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Aux ferments du libéralisme, le paradoxe
Mandeville
B. Mandeville, néerlandais ayant choisi Londres pour ville d’adoption346, est le premier à utiliser le terme de division du travail, comme syntagme verbal347, dans la deuxième partie de la Fable des abeilles, publiée en 1729 sous forme de dialogues pour tenter de répondre aux multiples critiques auxquelles ont donné lieu la première partie de la Fable publiée en 1714, initialement anonymement. Le terme ne deviendra une notion qu’avec l’ouvrage d’A. Smith sur la Richesse des Nations348 cependant la Fable de B. Mandeville avec l’analogie de comportement entre l’abeille et l’humain sert de métaphore à la division du travail. Comme les ouvrières d’une ruche, une société humaine crée un ballet d’alliances bien réglées afin d’entreprendre de grandes œuvres.
Cette fable fit scandale et sa lecture reste aujourd’hui encore pour certains passages d’une acuité décapante sur les contradictions de la société qui sera plus tard nommée capitaliste ou libérale ou de consommation. Posant la question des valeurs, elle décrit la naissance d’un monde libéral et immoral. Cette notion de moralité, où ce n’est pas forcément le bien qui est payant alors même qu’il y a un contexte de progrès social a surpris les contemporains de B. Mandeville. F. Hutcheson (1694-1746), père fondateur des Lumières écossaises349, parlera de ce fameux « paradoxe »350 qui tient dans le sous-titre de La fable des abeilles :
les vices privés font le bien public contenant plusieurs discours qui montrent que les défauts des hommes dans l’humanité dépravée, peuvent être utilisés à l’avantage de la société civile, et qu’on peut leur faire tenir la place des vertus morales351.
Dans la morale de la fable proprement dite B. Mandeville semble définir une sorte de principe moteur, le vice, comme valeur positive pour l’individu et faisant condition pour l’agir humain :
Ainsi on constate que le vice est bénéfique.
Quand il est émondé et restreint par la justice .
Oui, si un peuple veut être grand.
Le vice est aussi nécessaire à l’Etat […]
La vertu seule ne peut faire vivre les nations.
Dans la magnificence ; ceux qui veulent revoir.
Un âge d’or, doivent être disposés.
A se nourrir de glands qu’à vivre honnêtes352.
En effet, prétendant avoir saisi les valeurs qui motivent l’agir humain, le premier élément de l’analyse mandevilienne de la société est que la frugalité serait son ennemie, elle nuirait à la consommation et donc au développement de la société ainsi « il est impossible que Londres soit plus propre à moins d’être moins prospère » écrit-il à propos des saletés qui s’entassent dans les rues, bien qu’il mentionne que rien de s’oppose à ce que les rues soient balayées353. Ce manque de frugalité est un vice, ainsi met-il à l’index les femmes qu’il voit « ayant une dizaine de vêtements complets, dont deux ou trois nullement usagés, estimer qu’elles sont en droit d’en demander de neufs »354, tout en affirmant que leur vice est nécessaire à la consommation. De manière générale, il affirme pour l’ensemble de la société : Il n’y a pas de doute que si l’honnêteté et la frugalité régnaient dans une nation, une des conséquences en serait qu’on n’y construirait pas de maisons neuves et qu’on ne se servirait pas de matériaux neufs tant qu’il y en aurait de vieux encore utilisables. Aussi les trois quarts des maçons et des charpentiers seraient en chômage ; et l’industrie du bâtiment une fois disparue qu’adviendrait-il des peintres et des décorateurs et de tous les artisans qui pourvoient au luxe, et qu’ont soigneusement interdits ces législateurs qui préfèreraient une société bonne et honnête à une société grande et riche et qui ont essayé de rendre leurs sujets vertueux plutôt que fortunés .
Ce paradoxe est donc exposé comme valide et nécessaire par B. Mandeville qui fournit des informations quant aux conditions, analysées avec beaucoup d’ironie, qu’il établit pour la demande de travail dans la société civile. Sa description de l’homme « mondain , voluptueux et ambitieux » qui génère de l’activité pour entretenir son train de vie avec de nombreux corps de métiers dédiés à l’entretenir « dans une mer de luxure et de vanité »356 le montre plein de sarcasme, il « veut démystifier les créations humaines »357 et démontrer que ce sont des hommes ordinaires qui arrivent à fabriquer « le plus extraordinaire produit du travail des hommes »358 écrit le philosophe J.-P. Séris (1941-1994) dans son commentaire.
Cela signifie que là où les philosophes de l’Antiquité évoqués voyaient des aptitudes personnelles amenant à une spécialisation de chacun vers ce pour quoi il était le plus doué, cyniquement B. Mandeville estime au contraire que c’est la répétition qui amène nécessairement au développement d’un savoir qui devra s’inscrire dans une articulation avec ceux d’autrui pour permettre la grandeur et la richesse de la nation : Il y a bien des équipes d’ouvriers dans la nation qui, donnés les matériaux, pourraient en moins de six mois produire, équiper et faire naviguer un vaisseau de premier rang. Et cependant il est certain que cette tâche serait impossible si elle n’était divisée et subdivisée.
Cette analyse de la production des déchets et de la consommation comme un « mal nécessaire » (ibid., p 27) pour le progrès économique de la société semble préfigurer les arguments opposés aux thèses écologistes de la décroissance dans notre société contemporaine. en une grande variété de travaux différents ; et il est également certain qu’aucun de ses travaux n’exige plus que des ouvriers d’une capacité ordinaire359.
Il illustre ses arguments par l’exemple de la navigation dont le mécanisme est théorisé, expliqué mathématiquement par l’ouvrage du chevalier Reneau360 dont il se dit « persuadé » que n’ont pas connaissance « ceux qui ont apporté des améliorations à quelques parties » des bateaux. Même les matelots enrôlés de force comme la pratique en était courante à l’époque, les plus grossiers et les plus ignorants » deviendront des marins par « le temps et la pratique […] bon gré malgré »361 : En moins de trois ans ils connaissent chaque cordage et chaque poulie du navire, et sans un atome de mathématiques ils savent les manier et s’en servir bien mieux que le plus grand mathématicien n’y serait parvenu en une vie entière s’il avait jamais été en mer. Ce livre dont je parle, entre autres curiosités, démontre l’angle que le gouvernail doit faire avec la quille pour donner la plus grande puissance à l’effet qu’il exerce sur le bâtiment. Ceci a bien son mérite ; mais un garçon de quinze ans, qui a fait un an de son temps sur un heu362, sait pratiquement tout ce qu’il y a d’utile dans cette démonstration. Voyant la poupe répondre toujours au mouvement de la barre, il ne prête attention qu’à cette dernière, sans réfléchir le moins du monde au gouvernail, de sorte qu’un ou deux ans plus tard sa connaissance de la navigation et sa capacité de gouverner son bateau lui sont devenues si habituelles qu’il le dirige comme il le fait de son propre corps, par instinct, même quand il dort à moitié ou qu’il pense à tout autre chose363.
Au lieu de discerner dans ces longs processus d’apprentissage des acquisitions par l’expérience et le développement de savoirs, B. Mandeville prête un caractère naturel et d’habitude à ces compétences qui au fil du temps et de l’usage que chacun fait de lui-même, s’incorporent jusque dans le corps. Il semble passer à côté du processus dont il décrit si bien et avec tant de justesse les conditions de stabilité sur un ouvrage ou à un périmètre de tâches qui le rendent possible. Pourtant il faut constater, en reprenant un vocabulaire ergologique, qu’il met en exergue l’importance de ces savoirs d’expérience qui se substituent à des savoirs académiques.
Malgré cette analyse, pour B. Mandeville la division du travail est au contraire le « substitut de la dextérité »364. Ainsi fait-il dire à Horatio dans le sixième dialogue de la deuxième partie de la Fable écrit en réponse à ses détracteurs que l’horlogerie est arrivée à un degré de perfection plus élevé que ce n’aurait été le cas, si tout le travail était resté l’affaire d’une seule personne. Je suis convaincu que l’abondance même de pendules et de montres dont nous jouissons, aussi bien que la précision et la beauté qu’on arrive à leur donner, sont principalement dues à la division que l’on a faite de cet art en de nombreuses branches365.
Cette forme nouvelle de division du travail où chaque ouvrier ne fait qu’une part du produit final est celle qui concourt à la production de produits de plus en plus perfectionnés, de plus elle est présentée comme une condition indispensable pour parvenir à une abondance de ces biens toujours renouvelés, à la pointe. Cela ne l’empêche pas d’être extrêmement critique envers cette division manufacturière du travail qui sépare les hommes entre des « gens désoeuvrés et indolents, qui aiment la retraite et haïssent la besogne, et se plaisent à la spéculation » et « les hommes actifs, remuants et laborieux, ceux qui veulent bien mettre la main à la pâte, faire des expériences, et donner tous leurs soins à l’affaire en train »366. Il ne postule pas que les inventions et améliorations des arts vont venir des concepteurs livrés à la spéculation, « qui s’enquièrent de la raison des choses »367, pour lui, elles viendront des seconds, qui expérimentent, tâtonnent, essayent, échouent et finalement réussissent à innover pour alimenter la consommation : cette émulation, ces efforts continuels pour l’emporter les uns sur les autres […] font que, après tous ces changements et ces variations dans les modes, où on en invente de nouvelles et on en renouvelle d’anciennes, il reste encore un plus ultra pour les gens ingénieux. C’est elle, ou du moins ce sont ses conséquences, qui donnent du travail aux pauvres, stimulent l’industrie, et encouragent l’ouvrier habile à chercher encore des perfectionnements368.
Ce passage du texte pourrait presque apparaître comme une valorisation du processus d’innovation issu de l’activité, mais il ne faut pas s’y tromper, B. Mandeville analyse les conditions qui permettent que les travailleurs se mettent à l’ouvrage, les conditions nécessaires pour la production de biens perfectionnés et en abondance, sans rupture du rythme productif. Supposant que, par des lois encourageant la frugalité au niveau national, chaque ouvrier ait épargné un cinquième de son revenu pendant cinq années, « transportés de joie par cette augmentation de richesse, voyons dans quelles conditions / seraient les travailleurs » :
S’ils peuvent subsister avec quatre jours de travail par semaine, [ils] se laisseront difficilement persuader de travailler le cinquième jour ; on sait aussi qu’il y a des milliers d’ouvriers de toutes sortes qui ont du mal à subsister et qui pourtant s’exposeront à cent désagréments, déplairont à leurs maîtres, se priveront de manger, et feront des dettes pour prendre des vacances. Quand les hommes montrent une propension aussi extraordinaire à la paresse et au plaisir, quelle raison avons-nous de penser qu’ils se mettraient au travail s’ils n’y étaient pas forcés par une nécessité immédiate ? Quand on voit un artisan qu’on ne peut pas faire aller à son travail avant le mardi parce que le lundi matin il lui reste deux shillings de sa paye de la semaine, comment s’imaginer qu’il irait faire aucun travail s’il avait quinze ou vingt livres en poche ?369
Et B. Mandeville d’en conclure que les manufactures ne pouvant souffrir une quelconque rupture de rythme, puisqu’elles doivent être en mesure de satisfaire leurs commandes, il faut s’assurer par une sorte de main mise économique que les pauvres ne pourront pas ne pas travailler et si le salaire des ouvriers doit être proportionné au prix des denrées, la société doit fonctionner de cette manière où tout ce qui procure de l’abondance rend la main-d’œuvre bon marché quand on sait mener les pauvres. Car s’il faut les empêcher de mourir de faim, il faut aussi qu’ils ne reçoivent rien qui vaille la peine d’être mis de côté370.
Les bases sur lesquelles se construit la réflexion sur la division du travail émergent comme un règlement suprême des conditions de l’échange, forcément définies en surplomb des réalités vécues par les hommes, assumées comme profondément inégalitaires. Au nom de l’indispensable grandeur de la nation un certain nombre d’effets sociaux négatifs voire pervers deviennent acceptables pour pouvoir construire et faire fonctionner un système économique dans toute sa puissance. Néanmoins B. Mandeville n’ignore pas les tensions dans la détermination du prix du travail, ainsi dans un passage où il explore les mécanismes de la paresse il développe l’exemple d’un portefaix qui refuse de porter une lettre en journée pour un sou et se lève la nuit pour le faire sous la pluie pour un écu, il définit ce type d’hommes en disant qu’ils « sont malins et savent le vrai prix de leur travail » qu’ils ne veulent pas faire baisser371. Il faut alors relever ici sa réduction de l’échange à sa seule valeur monétaire conforme à sa vision d’un homme mu par les vices et l’appât du gain, sans supposer d’autres conditions possibles ayant permis cette acceptation, peut-être impénétrables pour autrui. C’est à partir de tels développements que la voie est ouverte à l’idée que les déterminants objectifs du travail ont été cernés, que les éléments à fournir pour influer sur l’agir humain au travail sont connus par avance et globalement les similaires, voire identiques, pour tous.
En conclusion, le paradoxe fondateur de la société capitaliste et les ambivalences incessantes de la pensée mandevilienne permettent de comprendre que le personnage ait toujours été inclassable : pour K. Marx « écrivain courageux et forte tête »372, inspirateur à la fois d’économistes comme J. M. Keynes (1883-1946), dont il est limpide qu’il a été la source laquelle puise sa théorie de la relance par la consommation, ou d’autres aux théories opposées comme le libéral F. A. Hayek (1899-1992)373 pourtant défenseur de l’absence d’intervention de l’Etat dans le système économique.
Il apparaît que se plonger dans cette pensée mandevilienne avec deux niveaux de lecture en permet une meilleure compréhension : B. Mandeville passe tout à tour de la considération du point de vue de l’individu et de son intérêt, son habileté, ses vices et ses passions propres, à l’intérêt général du développement économique de la société tout entière qui prime et ce quelles que soient les voies inégalitaires, injustes ou immorales qui en forment les conditions d’accession. Les deux niveaux de lecture restent néanmoins très généraux et correspondent à une esquisse à grands traits des processus à l’œuvre dans la société civile anglaise de la seconde moitié du XVIIIe siècle, comme des macro déterminations permettant d’appréhender le monde et en son centre le travail créateur de richesses.
The Scottish en lightenment : des « conditions » aux effets déshumanisants, indispensables pour le développement
Au milieu du XVIIIe siècle, se détache avec D. Hume puis A. Ferguson (1723-1816) et A. Smith, une autre tradition philosophique dite The Scottish Enlightenment traduit par les Lumières écossaises, qui va venir alimenter le concept de « conditions de travail » par sa réflexion sur la division du travail, surtout par les travaux des deux derniers. L’accroissement de la productivité des manufactures, comme le montre la fascination de A. Smith pour l’exemple de l’épingle374 repris des encyclopédistes375, amène à considérer comme prodigieuses l’apparition de « conditions » antérieures à l’acte de travail, définies par d’autres préalablement à celui-ci et le plus précisément possible. La spécificité du point de vue des penseurs écossais paraît venir à la fois de leur postulat que la division du travail est un principe décisif » de développement social376 ainsi que de leur analyse non révolutionnaire des effets négatifs sur le travailleur – inégalités, ignorance, etc. -, considérés comme le corollaire nécessaire de ce développement377.
Chez ces auteurs, K. Marx ira puiser les bases de sa propre réflexion sur la division du travail en insistant particulièrement sur les travaux de A. Ferguson dont la présentation de la division du travail apparaît la plus complexe et déjà presque dialectique378, c’est-à-dire postulant les liens et imbrications entre les différentes conditions que fait naître cette forme nouvelle de division du travail comme un système d’éléments interdépendants.
A. Ferguson, le morcellement de l’homme
La première caractéristique de l’analyse que font les philosophes écossais de la division du travail est qu’elle correspond au niveau macro à une condition indispensable pour sortir les hommes de l’état sauvage initial. Dans un court chapitre de son Essai sur l’histoire de la société civile intitulé « De la séparation des arts et des professions »379 et consacré à cette question en une douzaine de paragraphes, sans pour autant faire usage de l’expression « division du travail », A. Ferguson écrit dès le premier :
Un peuple, quoiqu’il soit pressé par l’aiguillon de la nécessité, par le désir de bien-être […] ne peut faire de grand progrès dans le développement des arts de la vie, tant qu’il n’a pas séparé et réparti à des personnes différentes les tâches diverses qui demandent une attention et une adresse particulières. Le sauvage ou le barbare, obligé de bâtir, de cultiver, de fabriquer pour son propre usage, aime mieux passer dans l’oisiveté les intervalles que lui laissent les besognes et les alarmes, plutôt que de songer aux moyens d’améliorer sa situation380.
Cependant s’il y a des conditions qui favorisent le progrès social, que la division du travail en est la première et apparaît comme incontournable, ces conditions sont définies comme naturelles, produites par l’accumulation de l’expérience humaine et non par une volonté de l’humanité de produire des innovations afin d’améliorer son existence et de vivre dans l’abondance. Le philosophe et historien des idées N. Waszek écrit que pour A. Ferguson, « le progrès incontestable de l’espèce humaine n’est pas […] le produit linéaire d’un plan rationnel. C’est plutôt un processus spontané, si ce n’est même un résultat qui n’a pas été voulu »381. En cela, le philosophe écossais semble reprendre une idée d’un précédent philosophe phare des Lumières écossaises, D. Hume : la raison n’est qu’un instinct merveilleux et inintelligible présent dans notre âme, qui nous conduit à travers un certain enchaînement d’idées qu’il dote de qualités particulières, en fonction de leurs situations et relations particulières. Cet instinct […] naît de l’observation et de l’expérience passées ; mais quelqu’un peut-il donner la raison ultime du fait que l’expérience et l’observation passées produisent cet effet, plutôt que la nature à elle seule ? La nature peut certainement produire tout ce qui peut naître de l’habitude ; mieux, l’habitude n’est que l’un des principes de la nature et elle tire toute sa force de cette origine382.
Cette attribution à l’habitude de ce qui pourrait l’être à l’intelligence humaine rejoint ce que postulait B. Mandeville à propos des matelots et des processus qu’ils avaient acquis par l’expérience leur permettant de diriger un bateau avec un instinct quasi animal, ne requérant pas de penser. Ainsi il est possible de discerner que la conception simplifiante du travail puise ses racines dans une perspective naturaliste assez ancienne.
Smith, la perfection du travail simplifié
J.-P. Séris définit le cadre conceptuel de A. Smith comme largement redevable de l’arithmétique politique de W. Petty (1623-1687) et de la philosophie de B. Mandeville407. Nous ne nous attarderons pas sur le premier, notre idée n’étant pas d’explorer la théorie économique smithienne mais de comprendre ce qui en fait la base : sa conception de la division du travail comme un ensemble de facteurs économiquement indispensables pour produire et faire progresser continûment la richesse des nations.
A. Smith qui reprend sans le citer B. Mandeville, ce que souligne K. Marx dans le chapitre du Capital sur la division du travail408, ne semble pas en accord avec sa pensée sur deux points. Le premier point est celui du paradoxe mandevilien de vices privés qui font le bien public qui ne correspond pas à ce que défend A. Smith, qui semble se vouloir plus pondéré que l’auteur de la Fable, cependant sa théorie d’une main invisible du marché apparaît dans la continuité d’un paradoxe de Mandeville édulcoré : chaque individu travaille nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la société. A la vérité, son intention, en général, n’est pas en cela de servir l’intérêt public, et il ne sait même pas jusqu’à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l’industrie nationale à celui de l’industrie étrangère, il ne pense qu’à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler409.
Ce sont donc les rapports qui s’établissent et se régulent de manière globale, sous l’effet d’une main invisible smithienne bien reprise depuis, qui font les conditions de prospérité de la société, quel que soit l’intérêt individuel que chacun tente de faire primer. De même, il reprend l’idée du paradoxe mandevilien lorsqu’il écrit plus explicitement à propos des vices qui forment une sorte de principe moteur des actions humaines : Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage410.
De plus, A. Smith fait une interprétation de la division du travail opposée à celle de Mandeville – et à celle de A. Ferguson, qui n’est pas son maître contrairement à ce qu’écrit K. Marx411 mais un contemporain et ami que l’on peut classer dans la même école de pensée et avec des préoccupations de recherche communes412 -, pour lui elle accroît la dextérité et c’est ainsi que se forme le socle qui fait la richesse des nations. En effet, le premier chapitre des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations expose la division du travail et les trois « circonstances différentes », « circumstances » qui pourraient être traduites comme « conditions » qui en permettent la productivité : premièrement l’accroissement de l’habileté dans l’ouvrier augmente la quantité d’ouvrage qu’il peut accomplir, et la division du travail, en réduisant la tâche de chaque homme à quelque opération très simple et en faisant de cette opération la seule occupation de sa vie, lui fait acquérir nécessairement une très grande dextérité413.
La première condition de productivité de la division du travail est celle qui instaure la première ambiguïté des conditions de travail dans l’activité des sujets, l’acquisition de cette dextérité indispensable a pour « envers négatif [de] simplifier le travail, donc le travailleur »414. Y. Schwartz met en évidence que « se développe […] profondément l’idée, dans le champ culturel, que la manufacture, en spécialisant les hommes sur des opérations manuelles simples, a maîtrisé les ressorts du travail humain »415, c’est-à-dire que cette maîtrise est rendue possible par une division accrue du travail devenue technique. Le travail apparaît alors conditionné par la division du travail et son essai de le conditionner, essai qui pour une part semble opérant puisqu’il favorise à la fois la productivité et le progrès social au sens de l’augmentation de la richesse de la société.
Le « travail concret » subsumé par le « travail abstrait »
Les liens entre l’histoire et la vie fondent notre problématique et en suivant K. Marx dans sa réflexion sur la marchandise, apparaît masqué le caractère double du travail, expression de valeur d’usage et d’échange. Caché par une inversion qui rend l’objet du travail et par là même le travail subsumé par la valeur d’échange, « le travail concret devient la forme de manifestation de son contraire, le travail humain abstrait »484. En effet, le travail n’a d’expression que dans sa forme relative à un autre travail. Pour comparer, il convient d’avoir une unité de mesure commune, un équivalent. Cet équivalent est le temps socialement nécessaire à la fabrication c’est-à-dire « le temps qu’exige tout travail exécuté avec le degré d’habileté moyen d’habileté et d’intensité et dans des conditions qui, par rapport au milieu social donné, sont normales »485. Ces conditions qui peuvent être considérées comme conditions de travail » apparaissent alors totalement désincarnées, à distance de tout antagonisme, dans cette conception qui vise à ce qu’une marchandise « possède naturellement forme de valeur »486 en effaçant le travail humain quelles que soient les conditions qui ont été régulées ou transformées par les sujets pour la produire. C’est ce qui permet d’arriver au point que « le travail créateur de valeur d’échange se caractérise […] par le fait que les relations sociales entre les personnes se présentent pour ainsi dire comme inversées, comme un rapport social entre les choses »487.
En effet, les rapports sociaux de production ne visent pas à la compréhension du travail d’autrui mais au contraire à la neutralisation des variabilités le temps de l’échange, pour permettre aux marchandises de ne plus être seulement des produits mais des « choses qui tombent ou ne tombent pas sous les sens, ou choses sociales » dont la « nature physique », la matérialité, n’a rien à faire dans le « rapport social déterminé des hommes entre eux »488. C’est ce caractère fétiche de la marchandise qui fige les rapports de production et obstrue l’accès aux conditions réelles du travail humain. C’est pourquoi nous rejoignons l’analyse de S. Haber qui défend une « lecture maximaliste » de l’argument du fétichisme de la marchandise : Marx affirme dans ce passage que, en raison de la sphère marchande dont il apparaîtra bientôt qu’elle est solidaire du capitalisme, le monde social apparaît dominé par les choses et par la circulation des choses. Ce primat de la choséité s’exprime de deux façons, puisque, apparemment, pour Marx, la « chose » est à la fois ce qui est extérieur à l’activité et ce qui peut être utilisé par elle. On peut donc dire que, d’une part, sous le premier aspect, la vie sociale, les rapports sociaux, n’apparaissent pas comme nôtres, c’est-à-dire comme des libres créations de la volonté humaine, mais plutôt comme organisés par des lois anonymes, objectives, naturelles, formant un système transcendant qui s’impose aux agents et les contraint ; tandis que, d’autre part, sous le second aspect, à mesure que des domaines de plus en plus importants sont saisis par la logique de la circulation, de nombreux éléments de la vie humaine se trouvent chosifiés, c’est-à-dire traités, manipulés, comme le seraient des choses dont on fait usage instrumentalement489.
Cette lecture maximaliste permet de comprendre comment s’ouvre la voie de la désadhérence partir de l’analyse marxienne. Quel que soit le mouvement dialectique exposé par K. Marx, la forme de sa dénonciation tend à couvrir les mouvements instables, irréguliers, singuliers, variables, et donc bien difficiles à appréhender que les forces de travail en activité génèrent en produisant des valeurs d’usage, par le travail concret.
Des « conditions » qui changent avec le développement des formes capitalistiques de production
A propos des règlements des manufactures évoqués précédemment, M. Foucault les désigne comme des « schémas anciens » à l’intérieur desquels « les nouvelles disciplines n’ont pas eu de peine à se loger » et pointe le premier élément de la forme nouvelle de contrôle de l’activité » qui s’instaure : « l’emploi du temps »583.
Mais ces procédés de régularisation temporelle dont elles héritent, les disciplines les modifient. En les affinant d’abord. C’est en quarts d’heure, en minutes, en secondes qu’on se met à compter […] L’extension progressive du salariat entraîne […] un quadrillage resserré du temps […] il s’agit de constituer du temps intégralement utile […] Le temps mesuré et payé doit être aussi un temps sans impureté ni défaut, un temps de bonne qualité, tout au long duquel le corps reste appliqué à son exercice. L’exactitude et l’application sont, avec la régularité, les vertus fondamentales du temps disciplinaire584.
De ces nouvelles disciplines rapidement dénommées comme celles issues de la période charnière dite de la « révolution industrielle », il faut se demander si en tant que conditions nouvelles de l’activité, elles ont réellement pu s’imposer massivement, ce qui rejoint l’idée d’un ensemble de précautions à prendre pour aborder ce concept de « révolution industrielle » qui tend à écraser l’histoire des configurations de vie différenciées que produisent les individus en tant que « corps-soi » sous une catégorie globalisante585. Il semble également nécessaire de s’interroger également sur le rapport personnel à ces conditions nouvelles qu’ont pu établir les individus.
Nous ne nous positionnons pas dans une conception qui récuserait totalement l’analyse foucaldienne du fait de la singularité absolue et toujours renouvelée de l’activité humaine. L’activité se construit en référence à un certain nombre de normes antécédentes qui même saisies, traitées et transformées par un sujet toujours acteur de son processus d’activité et porteur d’une puissance émancipatrice, est pris en tension avec ces normes antécédentes, support des possibles qu’il va construire et des impasses auxquelles il est nécessairement confronté. Tout ne peut pas être totalement transformé dans les conditions du milieu dont l’individu fait la synthèse lors de la mise en œuvre de son agir, l’analyse de ces normes antécédentes – disciplines, prescriptions, règlements, moyens, etc. – est donc fondamentale pour parvenir à une connaissance du processus d’activité des individus, sinon dans son entièreté, sans tronquer ses dimensions fondatrices. Cependant, et c’est là que nous estimons devoir nuancer l’analyse proposée par M. Foucault, la mise en tension entre ces conditions pour l’activité et la création toujours personnelle de son propre processus par un individu explique que les appropriations, les mouvements historiques transformateurs doivent faire l’objet d’une approche différenciée c’est-à-dire non comme « objet » justement mais comme « matière étrangère » aux formes multiples, singulières et perpétuellement renouvelées. C’est cette approche épistémologique renouvelée de l’historiographie qui est revendiquée par des chercheurs qui dans la lignée des travaux de l’historien anglais E. P. Thompson se proposent de faire l’histoire « par le bas », « history from below »586 : G. Carnino, C. Moriceau, F. Jarrige, jeunes historiens qui s’approprient cette démarche de production de connaissances, comme le faisait déjà M. Perrot, faute de pouvoir, bien entendu, avoir un contact direct avec les populations du passé dont ils tentent de faire l’histoire.
Evolution du rapport au temps, évolution du rapport à l’espace
Nous avons évoqué l’« entrée dans un nouvel espace-temps »631 de ces personnes qui ne sont plus confrontées aux mêmes conditions, cette évolution des conditions qui d’assimilées à quasi naturelles car venant de soi et du rythme des saisons pour les paysans, des fêtes et coutumes traditionnelles pour les citadins632, deviennent imposées de l’extérieur par d’autres que soi, ce qui apparaît particulièrement intrusif notamment pour les paysans qui n’étaient soumis à aucune règle de métier corporative.
L’historien E. P. Thompson revient sur la condition temporelle dans un long texte consacré au temps et parle d’un temps devenu « de l’argent – l’argent de l’employeur. L’emploi d’une main-d’œuvre constitue le point charnière entre le travail orienté par la tâche et le travail horaire »633. Pour le contexte britannique, il relève que C’est précisément dans les secteurs où la nouvelle discipline horaire a été imposée avec le plus de rigueur – les filatures et les ateliers de mécanique – que les ouvriers se sont élevés le plus violemment contre les temps de travail634.
Par la suite, avec toute « la propagande […] déversée sur les classes laborieuses » pendant tout le XIXe siècle635, il estime que ces nouvelles conditions, disciplinaires et temporelles, imposées pour le travail ont été acceptées et surtout internalisées par les individus636. L’achat d’une montre symbolise également cette acceptation de la servitude du point de vue de l’historien, le temps n’est plus vécu en fonction du rythme des travaux, du cycle de la nature, et ce même s’il précise que la montre était également un signe extérieur de richesse et « pour le pauvre, un moyen de placer ses économies. [puisqu’] Elle pouvait, en cas de besoin, être vendue ou gagée »637.
Effectivement l’appréhension du temps est fondamentale dans la mise en jeu de soi qui se joue dans le travail. C’est pourquoi cette modification des modes de travail, désignée par E. P. Thompson comme l’imposition du « temps de l’horloge »638 et son acceptation, est une condition fondamentale du nouveau mode de production qui s’installe, avec un temps compté par d’autres grâce à la prescription d’un périmètre défini de tâches et normé par un affichage horloger en pleine diffusion. Ce temps si intrinsèque à l’être que le kantisme en faisait une condition transcendantale de l’expérience, parvient alors dans cette nouvelle organisation du monde productif à rendre la perception du temps propre à l’individu peu à peu étrangère à lui-même, sans pour autant que les modes opératoires soient encore prescrits comme l’imposera le taylorisme. Chacun a une tâche dans cette division du travail et la réalise selon sa propre méthode, cependant la dépossession du lien personnel entre le milieu et soi-même paraît entamée. Il ne faut donc pas faire de confusion avec ce que nous trouverons radicalisé chez S. Weil639 par des conditions de rationalisation poussées au maximum par autrui dans le modèle de l’Organisation Scientifique du Travail, c’est-à-dire de la rationalité d’autrui qui s’impose non plus seulement dans le domaine de l’agir propre du sujet mais dans les gestes du sujet. Ici se dessinent les prémices d’une liberté qui tend à être obérée par ce temps rendu étranger à soi-même parce que compté par autrui. M. Foucault parle de nouveau « procédé » ou de « nouvelle technique de pouvoir » et donne différents exemples de la discipline dans les ateliers, qui a commencé à se former aux XVIIe et XVIIIe siècle, dans lesquels, lorsqu’on a remplacé les petits ateliers de type corporatif par des grands ateliers avec toute une série d’ouvriers – des centaines d’ouvriers -, il fallait à la fois surveiller et coordonner les gestes les uns avec les autres, avec la division du travail. La division du travail a été, en même temps, la raison pour laquelle on a été obligé d’inventer cette nouvelle discipline d’atelier, c’est-à-dire sans la hiérarchie, sans la surveillance, sans l’apparition des contremaîtres, sans le contrôle chronométrique des gestes, il n’aurait pas été possible d’obtenir la division du travail640.
Cette forme d’interposition du temps d’autrui qui précède l’action pénètre même l’univers du travail à domicile avec des produits attendus à date plus ou moins fixe dans un travail aux pièces pourtant exécuté sans surveillance constante. La dimension de prise de pouvoir sur les conditions de travail apparaît alors se dessiner nettement. Ce qu’ajoute la division du travail même sans la discipline usinière, c’est un rythme pré-défini pour une tâche à accomplir interdépendante avec celle d’autrui pour fournir le produit fini, un décompte du temps et une surveillance temporelle accrue du fait de la tâche prescrite. Prescrire la tâche c’est compter le temps, c’est toucher à la dimension de l’agir dans ce qu’elle a de plus concret, dans ce qui est vécu au plus profond de soi, totalement intrinsèque au corps-soi.
Cette dimension disciplinaire est donc une condition corrélative de la division du travail, vecteur dont la trajectoire se poursuit jusque dans l’exécution de chaque geste. C’est à propos de ce pouvoir que M. Foucault a parlé d’anatomo-politique, la discipline sur le corps au sens disciplinaire. Cependant nous ne rejoignons pas l’idée de E. P. Thompson qui postule l’internalisation de ces normes par les individus, de même si nous trouvons une justesse quant aux nouvelles conditions disciplinaires et leurs racines, telles que les analyse M. Foucault, notre regard sur l’activité humaine et son processus d’appropriation des normes ne nous fait pas sauter le pas jusqu’à la soumission rendue uniforme à ces nouvelles conditions. En effet, l’absence de résistance active ne signifie pas l’internalisation de la norme et la mise en évidence par l’historien A. Dewerpe des évolutions très progressives et non homogènes de l’industrialisation en France, différente en cela du modèle anglais d’industrialisation641, nous amène à penser à une tension plus complexe entre les normes et la volonté normative des individus.
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Table des matières
INTRODUCTION : DES « CONVOCATIONS » A PENSER LE CONCEPT
Le concept de « conditions de travail » : objet composite
Définitions empiriques
Contextes d’utilisation
Définitions d’usage
L’origine du projet de thèse : une demande de « photographie »
Des relations antagoniques autour de l’ « objet » de recherche
Un dispositif pluri institutionnel
Le cahier des charges : un exercice d’équilibriste
Une conception du travail et des rapports sociaux qui fait patrimoine : tentative de décentrement
Quelles « conditions de travail » pour l’Observatoire de l’ANPE ?
Des « conditions » qui dépassent la situation : l’influence d’un nouveau modèle de gestion sur l’activité
La neutralisation des variabilités locales au nom de l’uniformité du service à rendre
Les configurations d’activité mises en place par les agents : stratégies individuelles et collectives,
arbitrages et débats de valeurs
L’écueil du concept
Un début d’appropriation de l complexité des « conditions de travail »
Repli sur des données quantitatives et entrecroisement des points de vue professionnels
Cadre théorique : une démarche ergologique, à la croisée de l’épistémologie et de la philosophie sociale
Problématique : un concept figeant en attente d’un usage critique
1. LE CONCEPT DE « CONDITIONS DE TRAVAIL » : QUELS HERITAGES PHILOSOPHIQUES ?
1.1 La fabrication philosophique de la notion de « condition »
1.1.1 Un premier jalon : la condition logique
1.1.2 E. Kant : les conditions de l’expérience
Les conditions transcendantales de l’expérience
L’unité du sujet transcendantal
La critique fechnérienne de l’impossibilité kantienne de fonder une science du sujet
1.2 La réflexion sur la division du travail
1.2.1 Aux ferments du libéralisme, le paradoxe de B. Mandeville
1.2.2 The Scottish enlightenment : des « conditions » aux effets déshumanisants, indispensables pour le développement
A. Ferguson, le morcellement de l’homme
A. Smith, la perfection du travail simplifié
1.3 K. Marx : la matérialisation du concept de « condition »
1.3.1 La théorisation du mode de production capitaliste
Une conception révolutionnaire : la transformation du monde
Le double caractère du travail
Le « travail concret » subsumé par le « travail abstrait »
1.3.2 Des conditions entre aliénation et « insubordination »
De l’aliénation à la « dépossession »
Le procès de travail pris dans la « tension de la volonté »
L’ « Enquête ouvrière » de K. Marx
2. LE LONG XIXE SIECLE : DES « CONDITIONS » POUR LE TRAVAIL
2.1 Des « conditions » qui dégradent la vie et la santé des travailleurs ?
2.1.1 Des « conditions » qui changent avec le développement des formes capitalistiques de production
Un détour dans notre parcours de recherche : la naissance du compagnonnage
« Révolution industrielle » ou évolution des modes de travail ?
Evolution du rapport au temps, évolution du rapport à l’espace
2.1.2 La tradition hygiéniste : quelles « conditions » pour préserver la santé des corps ?
B. Ramazzini, précurseur du lien entre « conditions » et effets du travail
L. R. Villermé : entre « conditions de travail » et hygiénisme pour la « condition ouvrière »
2.2 La dénonciation politique des « conditions » de l’exploitation
2.2.1 Le refus de la misère et de la paupérisation, figures de l’« indignation »
E. Buret : « un cri d’alarme sur la misère ouvrière »
F. Tristan : la mise en évidence des «conditions de travail » au féminin, et l’appel à l’Union ouvrière
2.2.2 F. Engels : la mise en accusation des rapports sociaux instaurés par le capitalisme
2.3 Des voies diverses vers le progrès social : inventer, déterminer ou réformer les « conditions »
2.3.1 Le socialisme utopique : créer des « conditions » idéales de travail et de vie
R. Owen : coopérer sans conflit et modifier les « circonstances »
J.-B. Godin : le fouriérisme pour modèle dans l’incarnation des conditions
L. Blanc, parler de l’organisation du travail avant la révolution politique
2.3.2 Le paternalisme : favoriser un « industrialisme ouvrier » en liant « conditions » de travail et de vie
2.3.3 Le catholicisme social : entre emprise et humanisme
Une encyclique fondatrice sur la « question ouvrière », Rerum Novarum
Réformer sans bouleverser l’échiquier social : aménager des « conditions de travail » dignes par la
consommation
3. DE LA MISE EN SCIENCE A SES PREMIERES CRITIQUES : DES PROCESSUS D’« USURPATION » DE L’ACTIVITE HUMAINE
3.1 Le scientisme et la première psychologie expérimentale
3.1.1 Aux origines de la psychologie expérimentale, la psychophysique
3.1.2 La psychotechnique : une discipline née de la problématique de l’usure posée par les conditions du travail humain
Le développement d’une gestion des personnes et des conditions du travail : politique et organisation du travail
La possible résolution de la question sociale par la science
L’affirmation continue de la scientificité de la discipline par la maîtrise des conditions expérimentales
3.1.3 L’Organisation Scientifique du Travail : « scientiser » les « conditions » de la production
La maîtrise des « conditions de travail » : F. W. Taylor ou l’introduction d’un nouveau paradigme
Des séquences d’action insérées dans un régime mécanique : les « conditions » du travail à la chaîne
Diffusion, hybridation et subordination au modèle de rationalisation des « conditions de travail »
3.2 L’affirmation de la spiritualité : s’engager pour transformer les « conditions » d’existence
3.2.1 Simone Weil, La Condition ouvrière au prisme de l’OST
Les effets des conditions de travail : « monotonie » et « intensité »
Des conditions de travail tournées vers la production : « exploitation » et « oppression »
Les grèves de « la joie »
La recherche d’une autre forme de conception des conditions de travail
3.2.2 Le personnalisme chrétien : des « conditions » au-delà de l’individu
La personne « créatrice »
Le refus d’utiliser la personne comme « moyen »
L’affirmation que le travail n’est pas la fin unique de l’activité
3.3 L’activité industrieuse : une transformation du milieu
3.3.1 G. Canguilhem : le refus d’un « vivant simplifié »
L’absence de conditions « données » par le milieu
L’individu, sujet de ses propres normes
D’ « une rationalisation » à « des rationalisations »
3.3.2 L’ergonomie, discipline centrale dans l’analyse des conditions de travail
La rupture avec la méthode expérimentale et la « bataille du travail réel »
La fonction intégratrice de l’activité de travail et la construction de compromis
Le but de l’ergonomie : la transformation des conditions de travail
3.4 L’institutionnalisation du concept de « conditions de travail »
3.4.1 Des contenus pour le concept
Le choix prépositionnel : des oscillations polarisatrices du rapport au travail ?
Des « conditions » qui font système
La recherche d’« objectivité » sur le concept de « conditions de travail » : la grille du LEST
Quel positionnement patronal vis-à-vis de l’amélioration des « conditions de travail » ?
3.4.2 La veille statistique des Etats : la mise en place d’enquêtes « conditions de travail »
La statistique au service de la santé publique
Le sens institutionnel du concept : une conception parcellisée de l’expérience productive
Les limites du découpage statistique
3.5 L’ergologie : une épistémologie vivante
3.5.1 Quelles pesanteurs dans le rappel des conditions ?
H. Arendt, The human condition : une vision figeante qui pointe le risque de perte d’identité
L’assignation des places : focus sur la condition sociale
La naturalisation des conditions : de la condition féminine à l’espace
Des concepts où affleure l’émancipation : « capabilities » et « empowerment » ou « pouvoir d’agir »
3.5.2 Pour un usage ergologique du concept de « conditions de travail »
Des « conditions de travail » à la « dialectique des normes »
Un espace social tripolaire qui délimite le champ des « conditions de travail »
Proposition de modélisation ergologique du concept de « conditions de travail »
3.5.3 Pour une définition continue des « conditions de travail » : un enjeu de démocratie sociale
Quelle intégration de la capacité à être du sujet ?
Les difficultés du droit du travail : la subordination et le contrat de travail jusqu’aux formes
contemporaines de l’activité
Quel mode de dialogue avec le sujet et les collectifs en activité ?
La contradiction de nos sociétés « marchandes et de droit »
CONCLUSION : FAIRE EMERGER DES RESERVES D’ALTERNATIVES
Un usage du concept renouvelé
Favoriser la dynamique des débats de normes, et de valeurs
Une voie pour dépasser les ambivalences patronales et syndicales et apporter des réponses à une problématique de société
BIBLIOGRAPHIE
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