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Présentation des sources et de la méthodologie
Le corpus de sources est composé de documents privés : les archives de l’Association de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence de Maine-et-Loire de 1946 à 1993. L’ASEA d’Angers a fait don de ses fonds aux archives départementales de Maine-et-Loire en 2010. Plusieurs types de documents leur ont été confiés : en 2010, des archives papiers pour la période 1946-1993, et en 2011, des archives sonores et audiovisuelles datant des années 1974 à 1990-1996 (série AV). Ce fond d’archives porte ainsi sur l’histoire de l’enfance inadaptée après la Seconde Guerre Mondiale et au niveau local, notamment dans le département de Maine-et-Loire. Toutes les archives de l’ASEA n’ont pas été confiées aux archives départementales. En effet, certains documents tels que ceux se rapportant au personnel sont conservés au siège de l’ASEA. S’agissant de fonds d’archives privées, l’accès à certains documents est soumis à des conditions particulières. Certaines archives sont donc considérées comme non communicables et nécessitent une dérogation de l’association, notamment celles concernant le fonctionnement du centre ainsi que les archives sonores et audio-visuelles. Une autorisation a donc été demandée à Monsieur Fouillet, président de l’ASEA 49, permettant ainsi de commencer le travail de recherche avec l’aimable accord de l’association.
Lors du classement réalisé par les Archives départementales, les documents papiers ont été divisés en deux parties : dans une première, ceux de la période de l’ARSEA (1946-1965) puis du CREAI (1965-1969), et dans une seconde ceux de la période de l’ASEA (1966- 1993). Ces archives sont plutôt de bonne qualité, hormis quelques documents abîmés ou moins lisibles. Six cartons de documents sont ainsi disponibles. Les trois premiers concernent principalement les documents renvoyant à l’acquisition de l’établissement, à son fonctionnement administratif, ainsi que ceux renvoyant à sa structure et aux différents travaux d’aménagements. Les trois derniers cartons portent sur les prix de journées, sur le fonctionnement de l’établissement, ainsi que sur l’enseignement qui y était délivré.
Concernant les limites de ces sources, les archives manuscrites de la période 1950-1960 comportent peu de renseignements sur l’enseignement et la pédagogie, d’où un élargissement aux années 1970-1980.
L’analyse s’appuie sur également sur des sources orales. En effet, plusieurs témoignages oraux recueillis en 1992 pour le cinquantième anniversaire de l’ARSEA sont conservés aux Archives départementales de Maine-et-Loire au sein d’un dossier intitulé « Histoire de l’ASEA ». Jean-Louis Deniau, directeur des Aubrys de 1953 aux années 1980, ainsi que son épouse, assistante sociale et infirmière aux Aubrys ont été interviewé au sujet de l’établissement. Ces témoignages, regroupés sur deux CD et d’une durée totale d’1h21, permettent de compléter les différentes informations recueillis dans les archives papiers. L’enregistrement a été fait au départ sur des cassettes audio, puis mis sur CD entraînant une forte diminution de la qualité sonore et la perte de certains passages, notamment la fin de l’entretien concernant les relations avec le Ministère de l’Education nationale. Bien que certains passages soient difficiles à comprendre, plusieurs éléments ont pu être relevés et serviront à l’étude, notamment au sujet des enfants accueillis, des locaux, du personnel ou encore des méthodes éducatives privilégiées.
Les documents étant nombreux et concernant des sujets divers (finances, administration, enseignement, pédagogie …), un travail de sélection et de classement a été effectué de manière à redistribuer les données en fonction des axes de recherche choisis. La démarche utilisée est une méthode inductive, dans l’objectif d’étudier la prise en charge des enfants atteints de déficiences intellectuelles et de troubles du comportement au sein de cet établissement, d’établir des conclusions quant à la pédagogie et à l’enseignement, … La grille présentée en annexe 1 a été utilisée dans l’analyse des archives. Elle regroupe plusieurs questions liées à la problématique et qui ont permis d’orienter l’analyse des documents. Ceux-ci ont été étudiés en deux temps : une critique externe et une critique interne. La critique externe correspond à l’authentification des documents, à l’étude de leur forme et de leur structure (états, format, nature, en-tête …) ainsi que de leur provenance (expéditeur, émetteur, auteur(s), date …). Puis, un premier classement a été réalisé, afin de hiérarchiser les documents selon qu’il s’agisse de sources considérées comme principales ou de sources secondaires permettant d’apporter des informations complémentaires. La seconde partie de l’analyse a consisté en une critique interne, c’est-à-dire l’analyse du contenu des sources et des informations qui s’en dégagent. Il s’agissait de s’intéresser à l’objet de chaque document, aux motivations du ou des auteurs, tout en prenant du recul par rapport à ces sources. Afin de permettre un travail plus efficace, une fiche présentée en annexe 2 a été réalisée pour chaque document comprenant les divers éléments évoqués précédemment. Ces fiches ont ensuite été classées en quatre grands thèmes : l’administration et le personnel de l’établissement, les mineurs accueillis et les troubles dont ils étaient atteints, le quotidien des mineurs au sein de l’établissement, et enfin les informations relatives à l’enseignement et aux méthodes éducatives privilégiées. Des tableaux ont pu être réalisés à partir des données recueillies, notamment sur les effectifs des enfants accueillis.
Les tableaux 1 et 2 présentés ci-après regroupent les côtes des archives manuscrites et des archives audiovisuelles qui seront étudiées dans l’analyse, ainsi qu’une description du contenu et les dates de ces documents.
HISTOIRE DE L’EDUCATION SPECIALISEE
L’éducation spécialisée telle qu’elle se développe après la Seconde guerre mondiale résulte de nombreuses évolutions au cours de la seconde moitié du XIXe siècle et du XXe siècle, et ce dans différents domaines tels que la médecine, la justice, les sciences humaines, l’éducation …
La naissance de l’éducation spécialisée (fin XIXe siècle – années 1930)
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les expressions « enfants anormaux » ou « enfants arriérés » sont principalement utilisées. D’après M. Vial, maître de recherches à l’Institut national de recherche pédagogique, ces expressions pouvaient avoir un sens très différent selon les auteurs. Elle explique également qu’une distinction est faite à cette période pour les enfants souffrants de déficiences visuelles, auditives ou sensorielles, qui sont concernés par la majorité des tentatives d’enseignement. Les enfants souffrants de déficiences intellectuelles ou de problèmes de comportements sont généralement orientés vers les asiles, car considérés comme non éducables. Jacqueline Roca, professeur à l’Université Paris 7 et spécialiste des questions de l’enfance inadaptée explique qu’à partir de la fin du XIXe siècle, le vocabulaire est progressivement précisé par les médecins et les spécialistes qui se réfèrent au caractère d’éducabilité pour distinguer plusieurs « catégories » : les « anormaux médicaux ou d’hospices (épileptiques, idiots, imbéciles) » et « anormaux d’école (indisciplinés, arriérés, instables) »5. Au début du XXe siècle, Alfred Binet, médecin et Théodore Simon, psychologue sont chargés par le gouvernement français de définir des critères permettant l’orientation des enfants. Ils établissent ainsi en 1905 une échelle métrique de l’intelligence qui sera utilisée pendant toute la première moitié du XXe siècle pour détecter les élèves en difficulté.
Se développe progressivement une préoccupation pour les enfants dits « arriérés ». Le 15 avril 1909 est promulguée une loi créant les « classes de perfectionnement annexées aux écoles primaires ordinaires et les écoles autonomes pour enfants arriérés de 6 à 16 ans ». Il s’agit de la première loi qui prévoit la création de structures éducatives spéciales, rattachées ou en dehors de l’école dite « ordinaire ». M. Vial s’interroge sur la relation entre l’obligation d’instruction instaurée en 1882 et la naissance de la loi de 1909. La première interprétation était que l’obligation d’instruction avait entraîné chez les enseignants une demande en termes d’éducation spécialisée, ceux-ci reconnaissant ne pas être en mesure d’offrir un enseignement adapté à l’ensemble des élèves. Cependant, selon M. Vial, cette demande serait venue principalement des médecins et des spécialistes, et très peu du milieu éducatif. Comme le souligne C. Dorison, maître de conférences en sciences de l’Education à l’université de Cergy-Pontoise, des nuances ont été apportées à l’interprétation de M. Vial, notamment par J. Gateaux-Mennecier. Selon celle-ci, les choses seraient plus complexes. Les enseignants ne seraient pas totalement extérieurs à ce projet. Cette loi résulterait de l’action à la fois des médecins, des psychologues et des enseignants. De plus, elle insiste sur l’influence de Désiré-Magloire Bourneville (1840-1909). Neurologue français à l’hôpital de Bicêtre, il développe le projet de sortir les enfants déficients des asiles en créant des classes et des structures éducatives spécialisées. Il créé dès 1893 un Institut Médico-Educatif à Vitry-sur-Seine. D’autres établissements se développent en parallèle des classes de perfectionnement, telles que les écoles de plein air qui accueillent les enfants souffrant de « déficiences physiques ». Cependant, les changements dans la prise en charge de l’enfance inadaptée sont limités dans les années 1920. Les structures créées s’adressent le plus souvent aux enfants atteints de déficiences sensorielles ou physiques et sont majoritairement des œuvres privées. Concernant l’application de la loi de 1909, la majorité des auteurs s’accordent sur son faible impact, lié à son caractère facultatif, au manque de moyens … Une quarantaine de classes seulement sont créées pendant l’entre-deux-guerres. Philippe Fuster, inspecteur de l’Education nationale chargé de l’AIS (Adaptation et Intégration Scolaires) et Philippe Jeanne, directeur d’Institut médico-éducatif, soulignent que les mesures et les actions en faveur des enfants « déficients » sont peu nombreuses durant l’entre-deux-guerres et ont peu d’impact6. Les écoles de plein air créées dès 1907 sont officialisées en 1922 par une circulaire concernant « la création de classes et d’écoles de plein air pour les enfants « débiles » ». L’objectif est de soigner, mais aussi d’instruire, en offrant une part d’enseignement réduite. Les instituteurs spécialisés se réunissent en 1923 en créant l’Association amicale française des instituteurs publics d’enfants arriérés et se dotent d’une revue intitulée Notre Bulletin. Cependant, le groupe des instituteurs spécialisés reste peu structuré. Des évolutions apparaissent quant au vocabulaire, sans lien profond avec des évolutions dans la prise en charge. Dans les années 1930, les termes « débile » et « débilité » sont encore utilisés, mais pour désigner une déficience, une faiblesse physique. Les médecins tendent à diffuser les notions de « déficience » et « d’inadaptation », la deuxième concernant davantage les enfants souffrants de troubles du comportement. Dans son ouvrage Enfance inadaptée : l’héritage de Vichy, Michel Chauvière7, directeur de recherche au CNRS définit trois phases dans l’histoire de l’éducation spécialisée, la période de la fin du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle constituant la première étape, marquée par l’émergence d’une demande en termes d’éducation spécialisée. Apparait l’idée que de nouvelles prises en charge doivent se développer. Malgré le peu d’impact de certaines mesures et un manque de moyens alloué à ce secteur, cette première phase permet selon lui la mise en place des premières structures éducatives adaptées et la construction d’une réflexion autour de ce sujet, qui aboutira dans la seconde moitié du XXe siècle.
De 1935 à 1950 : La définition de l’enfance inadaptée
M. Chauvière évoque une seconde phase allant de 1935 à la fin de la Seconde guerre mondiale, marquée par les rivalités entre les différents acteurs pour la coordination du secteur de l’enfance. Sous le Front Populaire, le vocabulaire évolue puisqu’on parle désormais « d’enfance déficiente ». Suzanne Lacore, nommée sous-secrétaire d’Etat à la Protection de l’enfance agit en faveur des enfants abandonnés. Le ministre de la Santé Henri Sellier mène d’après J. Roca une « politique d’hygiène prénatale »8 pour réduire le nombre d’enfants souffrant de déficiences. Concernant l’enfance dite « délinquante », le décret du 30 octobre 1935 « dépénalise le vagabondage et pose le caractère obligatoire d’un examen médical et d’une enquête sociale ». Se développent alors à cette époque les centres d’accueil et de triage ayant pour but de mieux orienter les mineurs vers les différentes structures. En 1936 est réunie une commission de l’enfance déficiente, présidée par Henri Wallon et Jean Zay (ministre de l’Education nationale). Des psychiatres, médecins et spécialistes ainsi que des membres du milieu éducatif sont consultés. Le secteur de l’éducation spécialisée est alors confié à trois ministères : la Santé publique, l’Education et la Justice. Une « charte de l’enfance déficiente » est également définie et des enquêtes sur le dépistage des enfants sont prévues. Cette charte précise ce qui relève du fonctionnement des établissements (recrutement, personnel, financements et subventions …). Les enfants peuvent être orientés vers les classes et les écoles de perfectionnement, qui sont désormais obligatoires, ou vers les instituts médico-pédagogiques et centre adaptés. Guy Dréano explique qu’en réalité, dans un contexte financier difficile, les moyens alloués à ce secteur restent très limités. Une grande partie des enfants sont toujours mal orientés.
M. Chauvière s’est intéressé plus précisément à la prise en charge de l’enfance inadaptée sous le régime de Vichy et aux impacts de ces politiques par la suite. Il explique que dans un contexte où le régime accorde une place importante à la famille et à la jeunesse, l’éducation spécialisée, confiée au ministère de la Santé publique, fait l’objet de plusieurs mesures. Par l’arrêté du 25 avril 1943 est créé un « Conseil technique de l’enfance déficiente ou en danger moral », dirigé par Georges Heuyer, considéré comme l’un dès pères de la neuropsychiatrie infantile. Ce conseil définit un terme précis, « enfance inadaptée » qui perdurera jusqu’en 1975. Déjà utilisé par les médecins dans les années 1930, cette expression désigne les enfants qui doivent faire l’objet d’une prise en charge particulière, du fait de « déficiences physiques, psychiques, psychologiques et/ou sociales »9. M. Chauvière montre que le rôle des médecins, des psychiatres et des spécialistes y est prépondérant, contrairement aux représentants de l’Education nationale, dans un contexte de répression du milieu enseignant. Nous pouvons voir là encore un problème de concurrence entre les différents ministères. Ce conseil technique avait pour mission de définir une classification permettant l’orientation des élèves et de préciser les conditions et l’organisation des dépistages. Ainsi, la nomenclature du Docteur Lagache se diffuse à partir de 1944, donnant la définition suivante : « Est inadapté un enfant, un adolescent ou plus généralement un jeune de moins de vingt et un ans, que l’insuffisance de ses aptitudes ou les défauts de son caractère mettent en conflit prolongé avec la réalité ou les exigences de l’entourage conformes à l’âge et au milieu social du jeune. L’inadaptation se qualifie selon la situation dont elle est corrélative ; exemples : inadaptation familiale, inadaptation scolaire, inadaptation professionnelle. »10
Une réflexion s’engage également autour de la nécessité d’examens médico-psychologiques pour compléter les tests d’intelligence. En 1944, une loi sur la protection des mineurs déficients et en danger moral met en avant la notion de neuropsychiatrie infantile. Le secteur de l’enfance inadaptée est donc définit sous le régime de Vichy. En 1946, des mesures précisent les conditions d’approches médico-sociales et psychopédagogiques (en termes de locaux, d’ameublement, de sécurité …). C’est à cette période que les missions des différents centres sont véritablement distinguées. Même s’il existe des divergences entre les différents acteurs, il y a un consensus autour de l’idée que l’insertion sociale future de ces élèves nécessite une scolarisation adaptée, en dehors de l’école ordinaire.
Durant cette période, les associations ont un rôle important dans l’éducation spécialisée. Guy Dréano, ancien directeur d’un centre de formation aux professions de l’éducation et de l’accompagnement spécialisé dans les Yvelines, ainsi que M. Chauvière montrent que le secteur privé s’implique très tôt dans l’éducation spécialisée. Cette place majoritaire existe depuis le XIXe siècle. Les établissements privés sont dans la première moitié du XXe siècle plus diversifiés et nombreux que les établissements publics. Progressivement apparait l’idée d’organiser des structures pour la protection de l’enfance au niveau régional. Ces deux auteurs insistent sur la période du régime de Vichy où sont créées les ARSEA (Association régionale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence). Créées en 1943, elles sont au nombre de dix en 1944, puis de seize en 1946. Il s’agit d’associations privées ayant des statuts particuliers puisque y participent des représentants de l’Education nationale (comme les recteurs d’académie). Subventionnées par l’Etat, elles ont un statut semi-public, semi-privé. Elles ont notamment pour missions de gérer et d’assurer le financement des établissements et des centres d’accueils et surtout d’implanter des centres d’observation. D’après S. Boussion, elles ont donc « sous leur gestion ou responsabilité des centres d’observation, des centres de rééducation, ainsi que des services sociaux ou des consultations médico-psychologiques, sans oublier des écoles de cadres formant des éducateurs »11 et « gèrent en 1949, 16 centres d’accueil et d’observation et 10 centres de rééducations »12. M. Chauvière présente les ARSEA comme un héritage du gouvernement de Vichy, expliquant qu’elles sont nées durant cette période et ont conservé en grande partie leur structure par la suite. Cependant, J. Roca apporte une nuance en expliquant que dès les années 1930 et sous le Front Populaire, il existait l’idée d’une coordination entre les actions privées et publiques en faveur de l’enfance délinquante et inadaptée. Elle ne présente donc pas les ARSEA comme un « héritage du gouvernement de Vichy » puisqu’elles étaient en gestation dès les années 1935. Le régime de Vichy a repris ce projet permettant leur structuration et leur reconnaissance officielle. A la Libération, l’Etat cherche à renforcer son contrôle sur les œuvres privées et sur les associations. Les ARSEA sont conservées ce qui permet l’ouverture de nombreux établissements. Leurs missions et attributions sont renforcées par trois circulaires entre 1945 et 1947 et elles sont rattachées au ministère de la Santé. En 1946, les ARSEA se dotent d’une revue intitulée Sauvegarde qui devient Sauvegarde de l’enfance à partir de 1952. En 1947-1948 est créée l’UNARSEA (Union nationale des associations régionales de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence), appelée également UNAR, sous l’influence de la ministre de la Santé et de la Population, G. Poinso-Chapuis, elle-même présidente de l’ARSEA de Marseille. S. Boussion précise que l’UNAR avait pour mission de « représenter les intérêts généraux des ARSEA auprès des pouvoirs publics ». Les ARSEA et les associations conservent un rôle important dans l’éducation spécialisée, permettant son développement au niveau régional et national. Mais ce secteur se structure véritablement dans les années 1960-1970.
L’essor de l’éducation spécialisée après la Seconde Guerre mondiale.
M. Chauvière définit une troisième phase qui débute en 1958 et qui correspond à la structuration du secteur de l’éducation spécialisée. Nous retrouvons cette idée chez J. Roca qui décrit la période 1960-1975 comme « l’âge d’or de l’enfance inadaptée ». Cette « apogée » de l’éducation spécialisée est liée à plusieurs éléments. Le premier est le renforcement de l’influence de l’Etat sur ce secteur, souhaitant contrôler davantage les associations privées et les établissements spécialisés ainsi que le dépistage des troubles et des déficiences chez les mineurs. L’UNAR apparait alors comme un véritable intermédiaire entre les associations privées et l’Etat. En 1958, elle regroupe seize ARSEA, soit « 5 000 éducateurs, 36 centres d’observation, 46 centres de rééducations gérés par les ARSEA, et 50 établissements affiliés »13. En 1964-1965, les ARSEA sont transformées en CREAI (Centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptées) qui sont regroupés au sein de l’ANCREAI (Association nationale des centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptées). Plusieurs mesures favorisent le développement des prises en charge adaptées et notamment les prises en charge médico-sociales, comme l’instauration de la Sécurité sociale en 1945 qui permet de conférer davantage de moyens à l’éducation spéciale. Ces évolutions sont aussi liées au contexte de massification scolaire qui amène l’Etat à scolariser davantage de mineurs. L’Etat cherche à renforcer son contrôle sur les établissements spécialisés en fixant leur organisation. Ainsi, un décret promulgué le 9 mars 1956 régit les prises en charges des enfants inadaptés et fixe les normes de fonctionnement des établissements.
Le deuxième élément qui permet l’essor de l’éducation spéciale est la structuration du groupe des éducateurs. Le 15 juillet 1947 est créée l’ANEJI (Association nationale des éducateurs de jeunes inadaptés) dont l’un des objectifs était de permettre l’organisation de la profession. Elle a un impact international avec la création en 1951 l’AIEJI (Association internationale des éducateurs de jeunes inadaptés). Là aussi les associations sont multiples puisqu’est créée en parallèle l’association générale des éducateurs qui deviendra l’UNAEDE (Union nationale des assistants et éducateurs de l’enfance). Les éducateurs sont de plus en plus qualifiés et spécialisés. En 1967, est créé un nouveau certificat d’aptitude à l’éducation des enfants et adolescents déficients ou inadaptés (CAEI) incluant notamment les méthodes d’Education nouvelle14. Enfin, l’essor de l’éducation spécialisée dans les années 1950-1960 est aussi à mettre en lien avec l’influence croissante des sciences humaines. Dès la première moitié du XXe siècle, une première réflexion s’engage autour de l’enfance inadaptée en lien avec le développement de la psychiatrie. Ainsi en 1937 a lieu le premier congrès international de psychiatrie infantile à Paris. Les sciences humaines prennent véritablement de l’importance après la Seconde Guerre mondiale, permettant par exemple la création à Paris en 1948 de la première chaire de neuropsychiatrie infantile. En parallèle de la psychiatrie, se développe la psychologie en particulier dans le cadre scolaire. Jacqueline Roca précise que le développement de celle-ci permet ainsi une « meilleure compréhension des comportements de l’enfant et de l’adolescent et permet d’adapter la pédagogie aux différents profils des individus » 15. Une nouvelle place est accordée à l’enfant dans la société et les établissements se spécialisent en fonction des différentes déficiences.
Ces différents éléments permettent un essor des structures spécialisées après la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte où le manque d’institutions destinées aux mineurs « inadaptés » est important, surtout pour les garçons, les filles étant souvent prises en charge dès le début du XXe siècle par les associations religieuses. L’idée dominante est celle selon laquelle la prise en charge en structure adaptée est nécessaire et bénéfique pour le mineur. Ainsi, les établissements crées durant les années 1950 et 1960 sont généralement des internats. S. Boussion précise qu’il en existe de plusieurs types : « des centres d’accueil, des centres d’observation, des centres de rééducation » pour les enfants souffrant de troubles du comportement ou encore « des instituts médico-pédagogiques quand il s’agit d’enfants ou d’adolescents considérés comme « déficients de l’intelligence » »16. L’internat est perçu comme une nécessité en raison des troubles dont souffrent les enfants. Les établissements peuvent avoir des missions différentes. Se développent ainsi des instituts médico-pédagogiques pour « débiles moyens », « débiles légers », « débiles profonds », « débiles semi-profonds éducables », des établissements pour les enfants épileptiques … Les internats de l’après-guerre diffèrent pour une grande partie de ceux de la première moitié du XXe siècle. Basés sur le plein air, ils sont davantage ouverts sur l’extérieur et les enfants évoluent dans un cadre moins stricte. Ce type de prise en charge subi néanmoins quelques critiques. L’internat est perçu par certain comme une structure entraînant la « ségrégation » des mineurs inadaptés. Se développe l’idée que l’éloignement de l’enfant ou de l’adolescent n’est pas une solution favorable et que cela offre très peu de perspectives de réinsertion. Ainsi, dès les années 1950, d’autres solutions sont tentées comme les éducateurs de prévention, chargés d’intervenir directement dans le milieu de vie du mineur, mais ils restent minoritaires.
L’éducation spécialisée semble donc structurée dans les années 1960. Cependant, comme le souligne C. Dorison qui s’est intéressée à l’évolution des classes de perfectionnement, ce secteur est de plus en plus critiqué à partir des années 1968-1970. Les classes de perfectionnement ainsi que les établissements spécialisés sont dénoncés pour leur caractère ségrégatif et le fait que les enfants y sont souvent mal orientés. De nouveaux enjeux et de nouvelles conceptions apparaissent, avec l’idée qu’il est peut être préférable pour l’enfant d’être scolarisé au sein des écoles ordinaires. Ces idées qui se développent dans les années 1970 sont liées en partie au nouveau regard amené par exemple par les sociologues sur le handicap et sur le rôle de l’école dans la reproduction de désavantages sociaux. Frédérique Bastide s’intéresse par exemple à la notion « d’intégration scolaire » (instituée par les lois d’orientation de 1975 et 1989), puis à celle « d’inclusion scolaire » (développée dans la loi du 11 février 2005). La loi de 1975 remplace le terme « inadapté » par « personne handicapée » et institutionnalise « l’intégration scolaire » en affirmant le droit pour tout enfant handicapé à une scolarisation en milieu ordinaire. L’accompagnement des enfants handicapés en milieu scolaire ordinaire se développe à partir des années 1970-1980. Des dispositifs différents sont créés comme le GAPP (Groupement Aide Psychopédagogique) à partir de 1976 qui veille à l’adaptation des élèves et qui est en charge d’un ou de plusieurs groupes scolaires ou encore le RASED (réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficultés) mis en place en 1990, composé notamment d’enseignants spécialisés et intervenant dans les écoles auprès des enfants en difficultés scolaires ou atteints de handicap.
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Table des matières
INTRODUCTION
I- Présentation du sujet et problématique
II- Historiographie
III- Présentation des sources et de la méthodologie
PARTIE I- HISTOIRE DE L’EDUCATION SPECIALISEE
I- La naissance de l’éducation spécialisée (fin XIXe siècle – années 1930)
II- De 1935 à 1950 : La définition de l’enfance inadaptée
III-L’essor de l’éducation spécialisée après la Seconde Guerre mondiale.
PARTIE II – ANALYSE
I- Présentation de l’établissement des Aubrys
A) La création et les évolutions de l’établissement
B) L’organisation administrative de l’établissement
C) Le personnel de l’établissement
1) Le personnel de direction et d’administration
2) Les éducateurs spécialisés et les instituteurs
3) Les autres professionnels
II- La vie des élèves
A) Les élèves accueillis dans l’établissement
B) Le lieu de vie des élèves
C) Le quotidien des élèves
III- Enseignement et pédagogie
A) L’organisation et les objectifs de l’enseignement
B) Les méthodes pédagogiques privilégiées
C) Un exemple : les quatre classes de l’année scolaire 1984-1985
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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