Physiologie de la douleur
Un stimulus douloureux provoque une cascade d’évènements conduisant à des informations codant les différents aspects de la douleur. La sensibilité douloureuse ou nociception met en jeu des structures anatomiques permettant de détecter, percevoir et réagir à des stimulations nocives. Un message nociceptif est créé et transmis, sous forme d’influx nerveux, depuis les récepteurs périphériques jusqu’au système nerveux central en franchissant plusieurs relais [12-14].
Naissance du message nociceptif
• Les récepteurs périphériques de la douleur : « nocicepteurs » : Lorsque le corps est soumis à une sensation douloureuse venant du monde extérieur, les récepteurs sensitifs appelés nocicepteurs sont activés pour capter la douleur. Ce sont des terminaisons nerveuses libres des fibres nerveuses. Ces terminaisons nerveuses libres sont retrouvées au niveau cutané, musculaire, articulaire et viscéral. Certains récepteurs peuvent être activés directement sous l’effet d’une pression ou d’une température, tandis que d’autres sont activés indirectement grâce à l’intervention de nombreuses substances algogènes. On distingue deux types de nocicepteurs :
– Des nocicepteurs uni-modaux ou mécano-nocicepteurs qui ne répondent qu’à des stimulations intenses
– Des nocicepteurs plurimodaux qui répondent à des stimulations intenses, chimiques et thermiques
Au niveau de ces fibres nociceptives, il existe de nombreux récepteurs :
– TRPV-1 (Transient receptor potential vanilloid 1) : activé par des molécules exogènes comme la capsaïcine, qui est la substance irritante présente dans les piments mais aussi par des températures supérieures à 42°C. L’activation de ces récepteurs peut être sensibilisée par les ions H+. Ils peuvent être activés à des températures proches de la température ambiante si le milieu est acide, c’est le cas lors d’une inflammation.
– P2X (Purinergic 2X) : lors des lésions tissulaires, l’ATP utilisé par les cellules peut être libéré dans le milieu extérieur. L’ATP active ces récepteurs purinergiques.
– ASIC (Acid sensitive ion channels) : ces canaux sont activés par des baisses de pH. On rencontre ces situations dans les douleurs inflammatoires.
De nombreuses substances chimiques (bradykinine, histamine, sérotonine, prostaglandines, ions hydrogènes) sont libérées par les cellules sanguines (plaquettes, lymphocyte, macrophages, polynucléaire, mastocytes, macrophages) lors d’une lésion tissulaire. Des neuropeptides tels que la substance P et le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP) sont libérés au niveau périphérique. Par ailleurs, les cytokines telles que les interleukines, interféron, facteur de nécrose tumorale (TNF), facteur de croissance neuronale (NGF) sont libérés par les phagocytes et le système immunitaire. Toutes ces substances chimiques et l’activation des nocicepteurs assurent la dépolarisation et la transformation des messages nociceptifs en influx nerveux d’amplitude variable selon l’intensité de la douleur : c’est la transduction.
La transmission du message nociceptif Le potentiel d’action nociceptif chemine dans les fibres nerveuses périphériques (protoneurone) jusqu’à la corne dorsale de la moelle où il sera transmis à un second neurone (deutoneurone) d’ordre spinothalamique (de la moelle épinière vers le thalamus). Le neurone secondaire croise immédiatement dans la moelle en passant sous le canal de l’épendyme pour former la voie spinothalamique en position ventrolatérale de la moelle et conduit l’information jusqu’à différentes régions des complexes ventrobasal et centromédian du thalamus somatosensoriel où il fera un contact synaptique avec le troisième neurone ou neurone tertiaire.
• Les fibres périphériques : Les nocicepteurs sont connectés à des fibres nerveuses. L’influx nerveux nociceptif est véhiculé dans les nerfs par 2 types de fibre :
– Les fibres myélinisées Aδ, de faible calibre assurent une conduction nerveuse de 4 à 30m/s, responsable d’une douleur rapide, précise et localisée.
– Les fibres non myélinisées C assurent une conduction nerveuse de 2m/s, responsable d’une douleur retardée, sourde et moins localisée.
Ces fibres sont des prolongements périphériques ou axones du protoneurone.
• La jonction radiculo-médullaire : Toutes les fibres périphériques afférentes possèdent un corps cellulaire au niveau du ganglion spinal. L’influx nerveux nociceptif transite par le nerf spinal, il pénètre par la racine dorsale jusqu’à la substance grise au niveau des couches I et II (selon la nomenclature de REXED) de la corne dorsale (figure 3). Le nerf se connecte par articulation synaptique avec le deuxième neurone ou « deutoneurone ». On distingue deux types de deutoneurone :
– Les neurones nociceptifs non spécifiques : Leurs corps cellulaires sont localisés au niveau de la couche V. ils reçoivent les messages non nociceptives et nociceptives selon l’intensité de la stimulation.
– Les neurones nociceptifs spécifiques : Leurs corps cellulaires se trouvent dans la couche I et II. Ils sont connectés exclusivement à des fibres Aδ et C. ils ne reçoivent que des informations nociceptives. Leurs activités ne sont donc déclenchées qu’à partir d’un certain seuil. On observe des phénomènes de convergences au niveau de ces deux types de neurone : des messages viscéraux, musculaires, cutanés se projettent sur des neurones communs. Ce qui explique les sensations de douleur projetée. Il existe des collatérales, par l’intermédiaire d’interneurones, qui entrent en contact avec les neurones moteurs des muscles fléchisseurs des membres ou la colonne végétative de la moelle, responsables des réflexes végétatives et motrices à la douleur.
• Voie ascendante : La voie de la douleur est illustrée par la figure ci-dessous. Apres décussation, c’est-à-dire, après avoir croisé la ligne médiane, les axones des neurones se dirigent vers le cordon ventrolatéral et se regroupent pour former le faisceau spinothalamique. Suite à ce croisement, les messages nociceptifs provenant de l’hémisphère droit sont perçus par le cerveau gauche et inversement. Ce faisceau se divise en deux contingents :
– Le faisceau néospinothamamique qui est superficiel et latéral, composé de fibres à conduction rapide paucisynaptique (peu de relais). Les fibres sont bien organisées dans le faisceau (somatotopie). Ce faisceau est responsable d’une sensation consciente de la douleur aiguë et douée d’une capacité d’analyse qualitative de la stimulation (nature, durée, topographie). Cette voie est ainsi responsable de l’aspect sensori-discriminatif.
– Le faisceau paléospinoréticulothalamique : profond et médian, formé de fibres à conduction lente avec de nombreux relais synaptiques. Elles ne sont pas organisées. Il est responsable des comportements d’éveil et de défense et est à l’origine des composantes cognitives, affectives et neurovégétatives de la sensation douloureuse. Il se projette dans la réticulée du tronc cérébral.
• Le relais thalamique : Après avoir emprunté le faisceau spinothalamique, les axones des neurones nociceptifs se connectent par articulation synaptique avec les neurones thalamiques :
– Thalamus latéral (spécifique) : La voie spino-thalamique accompagnant la voie lemniscale se projette avec une somatotopie précise dans le noyau ventro-postéro-latéral (VPL) homolatéral du thalamus latéral contenant le corps du troisième neurone de la voie nociceptive. Les afférences de la face d’origine trigéminale se projettent plus médialement sur le noyau ventro-postéro-médian.
– Thalamus médial (non spécifique) : Le faisceau paléospinoréticulothalamique se projette sur les noyaux intralaminaires, parafasciculaires, submédius du thalamus médian. Ces noyaux constituent un prolongement supérieur de la substance réticulée.
• Les projections :
– Le cortex frontal : La projection des voies nociceptives à partir du thalamus non spécifique sur la région préfrontale est décrite comme responsable du caractère désagréable de la sensation douloureuse et du contexte affectif.
– Le système limbique : La projection à partir de la formation réticulée sur les aires limbiques : cortex orbito-frontal, cingulaire antérieur, insulaire antérieur et sur l’amygdale temporale, joue un rôle dans l’apprentissage et la mémorisation des sensations nociceptives.
– L’hypothalamus : La projection d’informations nociceptives sur l’hypothalamus, principale structure régulatrice végétative, est à l’origine des réponses neuroendocrines à la douleur.
– Le striatum : ces projections seraient à l’origine de réponses semiautomatiques et automatiques élaborées après une stimulation douloureuse
Origine de la morphine
La morphine fait partie des alcaloïdes trouvés dans l’opium, qui est un exsudat laiteux extrait d’une plante, de la famille des Papavéracées, le Pavot. Il existe de nombreuses espèces. Parmi ces variétés, c’est le Papaverum somniferum qui renferme dans son latex une forte concentration en morphine. Lorsque la plante fleurit, l’ovaire devient une capsule ovale (tête de pavot) contenant la sève. Une fois isolée de l’opium, la morphine est un sel blanc cristallisé, que l’on peut préparer afin d’être avalé ou injecté (chlorhydrate ou sulfate de morphine) [18, 19]. L’utilisation de l’opium date de plus de -4000 ans avant J.-C pour ses propriétés analgésiques, sédatives, antidiarrhéiques et antitussives. Mais ce n’est qu’en 1804 que le pharmacien allemand Friedrich Wilhelm Adam Sertürner isola pour la première fois le principe actif de l’opium. Il l’a baptisé « morphium » en raison de l’effet de la molécule et son rapport avec le dieu des songes de la Grèce, Morphée. Gay Lussac lui a attribué la dénomination actuelle « morphine » en utilisant le suffixe « -ine » [18, 19]. En 1925, R. Robinson a réussi à établir la structure moléculaire de la morphine. Ensuite, on a pu commencer à produire des morphines synthétiques, ainsi que des agonistes morphiniques et agonistes antagonistes [18, 19].
Modalité de prescription des morphiniques
La morphine peut être utilisée d’emblée devant une douleur aiguë très intense ou une douleur ne cédant pas aux antalgiques du palier II. Elle doit être utilisée avec précaution en cas d’insuffisance respiratoire décompensée, d’insuffisance rénale et hépatocellulaire, d’hypertension intracrânienne, chez les personnes âgées, chez le nourrisson. Il faut faire attention aux interactions médicamenteuses. Certaines classes thérapeutiques peuvent potentialiser leurs actions dépresseurs du système nerveux central et diminuer la vigilance. D’autres peuvent majorer les effets indésirables. Il s’agit principalement des dérivés morphiniques, des neuroleptiques, des barbituriques, des anxiolytiques, des benzodiazépines, des antihistaminiques H1 sédatifs, des antidépresseurs sédatifs. La morphine est classée comme stupéfiant. Sa prescription et sa dispensation sont régies par des articles. Depuis octobre 2000, la durée maximale de prescription a été portée à 28 jours pour tous les morphiniques orales ou transdermiques du palier III, et 7 jours pour les morphiniques injectables sans système actif de perfusion. La prescription doit être effectuée sur une ordonnance sécurisée dans le but de lutter contre les falsifications, les détournements et de faciliter l’authentification des prescripteurs par les dispensateurs. L’ordonnance sécurisée doit contenir les informations suivantes :
– La date de prescription
– Les renseignements sur le patient : nom et prénom, âge et poids
– La dénomination du produit
– La présentation du produit
– La quantité
– Le service clinique
– La signature et le cachet du prescripteur
Insuffisance de connaissance sur l’antidote de la morphine
La moitié des personnels interviewés (48,78%) ne connait ou ne se souvient pas de l’antidote de la morphine. Vu la crainte de surdosage et la survenue des effets secondaires de la morphine, il est important de connaitre son antidote. La naloxone (Narcan®), antidote contre le surdosage d’opioïdes, est un antagoniste compétitif des récepteurs opioïdes mu qui inverse tous les signes d’intoxication aux opioïdes. Il est actif lorsque la voie d’administration parentérale, intranasale ou pulmonaire est utilisée mais présente une biodisponibilité négligeable après administration orale en raison d’un métabolisme de premier passage important. Le début d’action est de moins de 2 minutes lorsque la naloxone est administrée par voie intraveineuse et sa durée d’action apparente est de 20 à 30 minutes [29, 30]. Concernant la posologie de la naloxone, 8 personnels ont répondu « 1 ampoule en IV » soit 0.4mg de Naloxone. Cette posologie correspond à celles qui sont inscrites dans le VIDAL où la Naloxone est indiquée dans le traitement des intoxications aux morphiniques et dans le diagnostic différentiel des comas toxiques, et qui proposent une dose initiale de 0.4mg de chlorhydrate de naloxone. En effet, les personnels de santé ont recours à ce document pour recueillir des informations sur les médicaments. Pourtant, la dose efficace dépend de la quantité de morphine reçue par le patient, de l’affinité relative de la naloxone pour le récepteur opioïde mu et de l’opioïde à déplacer, du poids du patient et du degré de pénétrance de l’analgésique opioïde dans le système nerveux [30, 31]. La prise en charge d’un surdosage par les analgésiques opioïdes pourrait se résumer comme suit : la dose initiale de naloxone est de 0.04mg chez l’adulte et 0.1mg/kg en pédiatrie. S’il n’y a pas de réponse la dose doit être augmentée toutes les 2 à 3 minutes jusqu’à un maximum de 15mg. En effet, les patients qui n’ont pas de réponse suffisante à une dose initiale de naloxone devraient recevoir des doses croissantes jusqu’à ce que la respiration soit rétablie. C’est la titration de naloxone. Le but de l’augmentation progressive de la dose est de supprimer les signes de surdosage tout en maintenant l’effet analgésique de la morphine [32]. La durée d’action de la Naloxone étant habituellement plus courte que celle de la Morphine, il faut assurer un suivi étroit. Des doses répétées de naloxone ou une perfusion peuvent être nécessaires, selon l’évaluation médicale.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS
I. La douleur
I.1. Définition
I.2. Classification
I.3. Physiologie de la douleur
I.3.1. Naissance du message nociceptif
I.3.2. La transmission du message nociceptif
I.3.3. Contrôle physiologique de la douleur
I.4. Evaluation de la douleur
I.4.1. Objectifs de l’évaluation de la douleur
I.4.2. Nature de l’évaluation
I.4.3. Les outils d’évaluation
I.4. Prise en charge thérapeutique de la douleur
II. La Morphine
II.1. Origine de la morphine
II.2. Caractères physico-chimiques de la morphine
II.3. Pharmacodynamie de la morphine
II.4. Pharmacocinétique de la morphine
II.5. Modalité de prescription des morphiniques
DEUXIEME PARTIE : METHODES ET RESULTATS
I. Méthodes
I.1. Cadre de l’étude
I.2. Type de l’étude
I.3. Période d’étude
I.4. Durée de l’étude
I.5. Population d’étude
I.6. Mode d’échantillonnage
I.7. Méthode d’observation et d’évaluation
I.8. Déroulement global de l’interview
I.9. Variables étudiées
I.10. Méthode statistique
I.11. Limite de l’étude
I.12. Considérations éthiques de l’étude
II. Résultats
II.1. Interview avec les personnels de santé
II.2. Interview avec les patients
II.3. Disponibilité de la morphine
II.4. Disponibilité de l’antidote de la Morphine
TROISIEME PARTIE : DISCUSSION
I. Limite de l’étude
II. Relation entre l’utilisation de la morphine et l’expérience des personnels en milieu hospitalier
III. Interprétation sur la connaissance du personnel
IV. Habitude du personnel sur l’utilisation de la morphine
V. Réticence sur l’utilisation de la morphine
VI. Quelques suggestions
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
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