La nouvelle épistémologie historique et ses applications : conséquences de l’historicité de l’objectivité 

Sens kantien et postkantien

Kant peut être vu comme le père de l’objectivité moderne telle que nous la connaissons, bien que sa définition du terme ne soit pas encore la même que la nôtre. En effet, c’est lui qui dépoussière l’objectivité et la subjectivité qui dorment au fond des écrits scolastiques pour leur redonner vie ainsi qu’une nouvelle signification.
Pour Kant, la « validité objective » ne renvoie pas à des objets externes mais aux « formes de la sensibilité » (temps, espace, causalité) qui sont les formes a priori de l’expérience. Le subjectifs’apparente, quant à lui, plus à la sensation empirique propre à chacun. Ainsi, ce qui sépare les deux termes, est une frontière entre le particulier et l’universel et non pas encore entre le monde et l’esprit. Ce n’est que plus tard, dans la réception des œuvres de Kant par des philosophes, mais aussides scientifiques, que la terminologie s’établit sous la forme que nous lui connaissons aujourd’hui.
Les scientifiques et philosophes qui s’inspirent de ces termes l’approprient tous à leur vision du monde ; en voici quelques définitions :
Pour Goethe : « le sujet est l’individuel, en l’occurrence le porteur ; l’objet, tout ce qui est sans lui. »
Helmholtz décrit l’Objectif comme ce que l’homme doit au monde extérieur (il y inclut l’histoire ; la physiologie et la physique) et le Subjectif comme ce qu’il acquit ou est susceptible d’acquérir par la contemplation intérieure. (Théologie ; mathématique ; logique ; métaphysique).
Mais cette distinction kantienne a un but épistémologique ; en effet elle permet d’interroger l’accès à la connaissance : « La seule chose qui ne se perdait jamais dans ce dédale linguistique, c’était la provocation épistémologique introduite par Kant avec sa distinction entre le valable objectivement et le purement subjectif».
L’importation de la terminologie kantienne de l’objectif et du subjectif dans les sciences du XIXème tend à fusionner l’éthique et l’épistémologie, l’accès à la connaissance passe par : « Une lutte de la volonté contre elle-même, et était ressenti comme tel […] La connaissance objective s’obtenait au prix de l’éradication de la subjectivité, décrite comme un combat postkantien de la volonté contre elle-même. »
Mais la norme que nous connaissons aujourd’hui est bien résumée dans l’interprétation que Coleridge en fait en 1817 : « Nous désignerons ci-après la somme de tout ce qui est seulement OBJECTIF sous le nom de NATURE, en restreignant le mot à son sens passif et matériel, qui comprend tous les phénomènes dont l’existence nous est connue. A l’inverse, la somme de tout ce qui est SUBJECTIF, nous le comprendrons sous le nom de MOI ou d’INTELLIGENCE. Ces deux conceptions se trouvent nécessairement dans un rapport antithétique. »
Le séisme que provoque ce changement de perspective crée de nombreuses incompréhensions car les mots utilisés n’ont plus le même sens. Le début du XIXème siècle est donc marqué par cette incompréhension chez les savants qui parfois utilisent les termes dans leurs sens scolastiques, et parfois dans leurs nouveaux sens kantiens ou postkantiens. Vers 1850, les termes nouveaux sont àpeu près connus et acceptés partout en Europe. L’objectivité et la subjectivité ont « effectué un virage sémantique de 180 degrés »tout en restant intimement liés.
Mais l’histoire de l’étymologie a-t-elle un réel rapport avec celle de la science ?
Un sceptique peut se poser la question suivante : « La distinction que nous faisons aujourd’hui entre objectivité et subjectivité n’était-elle pas déjà admise et observée dans les faits longtemps avant qu’apparaisse, dans les années 1850,un vocabulaire qui la rende explicite ? »
Daston et Galison répondent par la négative :
« Ces objections reposent sur l’hypothèse d’une coïncidence entre l’histoire de l’épistémologie et l’histoire de l’objectivité. Pour notre part, nous pensons que l’histoire de l’objectivité n’est qu’un sous-ensemble, certes extrêmement important, de l’histoire beaucoup plus longue et plus vaste de l’épistémologie définie comme l’étude philosophique des obstacles au savoir. Les diagnostiques philosophiques de l’erreur ne sont pas tous établis au nom de l’objectivité, parce que les erreurs ne sont pas toutes à mettre au compte de la subjectivité. Il existe d’autres manières de s’égarer dans la philosophie naturelle du XVIIe,tout comme il existe d’autres manières d’échouer dans la science des XXe et XXIe. ».

Le soi scientifique

Dans cette partie nous allons voir en quoi l’étude de l’objectivité est nécessairement liée à celle du soi. Nous verrons donc comment s’imbriquent épistémologie et ethos. « En s’appuyant sur les biographies et les autobiographies de scientifiques, les élégies académiques, les mémoires, les manuels de conseils pratiques, mais aussi des portraits réels de savants, on pourrait édifier une galerie de portraits prototypiques de savants liés à la nature, comme le sage perspicace ou l’ouvrier appliqué ».
Nous commençons alors ce travail à travers le personnage de Lacaze-Duthiers, mais nous cherchons à cerner « le type du scientifique, un idéal régulateur et non un individu de chair et desang ».

Histoire du Soi

Le terme de « Soi » apparaît pour la première fois en français dans la traduction de l’Essai sur l’entendement humain de Locke, opéré par Pierre Coste en 1700. Le traducteur veut insister sur la dimension réflexive contenue dans l’anglais « Self » et se démarquer, à la suite de Locke lui-même, du moi introduit par Descartes et Pascal. En effet, pour traduire le moi, doit-on utiliser me, my-self, self ou bien encore I ? C’est le Self qui est retenu, mais qui pose un problème à son tour, lorsqu’il doit être traduit en français ; self vient-il de my-self ou de him-self ? Ainsi on est partis du moi, et après un petit voyage en Angleterre, le voilà revenu sous la forme d’un soi.
L’histoire du soi est donc ambiguë et prête à confusion. Lorsque nous lisons la traduction française du livre « Objectivité », nous constatons qu’il est parfois fait mention du moi et d’autres fois du soi, et cette distinction est difficile à comprendre ; elle rend la lecture compliquée. Pourtant, dans sa version originale anglaise, la thèse de Daston et Galison utilise toujours le même terme, « Self ».

Les carnets de Lacaze-Duthiers

Mécanisation de la pensée

Lacaze-Duthiers tient une sorte de journal de bord qu’il écrit dans des petits carnets de façon quasi journalière. Il y note tout : comptes, devoirs, idées, résultats scientifiques, lettres, état de santé… sauf peut-être ses sentiments personnels.
Les notes sont écrites au crayon, sans ratures, très souvent sans ponctuation. Elles sont très spontanées et parfois même naïves. Les carnets de Lacaze-Duthiers sont entrecoupés par l’énumération de ses dépenses ; il en est même qui sont presque entièrement des carnets de comptes.
Il mentionne toujours les hôtels où il descend, quelquefois le numéro de la chambre, souvent la qualité des repas, leurs prix etc.
Une certaine sécheresse d’âme plane au-dessus de ces mots froids et y laisse entrevoir une sensibilité singulièrement refoulée. La seule note gaie et un peu humaine qu’on y perçoit se trouve dans les dessins qu’il fait. Des dessins qui, au plus grand étonnement, semblent parfois caricaturaux et donc laissent entrevoir la marque d’un laissé-allé du moi subjectif. Ce n’est pas tant des dessins scientifiques que l’on y trouve, mais des portraits de femmes espagnoles ou corses, des bâtiments en pierre qui donnent un rendu très esthétique avec un fort travail sur le clair-obscur. C’est peut-être le seul lien ou la seule trace de sa subjectivité qu’il ait laissé s’échapper parfois, au milieu de ses descriptions détaillées d’une froideur sans égal.
Cette tenue quasi dogmatique d’un carnet de notes sans âme montre l’exigence d’un Soi scientifique bien ancré dans son temps, et d’une nécessaire séparation entre les faits, les observations, expériences scientifiques et la vie sensible, les humeurs, les espoirs, les regrets… En effet, les carnets de notes sont des outils pour les scientifiques et non pas uniquement des pense-bêtes ou des « défouloirs de l’esprit ». Ils permettent la mesure, la réflexion positive et contribuent au maintien de la mémoire ainsi qu’au contrôle du moi. Ce contrôle passe tout d’abord par l’organisation méticuleuse de l’emploi du temps, de l’argent, du personnel des stations comme de l’esprit lui-même.
Le refus volontaire de mélanger ses sentiments à son travail scientifique est emblématique de la vertu épistémique qui domine ce siècle, à savoir l’objectivité mécanique. Le sujet est perçu comme un obstacle à la connaissance et la vérité ne peut être atteinte qu’en sacrifiant une partie de soi même, c’est-à-dire, toutes les idées abstraites hâtives, les penchants esthétiques, les spéculationsbrumeuses, mais aussi tout simplement la vie affective, les émotions et tout ce qui se rapproche de près ou de loin à une quelconque expression du sujet personnel.
Le carnet de notes est l’expression d’un Moi qui se retourne contre lui-même ; d’une volonté de non-volonté comme le dit Schopenhauer. Voilà une marque importante du Soi scientifique du milieu du XIXème siècle.
Mais un scientifique tel que Lacaze-Duthiers fait-il réellement une séparation nette entre le travail scientifique et la vie sociale et émotive, ou bien la vie sociale est-elle anéantie par ce premier ? En vérité, il y a un peu des deux. Notons d’abord que la volonté de non-volonté est une contradiction en soi et que le vouloir qui ne se veut plus, veut toujours. En effet, la volonté d’objectivité, c’est à dire, d’anéantissement du sujet, prend son élan dans le sujet lui-même. On conçoit alors assez facilement que l’objectivité recherchée dans ce Soi scientifique est une vertu idéale qui ne peut pas réellement s’atteindre. Elle est plutôt ce vers quoi le scientifique tend, sans jamais se réaliser complètement. Lacaze-Duthiers reste, malgré tous ces efforts, une personne douée de sentiments, de rapports à l’esthétique, de préférences, etc. Il a d’ailleurs écrit un journal, qui malheureusement a été perdu en grande partie, dans lequel le ton du récit change et devient littéraire, bien tourné, agréable à la lecture et laissant paraître des humeurs et des pensées. Il y raconte le récit de sa vie et de quelques uns de ses premiers voyages à la mer, de 1853 à 1858. C’est grâce à Pruvot, son successeur à Banyuls, que certaines pages de ce journal ont pu être sauvées de l’oubli, voici ce qu’il en dit : « Ce sont de grands feuillets couverts d’une fine écriture hâtive, sans surcharge, sans aucune rature. Sans préoccupation de style il y fixait ; le soir, à la hâte et non sans prolixité quelques fois, tout ce qu’il avait vu, fait ou subi dans la journée, descriptions de sites et de monuments, extorsions des hôteliers ou des bateliers, études de caractères, joies et déceptions du naturaliste, affres du mal de mer. C’est comme il le dit quelque part, une provision de souvenirs. Ce qui frappe surtout à leur lecture, c’est l’accent de simplicité, l’absence d’attitude ou d’émotion factice, et surtout l’ardente recherche des sujets de travail, la tranquille ténacité avec laquelle il s’expose de nouveaux aux épreuves déjà subies pour augmenter ses matériauxde travail » Voici un exemple du journal de Lacaze-Duthiers, toujours cité par Pruvot : « Ce qui m’a frappé à Barcelone, c’est la cathédrale. Elle est inachevée, mais elle est magnifique, et sombre comme toutes les églises espagnoles. Combien il est pénible de n’avoir pas assez d’instruction en toutes choses pour se rendre compte de l’époque et du style des objets que l’on admire ! Il doit en être pour l’art comme pour la science. Une fleur frappe parson coloris. Celui qui manque de connaissances scientifiques ne cueille que pour ses belles couleurs ; mais le botaniste analyse chaque partie, et chacune d’elle lui fournit un sujet d’admiration égale à celle que l’ensemble vague de la fleur avait fait éprouver au premier ». Lacaze-Duthiers a évidemment une vie affective et de nombreux amis ; il est aussi très proche de sa mère qui occupe souvent ses pensées et à qui il écrit de nombreuses lettres. Il a aussi des idées générales, philosophiques sur la nature, la science, etc. Mais tout ceci est restreint et mis de côté lorsqu’il s’agit de faire de la science. Mais d’un autre côté, on constate que sa v ie affective est relativement plate et passe sans doute bien loin derrière ses préoccupations scientifiques. On relève de très rares passages où il pense à une autre vie : « Le bonheur que j’éprouve à étudier la nature, pourra-t-il s’émousser jamais ?….Si quelques fois, après avoir examiné assidûment pendant des journées entières les germes qui, sous mes yeux, subissaient leurs transformations successives, je me surprenais à réfléchir, à penser à autre chose, je n’avais qu’un regret, celui de n’être pas uni à une personne qui me fût sympathique et à qui il me fût possible de communiquer mes impressions avec certitude de les voir comprises, en même temps que les faits qui les faisaient naître exciteraient l’admiration de celle que je rêve d’avoir pour compagne, mais que probablement je ne rencontrerai pas. Je me suis parfois trouvé seul, bien seul, à Saint- Jacut… »

Réinterprétation des carnets de notes en utilisant la thèse de Daston et Galison

En toute honnêteté, les carnets de notes de Lacaze-Duthiers, qui étaient à ma disposition au centre de Banyuls et que j’ai consulté dans le détail, sont quasiment illisibles. J’ai perdu beaucoup de temps à essayer de les déchiffrer tant bien que mal, et les rares notes que j’ai relevées étaient souvent décevantes. Je m’attendais à des révélations philosophiques et je ne trouvais que des comptes, des faits de peu d’importance, des descriptions de son état de santé comme de celui de son portefeuille…
Mais il y a là, la preuve d’un moi attiré par la mécanisation de son propre être. En notant tout, LacazeDuthiers devient une machine enregistreuse, au même titre que l’appareil photographique. Sa pensée même, doit se structurer en partie avec ses carnets, et ces derniers reflètent sans doute au moins une partie de son moi ; celle qui tend à s’auto-annihiler, celle qui cherche l’objectivité mécanique. Onpeut penser que le moi a donc deux faces ; celle des carnets et celle du journal. Mais en réalité, on constate que les deux s’interpénètrent.
La division du moi entre le moi scientifique et le moi social (extra-scientifique) est évidemment impossible, car l’objectivité est un idéal inatteignable. Mais nous ne devons pas pour autant négliger cette étude, sous prétexte qu’elle n’arrive pas à saisir deux parties bien distinctes, deux catégories essentielles ; ce qui est alors contradictoire avec ce que nous venons de dire. Ce qui nous intéresse, c’est le fait que le Soi scientifique se construise sur cet idéal inatteignable. Encore une fois, nous ne cherchons pas à étudier une nature morte ; nous voulons analyser la science « en train de se faire ». En un mot, la catégorisation n’est jamais objective, mais elle agit toujours sur les objets qu’elle désigne, à condition que ces objets aient une conscience ; or, c’est le cas de Lacaze-Duthiers et de sa quête d’objectivité. Voilà donc ce qu’on peut appeler un lot de consolation théorique. A défaut de trouver des grandes phrases, j’y ai finalement trouvé une preuve matérielle de l’objectivité. Mais une autre idée m’est venue lorsque, par miracle, les archivistes qui m’ont accueilli, retrouvèrent un article de George Petit qui fournit le travail titanesque de déchiffrer toutes les notes de Duthiers. Aujourd’hui encore, je ne saurais assez remercier les archivistes mais aussi George Petit qui, il faut le dire, m’a épargné du temps et un travail pénible. Je pouvais ainsi réconforter ma capacité de déchiffrage, et comparant mes résultats avec ceux de l’article, je récoltais toutes les données supplémentaires me paraissant nécessaires. Mais ce qui est le plus intéressant, ce n’est pas tant les faits, mais l’interprétation que l’auteur en tire. Il se trouve qu’il reconstruit une sorte de psychologie du personnage à travers ces carnets de notes.
Donnons quelques exemples : « Au milieu des terres et des bois, dans la triste demeure de Stiguederne, au contact d’un père certainement plus qu’autoritaire, auprès d’une mère bien effacée, l’enfance de Lacaze fut marquée de sévérité, amenant pour lui des heurts fréquents, créant des refoulements et des complexes. Cette enfance pesa sur toute sa vie. Ainsi, son esprit d’entreprise, qu’il tenait deson origine gasconne et qui est un des traits de son caractère, se tempérait de timidité et de méfiance. Cette méfiance l’entraînait à être timoré. »

Étude des animaux inférieurs

L’étude des invertébrés

La zoologie est un exemple phare de la limite de cette conception de vérité d’après nature au XVIIIème et début du XIXème, qui finit par bloquer l’avancée de la connaissance dans ce domaine.
L’étendue et la variété du règne animal est telle, qu’elle contredit en permanence les théories explicatives. Le besoin impérieux de classifier les êtres se trouve confronté à un chaos de variétés complexes et d’aberrations qui sortent en permanence des simples schémas proposés par les plus grands savants. Cette variété effraye plus qu’elle n’inspire, et c’est ainsi que l’on retrouve dans ce domaine, des idéalisations extrêmes concernant l’étude des animaux. La zoologie entame son réel développement lorsqu’elle sort de ces schémas mentaux fermés et qu’elle commence à étudier « la nature dans la nature même ». L’étude des invertébrés et, plus généralement, du milieu marin, marque un progrès immense dans le développement de la science zoologique. « Il ne faudrait pas remonter bien loin pour voir la zoologie bornée pour ainsi dire aux animaux supérieurs, ou bien encore pour la voir s’attacher presque exclusivement à la description de l’extérieur des individus entassés dans les musées. De nos jours, les zoologistes comprennent que ce n’est plus une série de dépouilles qu’il s’agit d’étiqueter ; aussi, à côté de l’étude de l’extérieur, placent-ils non-seulement l’anatomie qui déjà ne marche plus sans la physiologie, mais encore l’observation de l’animal vivant, de l’animal dans les conditions biologiques qui lui sont propres » Lacaze-Duthiers est l’un des précurseurs de cette nouvelle méthode qui consiste à étudier les animaux dans leurs milieux et donc à privilégier l’étude directe de la nature, l’étude de terrain, par rapport à celle qui se fait exclusivement dans les universités et au travers des livres. De là, ses nombreux voyages sont la conséquence forcée du désir et de la nécessité de bien étudier, de mieux connaître les animaux. De là vient le nombre croissant de naturalistes qui sont partis dans « des pays lointains chercher et fouiller les secrets de la nature !» . Et si la mer attire tant, c’est que là-bas, on y « trouve à profusion des objets d’études sérieuses[…]C’est qu’on a senti avec raison que dans lesinvertébrés sans nombre qui peuplent les eaux marines, on pouvait espérer trouver la base desprincipes de la philosophie naturelle ».
Mais l’étude des principes de la philosophie naturelle, comme le dit Lacaze-Duthiers, n’est pas dans les priorités de l’époque. Lacaze-Duthiers revient souvent sur cette « utilité », trop souvent demandée aux savants ; d’ailleurs nous y avons consacré toute une partie de notre mémoire et nous renvoyons donc à celle-ci pour plus de détails.
En fait, les recherches se sont réellement mises en place à partir du moment où l’on a « reconnu enfin quelle importance avait la connaissance de l’étude des invertébrés, de ces êtres que,naguère, on disait imparfaits, et qu’on nommait des ébauches de la nature ».

Exemple de l’utilité de la zoologie

Voici un exemple de la façon dont l’étude de la zoologie pure, peut être ramenée à d’autres branches de la science, et démontrer une certaine utilité pratique ; qu’elle ne revendique pas au premier abord, mais, qui sert toujours de faire-valoir et de reconnaissance auprès des autres savants.
Tout d’abord, les faits nouveaux paraissent d’un intérêt purement scientifique et une application quelconque en semble si éloignée. En effet, que pouvons-nous tirer de l’observation détaillée du fait qu’une Méduse se détache d’une branche d’un Sertularien ou Polypier flexible ?
Cependant, les bases de l’Helminthologie sont complètement liées à ce fait, dont la pertinence peut être jugée par ce qui va suivre.
On dit que ce sont les médecins qui, les premiers, décrivent les vers parasites de l’Homme ; et cela est tout à fait vrai. « Ils les ont étudiés avec ce soin, avec cette attention qu’on leur voit apporter à toutes les choses de l’anatomie pathologique. Mais quels progrès doit-on à leurs travaux purement descriptifs et médicaux ? En est-il un qui se soit douté de l’origine du Ver solitaire, pour ne prendre qu’un exemple ? Ce n’est pas s’engager beaucoup en répondant : non. Sans doute il est utile de décrire l’objet que l’on veut faire connaître, mais à quel résultat arriverait le naturaliste qui n’étudierait que le papillon et qui ne saurait pas qu’il s’est dégagé de l’enveloppe lourde et pesante de la Chenille ».

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Table des matières
Introduction 
PREMIÈRE PARTIE La nouvelle épistémologie historique et ses applications : conséquences de l’historicité de l’objectivité 
1.1 Henri de Lacaze-Duthiers
1.2 Histoire de l’objectivité
1.2.1 Sens Scolastique
1.2.2 Sens kantien et postkantien
1.3 Le soi scientifique
1.3.1 Histoire du Soi
1.3.2 Deux visions distinctes du Soi (Diderot et William James)
1.4 Les carnets de Lacaze-Duthiers
1.4.1 Mécanisation de la pensée
1.4.2 Réinterprétation des carnets de notes en utilisant la thèse de Daston et Galison
1.5 Étude des animaux inférieurs
1.5.1 L’étude des invertébrés
1.5.2 Exemple de l’utilité de la zoologie
1.5.3 Briser la hiérarchie des êtres
1.5.4 Haeckel contre His : le choix d’une vertu
2 DEUXIEME PARTIE Epistémologie de Lacaze-Duthiers 
2.1 L’école des faits et l’école du raisonnement
2.1.1 École des faits
2.1.2 L’école du raisonnement
2.1.3 Troisième école
2.1.4 Prise de conscience de la connaissance pratique chez Lacaze-Duthiers
2.2 Artistes et scientifiques
2.2.1 Le génie et le scientifique
2.2.2 La vision à quatre yeux
2.2.3 Séparation de l’artiste et du scientifique
2.3 Révolution de la zoologie
2.3.1 Zoologie : Comment doit-elle fonctionner ?
2.3.2 Claude Bernard et la vision de la médecine
2.3.3 Bernard contre Lacaze-Duthiers
2.3.4 Exemple du Sitaris
2.4 Appel à l’expérimentation
2.4.1 Le rapport avec la philosophie des sciences
2.4.2 Retour à Bacon
2.5 Pureté de la science
2.5.1 Le point de vue élevé
2.5.2 Interprétation du point de vue de l’objectivité mécanique
3 TROISIEME PARTIE Les stations maritimes de Roscoff et Banyuls 
3.1 Nouvelles méthodes d’observation
3.1.1 Guerres franco-prussiennes
3.1.2 Evolution des méthodes d’observation
3.1.3 Fondation des premières stations
3.1.4 Station de Naples
3.2 Les stations de Lacaze Duthiers
3.2.1 Roscoff
3.2.2 Banyuls
3.3 Vision de la recherche appliquée aux stations
3.3.1 Contre le luxe
3.3.2 Pour l’établissement permanent des chercheurs
3.3.3 Pour la gratuité de la recherche
3.3.4 Chercheurs et étudiants ensemble
3.4 L’exemple
3.4.1 La longue expérience
3.4.2 L’héritage de Lacaze : la révolution sans la théorie
Conclusion 
Bibliographie 
Annexes

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