La montagne, la vigne et la justice: images et langages des pouvoirs en Cappadoce à l’âge du fer

La chute de l’empire hittite autour de 1185/1180 est l’un des événements majeurs du monde oriental à cette époque, longtemps perçu comme résultant d’une destruction dramatique et brutale causée par les migrations et les invasions des fameux « Peuples de la Mer » décrits par les sources pharaoniques. Mais cette vision de l’Histoire est depuis déjà plus d’une décennie remise en cause. D’une part, les expications de cette « chute » de l’empire sont multiples. Si les vagues de migrations des Gasgas et autres Mushkis ont bien joué un rôle non négligeable, les causes sont aussi certainement socio-économiques (le grain manque et la famine menace),politiques (les révoltes des états vassaux ou en apanage, à commencer par celles du royaume du Tarhuntassa, grondent) et sans doute également climatiques .D’autre part, il est avéré que le dernier grand roi hittite Suppiluliuma II n’a pas fui précipitamment, mais bien programmé de manière rationnelle et anticipée l’abandon de la capitale Hattusha/Boğazköy, emportant avec lui ses dieux mânes, sa cours et donc ses élites,scribes, artisans et artistes pour se réfugier en direction du sud . Il aurait ainsi en cela imitéson ancêtre Muwatalli II qui avait déjà fuit l’avancée des Gasgas, déplaçant sa capitale vers le sud, dans le Tarhuntassa . Enfin, les recherches archéologiques de la zone de Büyükkaya à Hattusha/Boğazköy ont montré que le site a été réoccupé immédiatement après cet abandon, donc dès les tous débuts de l’âge du fer, sans réelle trace de « dévastation ».

A partir de là, les opinions des spécialistes divergent. Le souverain hittite aurait choisi comme zone de repli soit le Tarhuntassa au sud-ouest, ce qui est peu probable, Karkemish en Syrie du Nord, hypothèse la plus communièrement admise, ou encore selon une interprétation récente, certes personnelle mais fort séduisante, de Massimo Forlanini, vers l’ancienne cité de Kaneš-Neša . Cette dernière possibilité, qui reste à démontrer de manière méthodique, nous place ainsi en Cappadoce centrale, dans notre espace d’étude et dans le coeur historique hittite mais également au nord-est du luwian core, ce Bas-Pays peuplé de Louvites depuis des temps très anciens.

Le cadre géographique : la Cappadoce et le Taba

Géographiquement, le cadre d’étude est constitué principalement de deux toponymes : la Cappadoce et le Tabal. Comme De Planhol puis Yakubovich l’ont bien démontré, le premier possède une étymologie hittite-louvite et non perse comme on l’a longtemps cru. Ce toponyme est donc utilisé dès l’âge du bronze, puis aux époques achéménide, gréco-romaine et byzantine, ce jusqu’à aujourd’hui, figurant en bonne place dans les différents guides touristiques de Turquie. Ses frontières ont toujours été mouvantes, des régions administratives de l’empire perse jusqu’à nos jours. La Cappadoce n’a ainsi jamais formé une satrapie clairement définie. La province romaine de Cappadoce, créée en 17 après J.C., montre à l’ouest des limites relativement concordantes avec notre espace d’étude mais n’y correspond pas ni au sud, et surtout pas à l’est, s’étendant jusqu’aux frontières de l’Arménie et même de la Mésopotamie parthe au sud-est. Quant aux guides touristiques actuels, ils réduisent cette région à un grossier quadrilatère Hacıbektaş-Kayseri Niğdecaravansérail de Sultanhanı .

Le second toponyme est un toponyme assyrien utilisé aux IXème et VIIIème siècles avant notre ère, mais qui transcrit selon nous un ancien terme hittite ou louvite. Nous proposerons plusieurs hypothèses étymologiques dans notre toute première partie, section 1.4.4, 1. Notons que ce toponyme renvoie à des limites toutes aussi confuses, voire davantage, que celles observables pour l’espace cappadocien . D’autres toponymes urbains et d’autres régions, attestés dans les sources assyriennes et/ou louvites hiéroglyphiques, seront englobés dans notre zone : Tuwana, Hubeshna, Ishtu(a)nda, Atuna, Artulu (?), Kaska, Tuna et Tiwarali pour ne citer que les principaux. Il en va de même pour plusieurs oronymes assyriens, comme Timur, Tuni et Muli, ou louvites comme Harhara, la « Montagne » des inscriptions de ÇALAPVERDI (turc Kerkenes dağ) ou la DEUS.MAGNUS.MONS de l’inscription KARADAĞ 1 (massif volcanique du Karadağ). Tous ces toponymes seront étudiés méthodiquement tout au long de notre travail. La principale délimitation que l’on peut proposer pour notre zone d’étude au sens large procède ainsi de trois logiques différentes (on renverra ici aux deux limites distinguées sur notre carte 1) :

a ) Une logique géographique et géophysique (voir carte 3), avec une vaste région montrant une succession de hauts-plateaux, enserrés au nord par les derniers plateaux d’Anatolie septentrionale et les chaînes pontiques, au sud par les massifs du Taurus central (Bolkar dağ) et à l’est par les chaînes prolongeant ces massifs (le Develi Dağları et l’Aygörünmez Dağı, avec leur paralelle plus à l’est le Binboğa Dağları, et enfin au nordest la longue chaîne du Kulmaç Dağları). Les frontières occidentales sont beaucoup plus floues, avec les Obruk Yaylası, la région des lacs et les débuts de la plaine de Konya au sud-ouest, le Lac salé (turc Tuz Göllü) à l’ouest et des massifs plus modestes au nordouest.

b ) Une logique politique et géopolitique, avec les grands pôles de puissance du temps qui encadrent notre zone durant la majeure partie de l’âge du fer (la Phrygie à l’ouest, l’Urartu au nord-est et bien sûr l’Assyrie au sud-est) mais aussi les différents états néo-hittites « frontaliers » de nos royaumes et cités-Etats, à savoir le Melid à l’est, Kummuh, Gurgum et Sam’al au sud-est, le royaume de Que et le Hilakku au sud. Ces « frontières » sont également parfois floues et certains de ces états tombent souvent dans l’escarcelle de l’Urartu et/ou de l’Assyrie, mais ces logiques et distinctions territoriales et géopolitiques demeurent valides, globalement du XIIème jusqu’à la fin du VIIIèmesiècles. Nous traiterons également à plusieurs reprises d’espaces ou d’entités territoriales situés aux marges de ce cadre d’étude général, sans toutefois les considérer comme partie intégrante de celui-ci, à savoir le Hilakku au sud-ouest, la cité d’Illubru dans le Taurus central, les zones dites « phrygiennes » à l’extrême nord-nord-ouest, la cité de Kaska au nord-est et enfin les marges mélidéennes et la cité de Till Garimmu à l’est.

c ) Enfin une logique épigraphique, que l’on croisera avec la logique b) et plusieurs sites archéologiques septentrionaux (ligne Kaman-Kalehöyük > Kerkenes Dağ > Havuz) et orientaux (ceux de la plaine de Karahöyük-Elbistan notamment) et qui permet de délimiter une zone encadrée par les extensions maximales de l’écriture hiéroglyphique louvite telle qu’elle est attestée par les monuments et inscriptions de notre corpus, à savoir :
– au nord une ligne lettre (et site) de Yassihöyük-Kirşehir > ostrakon avec anthroponymes louvites d’Alişar Höyük > inscription de GEMEREK,
– à l’est et au sud-est la ligne GEMEREK > KURUBEL > EĞRIKÖY > BULGARMADEN,
– au sud la limite BULGARMADEN > IVRIZ 1 et 2 + fragments > KARADAĞ,
– à l’ouest la ligne KARADAĞ > KIZILDAĞ > AKSARAY (> sites de KamanKalehöyük et de Yassihöyük-Kirşehir).

Les bornes chronologiques : début du XIIème siècle – fin du VIIème siècle av. J.C. 

Notre terminus ante quem est constitué de l’abandon de la capitale hittite par Suppiluliuma II, tel qu’il a été décrit au tout début de ce développement, autour de 1185/1180, et donc au début de cette période qualifiée de Dark Ages. Mais cette appellation même est nuancée voire rejettée par plusieurs auteurs. Nombre de sites archéologiques montrent dans notre espace soit une continuité d’occupation, soit une réoccupation très rapide. Toutefois, les sources générales (hiéroglyphiques, statuaire…) connaissent bien en Cappadoce une « période sombre », de 1200 jusqu’à 900, et même jusqu’à la fin du IXème siècle. Mais ce sera aussi un des objectifs d’une partie de notre travail, qui consistera à essayer sinon de combler ce fossé, en tous cas de resituer ou de relever dans le temps les datations de certaines sources (inscriptions du grand roi Hartapu, petit relief d’Ivriz et stèles de Tavsan Tepesi principalement).

Un terminus post quem n’est pas évident à fixer. La majorité des écoles mettent fin à l’histoire des états néo-hittites avec soit la défaite de la coalition Midas de Phrygie – Pisiri de Karkemish en 717, soit autour de 700 avec les premières vagues de destructions et de pillages causées par les Cimmériens, vagues qui s’étendent jusqu’au tout début du VIème siècle. D’autres encore vont jusqu’au début du VIIème siècle, prenant comme terminus les derniers documents hiéroglyphiques datables, qui sont à ce jour les inscriptions d’Azatiwada à Karatepe. Concernant notres espace, les dernières oeuvres datables sont non pas la stèle de NIĞDE 2 comme le pensaient beaucoup d’écoles mais bien les oeuvres de Warpalawa II à Ivriz ainsi que certaines sculptures de Kululu et celles, souvent inachevées, de Göllüdağ (extrême fin du VIIIème – début VIIème siècles) .

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Table des matières

Introduction
1. Le cadre géographique : la Cappadoce et le Tabal
2. Les bornes chronologiques : début du XIIème siècle – fin du VIIème siècle av. J.C
3. La terminologie du sujet et les principaux axes de recherches
4. Etudier la Cappadoce à l’âge du fer : une gageure ? Méthodes d’approche et pluridisciplinarité
5. Annonce du plan et structures des volumes
I ) Les sources externes de l’histoire de la Cappadoce à l’âge du fer : présentation, classification, études géographiques et géopolitiques
1.1 Sources extra-chronologiques et sources contemporaines externes
1.2 L’Anatolie et le Tabal dans les sources bibliques : Tubal
1.3 Le Tabal dans les sources urartéennes : le « pays de (?) Tuate » ; Taplani
1.4 Le Tabal dans les sources assyriennes, du règne de Salmanasar III à celui d’Assurbanipal
1.4.1 Tableaux synoptiques 1 (n° 1 à 6) : le Tabal et les états cappadociens dans les sources royales assyriennes
1. Salmanasar III
2. Tiglath-phalazar III
3. Salmanazar V
4. Sargon II
5. Sennacherib
6. Assarhaddon
7. Aššurbanipal
1.4.2 Les quelques traces assyriennes directes en Anatolie et en Syrie du nord : inscriptions et reliefs rupestres
1.4.3 Bilan des sources assyriennes : géopolitique cappadocienne et difficultés assyriennes
1. La Cappadoce hors de la sphère assyrienne : XIIème – milieu du IXème siècle
2. La Cappadoce entre le milieu du IXème et le milieu du VIIIème siècle : des transformations géopolitiques majeures
3. Le Tabal : l’unique région néo-hittite jamais directement contrôlée ou durablement soumise par l’Assyrie
4. Les tributs tabaliens : un espace riche
a ) Les ressources naturelles, l’artisanat des métaux et l’orfèvrerie
b ) Les chevaux, leur élevage et leur dressage
5. Le Tabal dans les coalitions anatoliennes : un espace rebelle
1.4.4 Tableau synoptique 2 : royaumes et cités du Tabal d’après les sources assyriennes. Equivalences, localisations et discussions
1. Tabal : un dérivé assyrien de tapariya-, de la montagne Tapala ou du terme ta-ba-lis, « forgeron » ?
2. Bit Burutash : la “Maison de Paruta” ?
3. Un terme louvite pour « Tabal » : le « pays de Sura » ?
4. Artulu : le site de Kululu ?
5. Atuna : l’Atunuwa hittite ? Ishtu(a)nda : la Wasuduwanda hittite ?
6. Shinutu : la Sanhata hittite ?
1.4.5 Tableau synoptique 3 : les montagnes en Cappadoce à l’âge du fer d’après les sources assyriennes. Equivalences, localisations et discussions
1. Les montagnes Tuni et Muli : entre ressources minières et montagnes divines
2. Le mont Timur : « frontière » entre Melid et Tabal ?
1.4.6 Tableau synoptique 4 : les souverains tabaliens d’après les sources assyriennes. Equivalences, identifications et discussions
II ) Les sources internes, le corpus : classification et traductions
2.1 Présentation générale
2.1.1 Dénombrement et classification des sources
2.1.2 Les absences et les vides : les tablettes et les sceaux ; les sources louvites hiéroglyphiques entre le début du XIIème siècle et la fin du IXème siècle
2.2 Questions de transition 1 : les sources du royaume de Tarhuntassa (XIIème siècle ?)
2.2.1 Les raisons de l’intégration de ces sources dans notre corpus
2.2.2 Les inscriptions rupestres des grands rois Mursili et Hartapu : KIZILDAĞKARADAĞ-BURUNKAYA
2.3 Questions de transition 2 : les sources de l’âge du fer ancien en Cappadoce
2.3.1 La stèle de Karahöyük (Elbistan)
2.3.2 Les stèles de Tavsan Tepesi
2.3.3 Le petit relief rupestre d’Ivriz
2.4 Les sources épigraphiques et iconographiques des IXème et VIIIème siècles
2.4.1 De l’impossibilité et du rejet souhaitable de toute forme de typologies
2.4.2 Ce que l’épigraphie apporte aux datations et à la chronologie : outils et discussions
2.4.3 Liste des sources épigraphiques et iconographiques des IXème et VIIIème siècles
1. Groupe A : stèles inscrites
2. Groupe B : miscellanea
3. Groupe C : inscriptions rupestres
4. Groupe D : reliefs rupestres
5. Groupe E : bandelettes de plomb inscrites
6. Groupe F : statuaire
7. Groupe G : stèles et orthostates anépigraphes, blocs et bases de colonnes
8. Groupe H : objets divers
9. Groupe I : céramique
10. Groupe J : sites et höyük
III ) Les hommes, les villes, les dieux : société, urbanisation et religion en Cappadoce à l’âge du fer
3.1 Recueil d’onomastique, par ordre alphabétique : liste, occurrences et analyse anthroponymique
3.1.1 Royaumes et cités-états du Tabal, d’Ishtunda, d’Hubesna, d’Atuna, du Hilakku et d’Illubru
3.1.2 Royaume de Tuwana
3.1.3 Bilan de l’onomastique tabalienne
1. Les théophores
2. Les valeurs et les qualités
3. La famille et les liens de parenté
4. Les spécificités tabaliennes
5. les continuités anthroponymiques du XIVème siècle jusqu’à l’époque gréco-romaine : de fortes permanences
3.2 La société et les élites : professions, statuts et titres
3.2.1 Familles, profesions et statuts
1. Les métiers et les professions
° le huhurpari(ya)-
° le hur(a/i)nal(l)i-
° le kukisati-
° le lah(i)nal(l)a/i-
° le sarkunala-
° le tarpala(n)za-
° le uzakali-
° le waralaza-
° le uwatari-
2. Les indicateurs de sexes et de statuts sociaux
° le masculin, la femme et l’homme : VIR / CAPUT-ti- (ziti-) et FEMINA-ti- (wanat(i))
° l’ « homme libre » : l’arawani-
° le « notable » : le MAGNUS-ra-z(z)a- (uraz(z)a-)
3. Les structures familiales
° d’après les textes funéraires
° d’après le fragement de census de Kululu
3.2.2 Les élites : l’univers aulique et l’administration royale
1. Les titres auliques : hauts-fonctionnaires, administrateurs et intendants
° le vizir : (LIGNUM)sukala-
° le « Seigneur de Maison » : DOMUS-ni- DOMINUS-ni-i-sa-
° le « chef des majordomes [du roi] » : MAGNUS.URCEUS
° l’émissaire : MAGNUS + ra/i-ia-li- (uriyal(l)i-)
° le « a-[sa?-tara/i?](-)MAGNUS+RA/I?-ia » : un « uriyal(l)i- du trône » ?
° les eunuques
° autres agents du pouvoir sans titre
2. Le gouvernorat : titres et fonctions
° proto-féodalité et tentatives de reconstructions de pouvoirs monarchiques centralisées
° le « seigneur des hommes du pithos »
° les « gouverneurs » : le LEPUS + ra/i-ia-li- (tapariyali-) et les SERVUS des rois
° le « maire », l’administrateur local : le hazani-
° le hiéroglyphe LIGNUM et l’iconographie du « dirigeant amu- X au bâton »
° bilan : les différentes fonctions des administrateurs locaux
3. Les scribes et les lapicides :
° les verbes : « écrire » et « graver »
° les titres
– les scribes : le SCRIBA-la- (tuppala-) et le SCRIBA + RA/Iza (?)
– le graveur, le tailleur de pierre (?) : le kwananal(l)a-
° Hiérarchie, statuts et fonctions des scribes
4. Les titres de prêtrises :
° le SACERDOS (*355-sa6)
° le kumaza-
° le putiti-
° les titres problématiques
° le souverain pontifex primus de Tarhunza
5. Les cadres militaires : (165)
° le « commandant en chef de la cavalerie (royale) » : le MAGNUS-zi/a (ANIMAL) EQUUS-ta-
° le « commandant de l’armée » : l’EXERCITUS –la/i/u-na MAGNUS + RA/I-za-sa (le kuwalann(i)+ uraz(z)a)
° le « capitaine de 100 soldats » : l’EXERCITUS.MAGNUS.CENTUM
Conclusion

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