La naissance première émergence du négatif

LA NAISSANCE PREMIERE EMERGENCE DU NEGATIF

Nous sommes des êtres de nature, peut-être, comme le raconte le mythe d’Épiméthée et Prométhée , les plus fragiles et les plus démunis. La naissance humaine s’accomplit dans ce processus naturel, dans le sang, les fèces et la douleur, le risque de mort, ainsi que dans la répétition des cycles, le processus générationnel, la reproduction. Mais l’être humain, même s’il est englué dans sa nature et dans le principe de répétition, le dépasse, là aussi dans la douleur, qui devient souffrance, lutte, passion, échec et progrès. Nous naissons prématurés, notre colonne vertébrale est trop faible pour nous soutenir, notre tête trop lourde pour se redresser, nos muscles trop courts et nos articulations trop fragiles pour nous permettre de marcher et même de nous asseoir pour appréhender le monde. Nous ne pouvons que rester couchés dans la position où l’on nous a posés, et remuer frénétiquement nos membres sans cohérence ni organisation. Notre seule action pour exprimer notre douleur, notre demande ou désir est le cri inarticulé. Notre cerveau, encore en formation, ne nous permet pas de coordonner nos gestes, de saisir un objet qui n’est d’ailleurs pas encore objet avant que nous ne puissions nous en emparer. Nous ne pouvons qu’avoir trop froid ou trop chaud, sans plumes ni poils pour nous protéger. Nous avons besoin du lait maternel pour survivre, exclusivement par rapport à toute autre nourriture, nous sommes dans une dépendance absolue à l’autre. Mais notre existence, notre être-au-monde, comme dira plus tard Heidegger, si elle appartient au règne de la nature, la dépasse, la transforme, la spiritualise, ou pour reprendre le vocabulaire heideggérien, ouvre l’Être dans une nature sans esprit, sans monde, sans histoire. L’homme émerge de la nature, dès sa naissance, même fragile et démuni, il n’est pas seul, il entre dans le monde et il va le créer. Il devient mortel car sa mère, son père, sa famille, la tribu, l’État dans lequel il apparaît, le désignent comme tel, en lui donnant son nom. Sa mère, qui vient de frôler la mort, en tremble encore, et ce tremblement pour elle mais surtout pour lui, son enfant, s’exprime et se transforme tout au long de sa vie de mortel. Elle ne l’oubliera jamais, et tout au long de sa vie de mère, elle frémira, pour son enfant, de cette étrange souffrance, que nul autre ne comprend. La mort et la naissance se côtoient, et le travail du négatif, comme dira Hegel, s’accomplit dès la naissance. Il se réalise, nous le verrons, dans l’expérience de la peur, celle de mourir ou de perdre son enfant, qui est présente chez la femme au moment de la naissance. Peur d’un danger mortel, irréductible à notre condition humaine, terreur de la séparation qu’est la mise au monde d’une nouvelle créature, qui sort de son propre corps sans qu’elle l’ait encore reconnu, et qui peut la détruire ou dévorer son âme.

La résistance au négatif, à la séparation, à l’émergence d’une conscience nouvelle peut prendre des formes multiples et mouvantes, celle du déni ou de la folie, du désir de meurtre, ou de l’abandon, et même du passage à l’acte, l’infanticide. Elle peut prendre aussi la forme d’une fusion interminable dangereuse et mortifère. Mais si le travail du négatif est ritualisé, symbolisé dans une communauté qui peut nommer cette peur et l’assumer comme humaine, si la femme y est reconnue comme mère, si son enfant y trouve sa place de nouveauvenu, alors cette séparation douloureuse d’avec la nature ou du monde souterrain de la nuit, devient possibilité d’amour maternel, qui n’est évidemment pas, pour nous les femmes humaines, de l’ordre de l’instinct.

Le commencement 

La sage-femme, médiatrice du commencement 

Dans le processus de l’enfantement et l’expérience de la maternité, la vie humaine émerge de la nature comme une conception, un concept vivant qui se réalise, à son commencement. L’esprit, nous dit Hegel, n’est jamais au repos, « mais toujours en train d’accomplir un mouvement de progression continuel ». Mais ce processus de lente maturation, de frémissements imperceptibles, de détachement par fragments de l’édifice ancien, suivi de l’éclatement brutal du nouveau, s’effectue dans la vie, et il le compare très précisément à un accouchement.

« Cependant, de même que chez l’enfant, après une longue nutrition silencieuse, la première respiration interrompt un tel devenir graduel de la progression de simple accroissement— c’est là un saut qualitatif—, et voici que l’enfant est né, de même l’esprit en train de se former mûrit lentement et silencieusement en allant au devant de la nouvelle figure, il désintègre fragment après fragment l’édifice de son monde précédent, tandis que le vacillement de celui-ci n’est indiqué que par des symptômes isolés; l’insouciance tout comme l’ennui qui viennent d’opérer des fissures dans ce qui subsiste, le pressentiment indéterminé de quelque chose d’inconnu, sont des signes avants-coureurs de ce que quelque chose d’autre est en préparation. Cet effritement progressant peu à peu, qui n’altérait pas la physionomie du tout, est interrompu par l’éclosion du jour, qui tel un éclair, installe tout d’un coup la configuration d’un nouveau monde » .

Ainsi pendant la grossesse, cette lente maturation de l’œuf, conception humaine encore silencieuse et secrète, se révèle à la femme qui le porte sous la forme d’un ennui vague, d’une rêverie étrange qui semble la détacher des préoccupations mondaines habituelles, pressentiment indéterminé de quelque chose d’inconnu, nous le verrons, ou d’une angoisse qui s’installe dans le monde jusqu’alors stable.

La médiation est difficile 

La sage-femme observe ces états intermédiaires, ces pressentiments, ces signes avant-coureurs qui paraissent sans pertinence à la science médicale, celle qui sonde l’intérieur du corps à la recherche d’un message quantitatif plus précis. La sage-femme interprète ces signes dans son savoir silencieux, intraduisible. Elle est médiatrice, mais, comme nous le dit Hegel, l’esprit d’entendement, celui qui sépare, dissèque et veut une réponse efficace et unique à son inquiétude, et cet esprit-là ne supporte pas les médiations. Or la médiation est le devenir autre, qui doit être repris comme moment positif de l’esprit dans sa réalisation.

La nutrition silencieuse, progressive et constante, le lent accroissement continu, que la femme ignore dans l’intimité de son utérus, sont brutalement rompu, dès la naissance par la première bouffée d’air, le premier cri. La naissance est alors un véritable saut qualitatif, un commencement, un surgissement de l’esprit, sous la forme de l’enfant qui vient au monde qui pousse son premier cri. Dès lors en un instant l’enfant respire, une nouvelle circulation pulmonaire prend le relai de la circulation placentaire, son cœur se divise en deux, la dualité ou la dialectique prennent forme dans le corps même de l’enfant, le sang et l’air, la pulsation et le rythme qui deviennent siens, le cri et la voix, l’appel, la modulation, la vibration. Il a faim, il prend possession du monde par son premier objet, le sein. En un instant. Il n’a plus besoin du sang maternel, du cœur maternel, du corps maternel, il s’en détache, et les objets intermédiaires, les médiateurs que furent le cordon, le placenta, les membranes, ou même le liquide dans lequel il vivait jusqu’alors, s’évanouissent pour devenir nous le verrons d’autres formes de l’esprit, objets symboliques, fantômes ou doubles, qui ne pourront simplement disparaître. Hegel nous parle ici de la naissance de l’esprit comme pensée, science ou développement de l’histoire, mais il compare cependant la vie de l’esprit devenant effectif, s’actualisant dans ce monde, à la naissance d’un enfant, à un accouchement humain, un concept simple et immédiat, mais porteur de toutes ses transformations. C’est pourquoi nous pouvons entendre dans ce passage de la Préface de la phénoménologie de l’Esprit, le récit d’une naissance.

« Passer d’un état à un autre est douloureux. »

« Le commencement du nouvel esprit est le produit d’un vaste bouleversement de multiples formes de culture, le prix d’une route bien souvent tortueuse et d’une pareille multiplicité de fatigues et de peines. » .

L’être nouveau qui vient au monde, ou qui s’actualise perd la stabilité de sa forme antérieure et la richesse de ses particularités. Mais cet ancien ne disparaît pas, il prend une nouvelle figure qui apparaît en contradiction avec l’ancienne, or pour la conscience, « la richesse de l’existence antérieure est encore présente dans son souvenir » .

Accepter le devenir 

La conscience, alors, ne comprend plus rien. Elle est clivée, divisée, malheureuse. Cette étrangeté à elle-même l’oblige à traverser cette négativité, cette dualité douloureuse, pour devenir autre. Et pour cela, elle doit passer par une médiation avec elle-même. Or la médiation répugne à la conscience, qui veut être tout l’un, ou tout l’autre, elle veut être absolue ou n’être rien. Le mouvement de l’esprit est à ce moment en marche, chez l’enfant qui vient de naître, et chez la femme qui vient d’enfanter et qui traverse ces différentes étapes avec lui, dans la douleur et l’angoisse, rencontrant sur son chemin les médiateurs, ou les médiatrices, dont fera partie la sage-femme, et qu’elle doit elle aussi accueillir et abandonner, pour accepter le devenir .

Accepter que le commencement de la vie humaine, le développement de l’embryon, du fœtus, dans le corps de la femme, soit initiateur du mouvement de la vie, penser le passage, ne pas redouter le devenir et ses médiations, accueillir la négation, non plus seulement comme la défaite ou la mort, mais comme une promesse, ne pas craindre l’ouverture, la faille, la fracture, et surtout savoir concilier la patience du long murissement conceptuel avec la soudaine apparition de la vie et du premier cri, telle est la leçon philosophique hégélienne dans laquelle une sage-femme peut se reconnaître.

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Table des matières

Introduction
Première partie : L’enfant du désir, l’enfant du projet
L’enfant du désir
La naissance première émergence du négatif
Le commencement
La rencontre des consciences dans la naissance
La dialectique homme-femme
Les deux essences de la vie éthique
Le deuxième sexe
La dialectique de la vie éthique et les « vagues » des mouvements féministes
Fractures, la dialectique de la femme clivée
L’enfant du projet
Malaise dans la procréation
Sexualité sans procréation, procréation sans sexualité
Stérilité mon amour
Nouvelles questions éthiques
La bioéthique dans le champ de la naissance
Le projet parental
Deuxième partie : La séparation et ses médiations
L’angoisse
L’événement
Le commencement
L’innocence est ignorance
Questions d’angoisse
L’angoisse de la naissance
La femme a plus d’angoisse que l’homme
L’angoisse du Dasein
L’éthique troublée par l’angoisse
Le temps de la menace : la nausée, le baby-blues
La Nausée ou le mal de mère
La Nausée, « la nature sans les hommes »
Baby-blues, la tonalité du commencement
La nuit du monde
Les médiateurs évanouissants de la naissance
Le placenta
L’organe initiateur de la médiation
Le devenir du placenta
Hommelette
Le sein ou la naissance du désir
La dialectique mère-enfant
Sevrage
Troisième partie : la naissance de la langue
La négativité à l’œuvre
Le « travail du négatif » et la naissance
La présence du négatif dans la naissance
Le déni de grossesse
La naissance congelée
Dangers et salut
Les dangers du déni de grossesse contemporain
Le salut, la dialectique des mères
La langue maternelle
Approche éthique de la langue maternelle
L’impératif ontologique
La langue maternelle en danger
Du langage à la langue
L’appel des mots
Lalangue et le parlêtre
La séparation et la langue
« Seule demeure la langue maternelle »
La sage-femme
La dialectique de la sage-femme
Les Mystères de la sage-femme
Qu’est-ce qu’une sage-femme ?
L’espace de la sage-femme
La gardienne de la phusis
La traversée des mondes intermédiaires
Conclusion
Index
Bibliographie

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