La théorie de la politesse
L’ADI développe d’autre part la notion de rituel et de politesse. Ces deux notions sont étroitement liées au processus de construction de l’ethos dans l’interaction. Nous présentons dans le point suivant les concepts qui sont liés à cette théorie.
Brown et Levinson
Les études sur la politesse ont été développées à la fin des années 70 par Levinson et Brown. Pour ces deux chercheurs, la politesse est le principe qui régit les relations sociales et les usages du langage.
En empruntant la notion de face à Goffman, Brown et Levinson considèrent que cette dernière se divise en deux types, d’une part il y a la « face positive », d’autre part, il y a la « face négative ». La première correspond au fait que chaque membre de l’interaction ait envie que ses actions ne soient pas gênées par les autres partenaires10. La deuxième correspond au fait que chaque participant veuille que ses envies soient appréciées par les autres partenaires11 (‘face-want’). La face positive et la face négative correspondent respectivement aux notions goffmanienne de la face et du territoire.
D’après les deux chercheurs, la face peut être perdue ou maintenue pendant l’interaction.
Ils notent qu’il existe une multitude d’actes de langage qui représentent une menace pour la face positive et la face négative. Ces actes sont appelés actes menaçants pour la face ou Face Threatening Acts (FTAs). Les actes menaçants sont tous les actes ayant un effet négatif sur la face ou le territoire de l’un ou de l’autre des deux partenaires de l’interaction, par exemple, la requête ou la critique. De ce point de vue, Brown et Levinson considèrent que la politesse est un moyen qui permet d’adoucir les FTAs et de les rendre moins menaçants. Cela est réalisé grâce à la mise en oeuvre de stratégies choisies par les interactants. Ils proposent un modèle constitué de cinq grandes stratégies de politesse employées dans l’interaction. Kerbrat- Orecchioni les traduit comme suit12 : ne pas accomplir le FTA /accomplir le FTA non ouvertement/ ouvertement politesse positive/ politesse négative avec une action réparatrice/ sans action réparatrice (1992 : 174).
Afin de minimiser les menaces, le locuteur peut choisir entre ces stratégies en fonction du degré de menace. Plus la menace pour la face est forte, plus la stratégie choisie est d’un degré élevé, et ce, pour assurer une efficacité maximale. Les stratégies de politesse qui assurent l’accomplissement explicite d’un FTA avec une action réparatrice correspondent à deux types de politesse : la politesse positive et la politesse négative. La première, notent les auteurs, est destinée à sauver la face positive, elle consiste à rendre les actions de l’interactant appréciées par ses partenaires. Elle est utilisée dans les relations entre interlocuteurs intimes (montrer sa fraternité et sa solidarité). La seconde consiste à sauver la face négative, elle correspond au maintien de la face négative de l’interactant par autrui. Elle consiste à réduire les actions qui troublent ses libertés. Elle est au centre des relations non-intimes et donc basée sur le respect.
Par ailleurs, si le locuteur produit non ouvertement un FTA (stratégie niveau 4), cela signifie qu’il produit un acte de langage indirect et une communication indirecte. Donc cette stratégie est utilisée dans le cas où celui-ci désire produire un FTA mais sans avoir l’intention d’en être responsable. Par conséquent, cette stratégie force l’interlocuteur à déduire l’intention du locuteur puisqu’il s’agit là d’un acte de langage indirect.
Kerbrat-Orecchioni
Il faut dire que Kerbrat-Orecchioni est la première qui aborde le phénomène de la politesse linguistique en France. Elle s’est inspirée des travaux de Brown et de Levinson et a affiné leur théorie. Ses recherches ont permis d’éclairer certaines confusions du modèle des deux auteurs. Elle décrit les règles de fonctionnement du phénomène dans son ouvrage tome II, (1992) où elle propose un modèle global et systématique de la politesse. En plus de la notion de FTA, l’auteure introduit celle de FFA (Face Flattering Act).
Elle redéfinit également la notion de politesse positive et de politesse négative du point de vue des principes de « A-orientés » et de « L-orienté ».
La notion de FFA
Dans leur perspective, Brown et Levinson n’abordent que les actes de langage qui sont potentiellement menaçants pour les faces positive et négative, c’est-à-dire des FTAs. Ce qui signifie que les deux chercheurs considèrent la politesse d’un point de vue « pessimiste ».
Cependant, les recherches de Kerbrat-Orecchioni ont permis d’envisager une autre facette de la politesse : il existe d’autres actes de langages ayant un effet positif pour la face. En effet, dans la vie quotidienne, il existe bon nombre d’actes de langage qui valorisent la face des interactants : le compliment, le voeu, le remerciement, etc. Ce genre d’acte est appelé par l’auteure FFA ou Anti-FTA. On obtient par conséquent, deux grandes catégories : FTA et FFA.
Cet apport permet de mieux cerner la notion de politesse positive et de politesse négative.
La politesse positive et la politesse négative
Brown et Levinson considèrent que la politesse positive est uniquement orientée vers la face positive, et que la politesse négative est seulement orientée vers la face négative. De ce fait, Kerbrat-Orecchioni souligne la confusion qu’il y a dans la relation entre la notion positive et négative de la politesse, la face et le FTA du point de vue des auteurs. Elle note que le FTA peut menacer du même coup la face positive et la face négative de l’interactant.
Elle remarque également qu’il y a une ambiguïté dans l’usage des adjectifs « négatif » et « positif » selon qu’ils désignent la face ou la politesse. L’auteure explique que la confusion réside dans le fait que les deux chercheurs n’identifient pas la catégorie des FFAs. Kerbrat-Orecchioni souligne donc la différence entre la politesse négative et la politesse positive :
La notion d’ethos
L’ethos est également appelé la présentation de soi. Cette notion est très ancienne. Elle remonte à l’époque des orateurs grecs. Elle a fait l’objet de nombreuses recherches dans différents domaines : la sociologie, la rhétorique, la linguistique pragmatique, l’analyse du discours, l’analyse des interactions, et bien d’autres.
L’origine antique
Les Grecs définissent l’ethos comme l’image que l’orateur donne de lui-même à travers son discours. L’ethos représente la manière et le style que doit adopter l’orateur pour donner une bonne image de lui (crédibilité et sympathie). L’ethos est l’un des éléments du triangle de la rhétorique qui constitue le modèle rhétorique requis pour convaincre son auditoire.
L’ethos aristotélicien
A l’époque grecque, cette notion est développée par Aristote où il explique également les règles essentielles de l’art de bien parler. En effet, pour le philosophe, la construction d’une image de soi se fait dans le discours. Barthes explique que l’ethos aristotélicien consiste dans les « traits de caractère que l’orateur doit montrer à l’auditoire pour faire bonne impression ». En fait, l’ethos n’est pas explicitement exprimé par l’orateur, « l’orateur énonce une information et en même temps il dit : je suis ceci, je ne suis pas cela » (1994 : 315). Aristote précise également le travail de persuasion qui se fait par la mise en oeuvre de l’ethos :
D’autre part, dans la rhétorique aristotélicienne, trois preuves sont nécessaires au travail de persuasion de l’orateur : LOGOS, ETHOS et PATHOS. De plus, le logos et le pathos convergent, sous forme triangulaire, vers l’ethos, c’est-à-dire qu’ils y sont étroitement liés.
Pour Aristote, l’ethos constitue presque la plus importante des preuves. Ce qui signifie que les deux autres éléments viennent donc renforcer l’ethos.
En outre, l’auteur attribue à l’ethos trois aspects essentiels sans lesquels l’auditoire perdra confiance en l’orateur :
L’ethos des orateurs grecs et romains
Dans la tradition des orateurs grecs, il existe, parallèlement à la notion aristotélicienne de l’ethos, une conception différente qui est promue par d’autres penseurs tels qu’Isocrate (436- 338 av.-J.-C.). Pour ce dernier, ce qui est essentiel dans le travail de persuasion, c’est la réputation préalable (le « nom ») de l’orateur et non la manière dont il se présente à travers sa parole. Isocrate met donc l’accent sur l’être préalable de l’orateur : pour réussir à inciter l’auditoire à la vertu, il faut que celui-là soit lui-même un homme vertueux.
De même, dans la tradition romaine, on s’éloigne de la conception aristotélicienne de l’ethos. De manière générale, pour les Romains, l’ethos est considéré comme étant une donnée existant au préalable où l’orateur « apporte son bagage personnel, ses ancêtres, sa famille, son service pour l’Etat, ses vertus romaines, etc. » (Kennedy, 1963 :100).
En s’inscrivant dans la même lignée que Cicéron, Quintilien dira qu’un homme de bonnes moeurs est « seul à pouvoir bien dire ». Selon lui, la preuve avancée par la vie d’un homme est plus pesante que celle que peut donner son discours.
Par ailleurs, Cicéron ajoute un autre caractère dans le travail d’orateur : la sympathie . Selon lui, l’orateur ne peut inspirer confiance que s’il met en lumière sa sympathie. Le philosophe associe donc l’ethos à l’art de toucher l’auditoire.
A partir de la conception de Cicéron, la notion de l’ethos et du pathos sont rapprochées et assimilées. C’est ce qu’on trouve fréquemment dans la rhétorique de l’âge classique, et même dans les réflexions contemporaines.
L’ethos dans la rhétorique classique
Les manuels de rhétorique de l’époque classique s’inscrivent, à leur tour, dans la même perspective cicéronienne. Aron Kibédi-Varga (1970) et Michel Le Guern (1977) ont effectué leurs travaux sur la question de la rhétorique de cette époque. Ils soulignent donc que la personne de l’orateur est jugée par son comportement dans sa vie quotidienne : son autorité morale est assurée si son comportement est louable.
On parle également des qualités que doit posséder celui qui veut gagner les esprits (l’orateur) : ce qui importe ce n’est pas ce qu’il montre dans son discours, mais plutôt ce qu’il est comme personne. Gibert distingue, pour sa part, entre « moeurs oratoires » et « moeurs réelles » :
Cependant, pour Gibert, on peut reconnaitre les moeurs réelles d’un orateur à travers son discours. Et ce, grâce à la connaissance du rapport entre les moeurs oratoires répandues et les moeurs réelles. Ainsi le discours est comme un miroir représentant son orateur. Autrement dit, il existe une liaison harmonieuse entre ce qu’est l’orateur et l’image que traduisent ses paroles. Ce faisant, celles-ci ne peuvent pas trahir son image réelle.
En somme, à cette époque, comme le souligne Amossy (2006 ; 73) l’ethos « se confond alors avec les moeurs et la question de la moralité du locuteur comme être dans le monde ».
L’ethos chez Maingueneau
A la lumière des travaux de Benveniste et de Ducrot, Maingueneau développe le concept de la construction de l’image du locuteur. Pour lui également, la construction de l’ethos se fait dans le discours. Son apport est particulièrement enrichissant pour l’étude linguistique de l’ethos.
L’auteur déclare qu’il existe, dans la prise de parole, des représentations que se font les partenaires de l’énonciation l’un de l’autre. En outre, il distingue deux types d’ethos : « l’ethos discursif » et « l’ethos prédiscursif ».
Dans la même perspective, Maingueneau s’interroge sur la possibilité d’intégrer d’autres paramètres (autres que le verbal) pour étudier la construction de l’ethos dans le discours. Il conçoit cette opération comme délicate ; car, pour lui, l’ethos est un comportement complexe qui combine le verbal et le non-verbal et produit chez l’interlocuteur des effets qui ne sont pas dus qu’aux mots. Donc d’un point de vue plus élargi, tous ces paramètres peuvent être pris en considération.
De plus, selon l’auteur, lorsque l’énonciateur prend en charge son discours, il est contraint par certaines circonstances. Ces contraintes correspondent à ce qu’il appelle la « scène d’énonciation ». Il en propose trois types : « scène englobante», « scène générique » et « scénographie ». Pour les deux premiers, chacun correspond à des genres discursifs précis. Quant à la « scénographie » ou « scène d’énonciation », elle est présente dans le discours lui-même. L’énonciateur est tenu de choisir le rôle qu’exige chaque genre de discours relatif à la scène d’énonciation. Il existe dans chaque genre une scénographie qui lui correspond. C’est une sorte de scénario, fixé au préalable, que l’énonciateur doit interpréter :
Chez Maingueneau, la notion d’ethos est reliée au « ton » qu’il définit comme étant la « voix » que possède le « corps énonciateur ». Celui-ci est appelé le « garant ». Au-delà des preuves verbales de la subjectivité, l’auteur ajoute des indices physiques.
Enfin l’auteur parle d’une interaction entre plusieurs types d’ethos dans le discours: l’ethos prédiscursif, l’ethos discursif (ethos ) et parfois avec l’ethos directement par l’énonciateur, par exemple « c’est un ami qui vous parle », ou indirectement tel que dans l’exemple cité sur François Mitterrand pendant la campagne électorale de 1988 où il compare sa propre énonciation à « la parole du père de famille à la table familiale » .
La perspective de Maingueneau nous aidera à voir les différentes facettes de l’ethos à travers le discours en interaction qui est pris en charge par l’animateur de l’émission. Dans notre analyse, nous empruntons particulièrement à Maingueneau le concept de l’ethos discursif et l’ethos prédiscursif.
De Goffman à l’analyse des interactions
Goffman revisite la notion d’ethos en l’introduisant dans une perspective interactive. La notion de l’ethos chez le sociologue est connue sous le nom d’«image de soi » ou « présentation de soi » d’où le nom de son ouvrage.
Goffman considère que l’individu construit au cours de l’interaction une certaine image de soi. Cependant cette image ne reflète pas forcément sa véritable personne. En fait, le locuteur investit des moyens implicites, que l’auteur appelle l’« appareillage symbolique », d’une part, pour exercer le rôle interactionnel adéquat à la situation de communication ; d’autre part pour assurer le bon fonctionnement de l’échange interactionnel.
Cela nous amène à établir des analogies entre le concept goffmanien de l’image de soi et la notion d’ethos chez Aristote. En effet, dans la rhétorique, l’ethos contribue à la réussite du travail de l’orateur.
Cependant les perspectives sont différentes dans la mesure où pour l’approche rhétorique, l’auditoire n’est pas impliqué dans le discours. L’ethos se construit uniquement du côté de l’orateur. Celui-ci possède des représentations de l’auditoire qui ne changent pas au cours de son discours. Pour Goffman, en revanche, l’image de soi est construite de façon interactive.
Ainsi sa construction demande l’apport du partenaire de l’interaction. Dans la rhétorique, l’orateur élabore à l’avance son discours et ne le change pas lors de sa mise en oeuvre. Par contre, pour l’approche interactionniste de Goffman, l’interlocuteur est présent dans l’interaction et exerce des influences sur la parole du locuteur. Cette parole est souvent sujette aux changements et est parfois complètement réorientée par rapport à ce que le locuteur a initialement prévu. Cette approche explique le travail de co-construction des images et des représentations réciproquement construites par chaque interactant. Nous précisons que la conception de l’ethos que nous adoptons ici n’est pas celle de la rhétorique (ethos oratoire) mais plutôt une vision interactionnelle de la notion (ethos en action).
Dans le cadre des interactions verbales, la notion d’ethos est en fait liée à « un processus interactif d’influence d’autrui » (Maingueneau, 2002 : 59). L’ethos en interaction est la mise en oeuvre de différentes stratégies en fonction des données interactionnelles notamment la confrontation aux images des interlocuteurs. L’interactant effectue un travail de négociation afin de préserver et valoriser son image. Pour assurer cela, il doit être capable d’utiliser des moyens efficaces et adaptables à l’ethos des partenaires de l’interaction. En somme, la construction de l’ethos est un travail incessant et susceptible d’être modifié ou négocié au cours de l’interaction conversationnelle. Cela dépend des contraintes interactionnelles internes et externes.
Par ailleurs, il est à mentionner que la notion de face –développée plus haut– est en rapport avec l’ethos puisque la face est l’image positive revendiquée par l’individu. Il en est de même pour la notion du travail de figuration où il est question pour l’interactant de protéger son image positive.
L’interaction médiatique
Les interactions verbales existent sous différentes formes. Elles sont liées à plusieurs facteurs qui peuvent déterminer leurs typologies : le type de rencontre des participants à l’interaction (les interactants), leur relation interpersonnelle, la nature du site, le but de la rencontre, etc. Notre corpus appartient à la catégorie des interactions médiatiques. Celles-ci sont différentes des conversations naturelles dans le sens où elles ne sont pas tout à fait spontanées comme dans le cas des conversations ordinaires. Autrement dit, les interactions médiatiques se distinguent des conversations ordinaires par leur caractère préétabli. En effet, il existe certaines contraintes qui régissent le déroulement de l’interaction : le nombre de participants, le lieu de l’interaction (généralement dans le studio d’enregistrement), la durée de l’intervention, le thème traité, l’objectif visé, puisque le but de ce type d’interaction est de transmettre au public (auditeurs ou téléspectateurs) les programmes proposés.
L’interaction médiatique se divise en deux catégories : l’interaction télévisée et l’interaction radiophonique. Ces deux catégories se divisent elles-mêmes en plusieurs souscatégories : documentaire, interview, débat, journal des informations, talk-show, etc.
Franchise de nuit:une interaction radiophonique
Notre corpus relève précisément de la deuxième catégorie des interactions médiatiques, à savoir l’interaction radiophonique. L’émission obéit aux mêmes règles déterminant ce type d’interaction. D’une part, parce qu’elle est déterminée par des objectifs prédéfinis. D’autre part, parce qu’elle se situe dans le cadre d’une « organisation formelle publique ».Ce type d’émission interactive vise à créer une certaine proximité avec les auditeurs de la chaine radiophonique où ils peuvent entrer directement en contact20 avec l’animateur, et le ou les invités qui se trouvent dans le studio, et ce pour discuter avec eux et leur poser des questions . Scannell (1991) déclare à ce sujet que l’auditeur peut enfin exprimer son point de vue sur divers sujets : actualité politique, questions touchant leur vie quotidienne, etc. l’auteur insiste sur l’importance de ce genre d’émission qui élargit le champ de recherche pour l’analyse des interactions médiatiques.
Les émissions du type reposent sur l’existence de la conversation téléphonique. Cependant, et tel que le souligne Müller (1995), ces émissions se distinguent des conversations téléphoniques ordinaires. En effet, dans la conversation ordinaire, le cadre de la communication est représenté par la présence d’un participant face à son interlocuteur à l’autre bout de la ligne, alors que dans le en plus de cet élément, il existe une instance d’organisation supplémentaire : la mise en scène de la conversation qui est destinée au public.
On peut trouver des émissions qui peuvent également avoir à la fois plusieurs visées. Par exemple des émissions à visée didactique et informative où l’on appelle pour poser des questions à des spécialistes qu’on a invités en studio et même pour exprimer son point de vue sur un sujet de l’actualité. On peut trouver également des émissions du genre « fatoua » où les auditeurs appellent des théologiens pour poser des questions qui touchent leurs pratiques religieuses. A cela s’ajoutent les émissions interactives consacrées aux jeux de culture générale, de devinettes, etc., où les appelants participent pour gagner des cadeaux.
Elle représente un espace d’expression libre pour ces derniers. Elle leur offre donc la possibilité de parler directement à l’animateur afin de donner leurs points de vue sur les sujets de l’actualité, de proposer leurs réflexions, d’exprimer leurs aspirations ou leurs inquiétudes. Il s’agit parfois de demander conseil à l’animateur sur une question ou de lui demander une information. Chaque conversation est tenue par un seul auditeur-appelant avec l’animateur.
Si nous considérons l’émission selon la conception « modulaire » de l’interaction chez Vion (1992), nous remarquons qu’elle possède un aspect qui relève de la discussion et un autre qui se rapporte à l’interview. Ces deux modules interactionnels varient d’une interaction à une autre. En revanche, dans l’émission enregistrée, le premier module l’emporte généralement sur le second. L’interview suppose l’existence d’un intervieweur et d’un interviewé. Le couple question-réponse est la base de ce module. L’interview a pour principal objectif de « faire connaître aux spectateurs/auditeurs de nouvelles idées ou de nouveaux individus, ou encore leur faire voir et entendre comme s’ils y étaient des gens connus ou célèbres ». La fonction de questionneur est généralement assumée par le journaliste qui est l’intervieweur. Celui-ci « a pour mission d’extirper par ses questions certaines informations de l’interviewé, lequel a pour tâche de les fournir par ses réponses » (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 120).
Cependant l’émission ne respecte pas l’ordre canonique de l’interview ordinaire. En effet, le rôle interlocutif de l’animateur et de l’appelant est déterminé par le contexte interactionnel.
L’animateur peut, dans certains cas, être l’intervieweur qui s’adresse à l’appelant, qui est l’interviewé, en lui posant des questions pour faire avancer la discussion. Dans d’autres cas, les rôles peuvent être inversés, c’est-à-dire que l’appelant est celui qui pose des questions à l’animateur lorsqu’il s’agit par exemple de lui demander des informations. Par ailleurs, il est possible que, dans la même interaction, les rôles s’inversent d’un moment à un autre. La désignation des deux rôles est liée au caractère dynamique des conversations dans ce genre d’émission.
Constitution du corpus
En analyse des interactions, la démarche qui permet la constitution du corpus est composée de quatre étapes : le choix des situations, l’observation, la collecte des données et enfin la transcription (Traverso, 1999 : 22).
Toutes les étapes de la démarche doivent être pensées en fonction de l’objectif global du travail d’analyse. De ce fait, « même si l’on parle de démarche ‘conduite par les données’ [data-conducted].
Les deux étapes suivantes sont la sélection et l’enregistrement des données. Dans la phase, de collecte des données, l’analyste peut être confronté au problème de sa présence dans le lieu de l’interaction qu’il veut enregistrer. Cela signifie que sa présence peut être une source de perturbation de la situation d’interaction choisie. L’analyse vise l’authenticité des données interactionnelles enregistrées, autrement dit, elle vise à observer l’interaction réalisée par les gens « lorsqu’on ne les observe pas ».Or la présence de l’observateur peut modifier la situation. Il s’agit dans ce cas du problème nommé par Labov (1971).
Cependant dans le cadre de notre travail, nous ne sommes pas confrontée à ce paradoxe, puisque nous enregistrons des interactions médiatiques. Par conséquent, notre enregistrement ne perturbe pas le comportement verbal des interactants « qui ne sauraient imaginer prêter leur voix à l’étude d’un linguiste » (Ravazzolo, 2007 : 32).
Par ailleurs, n’oublions pas au départ que le comportement verbal des interactants est légèrement influencé par la présence de l’instance médiatique où ils sont en mesure d’adapter leur discours au public, mais cela ne peut pas mettre en doute l’authenticité des données de ce type d’interaction. Goffman (1981 : 243) insiste sur l’opportunité qu’offrent les interactions pour ceux qui étudient le langage. Il ajoute que celles-ci peuvent être facilement enregistrées sans que le chercheur soit obligé de fournir une autorisation pour s’en servir.
Les étapes d’observation et de collecte sont suivies de l’étape de transcription. Il s’agit d’un transfert de données de l’état oral à la forme écrite de l’interaction. La mémoire auditive étant faible, elle ne nous permettrait pas d’apercevoir tous les phénomènes interactionnels importants. Le recours à la trace écrite facilite donc le travail d’analyse. Le travail de transcription est cependant incapable de noter tout ce qui se passe dans l’interaction. Ce qu’il faut faire, c’est adapter la transcription aux objectifs fixés au préalable.
Toutefois il faut souligner que la transcription ne doit pas détourner le chercheur du corpus initial. C’est une interprétation des données orales qui est considérée comme un outil de travail. Ainsi, elle ne peut pas remplacer l’enregistrement. Fauré souligne : « La transcription, loin d’être un produit stabilisé, doit être conçue comme une pratique stratifiée et inscrite dans des allers-retours séquentiels entre l’analyse et son objet » (2002 : 102).
Enregistrement du corpus
Nous avons enregistré deux numéros de l’émission de celui du 12 décembre 2009 et celui du 26 décembre 2009, avec un dictaphone. Nous nous sommes connectée sur le site internet , car nous ne recevons pas ses fréquences radios dans notre région. Nous avons attentivement écouté plusieurs numéros, mais nous ne les avons pas tous transcrits. Nous avons choisi ces deux numéros que nous jugeons assez représentatifs. Pour cela, nous nous sommes basée sur le principe que ce corpus correspond aux objectifs de notre analyse. Les émissions choisies illustrent assez les activités discursives de l’animateur. Elles nous permettent également d’avoir des échantillons sur les différents statuts sociaux et les catégories professionnelles des auditeurs-appelants.
En outre, la qualité de l’enregistrement est assez bonne quant au deux numéros choisis. Du moment que l’ensemble des émissions enregistrées n’était pas d’une meilleure qualité, nous avions la contrainte de prendre celles dont la transcription était possible. Cependant cela n’exclut pas quelques petites coupures de connexion de temps à autre.
Transcription des données
Pour faciliter la transcription, nous nous sommes servie du logiciel audio Audacity. Celui-ci permet de calculer la durée des tours de parole de façon très précise, allant jusqu’au dixième (10ème) de seconde.
La transcription des données orales est une étape fondamentale avant d’entamer le travail d’analyse. Cependant nous avons été confrontée au problème relatif à l’impossibilité de conserver à l’écrit tous les traits de l’oral, vu le caractère multicanal des interactions verbales (Traverso, 1999 : 23). Il est également inutile, tel que le souligne Traverso, de vouloir tout transcrire, car cela nous détournerait de nos objectifs de départ.
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1. Cadre théorique. L’ethos dans l’analyse du discours en interaction
1. Vers l’analyse des interactions
1.1. L’influence des sciences humaines
1.1.1. L’analyse conversationnelle
1.1.2. L’ethnographie de la communication et la sociolinguistique interactionnelle
1.1.3. La microsociologie de Goffman
1.2. L’influence des courants linguistiques
1.2.1. La linguistique de l’énonciation
1.2.2. Les actes de langage
2. L’analyse du discours en interaction (l’ADI)
2.1. L’analyse en rangs
2.2. Genres de l’oral et activités discursives
2.3. La théorie de la politesse
2.3.1. Brown et Levinson
2.3.2. Kerbrat-Orecchioni
3. La notion d’ethos
3.1. L’origine antique
3.1.1. L’ethos aristotélicien
3.1.2. L’ethos des orateurs grecs et romains
3.2. L’ethos dans la rhétorique classique
3.3. L’apport des sciences du langage contemporaines
3.3.1. La linguistique de l’énonciation
3.3.2. De Goffman à l’analyse des interactions
Conclusion
Chapitre 2. Présentation du corpus
1. L’interaction médiatique
1.1. une interaction radiophonique
2. Constitution du corpus
2.1. Enregistrement du corpus
2.2. Transcription des données
3. Le contexte de l’émission
3.1. L’objectif
3.2. Le cadre spatio-temporel
3.3. Le cadre participatif
4. Le contexte en situation d’interaction
4.1. L’apparition des éléments contextuels dans le phone-in
5. L’interactivité dans Franchise de nuit
5.1. L’intervention de l’auditeur
Conclusion
Chapitre 3. Le rôle de l’animateur dans le : la gestion de l’organisation globale de l’interaction
1. La gestion des séquences d’ouverture et de clôture
1.1. La séquence d’ouverture
1.2. Encourager l’appelant à prendre la parole
1.3. La séquence de clôture
2. L’organisation des tours de parole
2.1. Le tour de parole dans la conversation ordinaire
2.2. Les tours de parole dans le
3. La gestion des thèmes
3.1. La ratification des thèmes
3.2. Le rejet de certains thèmes
3.3. La refocalisation de la parole de l’auditeur
3.4. L’approfondissement thématique
4. La fourniture d’informations aux auditeurs-appelants
Conclusion
Chapitre 4. L’ethos de l’animateur en interaction
1. La place de l’animateur dans l’interaction
1.1. La relation interpersonnelle (axe horizontal et axe vertical)
1.2. La relation interpersonnelle dans le
1.2.1. L’axe de la distance
1.2.2. L’axe de la dominance
2. L’ethos de l’animateur au pluriel
2.1. L’ethos d’expert
2.2. L’ethos de pédagogue
2.3. L’ethos de débatteur
2.4. L’ethos de plaisant
2.5. L’ethos de sérieux
2.6. L’ethos d’écouteur
2.7. L’ethos de journaliste
2.8. L’ethos de défenseur de ses concitoyens et de l’intérêt général
3. Les stratégies mises en œuvre au service de l’ethos
3.1. La stratégie de l’interruption
3.2. Le changement de voix
3.3. La stratégie de l’injonction
3.4. La stratégie de politesse
Conclusion
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
Emission du 12/12/2009
Emission du 26/12/2009
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