La notion de consommateur

L’inclusion des personnes morales non professionnelles dans la notion de non-professionnel

En ne définissant pas consciencieusement la notion de consommateur, le législateur français a laissé indirectement une porte ouverte à la jurisprudence pour permettre aux personnes morales de bénéficier, dans certaines hypothèses, des règles protectrices du Code de la consommation. Cette possibilité n’est, cependant, admise que pour les textes où demeure une ambiguïté quant à l’appréciation de leurs bénéficiaires, autrement dit qui n’ont pas jugé bon de préciser s’ils devaient s’appliquer uniquement aux personnes physiques ou également aux personnes morales. En effet, seules quelques dispositions du Code de la consommation sont expressément réservées aux personnes physiques. Il s’agit des textes relatifs au démarchage à domicile et au surendettement où sont visés les consommateurs personnes physiques, mais également les textes sur le cautionnement issus de la loi Dutreil du 1er août 2003 qui intéressent plus largement tous les contractants personnes physiques. Leurs domaines de protection excluent, sans conteste, les personnes morales qui ne peuvent prétendre au bénéfice de ces dispositions. En revanche, il peut en aller autrement pour les autres dispositions du Code de la consommation, en particulier pour les dispositions sur les clauses abusives et sur le crédit à la consommation, pour lesquelles aucune précision n’est réellement apportée. De fait, elles ne s’opposent pas explicitement à un élargissement de la notion de consommateur. Dans ces hypothèses, la question s’est alors posée de savoir s’il fallait assimiler la personne morale à un consommateur.

L’exclusion manifeste des sociétés commerciales

Au regard de ce qui précède, il apparait que l’extension du bénéfice des dispositions protectrices du Code de la consommation n’est concevable que tant que ce sont les personnes morales non professionnelles qui en disposent, étant entendu que leur comportement et leur faible puissance économique les rapprochent indubitablement du consommateur. A l’inverse, les personnes morales qui agissent dans le cadre de leur profession apparaissent beaucoup moins désavantagées. En effet, elles disposent de compétences particulières qui leur permettent de contracter avec un autre professionnel en connaissance de cause. Dès lors les pouvoirs en présence dans le contrat ne sont pas si déséquilibrés et ne nécessitent pas que l’une des parties soit davantage protégée par rapport à l’autre.

Dans cette perspective, il est tout à fait possible de comprendre pourquoi les personnes morales professionnelles ne devraient pas pouvoir bénéficier des règles consuméristes. Pour autant c’est en dépit d’une telle analyse que la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 avril 1987, avait tout de même admis qu’une société anonyme pouvait être assimilée à un consommateur victime d’une clause abusive. En l’espèce, il s’agissait d’un contrat d’installation d’un système d’alarme qu’une agence immobilière avait conclu avec une autre société pour ses locaux professionnels. Cette agence immobilière avait été considérée comme un consommateur du fait qu’elle n’avait aucune compétence professionnelle en la matière. Or une telle jurisprudence est à déplorer puisque cela reviendrait à mettre sur un même pied d’égalité les consommateurs personnes physiques et les personnes morales professionnelles (et plus particulièrement les sociétés commerciales) alors qu’il ne fait pas de doute que les premiers sont en position de net désavantage par rapport aux secondes.

Le passage du critère de compétence au critère du rapport direct

Il y a eu de nombreuses hésitations sur le point de savoir s’il fallait octroyer la protection issue du droit de la consommation aux professionnels personnes physiques. En effet, s’il convient de considérer que la notion de consommateur renvoie à la personne physique agissant pour ses besoins personnels ou domestiques, qu’en est-il, en revanche, pour les personnes physiques qui bien qu’étant dans leur sphère professionnelle agissent en dehors de leur spécialité ? Par faveur pour ces derniers, la jurisprudence leur a permis de se prévaloir des dispositions du Code de la consommation sous certaines conditions. Une évolution peut être observée en la matière dans la mesure où on est passé d’un critère subjectif fondé sur la compétence à un critère objectif qui tend à étendre la protection consumériste aux professionnels qui ont conclu un contrat n’ayant pas de rapport direct avec leur activité professionnelle.

Dès 1987, il a été envisagé le fait qu’en matière de clauses abusives et dans le silence de la loi, si le professionnel personne physique se trouvait « dans le même état d’ignorance que n’importe quel autre consommateur », il lui était possible de bénéficier de la même protection que ce dernier. Cette hypothèse a été étendue sur le terrain du démarchage à domicile et dans une moindre mesure sur celui du crédit mobilier à la consommation. L’idée est qu’il existe un déséquilibre de puissance économique entre les contractants et que le droit de la consommation permet de rétablir cet équilibre, en assimilant le professionnel agissant en dehors de son domaine de compétence à un consommateur inexpérimenté.

Autrement dit c’est bien la compétence du professionnel qui sert de critère pour déterminer si, oui ou non, il se trouve en situation d’infériorité par rapport à son cocontractant. Cette conception est à rapprocher de celle du rapport des Law Commissions anglaise et écossaise sur les clauses abusives dans les contrats, qui avaient suggéré « d’étendre la protection aux petites entreprises, souvent placées dans la même situation d’ignorance ou de faiblesse que le consommateur qui agit à des fins privées ou familiales ».

La catégorie de non-professionnels reconnue comme distincte de celle des consommateurs

La notion de «non-professionnel», introduite dans bien des dispositions à côté de celle de «consommateur» a, tout comme cette dernière, suscité des hésitations quant à son interprétation. Là encore le législateur n’a pas apporté d’éléments de réponse permettant d’éclairer la jurisprudence, plus encore il entretient l’ambiguïté. En effet, un tel silence du législateur est gênant notamment lorsqu’il vise des contrats conclus entre « professionnels et non-professionnels ou consommateurs», comme cela est le cas en matière de clauses abusives. Il revient alors à la jurisprudence de clarifier cette notion de non-professionnel. Mais cette entreprise est assez laborieuse, les juridictions françaises ne trouvant pas davantage de soutien dans le droit communautaire, étant donné qu’il méconnait cette catégorie. Cette singularité du droit français doit-elle être envisagée comme un élargissement de la notion de consommateur ou un simple pléonasme ?

Si dès à présent, il ne fait guère de doute que le terme de non-professionnel est distinct de celui de consommateur, la question a pu pendant un temps faire débat au sein de la doctrine. La loi Scrivener du 10 janvier 1978 sur l’information et la protection des consommateurs ainsi que la loi du 1er février 1995 relative aux clauses abusives et à la présentation des contrats transposant en partie la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives employaient, l’une comme l’autre, dans leurs dispositions concernant les clauses abusives la conjonction de coordination « ou » entre les notions de « consommateur » et de « non-professionnel ». Cette conjonction ouvrait la porte à des interprétations divergentes de la part de la doctrine : si certains considéraient qu’il ne s’agissait que d’une désignation différente du consommateur, d’autres au contraire préféraient y voir une possible extension de la notion de consommateur, comme les professionnels, personnes physiques, agissant en dehors de son domaine de compétence. La première option apparaissait peu satisfaisante dans la mesure où cela signifierait que le législateur est très approximatif dans la rédaction de ces lois. Or l’exigence de clarté et d’intelligibilité de la loi impose qu’il soit plus précis et moins ambigu.

D’ailleurs, il semblait étonnant de constater que certaines dispositions du Code de la consommation intègrent le terme de «non-professionnel» à côté de celui de «consommateur» alors que pour d’autres non, ou encore que le législateur n’adopte pas la même rédaction de « non-professionnel » selon les textes. En réalité, cela s’explique par le fait que ce sont des textes différents, tous poursuivant un objectif de protection des consommateurs, qui ont été regroupés dans le Code de la consommation en 1993 dont la codification s’est faite à droit constant. Or ces textes pouvaient viser les mêmes sujets de droit quand bien même leur rédaction ne serait pas analogue. La notion de « non-professionnel » pouvait donc être assimilée à celle de «consommateur». Néanmoins, par la suite, on a songé à supprimer cette notion difficile à cerner, et ce d’autant plus qu’elle n’apportait rien au terme de consommateur, mise à part une certaine confusion.

Le consommateur en tant que personne physique agissant pour un usage non professionnel

C’est de manière progressive que la jurisprudence française est venue consolider une approche restrictive de la notion de consommateur, à l’image de celle retenue par la jurisprudence communautaire.

En premier lieu, il est notable que le consommateur agisse pour ses besoins personnels et domestiques, c’est-à-dire pour un usage non professionnel. En adoptant, en 1995, le critère du rapport direct à la place de celui relatif à la compétence professionnelle66, la Cour de cassation est revenue à une conception plus restrictive du consommateur, non seulement parce qu’elle n’identifie plus le professionnel se trouvant dans le même état d’ignorance que le consommateur à ce dernier mais également parce qu’elle ne retient que très rarement l’absence de rapport direct. Il faut rappeler que dès lors que le contrat présente un rapport direct avec l’activité professionnelle de l’intéressé, il ne peut être soumis aux dispositions du Code de la consommation. Or c’est de façon systématique que la Cour de cassation décide qu’il existe un lien entre tout contrat conclu par un professionnel et son activité. D’après B. Fauvarque-Cosson, « cette politique jurisprudentielle conduit à conclure que désormais, pour la Cour de Cassation, le consommateur est nécessairement un non professionnel ».

Une telle interprétation doit, effectivement, s’imposer du fait que le professionnel bien qu’il agisse en dehors de sa spécialité sera toujours moins désarmé que le simple consommateur. Par ailleurs, le droit de la consommation a été conçu pour protéger les consommateurs et non les professionnels. De ce fait, ce n’est pas sur le terrain du droit de la consommation que les professionnels doivent chercher à obtenir satisfaction mais sur le terrain du droit commun des contrats. La conception stricte de la notion de consommateur conduit donc à admettre que seuls les consommateurs agissant pour un usage non professionnel devraient pouvoir bénéficier de la protection légale consumériste. Cette perception est défendue par la jurisprudence européenne qui considère qu’« est un consommateur une personne qui conclut un contrat pour un usage étranger à son activité professionnelle ».

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : UNE ACCEPTION EVOLUTIVE DE LA NOTION DE CONSOMMATEUR
Section 1 : Une conception extensive par volonté d’équité
I. L’interrogation quant à l’assimilation des personnes morales
A. L’inclusion des personnes morales non professionnelles dans la notion de non-professionnel
B. L’exclusion manifeste des sociétés commerciales
II. L’interrogation quant à l’assimilation des professionnels agissant en dehors de leur domaine de spécialité
A. Le passage du critère de compétence au critère du rapport direct
B. Les incohérences du critère retenu, source de confusion et d’insécurité juridique
Section 2 : Une conception devenue restrictive par volonté de rigueur et de sécurité
I. La clarification jurisprudentielle des notions de non-professionnel et de consommateur
A. La catégorie de non-professionnels reconnue comme distincte de celle des consommateurs
B. Le consommateur en tant que personne physique agissant pour un usage non professionnel
II. Une restriction de la notion de consommateur nécessaire à l’uniformisation
A. Une mise en conformité avec le droit communautaire
B. Une concrétisation législative inéluctable
CHAPITRE 2 : LA CONSECRATION D’UNE DEFINITION UNIFORME DE LA NOTION DE CONSOMMATEUR
Section 1 : Une définition unitaire du consommateur en réponse à la recherche d’harmonisation 
I. La directive du 25 octobre 2011, un jalon déterminant de l’harmonisation
A. Les éléments de définition
B. Une tolérance possible d’extension de la définition
II. L’avènement d’une définition attendue par la loi du 17 mars 2014
A. Un alignement du droit français sur le droit communautaire
B. L’utilité d’une définition légale du consommateur
Section 2 : Une difficile appréciation du devenir de la notion de consommateur
I. Une définition encore insatisfaisante en raison d’interrogations durables
A. Le maintien contestable de définitions particulières de la notion de consommateur
B. Le maintien de questions non résolues laissées à l’appréciation du juge
II. Une ouverture vers une approche plus collective du consommateur
A. Une potentielle appréciation nouvelle de la notion de consommateur grâce à l’introduction de l’action de groupe
B. Une action encore limitée par son champ d’application
LISTE DES ABREVIATIONS
BIBLIOGRAPHIE

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