LA NOTION DE CONDUITE ADDICTIVE
« L’usage de substances psychoactives nécessite la rencontre entre un sujet, un produit et une situation » [85]. L’appellation de « conduite addictive » a remplacé celle de toxicomanie, elle a une dimension supplémentaire liée au comportement. L’accent est plus mis sur le mode de relation que sur la prise du produit. C’est ainsi que l’on peut mieux comprendre les addictions sans substance. Dans leur œuvre la théorie psychanalytique des névroses, Fenichel et al. distinguent l’addiction avec substances psychoactives et l’addiction sans substances psychoactives où ils classent les troubles des conduites alimentaires et les troubles du contrôle des impulsions.
Goodman définit l’addiction en 1990 comme « le processus par lequel un comportement peut permettre à la fois de produire du plaisir et d’écarter ou d’atténuer une sensation de malaise interne…» «…elle est caractérisée par l’impossibilité de contrôler ce comportement et sa poursuite en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives» [36]. Cette définition a été complétée par Raynaud. Ce dernier a mis un lien entre les comportements pathologiques et les différents modes de consommations de substances psychoactives à savoir l’abus nocif, l’abus et la dépendance. [28] Cette définition s’applique à toute substance psychoactive, elle est donc globale. Elle souligne une relation de plaisir et déplaisir entre la substance psychoactive et la personne. Ceci laisse imaginer qu’il existe des mécanismes psychopathologiques susceptibles de maintenir les conduites addictives. Dans la notion de «pratiques addictives» nous retrouvons l’ensemble des comportements de consommation de substances psychoactives [16]. Les substances psychoactives sont certes diverses et variées mais le profil évolutif de leur usage est le même, d’où l’importance d’avoir une lecture critique de l’utilisation du produit.
Les conduites addictives sont classées en plusieurs entités dans différentes classifications internationales, à savoir le Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux (DSM IV) de l’APA (Association des psychiatres Américains) et la Classification Internationale des Maladies (CIM 10) de L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Toutefois tous les consommateurs de substances psychoactives ne connaissent pas une évolution vers la dépendance, et les risque évolutifs sont encore mal connus, sous l’influence des déterminants biologiques, psychologiques et sociaux qui font la particularité et la complexité des conduites addictives.
Expérimentation
Il s’agit d’un individu qui a consommé le produit au moins une fois dans sa vie. Il peut s’agir d’une expérience unique ou répétée qui va évoluer vers d’autres types de conduites addictives. Mais aussi d’une polyexpérimentation qui est le fait d’avoir déjà consommé au cours de sa vie plusieurs substances psychoactives de manière simultanée ou non. [28] Pour toutes les substances psychoactives, le taux d’expérimentation et de consommateurs actuels parmi les expérimentateurs ont augmenté pour la tranche d’âge 14-19 ans. Cependant, ces augmentations sont nettement plus sensibles pour le cannabis et l’alcool. [28] Les raisons de l’expérimentation sont diverses et variées, allant de la simple curiosité, à la frime ou pour être accepté dans un groupe d’amis, etc.
Usage
Selon les classifications internationales (DSM-I86 et CIM-187), l’usage est caractérisé par la consommation de substances n’entraînant ni complication ni dommage.
L’usage peut être socialement réglé avec une meilleure tolérance du fait de la valorisation de la substance. L’usage peut être occasionnel, dans ce cas la personne essaye de découvrir une sensation, par curiosité ou parce qu’elle veut faire comme les autres. Pour certains il s’agira d’une expérience unique et pour d’autres d’une consommation de plus en plus régulière. [26] Cependant, il faut noter que si cet usage se fait dans des situations dangereuses pour le consommateur, on parle d’usage à risque. Ce mode de consommation peut constituer un facteur de gravité. Le risque peut être situationnel, déterminé par les propriétés pharmacologiques du produit, les modalités de sa consommation, et le lieu ou situation de sa consommation. Il peut aussi être quantitatif, c’est-à-dire une quantité au delà de laquelle les études épidémiologiques précisent une hausse de la comorbidité et de la mortalité. Et enfin, il peut aussi s’agir d’un risque épidémiologique. [78] Les consommateurs qui ont pris une dizaine de fois le cannabis durant les 30 derniers jours sont considérés comme des « usagers ».
Abus et usage nocif
« L’abus de substance » au sens de la classification du DSM-IV concorde avec «l’usage nocif » de la CIM-187. Il est caractérisé à la fois par la répétition de la consommation, et par la constatation de dommages dans les domaines sociaux somatiques ou judiciaires.
DEPENDANCE AU CANNABIS
Dans les classifications internationales (DSM-I86 et CIM- 187), la dépendance à une substance se définit comme une entité psychopathologique et comportementale en rupture avec le fonctionnement habituel du sujet. Aux signes habituels de pharmacodépendance que sont la tolérance (besoin d’augmenter les doses pour obtenir les mêmes effets) et le sevrage (syndrome physique survenant en cas de privation du produit). Il s’y associe des signes traduisant la recherche compulsive du produit (« craving »), et l’impossibilité d’arrêter la consommation malgré ses conséquences somatiques et sociales [6]. La dépendance n’est pas l’accoutumance à un produit, mais un mode de consommation inadapté qui centre la vie du sujet, et le pousse à persister dans sa consommation qu’il ne maîtrise plus. [6, 30] La dépendance peut être physique ou psychique. La dépendance physique se définit par un besoin incontrôlable de consommer la substance afin d’éviter la survenue du syndrome de manque que pourrait induire la privation de la substance. Elle est exceptionnelle dans le cas du cannabis. La dépendance psychique quant à elle se traduit par un besoin de maintenir ou de trouver les sensations de plaisir, de bien être et de satisfaction apportés par le produit, et d’éviter la sensation de malaise psychique que causerait l’absence du produit. Le sujet recherche de manière compulsive la substance contre la raison, la volonté. Il existe un besoin majeur et incontrôlable de consommer le produit, c’est le craving. La dépendance psychique peut être retrouvée en cas de consommation du cannabis en fonction de la personnalité et des événements de vie du sujet [6, 18, 26]. Il est à préciser que seul l’abus et la dépendance sont reconnus comme des entités morbides, répertoriés en tant que « troubles liés à l’utilisation d’une substance » Le DSM-5 classe les conduites addictives en 4 stades : absence d’addiction, addiction légère, addiction modérée, addiction sévère.
FACTEURS DE RISQUE
Selon la Théorie d’Olivenstein. [85], « l’usage de substances psychoactives traduit une rencontre entre un sujet, un produit et une situation ». C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’usage de substances psychoactives chez l’adolescent. En effet, cette phase de la vie est marquée par une remise en question de SOI pouvant être un facteur de fragilité du sujet. Les facteurs de risque des conduites addictives sont d’ordres psychologiques et psychosociaux.
Facteurs psychologiques
Les conduites addictives s’installent en général après la puberté ou durant l’adolescence. C’est à ce moment que le sujet doit s’autonomiser et ne plus bénéficier de la protection de ses parents. Ces adolescents qui s’adonnent aux conduites addictives sont le plus souvent ceux qui ne sont pas prêts face à cette situation, ceux qui ont une fragilité narcissique à l’origine d’une dépressivité entravant le processus de séparation-individuation. Ils ont une dépendance affective qu’ils perçoivent comme une menace pour de leur identité ; donc l’addiction devient un mécanisme de défense. Le produit devient pour le sujet un objet substitutif qu’il pense maîtriser. Un objet extérieur qui a des effets propres sur le corps et met à distance les objets humains dont il dépend. Il permet au sujet de maintenir des relations apparemment satisfaisantes et une vie sociale relativement diversifiée, mais au prix d’un clivage du moi.
Il existe un risque de pérennisation de la conduite addictive à cause du déni ou de la suspicion persécutrice de l’entourage qui empêchent l’adolescent de parler de son addiction. [68] Nous pouvons aussi citer d’autres facteurs de risque tels que l’agressivité et l’impulsivité, le besoin d’expériences et de sensations variées et complexes, ainsi que la recherche de nouveautés [61]. Des travaux ont tenté de regrouper ces traits de caractères pour en faire une personnalité. Cependant, il est impossible de ranger les toxicomanes ou les consommateurs abusifs de substances dans une catégorie structurelle spécifique de la personnalité. Il n’y a pas de personnalité toxicophilique. Certaines dimensions de personnalité sont fortement impliquées dans la consommation de substances psychoactives. Elles font intervenir l’impulsivité, les tendances antisociales et la recherche de stimulations (recherche de sensations et recherche de nouveauté).
Facteurs Psychosociaux
Les nombreuses modifications de notre société constituent des facteurs de risque de conduites addictives. Nous avons l’émergence d’une société où la place et le rôle du père tendent à disparaître. Il s’ajoute à cela un surinvestissement de l’enfant qui peut aboutir à la fuite de toute conflictualité. De ce fait, il en résulte un effacement de la barrière intergénérationnelle. Dès lors la communication ne peut se faire qu’indirectement par le biais des troubles du comportement avec usage de toxiques ou des conduites à risque marquant les passages à l’acte suicidaire. [68] La consommation de toxiques, chez les parents, est à l’origine de certains symptômes fréquemment rencontrés chez les enfants :
– des troubles de l’agressivité, de l’impulsivité, de l’hyperactivité, ainsi que des problèmes scolaires et d’indiscipline;
– des troubles affectifs comme la dépression ou les troubles anxieux.
En réalité, la consommation de toxiques des parents principalement celle de la mère est à l’origine d’un dysfonctionnement familial. Elle est à l’origine d’un environnement défaillant pour l’adolescent. Au maximum, elle entraine une détresse psychologique. Il en est de même pour certains événements négatifs dans la famille tels qu’un divorce, un décès ou une perte d’emploi.
D’autres facteurs psychosociaux existent, c’est le cas de l’influence des pairs vers l’âge de 12 ans. Le jeune adolescent est initié à la drogue par son groupe d’amis déjà consommateurs. Il cherche à appartenir au groupe et à s’affirmer. D’après Wills et Vaughan [61], dans ces cas l’association d’un bon soutien social auprès de leurs pairs et d’un faible soutien familial constitue un risque majeur pour la consommation de substance, voire la pérennisation de cette consommation.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
1. CANNABIS
1.1. Définition
1.2. Historique
1.3. Epidémiologie
1.4. Pharmacologie du cannabis
1.5. Polyconsommation de substances psychoactives
2. LA NOTION DE CONDUITE ADDICTIVE
2.1. Expérimentation
2.2. Usage
2.3. Abus et usage nocif
3. DEPENDANCE AU CANNABIS
4. FACTEURS DE RISQUE
4.1. Facteurs psychologiques
4.2. Facteurs Psychosociaux
5. PSYCHOPATHOLOGIE DE LA CONDUITE ADDICTIVE
5.1. Modèle cognitif et comportementaliste
5.2. Approche psychosociale
5.3. Approche psychanalytique
6. ASPECTS CLINIQUES
6.1. Ivresse cannabique
6.2. Syndrome amotivationnel
6.3. Rémanences spontanées ou Flash-back cannabique
6.4. Attaque de panique ou « Bad trip »
6.5. Syndrome de sevrage
6.6. Syndrome de dépersonnalisation déréalisation
6.7. Psychoses cannabiques
6.8. Troubles des relations sociales
6.9. Troubles somatiques chroniques
7. COMORBIDITES PSYCHIATRIQUES
7.1. Cannabis et schizophrénie
7.2. Cannabis et troubles de l’humeur
7.3. Cannabis et personnalité limite
7.4. Cannabis et Troubles cognitifs
7.5. Cannabis et autres troubles psychiatriques
DEUXIEME PARTIE
1. METHODOLOGIE
1.1. Objectifs
1.2. Type d’étude
1.3. Cadre d’étude
1.4. Population d’étude
1.5. Critères
1.6. Collecte des données
1.7. Instruments
1.8. Difficultés de notre étude
1.9. Considérations éthiques
2. RESULTATS
2.1. Caractéristiques sociodémographiques
2.2. Modalités de consommation du cannabis
2.3. Profil clinique
2.4. Profil de comorbidités Troubles psychiatriques-usage de cannabis
2.5. Impact de la consommation de cannabis su l’évolution des troubles psychiatriques
3. DISCUSSION
3.1. Analyse des paramètres sociodémographiques
3.2. Modalités de consommation du cannabis
3.3. Profil clinique
3.4. Profil de comorbidités Troubles psychiatriques-usage de cannabis
3.5. Impact de la consommation de cannabis su l’évolution des troubles psychiatriques
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES