la corde, et qu’on s’épuise complètement au travail. » (I10).
La pandémie de la COVID-19, une rupture
La pandémie a été une rupture car elle a constitué un clivage entre les soignants et la population générale. Il s’agissait pour les internes du fait de devoir assurer son poste, même malade, parfois au détriment de leur santé « J’étais épuisée et fébrile, le COVID courait dans tous les sens, on avait ni traitement, ni vaccin, et on m’a quand même demandé intentionnellement de ne pas me tester et de continuer à travailler dans cet état pour faire tourner un service… » (I15). Cette différence de traitement entre le corps soignant et la population générale était dénoncée et mal vécue par les IMG « En fait les soignants (…) quand on est COVID+ et quand on était COVID+, on nous encourageait à aller -je vais pas dire forçait- mais on nous encourageait à aller quand même travailler, ça, ça m’a gêné. » (I1). Également, les internes de médecine générale n’ont pas bénéficié du télétravail, contrairement à la population générale « Je me rappelle qu’à certains moments, j’enviais mes proches qui n’étaient pas médecins ou soignants parce que soit ils étaient en télétravail chez eux, soit carrément ils ne bossaient pas du tout » (I20).
Il faut aussi noter qu’il y a eu un clivage au sein du corps hospitalier « T’avais un peu les 2 extrêmes c’est à dire (…) autant t’avais l’infirmière ultra stressée qui ne voulait pas venir, (…) qui dès qu’elle rentrait dans une pièce, il fallait tout aérer, il fallait pas quitter le masque 5 min, comme t’avais ceux qui s’en foutaient et qui continuaient à te faire la bise, comme si de rien n’était quoi (…) et il y avait ceux qui disaient que c’était un complot, les chinois et que ça n’existait pas quoi… » (I12). Cette divergence a eu un impact sur les relations professionnelles « Il y avait une méfiance aussi qui se faisait un peu chez certains praticiens, par rapport au virus, aux mesures gouvernementales, ça… ça a eu un impact aussi dans le rapport quand même aux gens » (I13). Par ailleurs, elle a également constitué une rupture au niveau temporel, avec “un avant” et “ un après” l’arrivée de la pandémie. Si le début a été particulièrement marquant, il y a eu une répétition, avec des vagues successives, des réadaptations, des surcharges de travail, des tensions, au sein du système de soins. « C’est un peu difficile parce que finalement ça a été une suite de changements et justement une nécessité de s’adapter à chaque fois. » (I9). Ce phénomène de répétition amenait à créer une appréhension à chaque nouvelle vague « Chaque fois qu’une vague revient, tout le monde se dit ‘qu’est-ce qu’on va encore prendre dans la gueule ?’ » (I20).
Malgré tout, une amélioration s’est faite sentir avec un retour progressif à la normale des conditions de travail « Il y a eu un avant et un après COVID, enfin à mon sens. Et quelque chose qui, petit à petit, a fait son petit chemin dans nos têtes, c’est-à-dire qu’au début c’était vraiment très bizarre, et tout a changé, et maintenant on revient un peu, à mon sens, à quelque chose de plus normalisé. » (I10). Si c’est en majorité grâce à la diminution de la virulence du COVID avec l’avancée de la vaccination, il s’agirait également d’une dédramatisation progressive, avec une nécessité de s’adapter à une pandémie qui semble s’installer dans le temps. « À mon sens, on a enfin récupéré… ce que j’avais connu en tout cas avant le COVID, comme organisation et changements. » (I11). Il y a eu au fur et à mesure une certaine banalisation « Je ne dirais pas qu’après, au fur et à mesure de la pandémie, on s’est habitué à voir des décès de patients COVID, mais un peu quand même. » (I18), pour faire face moralement à cette crise prolongée. Avec les vagues successives, une meilleure organisation s’est établie et le manque de moyens s’est résorbé « Les protocoles thérapeutiques étaient beaucoup plus clairs qu’au début, et les moyens mis en oeuvre étaient également différents, car à ce moment-là, on avait beaucoup de matériel consommable à disposition, les plannings étaient plus clairs, il n’y avait plus d’appel au volontariat » (I4).
Cependant, malgré l’adaptation permanente, les conditions de travail de certains internes restaient altérées après 2 ans de pandémie « J’ai refait des gardes aux urgences et j’ai retrouvé le même service que celui de mon premier stage, et j’ai trouvé que l’ambiance était vraiment différente avant et après la pandémie » (I18). Aussi, les conditions de travail difficiles pendant la pandémie ont laissé leurs traces sur le système de soins et chez le personnel soignant, notamment les internes en médecine. Il semblerait que ces conditions de travail, malmenées par le COVID, aient laissé place, à travers la fatigue, à un déclin motivationnel et à une lassitude générale « Là, en ce moment, nos équipes elles sont… elles sont… médecins comme paramédicaux, ils sont… on est fatigués de cette pandémie » (I5).
L’omniprésence et la monotonie du COVID
Au-delà des changements occasionnés par la pandémie, de nombreux internes rapportaient que les motifs de consultations étaient monopolisés par la COVID-19. La formation était centrée sur la prise en charge de cette pathologie. Ceci diminuait leur formation pratique sur d’autres pathologies au détriment de la COVID. « Du coup j’ai fait beaucoup, beaucoup de COVID à ce moment-là et moins d’autres pathologies. » (I8), « Ca a plutôt été néfaste au niveau de la formation.» (I12). Ils soulignaient un manque de diversité dans l’apprentissage. Ils avaient l’impression d’apprendre moins que ce qu’ils auraient pu apprendre hors pandémie. « J’’aurais peut-être pu apprendre d’autres choses s’il n’y avait pas le COVID. » (I7)
En plus de l’omniprésence du COVID, l’aspect répétitif des prises en charge COVID, peu stimulantes, a été souligné lors des entretiens « On meurt intellectuellement avec le COVID. » (I2), aspect qui semblait impacter sur la santé mentale des internes.
Parallèlement, plusieurs IMG ont évoqué le fait que le monopole du COVID pendant la pandémie, notamment pendant les premières vagues avait modifié la prise en charge des patients. « Je trouve que le COVID ça nous a fait un peu oublier parfois le bon sens clinique. Tu vois par exemple, un mec qui avait de la fièvre et qui était hypotendu tu pouvais complètement passer à côté d’une pyélo obstructive parce que tu étais focalisé sur le COVID. Donc parfois tu passais à côté d’un diagnostic parce que tu étais trop concentré sur le COVID, c’est fou quand même !» (I15). Certains patients avaient peur du COVID, ce qui les amenait à moins consulter « On lui avait commencé un traitement et en gros pour rien que par la peur du COVID elle ne voulait pas du tout revenir en consultation pour qu’on voit le suivi » (I12). La COVID-19 est également devenue une priorité, et les autres pathologies sont passées au deuxième plan « Du jour au lendemain voilà tout est devenu sous-priorité et tout était concentré sur cette maladie-là » (I2). Cette perspective, ainsi que le fait que le système de soins soit débordé a donné aux IMG l’impression de moins bien prendre en charge les patients non-COVID, de moins y être formés, et a eu des répercussions sur leur moral.
Cependant, certains des internes interrogés ne constataient pas de changement dans leur formation. D’autres, malgré les changements, estimaient que leur formation avait tout de même suivi son cours « j’ai quand même appris à être médecin » (I3).
Vécu d’une situation inédite
Cependant, si la réorganisation et le monopole du COVID ont été vécus négativement par les internes, vivre cette pandémie a aussi été vécu comme une opportunité. Être confronté à une crise sanitaire a permis pour certains de développer des compétences « Ça nous a appris à gérer une situation de pandémie ce qui est bienvenu dans une formation d’interne. » (I20). De plus, les internes avaient conscience qu’ils vivaient quelque chose d’inédit dans leur formation « C’est pas tous les jours que ça arrive une pandémie, voir comment c’était géré, comment les choses évoluaient, comment des médecins qui ont 40 ans de bouteille et qui sont censés t’apprendre la médecine arrivent à gérer quelque chose d’inédit… » (I2).
Par ailleurs, il existait un intérêt scientifique vis-à-vis de la découverte d’une nouvelle pathologie. « Je me suis dit, c’est incroyable ce qu’on est en train de vivre en tant que jeune médecin c’est quand même pas donné à tout le monde, on est en train de découvrir une maladie. » (I3) Les internes ont appris à prendre en charge une maladie inconnue, ce qui a été formateur « Niveau pratique, moi j’ai trouvé ça bien parce qu’on a appris des choses sur le COVID et sur sa prise en charge » (I18). Aussi, le COVID leur a ouvert des champs d’apprentissage nouveaux auxquels ils n’auraient peut-être pas été initiés hors pandémie « On a appris l’utilisation de… de matériel type Optiflow, des choses, comme ça » (I13). La nouveauté que constituait la COVID-19 au début était également enrichissante et stimulante professionnellement « En fait, c’est moi qui les appelais pour leur dire qu’ils étaient positifs et ils me donnaient leurs symptômes et en fait tous les jours je découvrais au fur et à mesure (…) les symptômes de la COVID-19 donc c’était plutôt très intéressant. » (I3).
Aussi, la pandémie aurait favorisé l’échange de connaissances entre les soignants, notamment les internes avec les médecins séniors, ceci favorisant la formation et ayant un impact positif sur le vécu de la pandémie « Il y avait une bonne organisation, beaucoup de discussion entre co-internes et avec les chefs et du coup ça a permis de faciliter les choses pendant le début de la pandémie. » (I9).
L’adaptation de la formation théorique
Avec l’arrivée de la pandémie, il y a eu une adaptation efficace de la formation théorique par la faculté d’Aix-Marseille, avec la mise en place rapide de cours par visioconférence qui ont minimisé l’impact sur la formation théorique. « Les cours à la fac ont quand même été maintenus et ils ont été proposés sur un autre support » (I5). Si la plupart des interrogés vantait ses avantages, à savoir le confort d’être chez soi, d’éviter les déplacements, de maximiser la concentration, d’autres déploraient au contraire un environnement moins propice à la concentration, à l’échange et à l’interaction. « On prenait les cours beaucoup plus à la légère parce que comme il fallait regarder une vidéo, on était beaucoup moins réceptifs» (I4) Les cours hospitaliers ont en revanche, connu de plus fortes perturbations au début de la pandémie et ont tardé à revenir à la normale « On a eu des cours mais qui ont été malmenés par le COVID parce que il y avait des cas contacts, parce que il y avait des cas positifs et cetera et que quand même on essaie de pas, de pas trop se rassembler dans une pièce fermée » (I1). Un des freins aux cours hospitaliers était notamment le fait que la formation théorique des internes à l’hôpital était mise en second plan après leurs obligations pratiques « On avait besoin de nous pour autre chose donc clairement notre formation en tant qu’interne est passée au second plan. » (I16).
Certains internes soulignaient cependant que la surcharge de travail dans leur stage rendait plus difficile leur implication dans la formation universitaire « Et forcément quand on a moins de temps pour se reposer, on a encore moins envie de faire les devoirs pour la fac. » (I2).. Enfin, certains regrettaient de ne pas avoir eu de cours adaptés à la situation pandémique en cours. « Le côté négatif c’est qu’ils auraient pu nous donner des cours sur la COVID-19, sa prise en charge, les dernières recommandations, pour nous aider en stage. » (I6).
De l’épuisement à l’anxiété
Les conditions de travail, vécues comme difficiles, ont causé de l’épuisement « J’étais même pas loin du burn-out. » (I10). La modification de la vie professionnelle, avec notamment le surmenage entraîné par l’activité professionnelle, a également laissé moins de temps aux internes pour prendre soin de leur santé mentale. Parallèlement, l’accès aux loisirs était restreint par les mesures sanitaires.
Cette surcharge de travail s’est accompagnée d’une surcharge émotionnelle. La confrontation à la mort de manière répétée a souvent été évoquée par les internes au cours des entretiens « C’était vraiment horrible de les voir tous les deux mourir de leur COVID devant moi et ça a été vraiment le truc le plus marquant que j’ai eu pendant toute la pandémie et même pendant mon internat » (I9). De plus, les patients atteints de la COVID-19 mouraient souvent dans des conditions particulières, loin de leur famille « Franchement, c’était hyper dur de la voir comme ça, déjà c’est dur de voir les gens mourir mais là dans ces conditions c’était vraiment très dur. » (I10). Il était souligné que la gestion de la fin de vie pendant la crise COVID-19 n’était pas optimale « C’était la gestion de la fin de vie des patients pendant la pandémie… je crois que ça s’est beaucoup moins bien géré que pour les autres (…) c’était un peu la vie à tout prix » (I13). Certains ont eu un sentiment de déshumanisation des patients, ce qui a été un poids émotionnel énorme « Quand on sortait d’une chambre et qu’on venait de mettre dans une housse tout nu un corps mort, qui est mort sans ses proches, qui a plus d’affaire personnelle et on sait que la famille ne pourra même pas le voir, on doit le mettre dans une housse étanche, ben on n’en sort pas indemne quoi. » (I2). Les rapports avec les patients et leurs familles étaient également déshumanisés « Je trouve que ça manquait d’humanité au niveau des relations et c’est dommage » (I20). Il est d’ailleurs ressorti que lorsque les internes avaient la possibilité d’accompagner dignement les patients, ils étaient moins impactés sur le plan psychologique « Mes collègues qui bossaient dans les autres services étaient souvent marqués par le fait de voir mourir des gens seuls sans leur famille, donc sur ce point-là j’ai eu la chance de pouvoir accompagner mes patients jusqu’à la fin avec leur famille à leur côté. Au moins ils ne mourraient pas seuls et c’est quelque chose d’essentiel pour moi. » (I16).
Une autre partie de la charge émotionnelle est venue de la compassion éprouvée par les IMG. Effectivement, la souffrance des patients se traduisait par la souffrance des soignants « Je trouve que moralement ça aussi, c’est difficile quand même de voir tous ces patients qui étaient infectés à l’hôpital. Enfin, c’est pas forcément évident… » (I17). Les internes étaient également affectés par la souffrance que créait la crise sanitaire sur leurs collègues « les équipes para-médicales, mes infirmiers, mes aides soignants qui me disent « p*****, nous on fait pas de la fin de vie quoi (…) nous on en a marre, on en a marre de débrancher des pousses seringue de cadavres pour les rebrancher sur le mec de la chambre d’à côté parce qu’il fait sa détresse respi. » (I5).
En plus de cela, le fait d’être en première ligne leur a permis de voir la potentielle gravité du COVID-19. Cela a été difficile à vivre pour eux, notamment le phénomène de « l’hypoxie heureuse » car il y avait une dissociation entre l’apparence clinique et la gravité réelle des patients « on a dû essayer de gérer le truc assez rapidement, pour qu’il soit transféré en réa, alors que le mec était fatigué et un peu dyspnéique… Mais c’était pas non plus la catastrophe, et c’est vrai que quand on a vu son scanner, il était tout blanc, il était affreux… » (I11). La rapidité de la décompensation respiratoire de l’infection par la COVID-19 été vécue comme brutale. Les IMG étaient également plus impactés quand il s’agissait de patients jeunes dans un état critique « ça m’a vraiment marqué parce qu’il était jeune et il avait des enfants jeunes aussi, (…) c’était dur de voir mourir un patient jeune comme ça. » (I20).
De plus, la conscience de la gravité a eu pour conséquence d’avoir peur pour leurs proches, avec un phénomène de transfert qui s’est créé « c’est là que ça a été un petit peu un coup de choc, parce que si tu veux ce patient, ça aurait pu être mon papa, dans le sens où tu vois je l’identifiais vachement à ça et…» (I11). Beaucoup d’entre eux ont dû assumer un rôle de médecin au-delà de leur activité professionnelle, auprès de leur famille par exemple « Je me suis senti, un peu, tu vois obligé d’appeler mes parents en leur disant ‘faites attention’ (…) enfin, tu vois, ‘faites pas de la merde, on sait pas ce qui peut se passer’… » (I11). Ce rôle de médecin a aussi été mis au défi, toujours en dehors des activités professionnelles, par les divergences d’opinion, et le complotisme, qui ont pesé sur les internes. « Parce que ceux qui criaient au complot, ceux qui jouaient pas le jeu des mesures barrières et tout ça, ça me mettait… je me suis transformée en une boule de nerf, un peu comme un obscurus dans Harry Potter. » (I2).
Tout cela a abouti à un épuisement qui les a fragilisés sur le plan psychologique « j’étais épuisée en plus donc j’encaissais moins bien. » (I9), certains ont même vécu la pandémie comme un traumatisme « Mais ensuite j’avais, je pense, -pendant un an à peu près- dès qu’une vague revenait, qu’il fallait des internes mobilisés pour aller travailler dans les services COVID, j’avais une énorme appréhension, des crises d’angoisse, un énorme stress de devoir retourner travailler dans ces services là » (I3).
Une évolution au cours de la pandémie
L’impact sur la santé mentale a connu une évolution au cours de la pandémie. Effectivement, l’acquisition de connaissances sur la COVID-19 et l’expérience acquise sur le terrain ont contribué à diminuer l’anxiété « Quand je me suis retrouvé une nouvelle fois face au COVID, tout simplement j’y suis retourné mais réarmé d’un point de vue moral et physique et là je n’ai pas souffert moralement de la pandémie. » (I4).
Parallèlement, la diminution des mesures restrictives a permis d’augmenter les loisirs extra-professionnels, ceci ayant un impact positif sur la santé mentale “Et puis les loisirs, ben j’étais dégoutée de pas continuer la danse au début de la pandémie, mais bon depuis j’ai repris donc ça va.” (I15). Aussi, cela a permis de lever un poids sur le plan social « là je vais à des soirées d’échanges linguistiques ou personne n’a le masque autour de la table, et puis je sais que c’est pas bien mais (…) Je sens qu’il est un peu temps (…) de me réouvrir quoi… » (I1).
Aussi, avec l’avancée de la pandémie, un espoir de fin se fait sentir parmi les IMG. Cet espoir est vécu positivement sur le plan moral « Après je pense que… on n’en sait rien hein, mais on va vers une baisse de la virulence du coronavirus, donc je pense que ça devrait rentrer dans l’ordre. » (I21).
Cependant, malgré cet espoir de fin de la pandémie, sa longueur a affecté négativement la santé mentale des IMG, « C’est fatiguant en fait, c’est usant là maintenant ma santé mentale évolue, c’est une fatigue chronique. » (I2). Effectivement, l’incertitude sur l’avenir et sur l’évolution de la pandémie, le manque de projection pèse sur les IMG interrogés.
La COVID-19 comme une révélation
Pour certains des internes, la COVID-19 a constitué une véritable révélation. Elle a permis une réorganisation des priorités, pour mettre leur vie personnelle avant leur vie professionnelle. « Je veux plus profiter de la vie avant de m’installer dans mon propre cabinet, je veux voyager, je veux profiter, et je ne veux plus me tuer autant au travail. » (I6). Les mécanismes les ayant poussés à ce choix étaient divers. Certains ont pris conscience, en étant confronté à la gravité de la COVID-19 en tant que médecin, que la vie était courte, et ont d’avantage envie d’en profiter « ça m’a fait prendre conscience aussi que la vie était courte et j’ai pas envie de mourir seule et compagnie… Donc voilà… et j’ai eu aussi beaucoup besoin de voyager… » (I2). D’autres estiment après la pandémie avoir une résistance moindre à la fatigue « j’ai une moins bonne résistance maintenant à l’épuisement et du coup je me dis que je ferai peut être plus du salarial dans des domaines que j’aime vraiment.» (I3).
Certains des interrogés avaient pour projet de s’installer ou de prendre un poste après l’internat, la pandémie les en a dissuadé. « J’envisageais de m’installer (…) en rural et maintenant, je me dis « bah je vais voir, je remplace et j’irai où bon me semble, ou peut être que j’irai pas, j’en sais rien”. ».
La pandémie a été pour certains des IMG décisive sur l’orientation de leur avenir professionnel. « J‘ai compris que je ne voulais surtout pas travailler à l’hôpital. Je préfère travailler en libéral. » (I6), « Je voulais initialement bosser en cabinet (…) finalement je me dis que j’aimerais bien faire un peu d’hospitalier (…). Ça m’attire bien le fait d’être entourée, d’être dans une équipe qui est soudée. » (I10).
Au contraire, avec les différentes réorganisations qu’a entrainé la pandémie, certains internes se sont aperçus des différentes possibilités d’exercice du métier de médecin généraliste. “c’est vrai que ça a un peu élargi finalement ma vision sur mon avenir à court/moyen terme.” (I1). La pandémie a également permis de trouver des nouveaux projets professionnels, en accord avec la prise de conscience qu’elle a entrainé. « Mon projet actuel, c’est d’ouvrir un centre de santé communautaire (…) pour les personnes précaires, et je pense que la pandémie a révélé à quel point les personnes les plus fragiles et les plus précaires sont en fait en première ligne des crises sanitaires (…) et qu’elles sont un peu oubliées du système, donc elles souffrent encore plus, (…) Ça m’a amené des réflexions que je n’avais pas forcément (…). » (I9)
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Table des matières
I- Introduction
II- Matériel et méthode
Type d’étude
Population
Recueil des données
Analyses des données
Aspects éthiques
III- Résultats
CONDITIONS DE TRAVAIL
Faire face à l’inconnu
Le système de soins au défi
Changement du rôle de l’interne
La pandémie de la COVID-19, une rupture
FORMATION
Un internat perturbé
L’omniprésence et la monotonie du COVID
Vécu d’une situation inédite
L’adaptation de la formation théorique
SANTÉ MENTALE
Le vécu des restrictions sanitaires
De l’épuisement à l’anxiété
Une convalescence difficile
Une évolution au cours de la pandémie
AVENIR PROFESSIONNEL
Une évolution de la profession
La COVID-19 comme une révélation
Des leçons pour l’avenir
VI- Discussion
Schéma explicatif
Résultats principaux
Forces et limites de l’étude
Comparaison avec la littérature
CONDITIONS DE TRAVAIL
FORMATION
SANTÉ MENTALE
AVENIR PROFESSIONNEL
Perspectives
V- Conclusion
VI – Références bibliographiques
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