LA NAÏVETE ET LA MAUVAISE HUMEUR
La naïveté
Au 17ème siècle, le théâtre a occupé une place prépondérante dans la vie sociale. Les dramaturges dénonçaient les vices et les défauts de leurs contemporains. C’est ainsi que certains thèmes comme l’ignorance, la naïveté, ont dominé les scènes théâtrales de l’époque. Dans les pièces de Molière, notamment dans Le Tartuffe et Le Misanthrope, l’ignorance et la naïveté y sont sévèrement dénoncées. En effet, l’auteur tente de peindre les vices et défauts de certains pères de famille. La manière dont Tartuffe aborde Orgon à l’église et se fait inviter chez ce dernier montre combien Orgon est naïf.
Chaque jour à l’église, il venait d’un air doux,
Tout vis-à-vis de moi se mettre à deux genoux.
Il attirait les yeux de l’assemblée entière
Par l’ardeur dont au Ciel il poussait sa prière ;
Il faisait des soupirs, de grands élancements,
Et baisait humblement la terre à tout moment ;
Et lorsque je sortais, il me devançait vite,
Pour m’aller à la porte offrir de l’eau bénite.
Cette déclaration d’Orgon révèle encore une fois sa naïveté. Il est tombé dans le piège de Tartuffe qui a réussi à se faire recueillir chez Orgon en échange du vivre, du couvert au lit et de bien d’autres privilèges. Malgré les tentatives de son beau frère Cléante pour l’amener à réfléchir, ce dernier montre une passion excessive à l’égard de Tartuffe. Orgon voue à Tartuffe un véritable culte à tel point qu’il en fait son directeur de conscience et qu’il en oublie sa propre famille. Il veut lui donner sa fille Mariane en mariage pendant que Tartuffe tente de séduire sa femme Elmire. Même sa mère madame Pernelle se laisse duper.
Sous l’influence des directeurs de conscience, des pères de familles aveugles et faibles se cachaient derrière ces faux dévots pour accomplir des actes qu’ils n’oseraient faire sans la justification de la piété. C’est parce que les directeurs de conscience permettaient à certains hommes d’assouvir ce besoin instinctif de tyranniser et de tourmenter leurs proches. Le recours aux directeurs de conscience montre la faiblesse et la naïveté des pères qui sont incapables de s’imposer au sein de leur famille. Dans Le Tartuffe, Orgon déclare « faire rager tout le monde est ma plus grande joie » ; sa dévotion lui permet de lever les obstacles qui s’opposent au libre déploiement de son sadisme. En effet, il voue une confiance et un amour aveugles pour Tartuffe à tel point qu’il rejette tous les membres de sa famille. Cette naïveté est due au manque de discernement chez Orgon qui est une personnalité très respectée surtout au niveau de la classe bourgeoise. Mais face à Tartuffe, il n’est plus considéré comme un homme respecté et respectable. Il devient ainsi faible et cette faiblesse tient à ce qu’il ne veut pas être désabusé. La passion d’Orgon pour Tartuffe est une énigme ; il dit à son beau-frère Cléante, qu’il goûte auprès de Tartuffe une paix très intense. Il dit aussi qu’il quitterait femme et enfants sans aucune gêne :
Qui suit bien ses leçons goûte une paix profonde,
Oui, je deviens tout autre avec son entretien ;
Et je verrais mourir frère, enfants, mère et femme,
Que je m’en soucierais autant que cela .
On le voit, Orgon atteint auprès de Tartuffe une satisfaction jamais éprouvée. Même sa mère Madame Pernelle, se laisse duper car elle considère Tartuffe comme un « dévot personnage ». Dans cette pièce, le lecteur se rend compte de l’emprise que peut avoir un beau langage sur un esprit crédule, naïf. Tartuffe, par ses belles paroles et sa fausse piété, arrive à envoûter ces deux derniers afin de les tromper et de servir ses propres intérêts.
Ce thème de la naïveté apparaît également dans d’autres pièces de Molière. Dans Le Misanthrope, Alceste est aveuglé par la beauté de Célimène, qui elle, n’aime pas Alceste. Et malgré les soupçons qu’il porte sur elle et sa mauvaise humeur, il continue à l’aimer et Célimène a facilement raison de l’emportement du naïf Alceste, elle le manœuvre avec art. En effet, à travers la naïveté d’Alceste, Molière veut montrer que l’amour peut parfois rendre les hommes naïfs. Beaucoup d’hommes se laissent éblouir devant la beauté de la personne aimée. Cette passion de l’être aimé entraîne souvent une faiblesse. D’ailleurs, Alceste reconnaît cette faiblesse lorsqu’il dit :
L’amour que je sens pour cette jeune veuve
Ne ferme point mes yeux aux défauts qu’on lui treuve,
Et je suis, quelque ardeur qu’elle m’ait pu donner,
Le premier à les voir, comme à les condamner.
Mais, avec tout cela, quoi que je puisse faire,
Je confesse mon faible, elle a l’art de me plaire.
Alceste est amoureux d’une coquette mais son amour pour Célimène est plus fort que lui et le rend aveugle. Pourtant, il sait que cette jeune femme coquette et belle n’est pas fidèle car elle a beaucoup de soupirants. Elle se plaît à se voir aimer. Même « un honnête homme » comme Alceste peut-être naïf devant l’amour. Dans Le médecin malgré lui, Molière s’attache à la critique plus générale de la crédulité par plusieurs passages : Valère et Lucas se laissent convaincre sur le témoignage unique de Martine, la femme de Sganarelle, que son mari est un médecin thaumaturge capable de ressusciter les morts. Selon elle :
[son mari] est un homme qui fait des miracles. Il y a six mois, qu’une femme fut abandonnée de tous les autres médecins. On la tenait morte, il y avait déjà six heures: et l’on se disposait à l’ensevelir, lorsqu’on y fit venir de force, l’homme dont nous parlons. Il lui mit, l’ayant vue, une petite goutte de je ne sais quoi dans la bouche: et dans le même instant, elle se leva de son lit, et se mit, aussitôt, à se promener dans sa chambre, comme si de rien n’eût été .
Cette naïveté est à noter également chez Géronte qui croit au miracle lorsque sa fille Lucinde recouvre l’usage de la parole, en passant par la foi accordée à l’alchimie. Sur les seules déclarations de Valère et de Lucas, il croit que Sganarelle est un véritable médecin et que sa fille est réellement malade. Ainsi, l’ensemble des personnages de Le médecin malgré lui semblent ajouter foi aux croyances traditionnelles et se laissent berner par un homme que l’on croit savant sur la foi de l’habit qu’il porte. Molière nous invite à ne pas se fier à l’apparence qui est souvent trompeuse. Beaucoup de gens se cachent derrière leur habillement pour duper toutes les personnes qu’elles rencontrent. Aujourd’hui encore des personnes se font attribuer le titre de médecin ou de guérisseur pour gagner beaucoup d’argent alors qu’en réalité ce sont de faux médecins, des charlatans qui ne s’intéressent qu’à leurs intérêts personnels. Ils affirment être capables de guérir toutes sortes de maladies même celles dont la médecine moderne n’a pas encore trouvé de remèdes comme le SIDA, le diabète,… Souvent, ces charlatans réussissent à duper certaines personnes à cause de leur crédulité.
Dans Le Bourgeois gentilhomme, Monsieur Jourdain est un riche commerçant qui a fait fortune dans les perruques. Il entend acquérir les manières des gens de qualité et décide de commander un nouvel habit plus conforme à sa nouvelle condition et se lance dans l’apprentissage des armes, de la danse, de la musique et de la philosophie, autant de choses qui lui paraissent indispensables à sa condition de gentilhomme. Il courtise Dorimène, amenée sous son toit par son amant, un comte autoritaire, qui entend bien profiter de la naïveté de Monsieur Jourdain et de Dorimène.
Sa femme et Nicole, sa servante, se moquent de lui, puis s’inquiètent de le voir aussi envieux, et tentent de le ramener à la réalité du prochain mariage de sa fille Lucile avec Cléonte. Mais ce dernier n’étant pas gentilhomme, Monsieur Jourdain refuse cette union. Cléonte décide alors d’entrer dans le jeu des rêves de noblesse de Monsieur Jourdain, et avec l’aide de son valet Covielle, il se fait passer pour le fils du Grand Turc. Il obtient ainsi le consentement de Monsieur Jourdain, qui se croit parvenu à la plus haute noblesse après avoir été promu « Mamamouchi» lors d’une cérémonie turque burlesque organisée par les complices de Covielle. Dans cette comédie-ballet, Molière critique l’arrivisme, l’ignorance et la prétention des nouveaux-riches.
Dans Dom Juan, acte II, scène IV, les deux paysannes Charlotte et Mathurine se disputent à cause de Dom Juan. Ce dernier profite de leur naïveté pour les tromper toutes les deux. Molière n’épargne pas les paysans car ils oublient parfois leur condition sociale. En effet, certaines personnes cherchent à accéder à la catégorie supérieure par tous les moyens. Elles n’hésitent pas à se lancer dans des aventures dangereuses comme les relations amoureuses entre des gens de classes différentes. Ce sont souvent des liens qui se terminent de manière triste pour ces personnes. Ces situations étaient fréquentes au 17ème siècle et les principales victimes étaient ceux qui se trouvaient à la classe inférieure. Ainsi, Dom Juan profitait de son rang social et de son pouvoir de séducteur pour tromper les jeunes filles qui se trouveraient sur son chemin.
Molière va également montrer la mauvaise humeur de certains de ses personnages.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : LA NAIVETÉ, LA MAUVAISE HUMEUR, L’EGOISME ET L’OBSTINATION
CHAPITRE 1 : LA NAÏVETE ET LA MAUVAISE HUMEUR
1.1- La naïveté
1.2-La mauvaise humeur
CHAPITRE 2 : L’EGOÏSME ET L’OBSTINATION
2.1- L’égoïsme
2.2- L’obstination
PARTIE II : LA FAUSSE DÉVOTION ET L’HYPOCRISIE
CHAPITRE 3 : LA FAUSSE DEVOTION
3.1- L’apparence religieuse
3.2- L’excès de zèle
CHAPITRE 4 : L’HYPOCRISIE
4.1- L’hypocrisie des faux dévots
4.2-L’hypocrisie des courtisans
PARTIE III : LE MARIAGE ET L’AUTORITARISME
CHAPITRE 5 : LE MARIAGE
5.1- Les amours contrariées
5.2- Le mariage forcé
CHAPITRE 6 : L’AUTORITARISME
6.1- L’autorité parentale
6.2- Le poids de la tradition
PARTIE IV : LA SATIRE ET L’ESTHETIQUE DANS LES ŒUVRES DE MOLIERE
CHAPITRE 7: LA SATIRE DANS LES ŒUVRES DE MOLIERE
7.1- La satire d’Alceste, le misanthrope
7. 2-La satire des personnages obsessionnels chez Molière
7. 2- 1. La satire d’Orgon
7. 2- 2. La satire de Monsieur Jourdain
7.2- 3. La satire d’Argan
7.3- La satire des médecins
7.4- Une comédie sobre
CHAPITRE 8 :L’ESTHETIQUE DANS LES ŒUVRES DE MOLIERE
8.1-La parole et les règles classiques
8.1-1- La parole dans les pièces de Molière
8.1. 2- Molière et les règles classiques
8. 2-Les trois registres éminents du genre Baroque
8.2-1-Le comique
8.2-1.a).Le comique de gestes
8.2-1.b). Le comique de mots
8.2-1-c). Le comique de caractère et de situation
8.2.-2. Le tragique
8.2-2.a).Repérage du tragique dans Tartuffe
8.2-2.b).Gestes et situations tragiques
8.2-2.c) Comparaison avec le drame bourgeois
8.2.3- L’ironie
8.2-3.a). Repérage de l’Ironie dans la scène
8.2-3.b). L’ironie contre Tartuffe
8.2-3.c). L’Ironie contre Orgon
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE