LโESPRIT DES LOIS EN PHYSIQUE CLASSIQUE
ย ย Avant lโavรจnement de la physique galilรฉo-newtonnienne, lโidรฉe dโun univers soumis ร un dรฉterminisme a รฉtรฉ unanimement partagรฉe par un certain nombre de philosophes. Pour ces derniers, cโรฉtait la seule condition pour lโesprit humain de produire de la connaissance et de dire ce quโil en est du monde. Cependant, cette conception dโun univers dรฉterministe nโa jamais fait lโassentiment des savants depuis la naissance de la pensรฉe occidentale dans les iles ioniennes. La position de ceux qui rรฉcusent cette idรฉe consiste ร dire que la rรฉalitรฉ de lโunivers rรฉside dans le mouvement et lโรฉvolution. Il semble que cโest dans cet ordre dโidรฉes que sโinscrit Jacques Monod, dans Le Hasard et La Nรฉcessitรฉ, lorsquโil dit : ยซ Depuis sa naissance, dans les iles ioniennes, il y a prรจs de trois mille ans, la pensรฉe occidentale a รฉtรฉ partagรฉe entre deux attitudes en apparences opposรฉes. Selon lโune de ces philosophies la rรฉalitรฉ authentique et ultime de lโunivers ne peut rรฉsider quโen des formes parfaitement immuables, invariantes par essence. Selon lโautre, au contraire, cโest dans le mouvement et lโรฉvolution que rรฉside la seule rรฉalitรฉ de lโunivers. ยป Cโest ainsi que Empรฉdocle et Dรฉmocrite avaient montrรฉ que tous les phรฉnomรจnes naturels รฉtaient soumis au changement. Mais, il y avait malgrรฉ tout quelque chose dโessentiel qui ne changeait jamais : les ยซ quatre รฉlรฉments ยป pour Empรฉdocle ou les ยซ atomes ยป pour Dรฉmocrite. En effet selon Empรฉdocle, ce qui forme le monde cโest lโรฉquilibre changeant et cyclique des quatre รฉlรฉments (eau, air, terre, feu), gouvernรฉ par deux principes ร savoir lโamour et la haine : ยซ Les quatre รฉlรฉments, dโabord mรชlรฉs en une substance mixte, se dissocient sous lโaction de la haine. Mais une fois sรฉparรฉs, ils tendent alors ร se rรฉunir sous lโeffet de lโamour ยป , nous dit Laurence Hansen-Love. Quant ร Dรฉmocrite, sa pensรฉe peut รชtre vue comme une rรฉponse ร Parmรฉnide pour qui, seul lโรชtre est, le non-รชtre nโest pas. Dรฉmocrite souligne alors la difficultรฉ essentielle dโune telle position. Sa thรจse est celle dโune composition de la matiรจre, faite dโatomes et de vide. Dans ce sens, sa mรฉthode peut รชtre qualifiรฉe de ยซ prรฉscientifique ยป car elle prรฉfigure la pensรฉe scientifique. En admettant la composition atomique de la matiรจre, sa composition rend (thรฉoriquement) possible le mouvement mixte dโรชtre et de non-รชtre. Pour Dรฉmocrite, nous dit Hansen-Love, ยซ le monde matรฉriel, alors dรฉterminรฉ par le seul principe de causalitรฉ, est dรฉsormais concevable par lui-mรชme, sans aucune rรฉfรฉrence ร Dieu ou surnaturel. De ce point de vue, Dรฉmocrite annonce non seulement Epicure et Lucrรจce, mais รฉgalement Descartes ยป. On le voit donc, lโidรฉe dโun univers soumis ร un dรฉterminisme rigoureux apparait dans la pensรฉe de ces auteurs. Platon รฉtait dโaccord pour considรฉrer le problรจme, mais en le posant autrement. En effet, contre le sophiste Protagoras qui professait que lโhomme est la mesure de toutes choses, et quโil y a donc autant de vรฉritรฉs que dโindividus, Platon soutient le contraire. Il affirme lโuniversalitรฉ et lโintemporalitรฉ du savoir vรฉritable. Or, cette vรฉritรฉ ne change pas selon les circonstances, les individus ou les moments. Pour Platon, savoir cโest dรฉpasser la diversitรฉ et la versatilitรฉ des opinions humaines. Ceci en ramenant la multiplicitรฉ des choses ร lโunitรฉ dโune dรฉfinition universelle. A la limite, rรฉduire le savoir ร lโopinion, comme le fait Protagoras, implique la doctrine du mobilisme universel, dรฉfendue par le philosophe Hรฉraclite. Car pour ce dernier, il nโexiste aucune rรฉalitรฉ stable ni permanente. Cependant selon Platon, pour que le savoir authentique soit possible, il faut par consรฉquent un autre monde. Un tel monde est fait dโรชtres non-changeants, sans cesse identiques ร eux-mรชmes, รฉternels : il sโagit des Idรฉes ou essences. Cโest ce que montre Jostein Gaarder dans Le monde de Sophie en ces termes : ยซ [Selon Platon], tout ce qui est sensible dans la nature est susceptible de se transformer(โฆ) Platon soutenait quโil existait une autre rรฉalitรฉ derriรจre le monde des sens. Cette rรฉalitรฉ, il lโa appelรฉe le monde des idรฉes. Cโest dans ce monde que se trouvent les ยซ modรจles ยป รฉternels et immuables qui sont ร lโorigine des diffรฉrents phรฉnomรจnes prรฉsents dans la nature. ยป Mais selon Platon, les essences ne sont pas le fondement ultime des choses. Elles ont elles mรชmes un principe. Car si chacune est identique ร elle-mรชme, elles sont nรฉanmoins plusieurs. Alors que la rรฉalitรฉ suprรชme doit รชtre une, simple et inconditionnรฉe, cโest-ร -dire quโelle doit รชtre condition de toute chose sans รชtre elle-mรชme conditionnรฉe par aucune autre. Ce principe inconditionnรฉ est selon Platon le Bien ou Un-Bien. Tous les objets connaissables, sensibles ou intelligibles, tiennent de lui ร la fois leur รชtre et leur possibilitรฉ dโรชtre connus. Cโest en ce sens que Platon sโintรฉressait beaucoup aux mathรฉmatiques, parce que les rapports mathรฉmatiques ne changent jamais. Cโest pourquoi on peut prรฉtendre ร une vraie connaissance dans ce domaine. Pour rรฉsumer, on peut dire que Platon a divisรฉ la rรฉalitรฉ en deux parties. Une premiรจre partie dans laquelle rรฉside une connaissance approximative et imparfaite que nous acquรฉrons en nous servant de nos sens. Une seconde partie constituรฉe par le monde des idรฉes qui nous permet dโaccรฉder ร la vraie connaissance grรขce ร lโusage de la raison. Dโaprรจs ce qui prรฉcรฉdรฉ, on peut dire et on doit mรชme dire que lโidรฉe dโun monde dรฉterminรฉ est ce qui fonde la connaissance chez Platon. Car, dans le monde des idรฉes oรน se trouve la vraie connaissance, tout est soumis ร un dรฉterminisme rigoureux, ce qui rend la connaissance possible. Cependant, les positions de ces auteurs que Jacques Monod qualifie dโ ยซ รฉpistรฉmologies mรฉtaphysiques ยป sont teintรฉes dโidรฉologie. Ceci en ce que ยซ ces รฉdifices idรฉologiques, prรฉsentรฉs comme a priori รฉtaient en rรฉalitรฉ des constructions a posteriori destinรฉes ร justifier une thรฉorie รฉthico-politique prรฉconรงueยน. ยป Au XVIIe siรจcle, on peut dire que la conception dโun univers dรฉterminisme a รฉtรฉ reprise et posรฉe comme postulat thรฉorique par la science classique pour rendre compte des phรฉnomรจnes naturels. Mais cette entreprise de la science, dit Jacques Monod, ne sโagit pas dโune prise de position ร ce dรฉbat. Elle met en place pour cela le postulat dโobjectivitรฉ qui oblige le scientifique de ne pas tenir compte de ses รฉtats dโรขme et de son appartenance ร une culture particuliรจre en matiรจre de science. Il doit suivre dans ce cas les normes รฉtablies par une communautรฉ scientifique quelconque. Mais si ces normes รฉtaient respectรฉes ร la lettre aurait-on besoin dโopรฉrer une distinction entre ยซ science du nord ยป et ยซ science du sud ยป ? Lโintroduction de la gravitation universelle et lโeffort de la mathรฉmatisation de la physique a fait de Newton le principal initiateur de la physique classique. Comme le dit ARTHUR KOESTLER, ยซ (โฆ) Aprรจs plus de deux siรจcles, notre vision du monde reste gรฉnรฉralement newtonienne ยป. Mais celui en qui lโesprit de la physique classique sโincarne le mieux est, semble-t-il, Pierre Simon Laplace. En effet, les travaux de Newton avaient crรฉรฉ chez les philosophes et les scientifiques une foi en la science. Ceci en ce quโil leur semblait que le pouvoir quโavait lโesprit humain dโexpliquer la nature est sans limite. Mais cโest avec Laplace que lโรฉnonciation du dรฉterminisme scientifique devient plus opรฉrante dans son Essai sur les probabilitรฉs. Le dรฉterminisme dominera ainsi toute lโidรฉologie scientifique semblant รชtre une consรฉquence de la gravitation newtonienne. Alors que Newton exigeait que Dieu intervienne pรฉriodiquement afin de remonter le mรฉcanisme des planรจtes, le systรจme du monde que dรฉcrit Laplace est stable. De la rรฉgularitรฉ et de lโautonomie des phรฉnomรจnes astronomiques, Laplace tire une thรฉorie du dรฉterminisme universel. Pour lui, aucun รฉvรฉnement ne survint dans la nature de maniรจre fortuite. Lโรฉvolution de lโunivers, du monde microphysique jusquโaux mouvements planรฉtaires est gouvernรฉe par des lois rationnelles et immuables. Cโest ainsi que la connaissance de ces lois et celle de lโรฉtat prรฉsent du systรจme permettent de prรฉdire lโรฉtat du systรจme ร nโimporte quel moment de son รฉvolution. Le futur tout entier est contenu dans le prรฉsent qui lui-mรชme รฉtait contenu dans le passรฉ. Cโest pourquoi il dit ceci : ยซ Nous devons envisager lโรฉtat prรฉsent de lโunivers comme lโeffet de son รฉtat antรฉrieur et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donnรฉ connaitrait toutes les forces dont la nature est animรฉe et la situation respective des รชtres qui la compose, si dโailleurs elle รฉtait assez vaste pour soumettre ces donnรฉes ร lโanalyse, embrasserait dans la mรชme formule les mouvements des plus grands corps de lโunivers et ceux du plus lรฉger atome : rien ne serait incertain pour elle et lโavenir comme le passรฉ serait prรฉsent ร ses yeux. ยป Une telle affirmation laisse entendre non seulement lโexistence dโune cause pour tout phรฉnomรจne, mais aussi et surtout la liaison de toutes ces causes en un systรจme cohรฉrent de lois connaissables excluant lโexistence de phรฉnomรจnes imprรฉvisibles. Il est vrai que le dรฉterminisme en tant que concept a fait naitre une abondante littรฉrature dans le champ de la science et dans la physique en particulier. En physique ce concept est tantรดt confondu avec celui de causalitรฉ, tantรดt diffรฉrenciรฉ avec celui-ci. Cโest pourquoi nous orientons notre analyse dans le sens de ce concept posรฉ comme ce qui permet au physicien classique de nous dire ce quโil en est de lโUnivers. Selon la distinction opรฉrรฉe par Jean Ullmo, la causalitรฉ consiste en lโinteraction entre les phรฉnomรจnes or, le dรฉterminisme est la possibilitรฉ de prรฉvenir lโavenir par le prรฉsent. Pour la physique classique donc, il nโy a pas dโรฉvรฉnement survenant au hasard sans cause connaissable. Cโest-ร -dire que le hasard nโa pas dโexistence ontologique. Tout รฉvรฉnement qui survient dans le monde est dรป ร une cause bien dรฉterminรฉe. De plus, tous ces รฉvรฉnements sont liรฉs entre eux en un systรจme de cause ร effet. Cela signifie que la physique nโest rien dโautre que la recherche de ces lois de causalitรฉ. Ainsi, pour tenter de caractรฉriser lโesprit classique, on peut dire que le physicien classique est rรฉaliste, dรฉterministe et quโil croit en lโobjectivitรฉ de la nature. Ceci en ce que ces รฉlรฉments semblaient aux physiciens classiques des exigences de la raison, les conditions sine qua none de la science.
LโIRRUPTION DU DESORDRE ET LE STATUT DES LOIS PROBABILISTES
ย ย Depuis que les physiciens ont commencรฉ lโรฉtude des lois de la nature, la conception dโun univers faisant place ร lโirrรฉgularitรฉ, ร la discontinuitรฉ et au dรฉsordre รฉtait bannie de leur champ dโinvestigation. Tous considรฉraient ces aspects comme รฉtant rebelle ร lโexploration des phรฉnomรจnes pour produire de la connaissance. Cependant, quelques annรฉes plus tard, notamment dans les annรฉes soixante-dix, lโexploration du dรฉsordre avait commencรฉ ร voir le jour, plus prรฉcisรฉment aux Etats-Unis et en Europe. Cette entreprise mobilise non seulement les physiciens mais aussi beaucoup de scientifiques รฉvoluant dans dโautres domaines. Ils sโagissent entre autres des biologistes, des chimistes, des mathรฉmaticiens. Tous รฉtaient ร la recherche des aspects irrรฉguliers des phรฉnomรจnes de la nature. Ces propos suivants de JAMES GLEICK semblent illustrer bien ce fait : ยซ Depuis quโil existe des physiciens รฉtudiant les lois de la nature, le monde a รฉtรฉ particuliรจrement ignorant du dรฉsordre de lโatmosphรจre, de la mer turbulente, des variations des populations animales, des oscillations du cลur et du cerveau. Lโaspect irrรฉgulier de la nature, discontinu et dรฉsordonnรฉ, est restรฉ une รฉnigme ou, pis, a รฉtรฉ perรงu comme une monstruositรฉ. Mais, dans les annรฉes soixante-dix, quelques scientifiques aux Etats-Unis et en Europe ont commencรฉ ร explorer le dรฉsordre. Ceux furent des mathรฉmaticiens, des physiciens, des biologistes, des chimistes, tous ร la recherche de relations entre les diffรฉrents types de comportements irrรฉguliers. ยป. Ainsi, les recherches sur le chaos ont fini par regrouper des disciplines qui, autrefois, รฉtaient sรฉparรฉs, ou pour dire comme JAMES GLEICK, ยซ le chaos supprime les frontiรจres entre disciplines scientifiques. ยป Cela signifie que des conceptions et des principes, qui autrefois รฉtaient sรฉparรฉes, deviennent similaires et se font jours dans plusieurs domaines diffรฉrents. Mais dans ce prรฉsent travail, seules les rรฉflexions allant dans le sens de la physique quantique nous intรฉressent. En effet, lโexploration de la nature ร lโรฉchelle microphysique a obligรฉ les physiciens ร changer de posture. Elle les pousse ร reconnaitre que le dรฉterminisme tel quโil apparait dans les lois de la thรฉorie classique nโest pas universellement valable. Il existe des รฉvรฉnements qui sont, par principe, imprรฉvisibles parce que survenant au hasard. Cela sans quโune cause nรฉcessaire les oblige ร se produire ร un moment donnรฉ. Cette situation apparait dรจs lors comme un renoncement ร un principe dโexplication. Il implique aussi une reprรฉsentation radicalement diffรฉrente du monde. Dโun univers absolument dรฉterminรฉ oรน tout est peut รชtre prรฉvisible, on passe ร un univers oรน tout est seulement probable. Le but de la science nโest plus de trouver des lois qui dรฉfinissent de faรงon certaine ร un instant donnรฉ la position, la vitesse, lโรฉnergie dโun corpuscule, mais plutรดt de formuler une distribution probabilitaire de ces valeurs. Cette conception probabiliste dans sa formulation extrรชme, a รฉtรฉ particuliรจrement dรฉveloppรฉe par les positivistes logiques, comme Carnap. En effet pour Carnap, la structure causale de la mรฉcanique quantique dans la physique contemporaine est dรฉcrite par la plupart des physiciens et des philosophes comme non dรฉterministe. Une telle structure, nous dit-il, est plus faible que celle de la physique classique, ยซ parce quโelle contient des lois fondamentales de caractรจre essentiellement probabiliste ยป. Ainsi, le postulat selon lequel la matiรจre repose sur une structure mathรฉmatique qui permet de prรฉdire avec toute la prรฉcision voulue est remis en cause. Parce que la thรฉorie quantique ยซ a dรฉmenti ยป ce postulat au moins en deux sens. Dโabord, elle dรฉcouvre que lโatome nโest pas le constituant ultime de la matiรจre, au sens oรน il contient des รฉlectrons et un noyau. Ce noyau ร son tour est composรฉ de neutron et de protons et les protons en mรฉsons. Ensuite, cette thรฉorie postule que les trajectoires des รฉlectrons ne sont pas dรฉterminรฉes, elles sont plutรดt alรฉatoires. Cโest dans ce sens que semble sโinscrite Etienne Klein lorsquโil dit la chose suivante : ยซ (โฆ) Les physiciens ont alors compris que les atomes, ces petits grains de matiรจre dรฉcouvertes quelques annรฉes plus tรดt, ne sont pas des objets ordinaires. Leur comportement nโobรฉissant pas aux lois de la physique habituelle, il a fallu en mettre au jour de nouvelles (โฆ) En lโespace de quelques annรฉes, le monde est devenu mรฉconnaissable. Et les physiciens ont dรป inventer une nouvelle physique, la physique quantique, celle de lโinfiniment petit. ยป Etant donnรฉ quโil nous est impossible de retracer toute lโhistoire, dans les dรฉtails, de la thรฉorie des quantas, nous allons essayer de dรฉgager sommairement la signification philosophique des relations dโincertitudes de Heisenberg. Mais tout dโabord il y a lieu de se demander ceci : dans quel contexte est apparue la conception des relations dโincertitudes de Heisenberg ? Au XXe siรจcle, ร en croire Pierre Guaydier, la physique a connu un remarquable essor que lโon peut cadrer dans deux grandes directions. Dans la premiรจre, des gรฉnies รฉlaborent dโoriginales thรฉories qui finissent par estomper les notions les plus classiques. Dans la seconde, un certain nombre de chercheurs, par leur imagination, mettent en place de nombreuses inventions. Mais nous allons essayer dโanalyser, de faรงon concise, la question allant dans le sens des thรฉories, plus prรฉcisรฉment dans la mรฉcanique. En effet, ร la fin du XIXe siรจcle, lโapplication des thรฉories classiques ร la lumiรจre aboutit ร la loi de de Rayleigh. Or, une telle loi va ร lโencontre de lโexpรฉrience, cโest-ร -dire quโelle a รฉchouรฉ dans ces tentatives dโexplication. Cโest pourquoi il รฉtait indispensable dโรฉpurer ces thรฉories pour sortir de cette impasse : ยซ cโest ce que fit en 1900 lโAllemand Max PLANCK (1858-1947). Pour lui, il nโy pas de continuitรฉ dans les problรจmes concernant lโรฉnergie, comme il รฉtait admis avant. Et pour mieux se faire comprendre, il รฉnonce le postulat suivant : ยซ La matiรจre ne peut รฉmettre lโรฉnergie que dโune maniรจre discontinue, par quantitรฉs finies, par quanta, dont la valeur est proportionnelle ร la frรฉquence suivant la loi q= hf (loi de Planck) ยป. Dรจs lors, lโรฉnergie eut un attribut quโil partage avec la matiรจre car elle est dotรฉe dโune ยซ structure granulaire ยป. Cโest dans une telle logique que Planck a รฉtabli une loi qui sโaccorde avec lโexpรฉrience, en reprenant la thรฉorie des corps noirs. Ainsi, des jeunes sโintรฉressรจrent bientรดt ร la thรฉorie des quanta et lโappliquรจrent ร tous les problรจmes liรฉs ร lโรฉnergie ou, pour dire comme Pierre Guaydier, ร presque toute la physique. Aprรจs les annรฉes 1920, nous dit lโauteur, le quanta a fini par faire lโassentiment chez les savants. Et la constante de Planck devient un รฉlรฉment fondamental de la physique moderne. Cโest dans un tel contexte que sโinscrit Heisenberg (1901) qui fait des quanta lโรฉlรฉment essentiel de sa thรฉorie : ยซ Ce nouvel aspect de la physique moderne apparut encore plus nettement dans la mรฉcanique quantique, fondรฉe ร partir de 1925 par un jeune physicien allemand, Heisenberg (โฆ). Faisant des quanta lโรฉlรฉment essentiel de sa thรฉorie, [ โฆ]ยป En effet, en sโintรฉressant au comportement des particules รฉlรฉmentaires, Heisenberg rompt avec le principe du dรฉterminisme. Mais aussi avec toutes les thรฉories qui se reprรฉsentent lโatome comme une rรฉalitรฉ sensible. Ses travaux dans lโalgรจbre des matrices sont tout ร fait incompatibles avec la commutativitรฉ de la multiplication qui est pourtant valable en physique classique. Les matrices peuvent รชtre considรฉrรฉes comme des nombres avec lesquels la commutativitรฉ de la multiplication nโest pas respectรฉe.
LES ENJEUX THEORIQUES ET EPISTEMOLOGIQUES
ย Avec lโavรจnement de la thรฉorie quantique, la science moderne dรฉcouvre un ยซ nouveau continent รฉpistรฉmologique ยป [lโexpression est de Bado Ndoye] qui rompt avec les principes qui ont jusquโici accompagnรฉ la science classique. Or, une telle situation ne peut se solder que par une nouvelle faรงon de faire et une nouvelle vision de la science. Un certain nombre dโรฉvรฉnements thรฉoriques comme ยซ lโinvention de la relativitรฉ, la dรฉcouverte des quantas, la crise des fondements en mathรฉmatique, lโavรจnement du chaos et lโessor des biotechnologies ยป , ont contribuรฉ au faรงonnement de cette ยซ nouvelle conscience ยป. James Gleick essaie dโapprรฉhender cette situation en partant dโune analyse qui consiste en lโรฉlimination dโune thรฉorie par une autre. ร son avis, ยซ la relativitรฉ a รฉliminรฉ lโillusion newtonienne dโun espace et dโun temps absolu ; la thรฉorie quantique a supprimรฉ le rรชve newtonien dโun processus de mesure contrรดlable ; le chaos, lui, รฉlimine lโutopie laplacienne dโune prรฉdictibilitรฉ dรฉterministe ยป. Le but de la philosophie est dans ce sens de se rรฉinterroger sur la science. Et cela a comme consรฉquence une remise en cause de lโimage positiviste quโon se faisait de la science en adoptant une conception plus complexifiรฉe de la connaissance rationnelle. [Lโidรฉe est de Bado Ndoye]. Ce changement de perspective dans le champ de la science a รฉtรฉ bien apprรฉhendรฉ par Thomas Kuhn dans La structure des rรฉvolutions scientifiques. Cโest comme si les tenants de la thรฉorie quantique sont soudainement transportรฉs vers une sphรจre autre, au sein de laquelle se trouvent des objets qui leur sont inconnus. Autrement dit, en rompant avec les principes de la thรฉorie classique, les spรฉcialistes de la thรฉorie quantique sont comme emportรฉs dans un nouvel espace gรฉographique quโils ne connaissent pas bien. Pourtant, nous dit Kuhn, tel nโest pas le cas. Cโest seulement ยซ les changements de paradigmes [qui] font que les scientifiques, dans le domaine de leurs recherches, voient tout dโun autre ลil. Dans la mesure oรน ils nโont accรจs au monde quโร travers ce quโils voient et font, nous pouvons รชtre amenรฉs ร dire quโaprรจs une rรฉvolution les scientifiques rรฉagissent ร un monde diffรฉrent. ยป Cela revient ร dire que le monde dans lequel le scientifique travaille nโest pas fixe une bonne fois pour toutes. Il est plutรดt dรฉterminรฉ par lโenvironnement dans lequel il travail et par la ยซ science normale ยป quโil apprend ร suivre. Cโest la raison pour laquelle aux moments des rรฉvolutions, lโhomme de science change de vision quand change la tradition de science normale. Il est obligรฉ de rรฉapprendre ร voir le monde autour de lui. Le monde de ses recherches lui paraitra ensuite, sur certains points, diffรฉrent de celui dโavant. Cโest pourquoi aux yeux de Kuhn, lโutilisation de certains paramรจtres, comme lโรฉnoncรฉ dโune loi ou la seule dรฉfinition dโun concept thรฉorique, ne suffisent pour le physicien qui vient de dรฉbuter. Il devient obligatoire pour ce dernier dโapprendre ร les utiliser dans diverses situations concrรจtes. Cโest encore ce qui fait que ยซ les รฉcoles guidรฉes par des paradigmes diffรฉrents sont toujours lรฉgรจrement en dรฉsaccord. ยป Ce lรฉger dรฉsaccord reste visible dans le combat entre les tenants de la thรฉorie classique et ceux de la thรฉorie quantique. Parce que, malgrรฉ le fait quโun bon nombre de scientifiques partagent la conception du ยซ paradigme de la complexitรฉ ยป, dโautres ont fait de leur mieux pour conserver les principes du ยซ paradigme de la simplicitรฉ ยป. Cโest pourquoi, ร la question de savoir si les lois de la nature sont absolument dรฉterministes ou indรฉterministes, il est tout ร fait difficile de trancher. A ce propos le dรฉbat reste loin dโรชtre clos car selon Reichenbach, ยซ la discussion de ce problรจme a menรฉ ร deux conceptions opposรฉes. Selon la premiรจre, lโemploi des lois statistiques nโest quโun aveu dโignorance (โฆ) La seconde conception reprรฉsente le point de vue opposรฉ. Elle ne croit pas ร la causalitรฉ rigoureuse des mouvements de chaque molรฉcule ยป. Ainsi, nous pouvons dire que si la premiรจre รฉtape de la formation dโun scientifique consiste en lโapprentissage et en la conception de ce quโest une bonne explication, la seconde consistera ร rรฉaliser quโil nโy a pas une bonne explication dans lโabsolu. Car une explication nโest satisfaisante que dans un contexte particulier. Ce qui signifie que cโest le scientifique qui choisit ce qui doit รชtre expliquรฉ et comment lโexpliquer. Or, cela ne sera pas valable chez un autre scientifique, si ce dernier a reรงu une formation disciplinaire diffรฉrente. [Lโidรฉe est de Michel Morange] Le dรฉbat entre Albert Einstein et Niels Bohr au congrรจs Solvay de mille neuf cent vingt-sept (1927)74 illustre bien cet esprit de dรฉsaccord. Mais en quoi consiste dโabord le congrรจs ? Il sโagit de la crise de la raison qui a comme consรฉquences la remise en cause des principes de la physique classique. Pour Cheikh Anta Diop, il sโagit de la ยซ crise de la raison dans la mesure oรน le principe de causalitรฉ, le dรฉterminisme, la sรฉparabilitรฉ des phรฉnomรจnes et leur objectivitรฉ qui rรจgnent en macrophysique sont fondamentalement mis en cause en microphysique ยป. En effet, malgrรฉ les nombreuses tentatives effectuรฉes par Einstein, en vain, pour sauver les principes de la mรฉcanique classique, il nโa jamais cessรฉ de soutenir lโidรฉe que lโunivers est dรฉterminรฉ. Pour lui, sโil lui arrive dโรฉchouer ses tentatives de dรฉmontrer que lโunivers est dรฉterminรฉ, cela ne signifie pas que la nature est indรฉterminรฉe. Cโest plutรดt son incapacitรฉ ร pouvoir dรฉmontrer cela. Ses discussions avec Max Born, dans une correspondance de 1916-1965, illustrent bien ร quel point Einstein tenait aux principes de lโancien paradigme. Il dit ceci : ยซ Lโavis de Bohr sur le rayonnement mโintรฉresse fort, รฉcrit-il ร Max Born. Mais, je ne voudrais pas me laisser entrainer ร renoncer ร la causalitรฉ stricte tant quโon ne sโen sera dรฉfendu de toute autre faรงon que jusquโร prรฉsent. Lโidรฉe quโun รฉlectron exposรฉ ร un rayonnement choisit en toute libertรฉ le moment et la direction oรน il veut sauter mโest insupportable. Sโil en รฉtait ainsi, jโaimerais mieux รชtre cordonnier ou mรชme employรฉ dans un tripot que physicien. Mes tentatives pour donner aux quanta une forme concevable ont, ร vrai dire, toujours รฉchouรฉ, mais je nโabandonnerai pas tout espoir avant longtemps. Et si rien ne marche, je pourrai toujours me dire pour me consoler que lโรฉchec ne tient quโร moi ยป. Donc on peut dire, dโaprรจs ce qui suit, quโEinstein ne pouvait pas se rรฉsoudre ร lโidรฉe de voir les principes de la physique classique sโรฉcrouler. Il ne tardera pas ร mettre en dรฉfaut ยซ la cohรฉsion interne de la mรฉcanique quantique, cโest-ร -dire, son inaptitude ร dรฉcrire toute laย rรฉalitรฉ. ยป, comme le dit cheikh Anta Diop. Cela lโamรจne, avec ces deux collaborateurs Podolsky et Rosen, ร รฉcrire un article cรฉlรจbre en 1935 dans lequel il conรงoit lโargument ou le paradoxe E.P.R. qui porte leurs noms successifs. Ils dรฉfinissent le principe de la rรฉalitรฉ comme suit : ยซ Si, sans perturber dโaucune faรงon un systรจme, on peut prรฉdire avec certitude la valeur dโune quantitรฉ physique, il existe un รฉlรฉment de rรฉalitรฉ physique (relatif ร ce systรจme, qui correspond ร cette quantitรฉ physique ยป. Dans une interview de 1929, la position dโEinstein devient plus radicale, car il va jusquโร รฉtendre le dรฉterminisme dans tous les sphรจres de la rรฉalitรฉ. Pour lui, lโinsecte, lโรฉtoile, les รชtres humains, les lรฉgumes, tout comme une poussiรจre dโรฉtoile sont dรฉterminรฉs par une force invisible. Il dit ceci ร ce propos : ยซ Tout est dรฉterminรฉ par des forces que nous ne contrรดlons pas. Tout est dรฉterminรฉ, pour lโinsecte comme pour lโรฉtoile. Etres humains, lรฉgumes ou poussiรจre dโรฉtoile, nous dansons tous au rythme dโun air mystรฉrieux jouรฉ au loin par un joueur de flute invisibleยฒ. ยป Au dรฉbut du XXe siรจcle, Henri Poincarรฉ รฉtait convaincu que la science serait un jour capable de mettre fin ร lโidรฉe que nous nous faisions du hasard. Pour Poincarรฉ, ยซ une cause trรจs petite, qui nous รฉchappe, dรฉtermine un effet considรฉrable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dรป au hasard. ยปย Or, dit-il, tel nโest pas le cas car, ยซ si nous connaissons exactement les lois de la nature et la situation de lโunivers ร lโinstant ultรฉrieur. ยป
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
CHAPITRE I : LโESPRIT DES LOIS EN PHYSIQUE CLASSIQUE ET EN PHYSIQUE QUANTIQUE
SECTION 1 : LโESPRIT DES LOIS EN PHYSIQUE CLASSIQUE
SECTION 2. LโIRRUPTION DU DESORDRE ET LE STATUT DES LOIS PROBABILISTES
SECTION 3 : LES ENJEUX THEORIQUES ET EPISTEMOLOGIQUES
CHAPITRE II : LOIS BIOLOGIQUES ET LOIS PHYSIQUES
SECTION 1 .DU MECANISME CARTESIEN A LA NAISSANCE DE LA BIOLOGIE
SECTION 2 .LE MECANISME PHYSICO-CHIMIQUE : DE LA NAISSANCE DE LA CHIMIE A LA REVOLUTION MOLECULAIRE
SECTION 3 : LES ENJEUX DE LโEXPERIMENTATION ET LE STATUT DES LOIS BIOLOGIQUES
CHAPITRE III : LOIS PHYSIQUES ET LOIS SOCIOLOQUES
SECTION 1 LES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES : APPROCHE CONCEPTUELLE
SECTION 2 : LA POSTURE REDUCTIONNISTE EN SOCIOLOGIE
SECTION 3 : LES ENJEUX DE LโEXPERIMENTATION ET LE STATUT DES LOIS EN SOCIOLOGIE
CONCLUSION
BIBLIOGRPHIE
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