La narration à l’œuvre de la désillusion

La notion de personnage

   Le personnage est un élément indispensable dans la création et l’organisation d’une histoire, le personnage à la fois crée l’histoire et la subit comme dira Yves Routier : « toute histoire est histoire des personnages » . Plusieurs études ont été faites sur la dimension du personnage en l’assimilant à différentes appellations et approches. Les travaux de Vladimir Propp sur le conte ont ouvert la voie aux études sémiologiques sur le personnage, ainsi il identifie sept sphères d’action déterminant les différents rôles remplis par les personnages de ces contes, différenciant ainsi l’être représenté par le personnage de la fonction de ce dernier dans l’ensemble du texte. A.J.Greimas en reprenant et en synthétisant les travaux de Propp arrive à un modèle plus simple, choisissant les concepts d’actant et d’acteur pour designer le personnage. Philippe Hamon quant à lui en s’inspirant de l’analyse structurale développera la sémiologie. Il définit le personnage comme étant un signe et en même temps un ensemble de signes se regroupant à l’intérieur du texte. Le personnage en tant que signe se définit par des restrictions sélectives : linguistique, logique, esthétique ou idéologique. Puis en tant qu’ensemble de signes dont on peut décrire la distribution ; combinaison, opposition… le personnage a donc une dimension, voire une constitution, sémiologique. Dans son ouvrage Texte et idéologie, Hamon souligne la difficulté de donner forme au concept pourtant élémentaire qu’est celui de héros. Le terme a deux acceptations selon lui, qu’il faut distinguer : d’abord l’acceptation générique puis l’acceptation structurelle, par laquelle on désigne plutôt le personnage principal d’un récit. C’est principalement sous cet angle qu’Hamon aborde le concept de héros : « On le voit, le problème du héros, au sens restreint et précis ou il faudrait sans doute le prendre, au sens de « personnage mis en relief par des moyens différentiels », de « personnage globalement principal », relève à la fois de procédés structuraux internes à l’œuvre (c’est le personnage au portrait plus riche, à l’action plus déterminante, à l’apparition la plus fréquentes, etc.). Et d’un effet de référence axiologique à des systèmes de valeurs (c’est le personnage que le lecteur soupçonne d’assumer et d’incarner les valeurs idéologique « positives » d’une société – ou d’un narrateur- à un moment donné de son histoire) ».

Le langage lyrique :

   Pour exprimer la situation pathétique du personnage qui ne réagit qu’en se plaignant à lui-même, et tout en gardant la beauté du style de son écriture, l’auteur fait appel au lyrisme subjectif. « […] la plainte impuissante devant un monde en soi inessentiel, l’inefficace et monotone éclat d’une surface en train de se décomposer, tel sont les aspects uniquement artistiques de cette situation de fait ». « Le roman de la désillusion a donc sa poésie autant que les romans épiques, idéalistes et romantiques. » On le voit dans le cas de Soumission, qui pour faire ressentir au lecteur toute la mélancolie du héros, toute la solitude et la lassitude qui remplissait son cœur, le narrateur s’exprimera au moyen d’une grammaire à la beauté glaçante. On passe alors à la poésie mais une poésie qui veut exprimer toute la tristesse d’une âme torturée : « Le soleil se couchait entre les tours lorsque j’émergeai de nouveau à la pleine conscience de moi-même, des circonstances, de tout. Mon esprit avait erré dans des zones incertaines et sombres, je me sentais triste à en mourir. »p(113).

L’isotopie de la désillusion dans Soumissions

   Outre le personnage problématique du roman, le texte de Houellebecq semble ressurgir la désillusion aussi bien à travers des thématiques textualisées et qui constituent une constellation d’éléments ayant comme point central l’isotopie de la désillusion. Nous retenons notamment les thèmes. Le thème est l’organisation et le déploiement d’un ensemble d’indices ayant un but précis et ce but est de nous communiquer la stratégie adoptée du texte pour former l’idée génératrice de ces thèmes. Selon Michel Collot le mode de manifestation du thème « (implicite, répétitive mais variée) sur son mode d’organisation (en « réseaux » thématique sous-tendant l’ « architecture » d’une œuvre). » . Le thème est donc itératif, et c’est ce qui lui permet de se manifester en tant que tel « Un thème serait en principe concret d’organisation, un schéma […] autour duquel aurait tendance à se constituer et à se déployer un monde. L’essentiel, en lui. C’est cette parenté secrète dont parle Mallarmé, cette identité cachée qu’il s’agira de déceler sous les enveloppes les plus diverses […]. Les thèmes majeurs d’une œuvre, ceux qui forment l’invisible architecture, et doivent pouvoir nous livrer la clef de son organisation, et qui doivent pouvoir nous livrer le plus souvent, qui s’y rencontrent avec une fréquence visible, exceptionnelle. La répétition ici comme ailleurs, signale l’obsession. » Plusieurs thèmes ont été abordés dans l’œuvre de Michel Houellebecq. Parmi eux, On distingue quelques thèmes qui sont propres au roman de la désillusion et qui peuvent aider et faciliter le lecteur à mieux comprendre la philosophie du texte. On relèvera ce qui nous semble être les trois thèmes les plus importants

La poétique du politique

   Il semble clair que l’histoire du roman se construit autour d’un événement politique comme le mentionne maintenant plusieurs médias et critiques, le roman est une satire politique. Le lecteur se heurtera à la chose politique dès l’entame de la deuxième partie du roman, mais le narrateur attendra jusqu’à la deuxième moitié du roman pour parler vraiment du contexte politique suite aux élections. C’est les élections présidentielle de 2022 en France et le premier tour annonce des résultats inattendus : le Franc National s’opposera à la Fraternité Musulmane au second tour, cette dernière remporte les élections. Le chef du parti musulman maintenant président soit disant modéré, entamera des changements drastiques. François est un homme qui ne semble en aucun cas se préoccuper de la politique et s’y est depuis toujours désintéressé « Je me sentais aussi politisé qu’une serviette de toilette »p(50). Il n’arrivait pas à concevoir le fait que la politique puisse déterminer son avenir et en cela il semblait être frustré, plus encore il méprisait ses hommes qui accourent et se disputent le trône (le pouvoir). « Curieusement, les pays occidentaux étaient extrêmement fiers de ce système électif qui n’était pourtant guère plus que le partage du pouvoir entre deux gangs rivaux »p(50). « Que l’histoire politique puisse jouer un rôle dans ma propre vie continuait à me déconcentrer, et à me répugner un peu. » p(116). Pour François, la politique ne fait que se renouveler, un système de gouvernance n’ayant d’autre objectif que sa propre reproduction. « Dans ma jeunesse les élections étaient aussi peu intéressante que possible ; la médiocrité de l’offre politique. »p(50) C’est seulement lorsqu’il écoutera le leader du parti de la fraternité musulmane qu’il commencera à le prendre en estime. « Ben Abbes aussi croit à l’Europe, il y croit même plus que tout les autres, mais lui c’est différent, il a une idée de l’Europe, un véritable projet de civilisation. »p(160).

Philosophie de l’absurde ou le mythe de Sisyphe

   Le héros que Michel Houellebecq met en scène dans Soumission est en plein désarroi. En effet, en plein questionnement sur son existence, François est troublé devant des questions existentielles, il se remet en question et remet en question tout le sens de la vie. C’est dans le vide que se traduit son sens de la vie. Nous remarquons aussi, que c’est dans la soumission totale que le personnage pense réussir à trouver son bonheur. Ce vide et cette soumission qui caractérisent tant la vie de notre protagoniste, nous font penser au Mythe de Sisyphe. C’est dans ce mythe qu’on retrouve toute la particularité de la personnalité du personnage. « Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir » Deux traits caractérisent ce mythe et nous les retrouvons dans Soumission :
a. Le monde absurde Le premier est dans l’absurdité de la tâche qu’on inflige à Sisyphe. Le fait d’un éternel recommencement de cette punition terrible, sans y avoir d’objectif logique à atteindre au final, nous renvoie directement au monde absurde que décrit le personnage. Plus généralement les questionnements de François sont sur le sens de la vie elle-même : « En quoi une vie a-t-elle besoin d’être justifiée ? » p(45) On retrouve beaucoup de questions de ce genre lorsqu’il se met à de profondes réflexions sur sa vie et le monde qui l’entoure. Ses réponses aux questions qu’il se pose sont toutes aussi emplies de désespoir : « La totalité des animaux, l’écrasante majorité des hommes vivent sans jamais éprouver le moindre besoin de justification. Ils vivent parce qu’ils vivent et voilà tout […] » p (45). Cette réponse justifie à elle seule le trait qui caractérise si bien le mythe de Sisyphe, c’est dans le même sens que se tiennent les propos de François qui est convaincu de l’absurdité de la vie sans justification aucune. Toutes les institutions présentes dans le texte, sont décrites par le personnage comme étant dénuées de sens et de tout objectif réel, un peu comme cette tache inutile et sans espoir, que Sisyphe est forcé de reproduire. Pour François : « Les études universitaires dans le domaine des lettres ne conduisent comme on le sait à peu près à rien » p(17), Ce domaine est, cependant, celui dans lequel il baigne. Le récit gravite au tour d’un enjeu politique. Cette politique qui est en un sens, le fil conducteur de l’histoire est décrite selon le personnage comme une perpétuelle reproduction : « Un candidat de centre-gauche était élu, pour un ou deux mandats […] puis la population se lassait de ce candidat et plus généralement du centre-gauche, on observait un phénomène d’alternance démocratique, et les électeurs portaient au pouvoir un candidat de centre-droit, lui aussi pour un ou deux mandats » p(50). Nous dirons donc, que le système social-démocrate qui fait la fierté de la civilisation européenne, est perçue par François comme un éternel recommencement de la même manière des vas et viens de Sisyphe dans la montagne.
b. L’homme absurde :Nous remarquons dans le mythe que Sisyphe dans sa tâche répétitive semble heureux. Ce bonheur est tiré du fait que ce dernier reste conscient de l’inutile et absurde situation dans la quelle il se trouve .Sisyphe semble heureux car il n’est pas tombé dans l’inconscience et l’indifférence. C’est donc, dans l’acceptation de son sort que Sisyphe trouve le courage de continuer l’ascension de cette montagne. « Donc, le bonheur selon Camus implique le choix d’être heureux. Pour ce faire, l’homme doit rester conscient de son malheur causé par son incompréhension de l’existence et du non-sens du monde. »  Si nous nous penchons sur la dernière partie de Soumission, nous allons nous retrouver face à la même conception du bonheur que chez Sisyphe. François se retrouve face à cette vérité pour le moins paradoxale. En effet il découvre : « L’idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue » p(260). Ce personnage conscient de l’absurdité du monde et de la vie en général, découvre que son seul salut pour réussir à trouver le bonheur, sera de se soumettre, la même idée qui a rendu Sisyphe heureux en dépit du supplice que lui ont infligé les dieux. Dans le cas de François la soumission se traduit par sa conversion à l’Islam. Un acte qui ne lui ôtera pas sa vision décadente du monde qui l’entoure, mais du moins il l’espère, apaisera son spleen. Nous pouvons donc supposer que l’auteur, consciemment ou pas, a voulu d’un pas implicite, reproduire le mythe de Sisyphe, en le superposant sur le parcours du personnage. Nous pouvons encore enrichir notre analyse mais les quelques citations auxquelles nous avons fait appel suffisent amplement à prouver la présence du mythe dans le roman.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre premier : Le Héros problématique
1. La notion de personnage
2. L’identification de François comme personnage principal
a. Qualification différentielle
b. la distribution différentielle
c. L’autonomie différentielle
d. La fonction différentielle
3. Le héros problématique
Chapitre deuxième : Eléments de la désillusion romanesque
1. Le langage lyrique
2. L’isotopie de la désillusion dans Soumission
a. Le thème de La femme
b. La poétique du politique
c. Le thème du désespoir
3. Philosophie de l’absurde où le mythe de Sisyphe
a. Le monde absurde
b. L’homme absurde
Chapitre troisième :La narration à l’œuvre de la désillusion
1. Le narrateur : statut et focalisation
2. La fonction idéologique du narrateur de Soumission
3. Les anachronies narratives à l’œuvre de la désillusion
4. Soumission, un titre proleptique 
Conclusion

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