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L’illustration et l’enfant
Lorsque l’on évoque la littérature de jeunesse, et en particulier celle destinée aux enfants des cycles un et deux, il est impossible de ne pas faire référence à l’illustration. En effet, les ouvrages qui sont accessibles à cette classe d’âge sont en grande majorité des albums, c’est-à-dire que l’illustration y tient une place prépondérante. Il nous apparaît alors indispensable d’étudier de quelle manière elles interagissent avec leur public, et d’analyser si elles ne détournent pas l’enfant des buts d’évolution psychologique dont nous avons parlé plus tôt.
Bruno Bettelheim, dans sa Psychanalyse des contes de fées considère que les livres destinés à la jeunesse doivent tout autant intéresser l’enfant que l’éduquer, il s’oppose fermement à la présence d’illustrations dans la littérature enfantine. Selon l’auteur : « les illustrations sont distrayantes; elles n’apportent rien à l’enfant. (…) elles détournent l’enfant du processus éducatif, au lieu de le renforcer, et cela parce qu’elles empêchent l’enfant d’expérimenter l’histoire à sa façon25. » L’enfant serait alors empêché de construire ses propres significations à partir de l’histoire, les images, créées par quelqu’un d’autre, se substituent à lui-même dans l’acte créateur, au travers duquel il devrait manipuler les représentations qu’il se fait du récit et des personnages pour reconstruire l’histoire et y prendre la place qu’il s’attribue. Pour lui, chacun doit se représenter les mots et les situations décrites dans les histoires d’une manière qui lui est propre. Chaque lecteur se sert alors de son imagination et de ses expériences personnelles pour interpréter le récit. Bruno Bettelheim précise que l’importance de ces visions personnelles est qu’elles portent en elles des significations profondes. Ainsi une « image préfabriquée du monstre peut nous laisser totalement froids, parce qu’elle n’a rien d’important à nous dire ; ou bien elle peut nous faire peur, sans évoquer en nous, au delà de notre angoisse, une profonde signification26. » Lorsque l’on sait la place que tiennent les impressions que la littérature dégage sur l’enfant pour l’auteur, on comprend pourquoi il juge les illustrations sans intérêts pour le développement de l’individu.
Quand on parcourt la littérature jeunesse contemporaine, la première chose que l’on remarque est que le point de vue de B. Bettelheim est loin d’être partagé, la profusion d’albums et de récits imagés semble traduire une autre vision de l’illustration dans les histoires destinées à la jeunesse. Quelle est alors la place des illustrations dans le récit, empêchent-elles réellement le développement de l’imagination de l’enfant ?
L’illustration comme outil de compréhension pour le jeune lecteur
L’illustration peut-elle être autre chose qu’un obstacle à l’imagination, peut-elle être utile dans le récit voire indispensable ? Afin de répondre à ces questions il faut d’abord tenir compte de l’âge du lecteur. En effet Nathalie Prince27, nous rappelle que l’âge de l’enfant joue un rôle primordial dans sa capacité à percevoir et assimiler une histoire. L’auteur précise que des recherches ont montré que les enfants de sept à huit ans ne peuvent pas comprendre intégralement une histoire seulement si celle-ci souscrit à certaines conditions. Ces conditions concernent la simplicité du récit, mais aussi son organisation et son fonctionnement. De plus, N. Prince ajoute que dans le cas des enfants de trois à cinq ans, le personnage semble le seul élément de l’histoire qu’ils semblent retenir, faisant fi de l’intrigue ou des péripéties du héros. Les jeunes enfants semblent donc incapables de se représenter l’intégralité des éléments d’une histoire. L’auteur nous explique que cela est dû au fait qu’ils ne disposent pas de « toutes les aptitudes nécessaires à la saisie du monde réel.28 »
Par ailleurs, la place qu’occupent les illustrations dans la littérature enfantine est intimement liée aux capacités de lecture encore peu développées chez l’enfant. En effet les enfants n’apprennent à lire qu’à l’âge de six ans, et ne sont alors pas en mesure d’aborder seuls des récits entiers. Il leur faut déchiffrer chaque nouveau mot qu’ils ne connaissent pas, ils balbutient et leurs efforts consistent alors davantage à essayer de savoir comment le mot se prononce plutôt qu’à se concentrer sur son sens ou sur celui de la phrase. Il s’ensuit une lecture morcelée qui se prête mal à une interprétation imaginaire des personnages du livre. Ce statut de primo lecteur est décrit par Nathalie Prince qui affirme que dans le cas de la littérature jeunesse, et en particulier celle destinée à un public d’enfants de moins de six ans, nous sommes en présence de deux destinataires. L’enfant peut percevoir les illustrations et leur donner un sens, voire se raconter l’histoire à lui-même par ce biais, mais reste incapable de lire correctement, c’est pour cela que le texte doit lui être lu par un adulte. Nous sommes donc en présence d’un double lecteur. L’adulte qui donne le ton et sait interpréter les personnages, et l’enfant qui est à la fois un auditeur de l’histoire, et un lecteur d’images. La place des illustrations peut alors être comprise comme permettant à l’enfant de relire à sa manière, seul, et d’inventer sa propre histoire à partir des illustrations et des souvenirs des lectures qu’un adulte lui à faites.
L’auteur ajoute que sans la présence d’illustrations, l’enfant qui possède une connaissance limitée du monde serait bien embarrassé face à certains personnages ou situations décrites dans les œuvres de jeunesse. Selon Marie-Laure Ryan, la fiction « fonctionne selon le principe de l’écart minimal29 ». C’est-à-dire que « nous interprétons le monde de la fiction (…) comme étant aussi semblable que possible à la réalité telle que nous la connaissons.30 ». Un enfant essayera alors de se représenter une situation fantastique en extrapolant à partir de sa vision du monde qui l’entoure.
Nathalie Prince prend l’exemple du personnage de « Babar31. » Il serait très difficile voire impossible pour un enfant qui sait ce qu’est un éléphant (qui en aurait vu au zoo par exemple), et qui possède une idée de la pratique du ski, d’associer les deux éléments pour se représenter Babar pratiquant du ski. Au-delà de son utilité pour la compréhension du récit par un public très jeune, l’image va alors servir de base aux constructions imaginatives de l’enfant.
L’illustration comme béquille pour l’imagination du jeune lecteur
Ce processus d’interprétation ou de réinterprétation des illustrations est évoqué par la psychologue Annie Rolland32 qui prend pour exemple un enfant se contorsionnant devant un tableau du peintre Matisse. Dans son ouvrage elle décrit un enfant jouant devant le tableau Les nus bleus33, et évoque les mécanismes que l’enfant met en œuvre en extrapolant et en inventant un univers à partir d’une image. Il construit sa propre scène dans laquelle il se donne la place qu’il juge bonne pour lui, tenant compte des détails qui l’intéressent et oubliant les autres. Il porte sur le tableau un regard « créateur 34» et cet acte libère son imagination qui s’ingénie à trouver des situations et des articulations mouvantes autour des personnages de cette peinture. Le point de vue de l’artiste, qu’il soit peintre ou illustrateur ne limite ainsi pas totalement la perception de l’enfant. Celui-ci reste libre de former un espace dans lequel les rôles et les figures des personnages qu’il aura vus en illustration sont mouvants. Il les définit à chaque fois qu’il joue avec leurs représentations. Celles-ci évolueront d’une séance de jeu à l’autre, ainsi qu’avec ses capacités de compréhension du monde qui l’entoure.
Martine Joly,35 qui réfléchit sur la sémiologie de l’image, met en avant les idées d’Aristote. Ce dernier pense que la peinture, comme imitation de la réalité, permet « d’éduquer l’homme tout en lui faisant plaisir36 » et cela est valable dès le plus jeune âge. En effet, les jeunes enfants imitent leurs proches et apprennent énormément ainsi ; il en est de même avec les illustrations : ils en déduisent les représentations des éléments présents qui leurs apportent une connaissance qu’ils n’avaient pas auparavant. Les images permettent donc d’aider le jeune enfant à se représenter des situations, des objets, des personnes qu’il n’est pas en mesure de percevoir seul.
Loin d’être un obstacle insurmontable au développement de l’imagination de l’enfant, les illustrations restent le moyen le plus efficace pour véhiculer et offrir aux plus jeunes lecteurs des univers qui la stimuleront.
La peur dans les illustrations du corpus
Analyse de l’illustration
Avant d’analyser les illustrations de notre corpus, nous devons nous renseigner des différentes techniques d’analyse des illustrations afin de saisir les manières dont les auteurs et artistes dressent leurs représentations et mettre en évidence les effets qu’ils produisent face à leur public respectif. Le but consiste à nous donner les outils nécessaires qui nous permettront de comprendre et d’interpréter les illustrations qui créent un sentiment de terreur et d’angoisse.
Les techniques d’analyse
La sémiotique de l’image
Avant de parler des techniques d’analyse, il nous faut aborder la sémiologie de l’image comprendre les différents éléments qui constituent une illustration : la définition de certains termes spécifiques est nécessaire.
La sémiologie, comme on la connaît actuellement, est née au début du XXème siècle avec Peirce37 et Saussure38 qui étudiaient les différents signes au sein de la communication et donc du langage. Contrairement à Saussure qui a repris le terme « sémiologie » utilisé en médecine, correspondant à la science des signes, Peirce a inventé le terme « sémiotique » pour désigner l’étude des signes et de leur signification. « L’Association Internationale de Sémiotique39 » a préféré le terme de « sémiotique », aussi l’emploierons-nous.
Martine Joly définit le sémiologue comme « celui qui voit du sens là où les autres voient des choses40 ». Elle sous-entend que la compréhension d’une illustration n’est pas innée, mais l’objet d’un travail de la part de l’observateur. Ce point de vue date de l’Antiquité : dès le IIIème siècle, Philostrate41 écrit un ouvrage destiné à apprendre aux gens à interpréter puis à juger une image. La difficulté de l’interprétation d’une illustration est due à la polysémie, c’est-à-dire aux multiples significations qu’une image véhicule. Pour aider à la compréhension, l’image est souvent accompagnée d’un texte. Celui-ci guide le spectateur et lui permet de choisir parmi les différents sens, ceux qui conviennent. L’étude du contexte de l’oeuvre peut également fournir des éléments favorisant sa bonne interprétation.
Finalement, pour pouvoir réaliser une analyse d’illustration, Martine Joly propose d’avoir des objectifs précis qui doivent « servir un projet42 » et c’est ce dernier qui donnera la méthodologie à suivre. M. Joly aborde la méthode inventée par Roland Barthes43 qui a pour objectif de rechercher des signes dans l’image (recherche d’un signifiant relié à un signifié). Dans son article44, R. Barthes considère qu’il y a deux choses à regarder attentivement : le message linguistique, c’est-à-dire le texte présent dans l’image, et le message iconographique qui comprend l’étude des signes iconiques, pour pouvoir saisir le message global de l’illustration.
Le message linguistique
Le message linguistique correspond à tout langage verbal écrit. R. Barthes analyse plus particulièrement une image publicitaire car elle a une signification « intentionnelle45 ». Pour lui, c’est une image plus facile à analyser qu’une autre puisqu’elle a pour fonction de faire acheter le consommateur : elle est très claire et rapidement compréhensible. Le produit dont elle fait l’éloge contient des signifiés qui forment au final des signes pleins, c’est-à-dire une association de signifiés et de signifiants. Ces deux termes étant souvent utilisés, il nous semble essentiel de les définir. Le signifié désigne le concept, c’est-à-dire la représentation mentale d’une chose, il peut être formé par des « objets réels46 » ; dans la publicité étudiée par R. Barthes, cela correspondrait par exemple à la tomate réelle (cf. Annexe 1). Le signifiant est le même objet photographié, dessiné, reproduit : c’est le moyen par lequel on désigne la chose. Dans notre exemple, ce serait la photographie de la tomate. Signifiés et signifiants ont donc une relation étroite. R. Barthes nous fait remarquer qu’aujourd’hui toutes les images contiennent des messages linguistiques. Ces derniers aident à identifier les signes pour l’interprétation. Ce message littéral peut avoir deux principales fonctions : celle d’ancrage et celle de relais. La fonction d’ancrage est une « forme d’interaction image/texte dans lequel celui-ci vient indiquer le bon niveau de lecture de l’image47 ». R. Barthes précise que « le texte dirige le lecteur entre les signifiés de l’image […], il le téléguide vers un sens choisi à l’avance48 ». Ainsi, la fonction d’ancrage exerce un « contrôle49 » sur le spectateur. Cette fonction est la plus fréquente du message littéral et restreint la polysémie de l’illustration.
La fonction de relais est plus rare pour l’image fixe. Cependant, selon R. Barthes, nous pouvons la rencontrer : elle consiste à exprimer ce que l’image peut difficilement montrer, c’est une forme de complémentarité entre le texte et l’image. En effet, l’image fixe et unique a des difficultés à raconter une histoire, alors que plusieurs images fixes le peuvent. Comme le dit M. Joly, « les mots vont compléter l’image50 » et ainsi renseigner le lecteur sur le sens et l’éventuelle action qui se déroule au sein de l’illustration. Cela permet d’exprimer des relations causales et temporelles qui ne pourraient l’être sans cette complémentarité. Ces images sont des signes iconiques qui peuvent accompagner et compléter le texte.
Intéressons nous désormais à l’étude des messages iconographiques.
Le message iconographique
Une illustration est un signe iconique, composée de différents signes pleins (union d’un signifié à un signifiant) : c’est un message visuel destiné à communiquer. L’image est également un outil d’expression. Il est donc logique de la « considérer comme un langage51 » à part entière qui délivre un message. Martine Joly pense que pour mieux comprendre un message visuel il est indispensable de se demander pour qui il a été créé.
Dans son article, R. Barthes parle de deux types d’images : littérale et symbolique. Il définit l’image littérale comme étant « dénotée52 » c’est-à-dire que la signification du signe est évidente (par exemple, la tomate dans le cadre d’une publicité Panzani) et l’image symbolique comme étant « connotée53 » : cela signifie que le signe est implicite, sous-entendu (par exemple la référence à l’Italie). Il faut donc prendre en compte ces deux interprétations de l’image pour nous aider dans l’analyse. R. Barthes affirme qu’il existe un lien entre l’identité du spectateur et la façon dont il interprète l’illustration. En effet, il insiste plusieurs fois, dans son écrit, sur l’interprétation correcte des images. Il estime qu’il faut avoir suffisamment de culture, de connaissance et de savoir pour comprendre au mieux une illustration quelle qu’elle soit. Les variations de lecture dépendent donc des savoirs investis dans l’image. En effet, d’après M. Joly, chacun interprète en fonction de ce qu’il connaît.
L’acte de la description démontre qu’il y a interprétation personnelle et collective. Cette « description est capitale (avant toute analyse) car elle constitue le transcodage des perceptions visuelles en langage verbal54 » et permet la reconnaissance et la perception d’éléments. C’est pourquoi, une illustration est indéfiniment descriptible selon le spectateur. Verbaliser ce que l’on perçoit, seul ou à plusieurs, démontre que nous ne voyons pas tous la même chose, et permet aussi de créer une interprétation collective. Cette interprétation se dit « collective » quand la plupart des gens voient et pensent de la même manière. Une image est donc un « texte visuel55 » : il n’y a pas un seul mot qui soit son équivalent, mais un ensemble de mots, une description. Ces propos mettent à jour la participation active du spectateur dans son désir de comprendre l’illustration.
Une bonne analyse doit combiner, comme l’écrit M. Joly, les signes linguistiques et iconiques mais aussi les signes plastiques.
Les signes plastiques
Les signes plastiques d’une image correspondent à sa substance, à sa matière. Ils sont « solidaires du signe iconique56 » mais n’en dépendent pas. D’après M. Joly, il existe quatre niveaux à observer : le premier est la couleur avec ses valeurs et ses tonalités, le second correspond à la forme, le troisième concerne la spatialité incluant la composition interne de la représentation, la position par rapport au cadre, l’orientation et le loin/près. Enfin, le dernier niveau consiste à relever la texture avec les oppositions du grain et du lisse, de l’épais et du mince.
La « couleur est culturelle57», ce qui signifie que l’interprétation des couleurs n’est pas universelle mais dépend exclusivement du spectateur. Il n’existe donc pas une grille d’analyse des couleurs prédéfinie. Cependant, nous attribuons universellement à certaines couleurs de la chaleur et à d’autres de la froideur. Nous pourrons nous appuyer sur l’étude des couleurs de Kandinsky58.
La lumière et les ombres seront également à prendre en compte. La lumière est « perçue optiquement et vécue psychiquement59 » tout comme la couleur. L’obscurité sera donc synonyme de danger, de mort, de perte des repères : elle nourrit les peurs. Selon Martine
Joly, il existe différents éclairages naturels ou artificiels qui ont leur propre signification. Si l’éclairage artificiel est directionnel, il hiérarchise la vision et donc oriente la lecture. Ce type d’éclairage intensifie les couleurs, « accentue le relief et creuse les ombres60 ». Si l’éclairage directionnel est naturel, il permet de se situer dans le temps (matin, soir) ce qui influencera notre lecture. Un éclairage diffus ne dirigera pas le regard, les couleurs paraîtront plus douces, les reliefs seront moins prononcés. Un sentiment d’intemporalité lui est rattaché : cela peut signifier le rêve ou l’hésitation.
Quant à la texture, M. Joly pense qu’« elle peut se décrire à partir de ses qualités rythmiques ou sensuelles61 ». Le lisse concerne plus le visuel, c’est vernis, glacé alors que le rugueux sera plus une texture tactile, brute. Le choix des outils est donc fondamental pour produire tel ou tel effet. Concernant la signification des formes et des lignes, il nous faut savoir que les lignes courbes représentent la douceur, la féminité contrairement aux lignes droites qui indiquent la virilité. Les lignes brisées et les angles aigus indiquent de l’agressivité et les formes triangulaires représentent l’équilibre.
Le cadre d’une illustration est le plus souvent rectangulaire : il est lié à la composition spatiale. Martine Joly écrit que c’est lui qui délimite l’image, qui l’isole et qui la désigne comme telle. Contrairement au cadre, le hors cadre est un « espace variable62 », qui peut changer entre le moment de la création de l’œuvre et le moment de sa présentation. L’interaction existant entre le cadre et le hors cadre, ajoute M. Joly, jouera sur la signification et sur l’interprétation du message global. Il faut dorénavant analyser la relation entre ces deux éléments. Le cadre peut permettre de mettre en valeur l’illustration, il aura alors pour fonction d’attirer le regard du spectateur. Cependant, l’encadrement peut être une contrainte, on cherchera alors à le masquer pour que le lecteur l’oublie et n’ait plus l’impression d’avoir affaire à une représentation. On pourra également jouer avec le hors champ en supprimant le cadre et créer un personnage qui regarde en hors champ : le spectateur est alors libre d’imaginer ce qu’il souhaite. La suppression du cadre rend ainsi l’image plus réaliste, moins limitée, et plus ouverte sur le monde.
Une analyse d’image n’est pas complète si le cadrage n’est pas abordé, ce qui n’a rien à voir avec le cadre. Au cinéma ou en photographie, il existe différents types de cadrages appelés « échelle des plans63 ». Cette dernière varie du très gros plan au plan d’ensemble, en passant par le gros plan, le plan rapproché, le plan taille, le plan américain, le plan moyen et le plan de demi-ensemble. Martine Joly indique que chaque type de plan possède une signification.
L’angle de prise de vue est également important. Il peut être à hauteur d’homme, plongeant, écrasant ou en contre-plongée.
D’après l’auteur, la composition plastique d’une oeuvre permet de guider, plus ou moins, le spectateur dans son observation. Elle dynamise la perception visuelle de l’image en faisant faire des allers-retours au lecteur et en lui indiquant un trajet moins conventionnel, moins linéaire que ne le fait le texte écrit.
Le dernier paramètre à prendre en compte est celui de la pose du modèle. Cette notion de modèle revoie au signe iconique vu précédemment. Il contient des « règles de transformation64 » à interpréter comme des signes socioculturels. La posture du personnage est un élément lourd de sens qu’il ne faut pas négliger dans l’analyse.
En combinant tous les paramètres présentés et explicités préalablement avec les trois signes (linguistique, iconique et plastique) nous pourrons décrire, comprendre et interpréter une illustration.
Notre projet dans ce mémoire n’est pas l’image unique fixe mais l’image fixe au sein de la narration. Nous devons relier les connaissances que nous venons d’acquérir avec celles liées à l’analyse d’images dans un album. Pour ce faire, nous étudierons la manière dont Sophie Van der Linden décortique, analyse et interprète les illustrations d’albums jeunesses tout en les reliant au texte.
L’illustration au service de la narration
Durée et mouvement dans l’image fixe
Illustrer la durée ou le temps dans une image fixe et unique est très difficile, cependant nous pouvons l’illustrer au sein de plusieurs images fixes qui se succèdent. Sophie van der Linden parle dans son ouvrage de trois types d’instants permettant de représenter cette notion de temporalité. « L’instant prégnant65 » est le premier qu’aborde l’auteur. Il s’agit de représenter un événement par un moment caractéristique ou d’assembler des fragments appartenant à différents instants de l’événement. L’illustration sera alors fabriquée et synthétique. Ces représentations artificielles sont très présentes dans les albums jeunesse.
Le deuxième instant se nomme « l’instant quelconque66 ». Cet instant montre le plus souvent un événement figé, suspendu au cours de son déroulement, et donne une impression de réalité, de naturel. Il se présente comme un instantané, une photographie : il donne l’illusion d’un instant durant lequel les personnages semblent mystérieusement figés et les images sont alors intrigantes. Ce type d’instant est souvent utilisé dans les récits fantastiques et n’a pas pour fonction de donner l’illusion du mouvement : il diffuse seulement un instant.
Enfin « l’instant mouvement67 » essaye de condenser les événements dans le but de saisir une durée. Il réduit au minimum la durée représentée pour en restituer un instant bref. Selon Sophie Van der Linden, son but est d’augmenter la force suggestive de l’image. Ce type de représentation est fréquent dans l’album et ressemble parfois à un arrêt sur image de l’action en cours. Ainsi, le mouvement est illustré par le geste du personnage qui se prépare à lancer un objet, par exemple. Le geste représenté sera le bras plié prêt à effectuer le lancer en dépliant le bras. L’instant précédant l’action est souvent reproduit dans le but de donner l’illusion de mouvement.
Il n’y a pas que les représentations des instants qui suggèrent le mouvement ou la durée dans l’image, les signes plastiques et iconiques le peuvent également. S. Van der Linden indique que la lumière, la couleur, la posture du personnage peuvent accentuer l’expression d’un mouvement. En effet, elle nous précise qu’un jeu sur la posture et le regard des personnages peut définir un rapport de hiérarchie temporelle les uns par rapport aux autres.
Nous avons décrit différentes méthodes permettant d’exprimer la notion de temps et de durée dans l’image fixe. Le texte permet aussi d’illustrer ces notions avec des mots précisant le moment de l’action au sein de l’histoire, comme « le lendemain, quelques minutes plus tard, rapidement ». Nous allons maintenant nous intéresser au rôle du texte : à quoi sert-il ?
Le rapport du texte et de l’image
Le rapport existant entre le texte et l’image peut être de trois natures lorsqu’ils sont tous deux présents sur la page ou la double page. D’après S. Van der Linden, ils peuvent se compléter, se contredire ou s’ignorer :
– Le rapport de redondance : l’image et le texte racontent la même chose, l’un peut exister sans l’autre.
– Le rapport de collaboration : l’image et le texte sont complémentaires, ils construisent un propos unique, le sens ne peut être établi qu’avec les deux réunis.
– Le rapport de disjonction : texte et image racontent leur propre histoire en parallèle : ils ne se contredisent pas forcément mais n’ont pas de point de convergence.
Le rapport entre l’image et l’énoncé est donc inévitable lorsqu’ils se situent sur la même page : ils interagissent ensemble pour produire du sens en se complétant, se répétant ou se contredisant. Pour analyser et interpréter correctement une illustration fixe, grâce à plusieurs auteurs nous avons pu établir certains paramètres essentiels pour la bonne compréhension de l’image. Il faut prendre en compte les différents signes plastiques, linguistiques et iconiques, mais également les rapports qui peuvent exister entre texte et image, leurs interactions et leurs fonctions possibles, qui orientent le lecteur dans l’interprétation. Il ne faut pas oublier considérer le milieu culturel du texte afin de ne pas passer à coté de certaines significations qui en dépendent.
Grâce aux éléments ainsi rassemblés, nous pouvons établir une grille d’analyse qui permettra d’analyser et d’interpréter correctement nos albums du corpus.
La grille d’analyse
Les trois ouvrages étudiés précédemment ont permis d’élaborer une grille d’analyse visant à aider dans l’interprétation des albums de notre corpus d’étude.
Sachant que les albums choisis sont occidentaux, nous pourrons nous référer aux études des couleurs de Kandinsky et de Pastoureau68.
Notre grille (cf. Annexe 2) se base sur les trois types de signes que nous avons étudiés. Elle a pour but de nous permettre de saisir la bonne interprétation des albums et de mettre en évidence les procédés créatifs de la peur.
Nous observerons plus particulièrement les signes plastiques :
– le format de l’album,
– la mise en page,
– la composition d’images pouvant faire peur,
– la technique d’illustrations utilisée,
– le cadre,
– le cadrage,
– l’angle de vue,
– les couleurs,
– la lumière et les ombres,
– les lignes et les formes.
Dans un deuxième temps, nous nous étudierons les signes iconiques avec :
– les représentations des éléments de l’image (personnages, monstres),
– les détails de l’image,
– les signes dénotés ou connotés,
– l’espace, le temps, la durée et le mouvement au sein de l’illustration et/ou éventuellement du texte.
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Table des matières
INTRODUCTION
I – LA PEUR, L’ILLUSTRATION ET L’ENFANT
A. LA PLACE DE LA PEUR DANS LE DEVELOPPEMENT PSYCHIQUE DE L’ENFANT
1) LA NECESSAIRE CONFRONTATION DE L’ENFANT A SES PEURS
a. Faire face à la fin de la période paradisiaque
b. La nécessité d’établir une signification profonde liant l’enfant et l’œuvre
2) UN OUTIL DE COMPREHENSION INTERNE POUR L’ENFANT
a. La peur comme adversaire à la portée de l’enfant
b. Apprendre à objectiver ses pulsions
B. L’ILLUSTRATION ET L’ENFANT
1) L’ILLUSTRATION COMME OUTIL DE COMPREHENSION POUR LE JEUNE LECTEUR
2) L’ILLUSTRATION COMME BEQUILLE POUR L’IMAGINATION DU JEUNE LECTEUR
II – LA PEUR DANS LES ILLUSTRATIONS DU CORPUS
A. ANALYSE DE L’ILLUSTRATION
1) LES TECHNIQUES D’ANALYSE
a. La sémiotique de l’image
b. Le message linguistique
c. Le message iconographique
d. Les signes plastiques
2) L’ILLUSTRATION AU SERVICE DE LA NARRATION
a. Durée et mouvement dans l’image fixe
b. Le rapport du texte et de l’image
3) LA GRILLE D’ANALYSE
B. ANALYSE DES ILLUSTRATIONS DU CORPUS
1) LA PEUR ENGENDREE PAR LE CADRAGE
2) LA TEXTURE DES ILLUSTRATIONS AU SERVICE DE LA PEUR
III – EXPLOITATION PEDAGOGIQUE
A. EXPLOITATION EN CLASSE
1) SEANCE SUR MAX ET LES MAXIMONSTRES
2) SEANCE SUR MANGEE, MANGEE
3) SEANCE SUR LOUP NOIR
4) SEANCE SUR LES LOUPS
5) SEANCE D’OBSERVATION DES PRODUCTIONS D’ELEVES
B. ANALYSE DES RESULTATS
1) ANALYSE DES RESULTATS OBTENUS AVEC LES ELEVES
2) PROPOSITION D’UNE NOUVELLE SEQUENCE
3) CE QUI POURRAIT ETRE TRAITE EN CYCLE 1
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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