La myélofibrose primitive au sein des néoplasmes myéloprolifératifs
La myélofibrose primitive (MFP) est une hémopathie myéloïde maligne appartenant aux néoplasmes myéloprolifératifs (NMPs). La notion de maladie myéloproliférative a été introduite en 1951 par William Dameshek sous le nom « syndromes myéloprolifératifs » (SMP) . Les NMPs dits « classiques » comprennent la leucémie myéloïde chronique (LMC), la polyglobulie de Vaquez ou polycythemia vera (PV), la thrombocytémie essentielle (TE) et la MFP. La myélofibrose (MF) peut également être secondaire à un autre NMP de type PV ou TE et est alors dénommée myélofibrose secondaire. Ces NPMs sont liés à une altération clonale de la cellule souche hématopoïétique (CSH), responsable de la prolifération sans altération de la maturation des différentes lignées myéloïdes appelée myéloprolifération, touchant préférentiellement la lignée érythroblastique dans la PV et la lignée mégacaryocytaire dans la TE et la MFP. Le terme « néoplasme » a été introduit en 2008 par les auteurs de la WHO (World Health Organization ) Classification of Tumours of Haematopoietic and Lymphoid Tissues afin de souligner la nature clonale de la prolifération. Les NMPs sont associés à un risque accru de thrombose et d’accidents hémorragiques et l’évolution naturelle se fait vers la leucémie aigüe et/ou la fibrose médullaire.
Durant les vingt dernières années, la classification des NMPs a beaucoup évolué. Alors que les SMPs regroupaient toutes les hémopathies classiques ou atypiques avec une myéloprolifération chronique, les nombreuses découvertes d’anomalies génétiques et moléculaires à l’origine de la myéloprolifération ont permis des avancées majeures dans la compréhension des mécanismes physiopathologiques des NMPs. La LMC a été rapidement classée à part après la découverte de la translocation équilibrée récurrente entre les chromosome 9 et 22, t(9 ;22)(q34;q11), aboutissant à un chromosome 22 raccourci appelé chromosome Philadelphie. Cette translocation est responsable du gène de fusion BCR-ABL codant pour une oncoprotéine BCR-ABL à activité tyrosine kinase constitutivement activée . La mise en évidence de la t(9 ;22) et de BCR-ABL a permis de développer des tests de diagnostic et de suivi moléculaire de la LMC ainsi que des traitements ciblés très efficaces nommés inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK), dont le chef de file est l’imatinib/ Glivec® .
De nombreux gènes de fusion ou mutations ponctuelles, aboutissant à l’activation constitutive de protéines à activité tyrosine kinase conduisent à un mécanisme oncogénique similaire dans des maladies myéloprolifératives plus rares. Ces anomalies concernent des gènes codant des récepteurs à activité tyrosine kinase comme PDGFRα et PDGFRβ (platelet-derived growth factor receptor α et β), FGFR1 (fibroblast growth factor receptor-1), CSFR3 (colony stimulating factor receptor 3) ou KIT ainsi que des tyrosines kinases cytoplasmiques comme JAK2 (Janus kinase 2). Une délétion interstitielle de 800 kb sur le chromosome 4 del(4 (q12q12) conduit au réarrangement FIP1L1- PDGFRα, responsable d’une myéloprolifération avec hyperéosinophilie. La fusion perturbe le domaine juxtamembranaire autoinhibiteur aboutissant à l’activation constitutive de la kinase . Sept autres partenaires de fusion de PDGFRα ont été décrits BCR, ETV6, KIF5B, CDK5RAP2, STRN, TNKS2 et FOXP1 et des mutations ponctuelles de PDGFRα ont aussi été identifiées. En 1994, le gène de fusion ETV6-PDGFRβ a été mis en évidence, et depuis, plus de trente partenaires de fusion de PDGFRβ ont été décrits chez des patients présentant des NMPs atypiques ou des formes frontières entre NMP et syndrome myélodysplasique (SMD) comme la leucémie myélomonocytaire chronique (LMMC). Les différents réarrangements partagent le même point de cassure moléculaire, le domaine tyrosine kinase de PDGFRβ est préservé et fusionné à une protéine partenaire en N-terminal qui contient toujours un motif de dimérisation ou d’oligomérisation mimant la dimérisation du récepteur et l’activant même en l’absence de ligand . De même, les gènes de fusion FGFR1 avec l’un de ces quatorze gènes partenaires décrits, conduisent à la dimérisation de la protéine tyrosine kinase FGFR1 et à son activation constitutive. Ils sont responsables du syndrome 8p11 dont la présentation clinique est très variable incluant des néoplasmes myéloprolifératifs, des hémopathies lymphoïdes, des leucémies aiguës et des lymphomes lymphoblastiques B ou T . Le gène de fusion impliquant JAK2 le plus fréquent est PCM1-JAK2, conséquence de la t(8; 9) (p22; p24) et impliquant le gène de la tyrosine kinase cytoplasmique JAK2 et le gène PCM1. Les patients présentant un réarrangement JAK2 ont une maladie plus proches des leucémies associées à d’autres gènes de fusion que des NMPs classiques . En 2013, des mutations du gène CSFR3 connu aussi sous le nom de GCSFR (granulocyte colony stimulating factor receptor) ont été mises en évidence dans plus de 80% des cas de leucémie chronique à neutrophiles et dans certaines LMC atypiques . Les mutations les plus fréquentes sont des mutations ponctuelles du domaine extracellulaire ou transmembranaire de CSFR3, entrainant une activation constitutive de l’activité tyrosine kinase du récepteur, indépendante du ligand. Des modifications du poids moléculaire et de la glycosylation de la forme mutée du récepteur ont été démontrées mais la relation précise entre ces changements post-traductionnels et la dimérisation du récepteur n’est pas encore élucidée. Les mastocytoses systémiques, caractérisées par une prolifération de cellules mastocytaires ont longtemps été classées dans les NMPs. De fait, le mécanisme oncogénique est similaire, des mutations ponctuelles du gène c-kit, dont la plus fréquente est la mutation D816V (remplacement d’une valine en position 816 par un aspartate) conduisent à l’activation constitutive de ce récepteur à activité tyrosine kinase .
Anomalies génétiques conductrices
Avant 2005, les mécanismes physiopathologiques qui sous-tendaient les NMPs classiques non BCR-ABL n’étaient pas connus. En 2005, une avancée majeure a été réalisée avec la découverte d’une mutation récurrente dans le gène JAK2, nommée JAK2V617F, présente dans 70% des NMPs : 95% des PV et 50 à 60% des TE et des MFP. Il a été ensuite rapidement mis en évidence des mutations du gène MPL, récepteur à la TPO, présentes dans 2 à 3% des TE et 3 à 5% des MFP. Enfin, plus récemment, en 2013, des mutations du gène CALR codant pour la calréticuline ont été rapportées dans 20 à 25% des TE et 25 à 30% des MFP. Au total, dans plus de 90% des cas, une de ces trois principales mutations est retrouvée chez les patients atteints de MFP. Les mutations de JAK2, MPL et CALR aboutissent à la dérégulation de protéines à activité tyrosine kinase et notamment à la dérégulation de la kinase JAK2 et de la voie JAK-STAT. Elles sont spécifiques des NMPs et sont dites conductrices ou driver car elles sont capables à elles seules d’induire la myéloprolifération. Les MFP pour lesquelles aucune anomalie conductrice n’est mise en évidence sont dites « triple négative ». D’autres mutations somatiques non spécifiques des NMPs et non conductrices, souvent nommées anomalies additionnelles, sont retrouvées dans une majorité de MFP.
Mutation de JAK2
La première mutation somatique récurrente commune aux NMPs classiques non BCR-ABL a été mise en évidence dans le gène JAK2, situé sur le chromosome 9 . Le remplacement d’une guanine par une thymidine au niveau du nucléotide 1849, dans l’exon 14, entraine la substitution d’une valine par une phénylalanine en position 617, aboutissant à une protéine mutée JAK2V617F. La mutation JAK2V617F présente à l’état hétérozygote subit souvent une transition vers l’état homozygote par recombinaison mitotique avec perte d’hétérozygotie sur une région de taille variable du bras court du chromosome 9 . Le fait qu’une même mutation puisse être responsable de phénotypes différents peut en partie être expliquée par ce mécanisme, les patients atteints de TE présentant le plus souvent la mutation à l’état hétérozygote alors que les patients atteints de PV ont dans la grande majorité des cas la mutation à l’état homozygote. Par ailleurs, il a aussi été montré que la charge allélique de la mutation JAK2V617F est plus importante dans les myélofibroses secondaires que dans les PV et les TE, indiquant le rôle de l’accumulation des allèles mutés dans la progression vers la myélofibrose .
Des mutations dans l’exon 12 de JAK2 ont aussi été mises en évidence dans les NMPs et sont présentes dans la plupart des PV négatives pour JAK2V617F mais ne sont pas retrouvées dans les TE et les MFP en dehors des myélofibroses secondaires à une PV ayant initialement cette mutation .
|
Table des matières
INTRODUCTION
Première partie : Introduction
1.1 Chapitre 1 : La myélofibrose primitive
1.1.1 La myélofibrose primitive au sein des néoplasmes myéloprolifératifs
1.1.2 Anomalies génétiques conductrices
1.1.2.1 Mutation de JAK2
1.1.2.2 Mutation de MPL
1.1.2.3 Mutation de CALR
1.1.2.4 Myélofibrose primitive triple négative
1.1.2.5 Anomalies non conductrices additionnelles acquises
1.1.2.6 Anomalies cytogénétiques
1.1.3 Aspects cliniques, biologiques et anatomo-pathologiques
1.1.3.1 Epidémiologie
1.1.3.2 Aspects clinico-biologiques
1.1.3.3 Aspects anatomo-pathologiques
1.1.3.4 Critères diagnostiques selon la classification OMS 2016
1.1.4 Evolution et pronostic
1.1.5 Aspects thérapeutiques
1.1.5.1 Allogreffe de cellules souches hématopoïétiques
1.1.5.2 Traitements conventionnels hors inhibiteurs de JAK
1.1.5.3 Inhibiteurs de JAK
1.1.5.4 Traitements en développement
1.2 Chapitre 2 : Physiopathologie de la myélofibrose primitive
1.2.1 La myéloprolifération
1.2.1.1 La clonalité
1.2.1.2 La voie JAK/STAT
1.2.1.2.1 Les JAKs
1.2.1.2.2 Les STATs
1.2.1.2.3 Principe de la signalisation par la voie JAK-STAT
1.2.1.2.3.1 Voie canonique
1.2.1.2.3.2 Voie non canonique
1.2.1.2.4 Régulation négative de la voie JAK-STAT
1.2.1.3 Rôle des JAKs et des STATs dans l’hématopoïèse
1.2.1.4 Le facteur de transcription STAT5
1.2.1.4.1 Structure de STAT5
1.2.1.4.2 Rôle de STAT5 dans l’hématopoïèse
1.2.1.4.3 Rôle de STAT5 dans l’hématopoïèse pathologique des néoplasmes myéloprolifératifs : l’exemple de la leucémie myéloïde chronique
1.2.1.5 Dérégulation de la voie JAK-STAT dans les néoplasmes myéloprolifératifs classiques non BCR-ABL
1.2.2 La réaction stromale
1.2.2.1 Microenvironnement médullaire
1.2.2.1.1 Cadre osseux, vascularisation et cellules stromales
1.2.2.1.2 Matrice extracellulaire
1.2.2.1.2.1 Composants de la matrice extracellulaire
1.2.2.1.2.2 Dégradation de la matrice extracellulaire
1.2.2.2 Physiopathologie de la fibrose médullaire
1.2.2.3 Rôle majeur du TGF-β1
1.2.2.3.1 Famille des TGF-β
1.2.2.3.2 Fonctions des TGF-β
1.2.2.3.3 Synthèse et activation du TGF-β1
1.2.2.3.4 Voies de signalisation du TGF-β1
1.2.2.3.4.1 Voie de signalisation canonique du TGF-β1 : la voie des Smads
1.2.2.3.4.2 Les voies non canoniques
1.2.2.3.5 Effet du TGF-β1 sur la matrice extra-cellulaire et la fibrose
1.2.2.3.6 Rôle du TGF-β1 dans la myélofibrose primitive
1.2.2.4 Autres cytokines fibrogéniques
1.2.2.5 Physiopathologie de l’ostéosclérose
1.2.2.6 Physiopathologie de la néoangiogenèse
1.2.3 L’inflammation
1.2.3.1 Inflammation et néoplasmes myéloprolifératifs
1.2.3.2 Principales cytokines inflammatoires impliquées dans la myélofibrose primitive
1.2.3.3 Voies de signalisation NF-κB dans la myélofibrose primitive
1.2.3.4 Rôle du TGF-β1 dans l’inflammation
1.3 Chapitre 3 : PPARγ
1.3.1 Généralités sur les PPARs
1.3.1.1 Structure du récepteur nucléaire PPARγ
1.3.1.2 Mécanisme d’action de PPARγ
1.3.1.2.1 Activité transcriptionnelle
1.3.1.2.2 Régulation post-traductionnelle
1.3.1.3 Les ligands de PPARγ
1.3.1.3.1 Ligands physiologiques
1.3.1.3.2 Ligands de synthèse
1.3.1.3.2.1 Les thiazolidinediones
1.3.1.3.2.2 Les modulateurs sélectifs des PPARs : les SPPARMs
1.3.1.3.2.3 Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)
1.3.1.3.2.4 Les dérivés des triterpenoïdes
1.3.1.3.2.5 Les co-agonistes et les pan-agonistes
1.3.1.3.2.6 Les antagonistes
1.3.1.4 Rôles de PPARγ
1.3.1.4.1 Rôle dans le métabolisme lipidique et glucidique
1.3.1.4.2 Rôle dans l’athérosclérose
1.3.1.4.3 Rôle dans le métabolisme osseux
1.3.1.4.4 Rôle dans les cancers
1.3.2 Effets putatifs de l’activation de PPARγ dans la myélofibrose primitive
1.3.2.1 Rôle de PPARγ dans l’hématopoïèse
1.3.2.1.1 Expression de PPARγ dans le système hématopoïétique
1.3.2.1.2 Rôle dans l’érythropoïèse
1.3.2.1.3 Rôle dans l’hématopoïèse : axe PPARγ/STAT5
1.3.2.1.4 Rôle dans les cellules souches hématopoïétiques
1.3.2.1.5 Rôle de PPARγ dans l’hématopoïèse pathologique
1.3.2.1.5.1 Effet des ligands de PPARγ dans les hémopathies
1.3.2.1.5.2 Effet des ligands de PPARγ dans les néoplasmes myéloprolifératifs : l’exemple de la leucémie myéloïde chronique
1.3.2.2 Rôle dans l’inflammation
1.3.2.2.1 Effet anti-inflammatoire de l’activation de PPARγ en clinique et dans les modèles expérimentaux de maladies inflammatoires
1.3.2.2.2 Rôle de PPARγ dans les monocytes/macrophages
1.3.2.2.3 Rôle de PPARγ dans les autres cellules du système immunitaire
1.3.2.2.4 Rôle de PPARγ dans la régulation négative de la voie NF-kb
1.3.2.3 Rôle dans le développement de la fibrose
1.3.2.3.1 Rôle protecteur de l’activation de PPARγ
1.3.2.3.2 Mécanismes physiopathologiques de l’action anti-fibrotique de PPARγ : axe PPARγ-TGF-β1
Deuxième partie : Objectifs du travail de Thèse
Troisième partie : Matériel et méthodes
3.1 Etude de la prolifération in vitro
3.1.1 Sources cellulaires
3.1.2 Conditions de culture
3.1.3 Etude de la viabilité cellulaire
3.1.4 Etude du cycle cellulaire
3.1.5 Etude de l’apoptose
3.1.6 Etude du potentiel clonogénique
3.2 Etude de la fibrose in vitro
3.2.1 Sources cellulaires
3.2.2 Conditions de culture
3.2.3 Induction des gènes cibles de la fibrose par le TGF-β1
3.2.4 Quantification de la transcription des gènes cibles de la fibrose par RT-qPCR
3.2.5 Etude de la phosphorylation des Smads
3.2.6 Etude des voies de signalisation par inhibiteurs chimiques
3.2.7 Etude du rôle du co-facteur p300
3.2.7.1 Surexpression du co-facteur de transcription p300
3.2.7.2 Immunoprécipitation de la chromatine (ChIP-seq)
3.3 Etude du potentiel thérapeutique de l’activation de PPARγ dans les modèles murins de néoplasmes myéloprolifératifs
3.3.1 Provenance des souris
3.3.2 Procédure de transplantation
3.3.3 Modèles murins
3.3.3.1 Modèle de myélofibrose TPOhigh
3.3.3.2 Modèle de myélofibrose post-polyglobulie de Vaquez JAK2V617F
3.3.3.3 Modèle JAK2V617F-GFP
3.3.3.4 Modèle Calréticuline
3.3.4 Traitement des souris par les ligands de PPARγ
3.3.5 Prélèvements issus des souris
3.3.5.1 Prélèvements sanguins
3.3.5.1.1 Hémogrammes
3.3.5.1.2 Quantification de la transcription des gènes impliqués dans l’inflammation par RT-qPCR
3.3.5.2 Prélèvements médullaires
3.3.5.2.1 Etude de la cellularité médullaire et du potentiel clonogénique
3.3.5.2.2 Etude de la population médullaire Lin-Sca+ Kit+ (LSK)
3.3.5.3 Analyse anatomo-pathologique des fémurs et des rates
3.4 Analyses statistiques
Quatrième partie : Résultats expérimentaux
CONCLUSION