La négation dans les séquences de dialogue entre narrateur et narrataire 

Les affinités avec la lettre

Nous avons vu que l’entreprise des Journaux n’est pas vouée à être définie en fonction d’un seul genre. Une autre influence, celle de la lettre, parcourt les pages de l’œuvre journalistique de Marivaux. Elle « est […] considéré[e] comme un substitut de la présence de l’autre, […] de sa parole, de sa voix. On l’associe donc à la conversation et au dialogue ». Les deux notions de « conversation » et de « dialogue » sont fondamentales dans les Journaux de Marivaux, car il hérite d’une esthétique de la conversation du XVII e siècle, qui s’épanouie au XVIII e siècle. François Bessire met en avant cette influence épistolaire qui participe à la forme fragmentaire du texte. Il classe les lettres présentes dans Le Spectateur français et Le Cabinet du philosophe en deux catégories. On trouve les « lettres au journal » et les « lettres au récit ». Elles ont une fonction didactique car elles « concourent à la formation » des personnages et elles « font « entendre » » ce que disent les visages et ce que cachent les paroles échangées ». François Bessire observe un procédé intéressant de métadiscours dans la lettre qui permet un « effet d’authenticité […] qui dit la soumission de l’écriture au flux de l’émotion, en même temps que la difficulté ou l’impossibilité à écrire ce qu’on ressent ». L’adresse au lecteur à travers un procédé détourné comme celui de la lettre permettrait donc à Marivaux de faire transparaître des émotions qu’il n’arriverait pas à exprimer autrement. La lettre permet, dans les Journaux, d’explorer la voie de la sensibilité qui possède « une grande portée car elle articule […]un contenu moral et un mode d’implication du lecteur».
Proposant une analyse des feuilles plus méconnues que celles qui composent les trois Journaux de Marivaux, Annie Rivara choisit une approche générale, où elle traite globalement de tous les fragments, qui sont des « échantillons successifs et variés d’une littérature « moderne » expérimentale fondée sur l’exploration des extrêmes ». Annie Rivara essaye d’attribuer un genre littéraire à ces textes mais leur diversité formelle empêche une classification clairement définie car « la Lettre à une dame sur la perte d’un perroquet […] est à la fois dans sa brièveté préfacée, lettre galante, épître littéraire, […] et compte rendu escamoté d’un ouvrage contemporain ». Concernant l’influence du genre épistolaire dans l’œuvre journalistique de Marivaux, René Démoris attribue à la lettre une influence sur l’énonciation dans L’Indigent philosophe. Dans son chapitre sur Marivaux, de son ouvrage Le roman à la première personne, il définit l’énonciation à plusieurs niveaux dans les Journaux de Marivaux. Il distingue, à une échelle plus précise, celle dela lettre, deux types d’énonciations : « le Je secondaire » qui tend « à se rapprocher du Je primaire duSpectateur », cela grâce à « l’intensité dramatique  » des lettres. La lettre mêle dramaturgie et romanesque. Elle est proche du théâtre, car les personnages de ces lettres utilisent « le mode comique ou pathétique [qui permet] de concevoir dramatiquement leur situation ». La lettre est aussi proche du roman car elles « sont produites au cours de l’action ou du moins avant sa fin ». Ces caractéristiques permettent, donc, au langage épistolaire d’être « notablement plus romanesque que celle du Spectateur » et permet l’utilisation d’un « langage « naturel » », maître mot du style de Marivaux.

Des traces de logique romanesque

Le roman comme genre est « un procès en légitimation

» à l’âge classique. Il faut attendre le XVIII e siècle pour qu’il connaisse le « renouvellement formel qui l’introduit dans l’ère moderne ». Marivaux s’inscrit dans cette mouvance et ajoute à ses Journaux une caractéristique romanesque déjà utilisée dans ses propres romans (La Vie de Marianne est écrite en même temps que ses Journaux) ou dans Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos : « un dispositif préfaciel».
De ce fait, Marivaux peut refuser la paternité des feuilles qu’il offre à lire au lecteur. Paradoxalement, il utilise des caractéristiques des genres romanesques « qui avaient prévalu plus de cinquante ans auparavant, [appartenant au] roman comique, [ou au] roman héroïque ». Par exemple, on retrouve, dans Le Spectateur français, « un écho fortement ironisé dans la présentation onirique de l’amour platonicien, feuille 6, et dans l’évocation […] de l’amour courtois […], feuille 17 ». Les Journaux représentent la somme de « trois romans comiques [formés d’une] matière [issue] de [l’] épopée burlesque ». On retrouve une logique romanesque, dans l’épisode du « Monde Vrai » dans Le Cabinet du philosophe, par exemple, « mais sans intrigue et sans personnage».
Plus généralement, on peut relever plusieurs caractéristiques que Marivaux emprunte, quand même, au roman qui lui est contemporain et qu’il « transplant[e] [dans les Journaux,] ce genre qu’il est en train d’inventer ». Tout d’abord, l’héritage du roman comique « naît de la greffe du modèle de Don Quichotte et du genre picaresque ». Il permet à Marivaux de faire évoluer ses personnages sur « la route, offerts au hasard, et il cherche à montrer comment l’aventure participe d’une découverte en soi ». Les Journaux sont emprunts d’un « esprit comique » qui se définit par une « dérision généralisée qui n’est pas faite au nom d’une conscience morale mais dans un esprit de badinage et comme occupation du narrateur romancier ». Cette notion de hasard peut être liée à l’inspiration que Marivaux prend dans un de ses romans, La Voiture embourbée : le hasard de « la vie tranquille ». Il reprend à son compte « les activités banales de groupes oisifs, occupés de galanterie, de divertissement, de littérature », thème exploité dans la littérature féminine de son époque. Le but étant de chercher « dans le travesti de la fiction ou du théâtre un prolongement de leurs intrigues vaguement sentimentales ». Un autre point de La Voiture embourbée est repris par Marivaux, dans ses Journaux, celui des « réflexions », c’est-à-dire des portraits que décrit le moraliste. Ce lien entre le narrateur et ces « réflexions » est cependant plus déterminé dans les Journaux où « il [y] constitue le journaliste ». Il donne souvent la parole à ses personnages qui racontent leurs récits à la première personne du singulier. Cette notion est fondamentale dans les Journaux et est « une des innovations majeures de la fiction depuis les années 1670 ». Le personnage aborde son intimité d’un point de vue du « passé le plus proche (dans la lettre) ou [du] plus lointain (dans les mémoires) ». Cette dernière catégorie permet au personnage de se considérer suivant « deux temporalités […] l’aventure [et] la remémoration ». Jean Rousset nommera ce procédé le « double registre».

L’influence du théâtre

« L’univers théâtral est si familier à Marivaux qu’il l’exploite [autant sur les plans] thématiques que forme[ls] », mais du théâtre, Marivaux ne garde que des aspects spécifiques. Les Journaux refusent aussi bien un « dénouement clair » qu’une exposition en bonne et due forme : « Le Chemin de la Fortune », dans Le Cabinet du philosophe, représente « un théâtre sans intrigue, décousu », où se succède « plusieurs fois la même situation en variant les candidats à la fortune ».
Marivaux rejette le « modèle moliéresque » et la « peinture grinçante des mœurs » de Dancourt ou Lesage pour se tourner vers le théâtre italien et son « jeu plus alerte, plus ouvert à la fantaisie et à l’imaginaire ». Dans les Journaux, Marivaux insère la figure du spectateur, comme celui qui observe les hommes et leurs mœurs à l’instar du spectateur de théâtre qui regarde se dérouler  sous ses yeux « les mouvements du cœur » des personnages. L’expérience du théâtre amène Marivaux à adopter une certaine « conception des pouvoirs humains. [L’homme] se découvre et se révèle par autrui, et grâce à autrui ». Tout comme dans les Journaux, où l’œil du moraliste est là pour faire tomber les masques de la vanité humaine, pour révéler la vérité. L’expérience du théâtre, selon Marivaux, est liée aux dynamiques des regards qui marquentaussi les pages des Journaux. Cette expérience permet de « capter « le langage de l’âme ardente […] », sonder le progrès d’un sentiment, goûter et susciter […] la passion, hors de la raison » ». Cette présentation des « pouvoirs humains », Marivaux la met en scène dans ses pièces grâce à des acteurs qui peuvent donner vie à ces passions et il en est de même, dans les Journaux, avec des narrateurs différents qui donnent à lire au lecteur les sentiments des personnages.
Si on essaye, maintenant, de lier la notion de « théâtralité » avec les Journaux au sens où l’entend Roland Barthes, il faut comprendre cette notion comme « un statut paradoxal [qui] n’est pas le fait exclusif des textes de théâtre ». Ainsi, elle est « l’inscription dans le texte d’un mode de perception qui renvoie à l’univers théâtral ». L’inspiration théâtrale n’est alors pas un but à atteindre mais davantage un modèle à suivre . De cet art théâtral, L’Indigent philosophe garde « le pouvoir de mettre la parole en spectacle et d’en savoir jouer». La parole est souvent mise en scène par « l’effacement du personnage narrateur [qui, par la] délégation de parole […] démultipli[e] […] les niveaux de théâtralité ». Le procédé est omniprésent dans le théâtre de Marivaux . Cependant, même si Marivaux réutilise des procédés initialement associés à son théâtre, il faut nuancer le but de leur utilisation car Marivaux « décale [leurs] enjeux ». Il ne s’agit pas de créer une potentielle pièce de théâtre mais de restituer « la force du spectacle théâtral » dans les Journaux et même si le théâtre « s’inscrit en marge du réel », celui présent dans les Journaux s’ancre de « plain-pied avec l’humanité » car il offre « sur le monde un autre regard […] sans illusion ». Ce regard, Marivaux voudrait, après l’avoir fait sien dans L’Indigent philosophe, « le faire nôtre ».

L’écriture fragmentaire

Ce qui permet cette liberté formelle à Marivaux, c’est le choix du genre journalistique. Il n’est pas considéré, au XVIII e siècle, comme un genre noble, à cause de son caractère novateur, mais « c’est la modestie même de ce genre périodique […] qui [lui permet de rester] très ouvert ». Laforme brève de la feuille périodique instaure « la marque de l’authenticité » qui permet à l’Indigent (et derrière lui l’auteur) de « proclamer sa propre spontanéité ». La subversion formelle du journal chez Marivaux s’exprime de deux manières. Il met en place, d’abord, une « fictionnalisation du  discontinu », puis, une « discontinuité comme un fait d’écriture vraisemblable », alors, la fragmentation du texte de L’Indigent philosophe se développe grâce au défilé des rencontres qui survient au fil des feuilles.
La construction fragmentaire contient, en outre, un paradoxe étonnant : « le désordre comme élément de construction ». Françoise Gevrey, illustre un des faits fondamentaux de l’œuvre journalistique de Marivaux : un jeu avec son lecteur qui « doit attendre pendant plusieurs pages » pour retrouver l’histoire narrative initiale, l’auteur insérant de manière éparse, des billets, des lettres et des anecdotes. L’effet produit alors « une rupture de ton et de sujet », pour « restituer l’épaisseur de la vie qui associe rire et sensibilité ». Cependant, ne peut-on y voir que « désordre et incohérence dans l’enchaînement des propos » ? S’arrêter à cela serait manquer les « effets de parallélismes, ou des contrastes qui constituent divers phénomènes de structuration », et qui donne du sens à cette apparente fragmentation. Ainsi, réduire l’esthétique des Journaux de Marivaux à un effet de bigarrure serait inexact pour définir le corpus atypique et provocant que constitue ce texte. Michel Gilot repère d’autres procédés qui participent à la fragmentation du récit pour déstabiliser et provoquer son lecteur, comme « les apartés », « les sarcasmes », les « transitions et digression », « les fausses confidences », les « citations truquées » ou encore des « anecdotes insolites ». Un autre effet provocant et atypique serait l’unité que peut former une feuille malgré les effets de rappels et de liens avec la suite ou avec ce qui précède. « La feuille forme, par sa matérialité, par ses conditions de publication, une unité. » Le paradoxe formel des Journaux passe par cette ambiguïté : « La feuille est un tout, mais une totalité ouverte sur un ensemble aléatoire ». La forme de la feuille forme à la fois un ensemble clos sur elle-même et pouvant se suffire à elle-même, tout en restant ouverte sur la totalité de l’œuvre, elle, fragmentaire et aléatoire.
Cependant, le plus grand paradoxe formel des Journaux de Marivaux réside dans le fait qu’il veuille « sortir la feuille volatile de sa condition ignoble de simple brochure » mais sans parvenir à les faire élever, comme il l’aurait souhaité initialement, « au rang honorable de volume », car il abandonne la rédaction en cours de route ou n’arrive pas à tenir la régularité de publication de ces feuilles. L’édition originale de 1728 de L’Indigent philosophe est à la fois une « consécration et un renoncement ». Un autre paradoxe est celui qui constitue « la situation intermédiaire [des Journaux entre] journal périodique et témoignages personnels ». La fragmentation des discours entre narrateur premier et narrateurs second crée une multitude de dialogues possibles, qui peuvent perdre le lecteur . Chez Marivaux, l’idée de fragmentation existe au « sens étymologique d’œuvres » car ces morceaux détachés, les feuilles, ne constituent pas encore une œuvre avant la publication comme un tout. Pour lui, « la fragmentation est la règle de la narration dont [il] rappelle le risque pour la nier, tout en la pratiquant ». En fin de compte, « le triomphe de Marivaux est d’avoir pu trouver une écriture unique qui affiche joyeusement son statut de réécriture ». Ni totalement journal, ni totalement roman, mais aussi théâtre ou récit épistolaire, Marivaux invente et réinvente le genre littéraire pour apporter là encore quelque chose de novateur et subversif grâce à trois formes d’écritures : « l’épreuve innombrable, l’épreuve accomplie et l’épreuve sans fin » (pour désigner respectivement, les feuilles volantes des Journaux, le théâtre et le roman).

Les études thématiques

Nombreux sont les critiques à avoir étudié les différents thèmes constitutifs des Journaux de Marivaux : la morale, la question du regard, de ce qu’il montre et dissimule, et plus largement , les jeux de masques des hommes que Marivaux cherche à démanteler.

Les ambiguïtés de l’apparence : jeux de regards

C’est d’abord la question de la finesse de perception du regard de Marivaux sur le monde et les hommes qui intéresse Catherine Ramond dans son article « L’optique de Marivaux moraliste ».
La finesse du regard moraliste que représente Marivaux n’est cependant pas identique à celui du moraliste classique du siècle précédent dont il est l’héritier. « Contrairement au moraliste observateur de l’âge classique, qui reste impersonnel, le moraliste des Journaux est un personnage de fiction doté d’une histoire et d’un passé ». Marivaux utilise des procédés d’optique précis, comme « cette vision réfractée de la pensée du moraliste », qui permet de se tourner vers l’intériorité de ce dernier et de mieux comprendre par exemple la misanthropie du narrateur dans Le Spectateur français . En revanche, le regard du moraliste évolue d’un journal à l’autre. Dans L’Indigent philosophe, par exemple, le moraliste porte un « regard démystificateur et joyeux » sur le monde . Le seul moyen pour que ce personnage puisse accéder à une vision vraie du monde qui l’entoure est celui de renoncer à l’amour, comme pour le personnage de la scène au miroir du Spectateur français qui cesse d’aimer la jeune fille quand il découvre son hypocrisie.
Cependant, la question du regard du moraliste dans les Journaux ne se limite pas à celui qu’il porte sur les autres mais aussi à celui qu’il porte sur lui-même. Marivaux nous décrit le monde à travers le regard d’un indigent ivrogne, dans L’Indigent philosophe. C’est « son dénuement aussi bien physique que moral, [qui] lui donne un certain droit de regard ». Une question se pose alors : estil fou ou bien est-il sage ? À l’image de la figure du morosophe : il paraîtrait fou vu de l’extérieur mais il serait sage à l’intérieur. L’indigence du premier narrateur de ce corpus subit une « scission entre deux versants». À la fois, son indigence et son ivrognerie est un « levier vers une nouvelle approche de l’être et de soi » mais son ivresse peut être « une entrave à la connaissance de soi ». Ainsi, l’Indigent porte « sur lui-même un regard qui exprime un jugement social implicitement négatif ». Cependant, il ne faut pas que le lecteur s’y méprenne, cette ivresse est un « trompe-l’œil, [en] contrepoint à l’illusion picturale » baroque. C’est donc un nouveau regard « jeté sur le je du philosophe [dont] la vacuité [de son] indigence [pourrait] remettre en question la possibilité d’une véritable parole philosophique ».

Le relativisme moral des Journaux

Marivaux opère un détournement de certaines valeurs ou de certains thèmes traditionnels qui est subversif. La morale est parfois mise à mal car il la transcende pour en créer une nouvelle, innovante et déroutante pour le lecteur de l’époque. Régine Jomand-Baudry analyse « les fonctions et significations du vin dans L’Indigent philosophe ». Elle définit la présence du vin comme un « motif central » de cette œuvre de Marivaux.
Le vin n’est pas qu’un simple produit rendant ivre, mais il a une véritable influence sur la création dans L’Indigent philosophe (1728). Marivaux lui attribue des « significations [sur le] plan philosophique comme [sur le] plan esthétique, [qui] semble de nature à expliciter le projet de l’auteur dans ce périodique ». Recourir au thème du vin permet à Marivaux de mettre en scène une classe populaire voire marginale car le vin, dans les périodiques, est « un mode d’être spécifique aux gueux ». Cependant, cette notion est mal reçue par les contemporains de Marivaux, et cet essai trop novateur pour l’époque trouve une alternative plus conventionnelle avec sa pièce de théâtre L’Île de la raison (1727), pour « ne pas choquer davantage son public». Dans cette continuité thématique, Sylvie Dervaux étudie la figure du riche et du pauvre dans L’Indigent philosophe. Il est le premier narrateur du journal éponyme et dans « une extrême pauvreté » au moment où il écrit. Dans ce texte, la figure du pauvre est toujours associée à celle de l’ivrogne et pour l’époque, mettre la parole du moraliste dans la bouche de ce personnage est profondément subversif. Le Spectateur qui se « piqu[ait] […] de diriger les consciences » a disparu pour laisser place à un Indigent qui « se complaît maintenant dans le tonneau de Diogène, […] observant ses frères humains avec familiarité ». Cette figure atypique et provocante prend place dans un contexte social qui fait sens. Les autorités à l’époque de l’écriture de L’Indigent philosophe voient dans les indigents « un défi permanent à l’ordre social ». Des mesures sont prises pour stopper l’oisiveté des hommes grâce à des « ordonnances » entre 1720 et 1727 . Marivaux pousse donc la provocation encore plus loin en redonnant la parole à ceux qui en ont été privé par la société d’Ancien Régime et en faisant d’un indigent le personnage et le narrateur principal de son deuxième periodique. L’Indigent philosophe est donc « sans cesse en lien avec son époque » et l’utilisation de cette figure permet « la naissance d’une littérature en prise directe sur le réel ». La situation du gueux rejeté par la société « nous donne à voir le XVIII e siècle ». Marivaux inscrit, grâce à cette figure, son texte dans une temporalité qui est la sienne. « Ce n’est pas sans esprit de provocation, […] que Marivaux […] donne la parole à un exclu ». Cela lui permet de conférer « une dimension de défi » à ses feuilles, qui permet d’insuffler « une forme de bonheur qui échappe aux règles social ». Effectivement, la figure du gueux dans L’Indigent philosophe instaure une « convivialité » joyeuse qui donne une dimension positive au personnage de l’ivrogne. L’« écart majeur du gueux intronisé « philosophe » » peut symboliser une « indépendance assumée de Marivaux dans cette naissance d’une littérature en prise sur le réel ».

Les conduites mondaines : la femme, l’amour et l’honnêteté

Selon Jean Lafond, « l’esprit mondain [de l’époque de La Rochefoucauld] s’intéresse surtout à trois thèmes majeurs : les problèmes de l’amour, des femmes et de l’honnêteté ». À partir de cette phrase, David Culpin s’interroge pour savoir si l’esprit mondain est bien encore l’héritier du moraliste du XVII e siècle. D’après lui, on retrouve, chez Marivaux, de cet héritage, « la considération commune qu’ils accordent à la nature de l’amour-propre ou à la formulation aphoristique ». La morale, dans l’œuvre de Marivaux, héritée des moralistes du XVII e, est impossible à atteindre sans Dieu, car « aucun bonheur individuel, aucune harmonie sociale, n’est possible hors […] une police divine précédemment établie». En revanche, Oscar Haac prône une morale laïque dans les Journaux mais surtout les placent dans la lignée d’un héritage  humaniste du XVI e siècle. Marivaux prolonge cet esprit humaniste, car il « renouvelle l’analyse morale de l’homme par un esprit de finesse […] Il utilise des méthodes foncièrement nouvelles ». Marivaux opère donc un dépassement. Il s’inspire d’une théorie, d’une époque, d’un courant pour ensuite aller plus loin, créer toujours quelque chose de nouveau.
David Culpin démontre la même idée par rapport à la notion de bonheur. Il part de La Rochefoucauld, qui dans ses Maximes, définit la notion de bonheur par rapport à celle de l’amour-propre. Ce dernier correspond simplement au bonheur personnel alors que pour créer le véritable bonheur, il faut faire celui d’autrui et atteindre aussi le nôtre. À partir de ce développement, Marivaux opère un dépassement de la définition du bonheur car il le place non plus dans la volonté des hommes mais dans la volonté divine : le « bonheur d’autrui n’est pas, […] d’assurer la primauté de soi, mais d’agir conformément à une notion innée de la vertu qui se trouve n’être rien d’autre que la volonté divine».
On retrouve toujours, dans Le Spectateur français de Marivaux, une « unité d’inspiration », malgré les quatre années qui séparent la première et la dernière feuille, où est « refus[ée] toute conception de l’honnêteté qui ne repose pas sur un comportement strictement moral à l’égard des autres et surtout des femmes ». Cette citation résume les trois « éléments essentiels de la thématique de Marivaux» définit par David Culpin : l’honnêteté, l’amour et les femmes.
La thématique de l’honnêteté est chez Marivaux « le garant de la politesse et d’une volonté de rendre possible la vie en société, en ménageant l’amour-propre» de chacun. Cette qualité relève du milieu mondain des salons du XVII e siècle, dont Marivaux est l’héritier direct. Il continue à côtoyer ces salons au XVIII e siècle, comme ceux de « Madame de Lambert Madame de Tencin ». Ce milieu social a permis l’essor de formes littéraires comme les maximes ou les caractères, grâce à La Rochefoucauld et La Bruyère, par exemple. Cependant, Marivaux, tout en adoptant certaines caractéristiques de cet héritage formel, écrit à une époque où les moralistes qui lui sont contemporains laissent une place moins importante à ces formes. Désormais, « l’œuvre morale de Marivaux s’exprime à travers les genres littéraires les plus caractéristiques de son époque : le journal, la lettre, le récit de voyage ». Il ne faut pas négliger l’héritage des moralistes classiques: par exemple, les maximes dans Le Spectateur français « offrent un commentaire décisif, et formulent comme des règles dans la morale qui préside à nos actions et à nos sentiments ». Marivaux utilise toujours les ressorts de l’humour pour « épingle[r] [les] faiblesses [des hommes], qu’il met au compte de la nature humaine ».

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Table des matières
Introduction
1. Panorama des études consacrées aux Journaux de Marivaux
1.1. Les travaux de poétique
1.1.1. Le modèle du journal
1.1.2. Les affinités avec la lettre
1.1.3. Des traces de logique romanesque
1.1.4. L’influence du théâtre
1.1.5. L’écriture fragmentaire
1.2. Les enquêtes d’histoire littéraire
1.2.1. L’époque charnière de Marivaux
1.2.2. La filiation avec la prose moraliste
1.2.3. La filiation avec l’esprit philosophique des décennies ultérieures
1.3. Les études thématiques
1.3.1. Les ambiguïtés de l’apparence : jeux de regards
1.3.2. Le relativisme moral des Journaux
1.3.3. Les conduites mondaines : la femme, l’amour et l’honnêteté
1.3.4. La mise en cause du langage
1.4. Les investigations stylistiques
1.4.1. Les tonalités : les formes du comique
1.4.2. L’énonciation : polyphonie et discours rapportés
1.4.3. La syntaxe : l’oralité du style
1.4.4. Le lexique : le refus des phraséologies existantes
1.4.5. Une sensibilité linguistique innovante
2. La négation dans L’Indigent philosophe : du fait de langue au fait de style
2.1. L’écriture transgressive de L’Indigent philosophe
2.2. Un style paradoxal caractéristique de la prose moraliste
2.3. La négation dans les séquences de dialogue entre narrateur et narrataire
2.4. Des négations qui « invitent à la méfiance »
3. Pour une approche stylistique des énoncés négatifs
3.1. Un stylème de la prose moraliste
3.2. Les stratégies de réfutation et de provocation du lecteur
3.3. Le pouvoir subversif des énoncés négatifs
Chapitre 1 : La méfiance à l’égard des idées reçues
1. Le relativisme moral
2. Le refus des préjugés sociaux
3. La figure ambigüe de l’ivrogne
Chapitre 2 : La transgression d’une littérature de mise en ordre
1. L’absence volontaire de dispositio
2. Le refus de soigner l’elocutio
Chapitre 3 : Une connivence inédite entre narrateur et narrataire
1. La démystification des figures de l’auteur et du lecteur
2. La désinvolture qui instaure un nouveau pacte de lecture
Conclusion
1. La sensibilité propre à l’esthétique conversationnelle
2. Le genre de la prose moraliste
3. Le style fragmentaire
Bibliographie

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