La néphropathie à BK virus
La néphropathie à BK virus PyVAN est une des complications virales la plus commune en transplantation rénale. Elle est reconnue comme cause croissante de dysfonction de greffon et de perte de greffon. Depuis la première description de la néphropathie à BK virus en 1995 (7), la prévalence de cette néphropathie varie entre 1 et 10% des transplantés rénaux. Elle conduit à la perte de greffon dans 30 à 80% des cas. Le BK virus et le JC virus ont été isolés pour la première fois en 1971 (8). Ces polyomavirus sont ubiquitaires, avec un taux de séroprévalence entre 70 et 90% dans la population adulte. La primo-infection se fait généralement dans l’enfance à l’âge médian de 5 ans, et est asymptomatique. Après la primo infection, les virus restent latents dans différents sites, à savoir le tractus urinaire, les lymphocytes B, le cerveau, la rate et probablement d’autres organes. La réactivation du virus survient à la fois chez les patients immunocompétents (dans 0 à 62% des cas) et les patients immunodéprimés (9) et est mise en évidence par une virurie asymptomatique. En 1995, Purighalla décrivait le premier cas de PyVAN (10). Depuis la prévalence des PyVAN varie de 1 à 10% (moyenne 5.1%). L’émergence de cette néphropathie semble liée à la majoration de l’immunosuppression du greffé rénal et des nouvelles stratégies de traitement immunosuppresseur. La majorité des cas survient dans la première année de transplantation, bien que 25% des cas soient diagnostiqués plus tard. L’impact clinique est important avec une perte de greffon de 30 à plus de 80% des cas (11 13) Dans les centres de transplantation réalisant un dépistage systématique de la virémie et virurie de BK virus, le taux de perte du greffon est plus bas (14). Un dépistage régulier est actuellement recommandé au moins tous les 3 mois dans les deux premières années de la transplantation (15), puis annuellement pendant 5 ans. Le dépistage peut être réalisé soit par le dosage de la virurie Bkv, la recherche de Decoy cells (Annexe, Figure 3) ou bien le dosage de la virémie Bkv. Plusieurs études montrent que la virémie BKv est rarement observée chez les autres transplantés d’organe malgré un même niveau d’immunosuppression. De rares cas ont rapporté des néphropathies à Bk virus confirmées histologiquement chez d’autres transplantés d’organe (16–22). Chez les allogreffés de moelle osseuse, la réplication virale du BK virus est plus communément associée à des cystites hémorragiques dans 5 à 7% de leur population.(23,24) La condition sine qua none du développement de la PyVAN est la présence d’une intense immunosuppression, indépendamment des molécules utilisées (25). D’autres facteurs de risque semblent être identifiés : âge >50 ans, sexe masculin, diabète, coinfection au CMV, mismatch HLA, épisodes de rejets aigus (traité par thymoglobuline et bolus de stéroïdes), présence d’une insuffisance rénale(26). La physiopathologie semble mettre en jeu l’immunité cellulaire. Les lymphocytes T CD4+ et CD8+ jouent un rôle dans l’immunité dirigée contre le BK virus. La réponse immunitaire lymphocytaire T est dirigée contre à la fois contre les protéines de la capside et les protéines non structurelles du virus. Chen et al (27) montre que chez les patients transplantés rénaux, une forte réponse des lymphocytes CD8 était associée à une virémie et virurie BK plus faible que chez les patients avec une faible réponse CD8. D’autres études (28,29) montrent que la réponse lymphocytaire CD4+ était dirigée contre les protéines de la capside VP1 et VP3. Les cytokines Interféron-gamma/interleukine 2 et TNF-alpha(30) semblent également jouer un rôle prépondérant dans la guérison du Bk virus et représente une piste thérapeutique. Le traitement actuel recommandé consiste en la réduction de l’immunosuppression. Il n’y a pas de recommandation actuellement quant à un traitement antiviral(15,26,31). Les stratégies les plus communes consistent en l’arrêt du mycophenolate mofetil ou de l’azathioprine ou la réduction de 25 à 50% du traitement immunosuppresseur en cours (Annexe, Tableau 1) (26,32). La réduction de l’immunosuppression est suivie dans 25% des cas d’un rejet aigu (33). Ces épisodes de rejet peuvent être traités par stéroides sans récurrence de la PyVAN (11). La virémie et la virurie doivent ensuite être monitorés au décours de la réduction de l’immunosuppression lors de la PyVAN toutes les 2 à 4 semaines. La PyVAN est de diagnostic difficile, mais son traitement est indispensable pour la conservation du traitement du greffon. Elle présente des similitudes histologiques avec le rejet aigu cellulaire, mais les traitements qui en découlent sont diamétralement opposés. Un diagnostic juste et précoce reste un enjeu majeur en transplantation rénale.
Matériels et Méthodes
Les dossiers présentés dans cette étude ont été sélectionnés de manière rétrospective, sur une période allant de 2009 à 2013, parmi la cohorte de patients de trois centres français de transplantation rénale : Rouen, Strasbourg et Tours. Les critères de sélection des dossiers étaient en premier lieu histologiques (PyVAN granulomateuse) avec en biologie une PCR sanguine BKV positive et l’absence d’autres éléments pouvant expliquer la présence de granulomes, à savoir une recherche infectieuse négative (les recherches de CMV, adénovirus, herpes simplex virus), l’élimination de la tuberculose et de la sarcoïdose, d’une maladie autoimmune ou d’une origine médicamenteuse.
Les biopsies rénales ont été initialement interprétées par le pathologiste référent du centre de transplantation rénale puis relues dans le cadre de l’étude par deux pathologistes. Les biopsies sont étudiées de manière standardisée. L’étude en microscopie optique a été réalisée après fixation dans du liquide de Dubosq-Brazil, puis réalisation de coupes paraffinées de 2µm et des colorations standards par l’hématéine éosine safran, le trichrome de Masson et l’argentation de Jones, complétées par des colorations spéciales (PAS, Ziehl et Grocott), et des immunomarquages en paraffine à l’aide d’antisérums SV40 (Calbiochem Clone Pab 413 dilution 1/200) et l’adénovirus (Néomarkers clone M58+M73 dilution 1/800). Les données anatomopathologiques sont colligées de manière standardisée à l’aide d’une grille de lecture pré-établie.
Présentation des cas
Patient 1 : M.B (Rouen)
Le premier patient est un homme de 66 ans, transplanté rénal pour la seconde fois depuis septembre 2011. La néphropathie initiale est une néphropathie tubulo-interstitielle chronique secondaire à une sténose pyélique bilatérale. Le premier greffon est perdu après 8 ans de greffe en raison d’un rejet chronique. L’induction est réalisée par thymoglobuline et il existe un mismatch CMV lors de la transplantation. Les suites de la greffe sont simples, et le patient est traité par tacrolimus, mycophénolate mofétil (MMF) et corticothérapie . En janvier 2012, survient une dégradation de la fonction rénale motivant une biopsie rénale. L’histologie montre un rejet aigu cellulaire de grade IB (T3I2 selon la classification de Banff); la cytologie urinaire ne montre pas de decoy cell ; un traitement par bolus de corticostéroïdes est entrepris . Les PCR sanguine et urinaire BKV se positivent très fortement. Le MMF est arrêté tandis que le tacrolimus est diminué, ne permettant pas l’amélioration de la fonction rénale. Une seconde biopsie est réalisée deux mois plus tard mettant en évidence une néphropathie tubulo interstitielle granulomateuse associée à une légère artérite grade 1 (V1 selon la classification de Banff) . Le marquage Sv-40 était négatif. La nouvelle cytologie urinaire montre la présence de decoy cells . L’étude ultrastructurale du culot urinaire confirme la présence de virus dans les cellules épithéliales. Les autres étiologies infectieuses, le CMV et la sarcoïdose sont éliminées. Avec un recul d’une année, la réduction de l’immunosuppression permet une évolution favorable de la fonction rénale, s’accompagnant d’une négativation de la virémie BKV .
Patient 2 : M.De (Strasbourg)
Le second patient est un homme de 71 ans, transplanté rénal depuis juin 2011 pour une polykystose hépato-rénale . L’induction est réalisée par basiliximab. Les suites de la greffe sont marquées par une altération rapide de la fonction rénale nécessitant une première biopsie rénale qui montre une suspicion de rejet aigu cellulaire (T1I1). La ciclosporine est arrêtée, remplacée par du tacrolimus; des bolus de corticostéroïdes sont entrepris . Les PCR sanguine et urinaire BKV se positivent. Une seconde biopsie est réalisée en septembre 2011 mettant en évidence une néphrite typique à BKV sans inclusion virale mais avec une positivité immunohistochimique des noyaux tubulaires pour l’antisérum SV40. Au décours, le tacrolimus est remplacé par de la ciclosporine, le MMF par du léflunomide. La PCR sanguine BKV persiste; on note une nouvelle dégradation de la fonction rénale motivant une troisième biopsie. Cette histologie montre une néphropathie tubulo interstitielle granulomateuse, associée à une inflammation tubulo-interstitielle sévère . Les granulomes sont de localisation péri-tubulaire et le marquage au Sv 40 est alors négatif. Alors que la PCR sanguine BKV s’est négativée, une quatrième biopsie de greffon dix mois plus tard confirme la disparition de la néphropathie granulomateuse .
Patient 3 : M W (Strasbourg)
Le troisième patient est un homme de 22 ans, transplanté rénal en mars 2010 dont la néphropathie initiale est une glomérulopathie à dépôts mésangiaux d’IgA. L’induction est réalisée par thymoglobuline. Un mois plus tard, le patient positive sa charge virale à BK virus (PCR sanguine BKV positive). Devant la reprise retardée de fonction du greffon associée à une protéinurie et une hématurie, la biopsie du greffon est réalisée. Elle montre une néphropathie granulomateuse associée à une inflammation tubulo-interstitielle sévère. Les granulomes étaient de localisation péritubulaire, non nécrotiques. Des bolus de corticostéroïdes sont entrepris dans l’hypothèse d’un rejet aigu cellulaire. Un mois plus tard, le patient ne présente pas d’amélioration de la fonction rénale; la PCR sanguine BKV reste très positive. Une biopsie de contrôle du greffon est réalisée mettant en évidence une nécrose tubulaire aiguë sans granulome ni inclusion virale mais avec une positivité immunohistochimique des noyaux tubulaires pour l’antisérum SV40 .
Patient 4 : M. Do (Tours)
Le quatrième patient est un homme de 61 ans, transplanté rénal depuis juillet 2011 pour une polykystose hépato-rénale , avec une induction réalisée par basiliximab. Trois mois plus tard, une biopsie du greffon de dépistage est réalisée de manière systématique, montrant une néphropathie tubulo-interstitielle granulomateuse . Les granulomes n’étaient pas nécrotiques, ils étaient localisés à la fois en péritubulaire et dans le tissu interstitiel. La nécrose tubulaire épithéliale était importante. L’immunomarquage Sv 40 était négatif. La PCR sanguine BKV se positive au moment de la biopsie. La recherche de Decoy cells est négative. Le traitement n’est pas modifié. Après un an, la PCR sanguine BKV redevient négative, cependant il est noté une légère aggravation de la fonction rénale d’apparition progressive. Il n’a pas été réalisé de nouvelle biopsie rénale.
Patient 5 : M. G (Tours)
Le cinquième patient est un homme de 75 ans, transplanté rénal depuis décembre 2009 pour une polykystose hépato-rénale. En raison d’une reprise retardée de fonction rénale, associée à une protéinurie à 2.2g/24h et l’existence d’une PCR sanguine BKV positive, une biopsie de greffon est réalisée en mars 2010, montrant une néphropathie granulomateuse interstitielle . Les granulomes n’étaient pas nécrotiques, l’inflammation tubulointerstitielle était sévère et associée à une importante nécrose épithéliale tubulaire. Des inclusions nucléaires virales étaient notés, avec un marquage Sv-40 positif. Le bilan infectieux et immunologique est par ailleurs négatif. Deux mois plus tard, le patient développe une pneumocystose et décède dans un tableau d’insuffisance respiratoire majeure.
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Table des matières
Introduction
La néphropathie à BK virus
Etude de 5 cas de néphropathie granulomateuse à BK virus
Matériels et méthodes
– Présentation des cas
– Résultats
Discussion
Conclusion
Annexe
Références
Résumé
Article